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20

Le courrier recommandé siglé du logo d'une grande banque est étrangement épais. Dubitative, je l'observe un moment avant de prévenir .

-Oui Em' ?

-Le facteur vient de déposer une lettre recommandée à l'intention de tes parents. Elle a été envoyée par HSBC.

-Merci. Mets-la de côté, je la rangerai dans leur bureau. Je rentre bientôt, tu m'attends ?

J'acquiesce puis nous raccrochons. J'ôte mes baskets, range mon sac à main et consulte le courrier que j'ai reçu. Quelques prospectus, une lettre d'une compagnie d'assurance et un relevé de compte. Je trie les papiers et monte à l'étage les ranger dans mes dossiers. En passant devant leur chambre, je me décide à poser le courrier recommandé sur le bureau des parents de .

La grande pièce lumineuse se trouve à côté de la salle de bain. La porte est toujours fermée, je crois même que c'est la première fois que je pénètre à l'intérieur. Une odeur de renfermé me chatouille les narines ; à travers le filet de lumière qui perce des volets, je perçois la centaine de minuscules poussières voleter autour de moi. Je me sens comme une intruse à côté de ce grand lit parfaitement fait et de ces meubles en bois massif. Si a refait la décoration du reste de la maison, il ne fait aucun doute qu'il a laissé la chambre de ses parents en l'état.

Je m'approche du bureau pour mettre le courrier à côté d'autres documents négligemment éparpillés. Je jure que je n'ai pas l'intention de me mêler de ce qui ne me regarde pas ; pourtant mon regard est immédiatement attiré par un tas de feuilles recouvertes d'encre noire. Par une image que je n'aurais jamais pensé trouver ici.

Un logo vert et blanc avec une touche de doré.

Une lettre N aux courbes légères, soutenue d'une teinte verte éclatante.

La représentation de deux bagues dorées entrelacées, accrochées à la lettre majuscule cursive qui les surplombe.

Et ce poison qui s'étend devant mes yeux :

Natur'alliance

Sous mes doigts, des dizaines de documents ornés du même logo. D'insignifiantes pages qui respirent le mensonge et la trahison. Des textes à la con qui envoient bouler la confiance que j'ai toujours portée à . Il m'a menti. Il sait que mes parents étaient embourbés dans cette structure et pendant tout ce temps, il était en lien avec eux. Mes yeux fusent sur les courriers, s'arrêtant sur des phrases qui me font froid dans le dos.

« Convocation à l'assemblée générale »

« Relance de règlement »

« Invitation à la présentation de nos nouveaux mentors »

« Rejoignez la communauté et venez visitez vos appartements »

« En tant que membre privilégié, nous avons besoin de votre avis »

Ce sont des escrocs, des menteurs, des manipulateurs et il en fait partie. Je retire mes doigts en reculant d'un pas, comme si le papier me brûlait. Je veux comprendre, pourtant je reste immobile en face de ce logo qui me dégoûte.

-Em' ? T'es en haut ? crie le garçon.

Je ne réponds pas. La colère boût dans mes veines, aspergeant ma conscience. Je ne vois plus que des mensonges et de la trahison. Le reste n'a plus d'importance. Ses pas se rapprochent, mon cœur se déchaine.

Et pour la toute première fois, je me tourne pour faire face à un inconnu.

-Qu'est-ce que tu fais ici... ?

Le regard de passe brièvement sur mon visage défiguré par la fureur avant de se poser sur le bureau. Ses iris s'affolent et la panique que je lis soudain me rend malade.

-Tu m'as menti. Tu sais des choses à propos de mes parents et tu m'as menti.

Ma voix est blanche, presque robotique. Le garçon sursaute imperceptiblement mais je m'en fous.

-Non Em' je... je ne t'ai pas menti. Je... Ces...

-Depuis le début, tu ne veux pas entendre parler de cette structure. Tu m'envoyais chier à chaque fois alors que les réponses se trouvaient là, dans le bureau de tes parents.

-Non Em', attends, je vais t'expliquer ! Je ne t'ai pas menti, j'ai juste...

-ARRETE DE DIRE QUE TU NE M'AS PAS MENTI PUTAIN ! explosé-je soudainement. Il y a des dizaines de documents juste sous nos yeux ! Tu en sais plus que ce que tu prétendais !

- calme-toi s'il te plait.

me tend la main en se rapprochant doucement. Je la frappe sans ménagement, le faisant reculer d'un pas.

-Je t'ai fait confiance . Je ne fais confiance à personne mais toi, toi c'était différent. Je t'ai dit des choses que je n'ai jamais dites à personne, je t'ai... je t'ai laissé voir... Et tu m'as menti. Tu t'es joué de moi, tu t'es peut-être même servi de moi. Alors non je ne me calmerai pas !

-Non, ne dis pas ça, m'implore-t-il d'une voix brisée. Oui j'ai gardé tous ces documents mais ça n'a rien à voir avec tes parents !

-Mais comment peux-tu dire de telles conneries ? Mes parents sont morts, ils ont été tués et le seul truc qui ne tournait pas rond dans leur vie, c'était ce putain de Natur'alliance !

Il s'approche à nouveau, tentant par ses gestes doux de me ramener à lui mais c'est trop tard, je suis déjà trop loin.

-Explique-moi. Explique-moi maintenant, lâché-je, cinglante.

Il soupire et passe la main dans ses cheveux. Ses yeux s'écrasent au sol tandis que mon estomac se leste d'une brique. a toujours été honnête avec moi. Il m'a toujours regardé dans les yeux sans aucune gêne. Mais il commence son récit le regard dans le vague, perdu entre fausseté et tromperie.

-Mes parents ont eux aussi fréquenté ce centre quelques temps et même s'ils n'en font plus partie, ils reçoivent toujours des courriers de leur part. Rien d'autre.

Je ricane, profondément déçue par sa réponse.

-Tu crois vraiment que je vais me contenter de ça, ? Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ? Pourquoi as-tu éludé chaque question que je posais ?

-Je n'aime pas en parler, répond-t-il en haussant les épaules, le regard toujours dans le vague.

Les mots me manquent. Je croyais connaître ce garçon, je le croyais vraiment. Je pourrais redessiner son corps les yeux fermés, anticiper chacune de ses expressions, retrouver son parfum parmi des milliers et comprendre les trémolos de sa voix sans avoir à l'interroger mais ce n'était qu'une coquille vide. Un putain de leurre. La vérité, c'est qu'il ne m'a donné qu'une façade. Le reste n'était qu'un tissu de mensonges.

Je serre les bras contre ma poitrine. Je ne me laisserai plus avoir.

-Moi, je n'aime pas qu'on me mente. Je ne veux plus te voir .

Je passe à coté de lui en esquivant son geste maladroit pour me retenir et je dévale les escaliers en courant, tentant tant bien que mal de retenir le flot de larmes qui s'accumule derrière mes paupières.

- attends ! Ne pars pas ! crie le garçon derrière moi.

J'attrape mes clés, mon portable et mon sac et je m'enfuis par la porte d'entrée.

-Bon sang, ne t'en vas pas comme ça !

-Laisse-moi tranquille !

Je claque la portière de la Mustang de mon père, manquant presque de blesser quand je démarre en trombe. Le garçon n'est rapidement plus qu'un point sombre dans mon rétroviseur. Plus qu'une tache indélébile qui s'accroche à mon cœur. Je parviens à atteindre la route nationale sans encombre mais je me noie déjà dans mes propres larmes. Alors je m'arrête sur le bas-côté pour laisser ma tête s'écraser contre mon volant tandis que mes sanglots éclatent. Mon cœur amoureux saigne, se déchire, s'effrite, s'éparpille à travers mes pleurs.

Je ne peux faire confiance à personne. Je suis seule.

Je l'ai toujours été et je le serai toujours.

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