21
J'ai besoin que tu revienne. J'ai besoin d'effacer la douleur que j'ai lu dans ton regard hier. Ne me quitte pas comme ça, laisse-nous une chance. J'ai encore tellement de chose à te dire... Et si tu ne veux pas les entendre, je me battrais pour nous, je te le promets.
Les arbres défilent derrière les fenêtres de la voiture. Tout comme les sentiers, les villages que j'abandonne dans le rétroviseur. Je m'embourbe dans l'arrière-pays sans vraiment savoir où je vais. J'accélère toujours un peu plus pour laisser derrière moi les souvenirs qui me heurtent sans cesse, en vain. Les images se placardent devant mes yeux et que je le veuille ou non, je revis tout dans un immense chaos. La culpabilité dans le regard de les baisers passionnés que nous échangions, la confiance que je lui ai donnée, les mensonges qu'il trimballait... Et ma fuite. Ma fuite pour seule issue.
Je ne sais pas si j'ai bien fait de partir mais je ne pouvais pas rester dans cette maison. J'avais besoin d'être seule ; pour digérer, pour comprendre. Je suis seule maintenant, perdue au milieu de la campagne, mais je ne me sens pas mieux pour autant. Ce sentiment de trahison que je ressens depuis que j'ai posé les yeux sur ces satanés documents m'étreint si fort la poitrine que rien d'autre n'existe. J'ai baissé ma garde une fois, une seule fois. Je l'ai laissé m'approcher, je me suis débattue pour mettre au tapis mes propres démons et voilà où cette connerie m'a menée.
Je ne suis qu'une idiote. Je sais bien pourtant que je ne peux compter que sur moi-même et j'y ai cru.
Un rire amer résonne dans l'habitacle. J'efface mes larmes du revers de la main en reniflant bruyamment. Je suis pathétique bordel. Je suis amoureuse d'un homme qui me cache des informations sur ce qui fait ma vie depuis des mois et je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Alors j'accélère et je m'engouffre sur des petites routes sinueuses. Le volant fermement ancré entre les mains, je redouble d'attention pour contrôler le véhicule et reprendre de la vitesse. Ces manœuvres laissent mes pensées dériver dans mon rétroviseur. L'espace de quelques heures, je ne vois rien d'autre que le bitume.
La journée touche à sa fin. Mon périple improvisé m'a menée sur des routes que je ne connaissais pas mais je réalise avec surprise que je ne me suis pas vraiment éloignée de la ville. Je dois être à moins de deux heures de chez . Je n'ai pourtant aucune intention de retourner le voir ce soir, je ne suis pas encore prête à remonter sur le ring. Je m'arrête à une intersection pour étudier les panneaux. A droite, le nord et l'inconnu. A gauche, le sud et mes attaches. La gamine capricieuse et un peu tête brulée veut braquer à droite pour fuir sans laisser de trace. Je l'ai déjà fait une fois et même si je ne m'en souviens pas, je commence à penser que c'était finalement pour une bonne raison. Mais la sonnerie de mon téléphone me fait sursauter. Si je fulmine en imaginant à l'autre bout du fil, je ne m'attendais pas à cette déception quand je vois le nom de ma meilleure amie.
ne m'a pas appelée une seule fois depuis que j'ai claqué la porte de la Mustang. Pas un appel, pas un message, pas une excuse, pas une explication.
-Oui Jamie ?
-Rejoins-nous au Sick one on t'attend !
-On ? grogné-je entre mes dents.
-Oui, je suis avec Sophia. Ça te dit une petite virée entre filles ?
C'est exactement ce dont j'ai besoin.
-Je vous rejoins au bar dans une heure, ok ?
-Parfait !
Je bifurque finalement à gauche, non sans un regard vers la fuite que j'aurais de nouveau pu prendre. Je suis bien consciente que ce n'est sûrement pas une solution mais j'ai besoin de me protéger un peu ce soir. J'ai rarement eu aussi mal. J'ai l'impression que mon cœur n'est plus qu'une flopée de miettes éparpillées un peu partout. D'un coup de vent, il ne reste plus rien de lui. Et même si je vais continuer à pister Natur'alliance, cela n'atténuera pas mes regrets.
Parce que je m'en veux. Par-dessus tout ce que je ressens, c'est à moi que j'en veux le plus. J'ai passé des années à me blinder, à papillonner pour me protéger, à ne savoir compter que sur moi-même et même si je me suis toujours sentie vide, je ne souffrais pas autant. Mais j'ai finalement pris le risque et je n'aurais pas dû. Parce que la peine qui m'assaille est si violente que j'ai parfois du mal à respirer.
J'arrive au bar à la nuit tombée. Cette journée m'a épuisée mais j'ai besoin de me vider la tête et quoi de mieux que des copines, de l'alcool et de la musique ? Quand je pénètre dans la grande salle, je ne parviens pas à trouver les filles. La musique latino ravit des dizaines de fêtard qui se déhanchent dans un joyeux brouhaha. Je fais le tour des tables et des banquettes, j'ère dans la pénombre mais elles sont introuvables. Je finis par me diriger vers le bar où je salue Andy. Comme à son habitude, il en profite pour m'étreindre un peu trop longtemps mais je le repousse gentiment. Il me décoche un clin d'œil en même temps que ses mains s'agitent pour me servir un cocktail. Je ne lui dnde même pas ce qu'il contient, je l'engloutis d'une traite. Bon sang, il était corsé celui-ci !
-Wow ! Quelle descente Em' !
-Je m'appelle ! grogné-je sans ménagement. Où sont Jamie et Sophia ?
Il ricane mais pointe tout de même son index en direction de la piste. Je la fouille du regard jusqu'à ce que je localise mes deux copines, gravitant scandaleusement près l'une de l'autre, suivant de leurs jambes imbriquées le même rythme de salsa qui résonne des enceintes. J'en reste bouche bée. Leurs corps se meuvent avec sensualité et si leurs gestes sont sages, les intentions qu'elles tiennent secrètes ne le sont pas du tout !
Armée d'un nouveau verre, je me rapproche discrètement. De là où je me tiens, je peux voir leurs regards brillants et leurs sourires équivoques. Le désir qui guide chacun de leurs mouvements et leur attirance qu'elles ne peuvent plus cacher.
Le DJ enchaine sur une musique plus rythmée qui oblige les filles à se séparer. C'est à ce moment que Sophia m'aperçoit. Elle recule alors brusquement, laissant Jamie un peu perdue sur la piste. Je les rejoins pour les enlacer chacune à leur tour.
-Vous vous amusez bien ? dndé-je innocemment.
-Oui, on dansait entre copines, répond Sophia sans attendre.
La peine que je lis dans le regard de Jamie est aussi fugace que profonde. Les filles me conduisent vers leur table où des bières les attendent. Je noie mes lèvres dans un nouveau cocktail tandis que Jamie me scrute intensément. Le silence qu'elle laisse s'installer ne me dit rien qui vaille.
-Qu'est-ce qu'il se passe ?
-Rien.
-Oh arrête tes conneries ! T'as vu ta tronche ? On dirait que tu portes toute la misère du monde !
-Je t'emmerde !
-Ah ! Ça c'est bon signe, rétorque-t-elle en se tournant vers sa bien-aimée. Si a encore le courage de m'insulter, c'est que tout n'est pas perdu.
Sophia pouffe alors que je lève les yeux au ciel. J'aimerais être légère et pouvoir faire semblant mais je n'en ai plus vraiment la force. Je me rappelle la dernière fois que je suis venue ici, quand les garçons m'ont dndé d'être leur parolière. Je me souviens de l'attitude possessive de qui ne supportait pas que ses copains soient trop proches de moi. J'aimais tellement sa manière de me vouloir à lui, rien qu'à lui.
Comment a-t-il pu me mentir ? Je dois savoir. Je dois comprendre.
Je m'apprête à partir le rejoindre sur un coup de tête quand deux mains apparaissent à côté des miennes et qu'un nouveau verre se matérialise. Andy se tient dans mon dos, son torse frôlant mon corps qui se rapproche instinctivement de la table pour mieux lui échapper.
-Arrête Andy.
Le garçon s'exécute et se plante à ma gauche, une bouteille de bière entre les mains. Le DJ lance une nouvelle chanson qui provoque les cris de joie de l'assemblée. Dont ceux de Sophia qui attrape le bras de Jamie sans réfléchir pour la tirer sur la piste de danse. Leurs mains retrouvent immédiatement leur place sur le corps de l'autre et elles se laissent aller en rythme. Jamie entrouvre légèrement les jambes pour que Sophia vienne glisser la sienne. Leurs corps se frôlent, s'attisent et leurs regards s'enflamment.
Andy pose doucement sa main sur mon bras pour capter mon attention.
-Je vois que tu apprécies toujours autant les Cuba Libre.
Je baisse les yeux sur mon troisième verre de la soirée. A vrai dire, j'ai tellement le moral dans les chaussettes que je n'avais même pas fait attention à ce que je buvais.
-Tu m'en dndais tout le temps quand on était ensemble, tu te souviens ?
Oui je m'en souviens. Je me souviens que je n'aimais pas particulièrement le goût mais que c'était ce qui m'enivrait le plus vite. Rien n'a changé de ce côté-là.
-A quoi tu joues Andy ?
-J'ai fini mon service et j'ai simplement envie de passer la soirée avec toi. Tu y vois un inconvénient ?
Oui. Non. Je ne sais pas. Je veux juste oublier. Il me tend sa main, un sourire rassurant sur les lèvres. J'avale d'une traite le contenu de mon verre et je glisse mes doigts entre les siens. Cette sensation me fait frissonner. De gêne, je crois. Il m'entraine sur la piste pour me faire danser mais il ne tente rien d'inapproprié. Il gigote de la plus ridicule des manières et je m'esclaffe de bon cœur. Les lèvres baignées de rhum, je retrouve mes vieux réflexes.
Les chansons s'enchainent à mesure que Jamie et Sophia ne font plus qu'un. Leurs danses ressemblent plus à des caresses sensuelles qu'à un bon moment passé entre copines mais je les laisse profiter. Andy me prend la main pour me mener au bar où il me sert un nouveau verre. Puis un autre. Et encore un autre. L'alcool coule à flot dans mes veines. Il me semble que Jamie se penche vers moi pour me dire d'arrêter mes conneries mais je souris comme une idiote. Elle veut que je rentre avec elle, je refuse. Elle insiste, je grommelle. Andy se colle à mon dos, elle l'insulte. Il me chuchote des trucs à l'oreille, elle le repousse. Ses doigts glissent sur ma peau, elle le fusille du regard. Et j'assiste à cette scène comme si j'étais un simple spectateur.
A travers la brume opaque dans laquelle je dérive, je sens un truc bizarre dans ma poche. Un drôle de chatouillement. Je me mets alors à rire, à me dandiner comme une cruche parce que je ne comprends pas ce qui m'arrive mais que c'est vachement rigolo. Je continue à me bidonner jusqu'à ce que je découvre l'origine de ces guiliguilis. Mon téléphone entre mes mains, je fixe mon regard drogué d'alcool sur les mots qui s'affichent à l'écran :
: Je te laisse une soirée pour ruminer dans ton coin. J'ai confiance en toi, je sait que tu ne fera pas de bêtise. A din Em'.
Même si je suis complètement bourrée, les mots de me percutent l e s u n s a p r è s l e s a u t r e s. Les doigts d'Andy me brûlent, je les dégage sans ménagement. Je bouscule le garçon en titubant vers la sortie. Je ne peux pas rester ici. Jamie me rattrape et me retourne brusquement.
-Rentre avec nous .
L'espace de quelques secondes, Le DJ plonge la salle dans le noir pour lancer une nouvelle chanson qui fait hurler la foule. J'en profite pour me dérober et atteindre la sortie en zigzaguant. Dans la nuit noire, je retrouve ma voiture et je démarre. Les images sont floues dans ma tête mais j'essaie de suivre les courbes de l'asphalte. Je ne sais pas vraiment si je roule vite ou doucement, je ne sais pas trop ce que je fais mais je ne ressens que cette profonde tristesse dans mes entrailles. Je ne comprends pas le message de je ne veux pas le comprendre. Je suis perdue, perdue, perdue. La petite fille anxieuse prend le contrôle et me guide vers cette plage que nous adorions visiter avec mes parents et mon frère.
