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15

Tout à l'heure, le jour s'est levé, comme tous les matins. Mais ce matin, tu es avec moi. Debout. Dehors. Et tu vas mieux. Alors même si je sais que tu souffres de la mort de tes parents, je sais aussi que tu es forte et que tu sauras les rendre fière. Tout à l'heure, le soleil se couchera, comme tous les soirs. Mais moi, je serai là.

La grande bâtisse de mes parents me fait face, trônant fièrement au milieu du maquis derrière la grande dune. Les vieilles pierres dorées regorgent de secrets qu'elles garderont scellés à tout jamais tandis que la brise continue de se faufiler inlassablement à travers elles. Cette maison construite il y a presque une centaine d'années a su contrer les vents déchainés, les pluies torrentielles et les sécheresses inquiétantes sans jamais plier. J'inspire longuement, tentant vainement de me nourrir de la force que cette demeure dégage.

m'a déposée devant la maison de mon enfance il y a une trentaine de minutes. Depuis, je n'ai pas bougé. Mes pieds n'arrivent pas à fouler la distance qui me sépare de la porte d'entrée et mon regard ne parvient pas à se détourner de tous les souvenirs qui se réveillent dans ma mémoire. La maison de se situe à environ cinq minutes de la mienne, sur la droite. Je me revois petite, en train de sautiller sur cette allée que j'ai empruntée des milliers de fois pour aller rejoindre un petit garçon joufflu au regard rieur qui m'accompagnait dans toutes mes aventures.

Je secoue la tête pour repousser ces images, le vent jouant malicieusement avec mes cheveux emmêlés. Le soleil à son zénith m'inonde de ses rayons les plus chauds et pourtant, je frissonne. Tellement de questions fusent dans mon esprit que mes craintes les plus profondes m'aveuglent. Quand j'atteins le petit porche, je souffle longuement. Je pense une dernière fois à ma mère et à son éternel optimisme, à mon père et à la confiance sans faille dont il m'a toujours gratifiée et j'abaisse la poignée.

L'atmosphère est particulièrement pesante à l'intérieur. J'ai l'impression que le temps s'est figé et l'espace d'une seconde, je suis tentée de fermer les yeux et de me bercer de mensonges. Mais le trou béant qui crible ma poitrine ne me permettra jamais d'oublier ceux que j'ai perdus. J'avance doucement dans le couloir de l'entrée puis je pénètre dans le salon. Depuis que je suis réveillée, on me rabâche sans cesse que je suis une adulte, que ma vie n'est plus celle dont je me souviens mais ici, je pourrais croire le contraire. Je pourrais m'asseoir sur le canapé défraichi en cuir marron et attendre que ma mère sorte de la cuisine, une casserole fumante entre les mains. Je pourrais voir mon frère chiper un peu de sauce avec son index en passant devant maman. Je pourrais sentir le parfum boisé de papa flotter autour de lui. Je pourrais reprendre ma vie là où je l'ai laissée.

Un bruit m'arrache un petit cri de surprise. Le vent joue à faire claquer la porte d'entrée, me reconnectant subitement à la réalité. Mon cœur bat d'une drôle de manière. Il ne sait pas s'il doit galoper ou trainer la patte, s'il doit prendre peur ou se montrer confiant dans ce lieu familier. Je décide d'ignorer les souvenirs qui affluent à la vitesse de la lumière pour me concentrer sur le but de ma visite. Trois heures durant, je m'active dans toutes les pièces de la maison. Je fouille chaque meuble, chaque recoin, chaque vêtement. Je progresse tel un robot sans émotion. Je décortique chaque élément que je croise mais je ne trouve absolument rien d'intéressant. La frustration me gagne mais j'essaie de garder mon calme. Les placards, les classeurs et les tiroirs sont désespérément vides. L'ordinateur de mes parents a sans doute été emporté par la police, de même que tous les dossiers dans le bureau de mon père.

En fin d'après-midi, je me rends à l'évidence. Ma fouille intensive n'a absolument rien donné, à part un cœur brisé par les souvenirs heureux de mes parents partis à tout jamais. Je savais qu'il ne serait pas facile de déambuler entre ces murs mais je n'aurais jamais imaginé à quel point. Ce lieu n'est plus qu'un mirage du bonheur que j'ai perdu. J'étouffe ici. Je sors alors dans le jardin pour prendre un peu l'air. Je tombe nez à nez sur mon vélo, abandonné négligemment dans l'herbe. Je revois le chevaucher et me faire grimper dans le panier. Je nous revois riant aux éclats et zigzaguant dans l'allée, mes bras enroulés autour de son cou et mes jambes pendants de chaque côté du guidon. Je peux encore entendre la voix de mon père nous intimant d'arrêter nos bêtises et d'être prudents.

Doucement, la petite fille et le petit garçon sur le vélo disparaissent. La voix de mon père s'éloigne jusqu'à s'évanouir dans le bruissement des feuilles. Mais la douce chaleur qui s'est infiltrée sous ma peau déploie délicatement ses ailes. Mes yeux papillonnent un instant avant de se poser sur l'homme qui m'observe au bout de l'allée. Je cligne des paupières plusieurs fois mais petit à petit, je reconnais la silhouette athlétique de mon ami. Malgré la distance, je sens la brûlure de son regard qui me lit.

Quelques instants plus tard, me rejoint. Il scrute intensément mon visage avant de poser ses beaux yeux bleus sur la façade de la maison. Une certaine nostalgie l'étreint et je devine que lui aussi est en train de revivre certains de nos moments précieux. Il s'approche imperceptiblement de moi si bien que son épaule soutient désormais la mienne lorsqu'il m'interroge, le regard toujours rivé sur la bâtisse.

-T'as trouvé quelque chose ?

-Non. Il ne reste plus aucun fichier ni aucun document dans la maison.

-Juste des souvenirs, murmure-t-il.

Le nœud qui obstrue ma gorge me fait mal. Je ne peux pas prononcer le moindre mot. passe son bras autour de mes épaules pour m'attirer à lui.

-Allez viens Em'.

Je ferme une seconde les yeux pour savourer le goût de ce surnom sur ses lèvres. Je me revois dans la cour de l'école, à morigéner tous les gamins qui tentaient de m'appeler ainsi. « Je m'appelle ! » criais-je sans relâche. Je détestais qu'on abime mon prénom. Mais le jour où a laissé échapper ce petit nom, une sensation surprenante a tourbillonné dans mon ventre. Alors je n'ai rien dit et j'ai souri. J'ai continué à gronder les autres et j'ai accepté l'idée de me lier à .

Mon ami ferme la porte de la maison pendant que je le regarde, confuse. Sa main exerce une douce pression sur mon épaule nue au moment où il nous entraine tous les deux en direction de l'allée. Le soleil décline dans le ciel. La chaleur caniculaire de la journée laisse place à une douce brise qui adoucit l'air.

-Tu nous emmènes où, M ?

-Chez moi. Tu ne peux pas rester ici.

Je voudrais protester mais je n'en ai pas la force. Je croyais être capable de vivre avec le fantôme de mon enfance; j'ai eu tort. C'est beaucoup trop douloureux. Nous remontons l'allée sans dire un mot. Une certaine tension s'empare de moi au fur et à mesure que nous approchons de la maison de . Je ne suis pas sûre d'y être vraiment à ma place mais je n'ai pas d'autre alternative pour l'instant. Mon ami pousse le petit portillon qui mène à son jardin. Quand mes sandales foulent l'herbe fraichement tondue, je replonge dans un millier de souvenirs qui m'assaillent sans me dnder mon avis.

Je nous revois jouant à cache-cache entre les rosiers parfaitement taillés de son père. Je nous revois attablés à la table en bois, attendant impatiemment que sa maman nous serve le goûter. Elle nous faisait toujours des crêpes pour nous faire plaisir et me laissait toujours manger la dernière. Mon regard s'attarde un instant sur la cabane en haut du grand chêne. Un jour, nous avions décidé que nous voulions avoir notre coin à nous, rien qu'à nous. Nous avons alors tanné son père pour qu'il nous construise une cabane et le weekend suivant, nous jouions dedans. Les parents de ont toujours accédé à tous ses désirs, même les plus farfelus. Souvent, j'étais jalouse de lui. Je ne comprenais pas pourquoi ma mère restreignait mes interminables caprices mais aujourd'hui je réalise qu'elle agissait seulement comme toutes les mères. Ce sont plutôt les parents de qui n'avaient aucune limite avec leur fils.

Nous traversons le jardin puis nous entrons dans la maison. Les murs blancs remplacent les multiples teintes colorées que sa mère aimait juxtaposer un peu partout. Les bibelots en tout genre ont disparu et le mobilier contemporain accentue la touche masculine qui se dégage de ce lieu. Une grande clarté illumine la pièce de vie au milieu de laquelle un joli canapé noir et blanc est installé. Je me sens bien ici.

-Tu veux boire un truc ?

-Ouais, une bière.

Il disparaît un instant puis vient se poster à côté de moi en me tendant une bouteille bien fraiche. J'avale quelques gorgées mais je reste bêtement plantée au milieu de la pièce, ne sachant que faire.

-J'irai chercher tes affaires tout à l'heure. Tu pourras aussi téléphoner à ton frère pour lui dire de venir s'installer ici avec toi.

Je manque de recracher le liquide ambré sous le coup de la surprise.

-Q-quoi ? Tu veux que je m'installe ici ?

-Bah oui pourquoi ?

-Je sais pas... ça ne va pas être bizarre ? Enfin, je veux dire, je ne suis pas sûre que Laura appréciera que je passe tout mon temps ici. Et puis, tu n'as pas besoin de faire ça pour moi, je peux très bien me débrouiller.

-Je sais bien que je ne suis pas obligé mais tu ne peux pas rester dans ton ancienne maison. J'ai vu ton regard tout à l'heure, tu n'étais vraiment pas bien. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le voudras. Et ne t'en fais pas pour Laura, elle comprendra.

Je secoue la tête silencieusement. Je ne sais pas vraiment quoi dire. D'un côté, je me sens à l'aise ici. Comme si j'étais là où je devais être en de pareilles circonstances. Mais en même temps, je ne sais pas si c'est une bonne idée de vivre sous le même toit que mon ami après toutes ces années perdues.

-Reste ici quelques jours et si tu vois que cette solution ne te convient pas, tu iras t'installer ailleurs.

Je m'aventure quelques petites secondes dans son regard. Je retrouve le garçon que j'ai toujours connu mais sa maturité me saute aux yeux. Sa voix grave est assurée, presque indiscutable. Le passage à l'âge adulte lui a vraiment été bénéfique. Même s'il a toujours été parfait à mes yeux, il dégage maintenant une aura inébranlable. D'un signe de la main, je lui fais comprendre que j'accepte sa proposition. Il termine sa bière puis s'absente quelques minutes. Quand il revient, il porte mon sac de sport sur son épaule robuste. Mes quelques rares affaires sont toutes entre ses mains. Il monte à l'étage les déposer dans l'une des chambres et je n'ose toujours pas bouger. Alors c'est ici que je vais démarrer ma nouvelle vie ? Quelle ironie ! Quand j'étais gamine, j'étais pourtant persuadée que nous partirions tous les deux pour un tour du monde interminable.

La voix étouffée de me sort de mes pensées. Je monte le rejoindre à l'étage mais lorsque j'atteins le pallier, je comprends qu'il est au téléphone. Ma curiosité légendaire me pousse à épier sa conversation à travers la porte close.

-Oui... ne t'en fais, ça ne change rien... passe ce soir s'il te plait... ne recommence pas avec ça Laura, je t'ai déjà dit que c'était des conneries... fais moi confiance... ok... bisous.

Oups j'ai l'impression qu'il y a de l'eau dans le gaz. A pas de loup, je regagne rapidement le rez-de-chaussée. Je n'ai aucune envie de rester ici ce soir si sa copine tire la tronche. Je sors donc le téléphone que mon frère m'a dégoté et j'appelle Jamie. En trois minutes seulement, nous bouclons le programme de la soirée. Mesdames et Messieurs, a très envie de fêter sa guérison...

Lorsque la nuit tombe, Enzo est injoignable et Laura nous a rejoint. Vu le regard embarrassé qu'elle me lance, je comprends tout de suite que mon installation la met franchement mal à l'aise. Je ne veux pas attirer plus d'ennuis à j'attends donc sagement que Jamie arrive et je file en vitesse quand sa voiture s'arrête devant la maison. Nous mettons rapidement le cap sur le Sick, je bouillonne d'impatience de découvrir le lieu où mes amis se produisent régulièrement.

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