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Mon frère entre à son tour sans frapper mais lorsqu'il m'aperçoit, il se stoppe net et explose d'un rire des plus moqueurs.
-Putain mais pourquoi est-ce que tu es habillée comme si tu allais vendre des assurances ?
-La ferme Enzo, j'ai rendez-vous avec Mr Blain.
-Et tu... tu crois vraiment que ta tenue ridicule va servir à quelque chose ? parvient-il à baragouiner entre deux crises de rire.
-Evidemment ! Je ne vais quand même pas débarquer dans son bureau avec mon vieux t-shirt des Rolling Stones, bougonné-je.
Mon frère continue de s'esclaffer comme un idiot en me reluquant des pieds à la tête mais je l'ignore royalement. Je me tourne à nouveau vers le miroir pour rassembler mes cheveux en un chignon – ou du moins à ce qui ressemble vaguement à un chignon – et appliquer une couche de mascara. Dans mon dos, je rrque qu'Enzo se calme un peu lorsqu'il s'avachit sur mon lit.
-Tu... tu as besoin de moi pour aller voir Mr Blain ?
L'espace d'une seconde, je suis tentée de dire oui. Je suis tentée de dnder à mon petit frère de partager mon fardeau et de communier nos peines. Mais je n'en ai pas le droit. Je dois être forte pour lui. Je suis sa grande sœur, celle sur laquelle il doit se reposer en cas de coup dur. Et je sais également qu'il gère difficilement la mort de nos parents. Quand j'ai enfin réussi à le joindre la sine dernière pour lui annoncer que je m'installais provisoirement chez il émergeait d'un interminable weekend de fête. Lors de mon séjour à l'hôpital, je ne me rendais pas compte qu'il passait tout son temps à sortir mais maintenant que nous vivons sous le même toit, je comprends ce qui le pousse à s'enjailler à ce point. Il vit démesurément pour oublier la mort de nos parents. Il vide les bouteilles d'alcool pour se sentir vivant. Il tire sur des joints pour repousser la brume de son esprit. Il flirte avec un tas de filles pour bouffer la vie et se venger de sa cruauté. Il vit, comme seul moyen de défense. Alors je le laisse vivre avec toute l'insouciance dont un jeune garçon de dix-huit ans doit faire preuve et je garde un œil sur lui.
-Non, ça ne va pas durer longtemps. Tu fais quoi aujourd'hui ?
-Je décuve et je pars rejoindre mes potes, comme d'hab.
-Ok. Amuse-toi bien mais fais attention à toi. Que personne ne conduise si vous êtes bourrés. Tu rentres à pied ou tu m'appelles mais tu ne montes pas dans une bagnole si le conducteur a bu, c'est bien compris ?
-T'inquiète pas, on a l'habitude. On reste dormir sur place.
Enzo plante brièvement un baiser sur ma joue et disparaît dans le couloir. Je jette un œil au réveil posé sur la table de chevet. 13h37. Il faut que je parte si je ne veux pas être en retard. Je souffle une dernière fois pour me donner du courage et je quitte la maison. J'avale les kilomètres dans la voiture de sans réellement prêter attention au trajet que j'emprunte. Mon esprit est déjà en train de carburer pour imaginer tous les scénarios possibles. Et si Mr Blain m'annonçait que mes parents m'ont caché un terrible secret ? Et s'il n'avait absolument aucune idée de ce qui a pu leur arriver ? Et s'il détenait des informations cruciales ? Et je ne supportais pas ce que je m'apprête à entendre ?
Je me gare sur le parking de la banque. Il est trop tard pour se dégonfler. Telle une automate, j'avance en direction du guichet d'accueil, le ventre noué et les jambes flageolantes. Une jeune femme rousse à la peau laiteuse me gratifie d'un petit sourire avant de me conduire dans le bureau de Mr Blain. Mes tempes palpitent si fort que j'ai l'impression que ma tête va exploser.
-Bonjour Mme Pazzi. Entrez, je vous en prie.
D'un geste de la main, le banquier me fait signe de m'installer sur le fauteuil en face de son bureau. Son visage est légèrement plus marqué que dans mon souvenir mais il n'a pas beaucoup changé depuis la dernière fois que je l'ai vu. Seules ses tempes grisonnantes et quelques ridules trahissent les années qui s'enfuient mais il a conservé son regard bienveillant et son assurance à toute épreuve. Il s'assoit à son tour, non sans me proposer quelque chose à boire. Je décline poliment son offre, je suis incapable d'avaler quoi que ce soit.
-Tout d'abord, je tiens à vous présenter mes sincères condoléances. Vos parents étaient des personnes que j'appréciais et que je respectais énormément. J'ai été peiné d'apprendre leur décès brutal.
Je déglutis difficilement.
-Je vous remercie.
-En quoi puis-je vous aider aujourd'hui ?
-Je... je... j'aimerais comprendre ce qui est arrivé à mes parents et je sais que vous étiez proches d'eux, qu'ils avaient confiance en vous. Je me dndais si vous aviez des informations que j'ignore. Ils ont été victimes d'un accident mais j'ai peur que quelqu'un ait voulu les supprimer intentionnellement. Savez-vous s'ils se sentaient menacés ? S'ils avaient des ennuis ?
Je termine ma tirade le cœur au bord des lèvres. Mon interlocuteur pose ses coudes sur son bureau et rapproche légèrement son visage en fronçant les sourcils.
-Vos parents ne m'ont jamais parlé d'éventuels problèmes personnels. Nous nous contentions de discuter de leur patrimoine et de trouver ensemble les meilleurs placements. Jamais nous n'évoquions de sujets plus personnels. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider.
Le poids de la déception s'écrase sur moi comme une chape de plomb. J'ai l'impression que je ne parviendrai jamais à sortir de ce gouffre dans lequel j'ai chuté sans pouvoir me relever.
-Je... je ne sais plus où chercher, soupiré-je. J'ai fouillé leur maison mais la police avait déjà emporté toutes leurs affaires. Il ne restait plus un seul dossier ni même leurs ordinateurs. Quand les inspecteurs de police m'ont rendu visite, ils m'ont dit qu'ils me préviendraient lorsqu'ils auront du nouveau mais personne n'a pris contact avec moi.
-Je suis sincèrement navré pour vous Mme Pazzi. La seule chose que je peux vous dire c'est que vos parents ont établi un testament l'année dernière. Ils l'ont déposé chez un notaire mais ils m'ont également laissé une copie pour que vous y ayez accès facilement. Puisqu'ils m'ont autorisé, je vais vous laisser le consulter mais je peux déjà vous dévoiler les grandes lignes.
Je me redresse immédiatement pour accueillir enfin quelques précieuses informations.
-Je vous écoute.
-Vos parents vous ont légué leur maison, à vous et à votre frère. A parts égales. Ils vous ont également légué à chacun la moitié de leur fortune ainsi que les différentes actions qu'ils possédaient dans diverses entreprises cotées en bourse.
Il s'arrête un instant, comme s'il pesait soigneusement ses mots, avant de reprendre la parole.
-Je suis heureux qu'ils aient fait leur testament bien avant leur mort et que leur héritage ne revienne pas à cette structure à laquelle ils ont versé des sommes astronomiques ces dernières années.
-Q-quoi ? Qu... quelle structure ? hoqueté-je de surprise.
Il soupire en baissant les yeux. J'ai soudain l'impression qu'il hésite à m'en dire plus mais mon instinct de lionne prend subitement le pouvoir.
-Mr Blain, s'il vous plait, j'ai besoin de vous. Mes parents sont morts, vous n'avez plus à protéger leurs choix. Quelle est cette structure à laquelle vous faites allusion ?
-Je ne me souviens plus du nom mais vous pourrez la retrouver sur les relevés bancaires de vos parents. Je sais simplement que vos parents versent régulièrement de l'argent à un établissement et que les montants versés ont considérablement augmenté ces dernières années. A chaque fois que j'ai voulu leur en parler, ils refusaient en prétextant leur vie privée.
Mon cœur bat comme un enragé dans ma poitrine. J'ai la sensation de toucher du doigt un élément important dans l'équation qui m'obsède. Mr Blain me propose de repartir avec un extrait de leur compte bancaire, ce que j'accepte immédiatement. Je le remercie chaleureusement en quittant son bureau. Il en profite pour me glisser sa carte de visite dans la main.
