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14

Je le taquine pour ignorer l'onde de chaleur qui m'a envahie. pose ses coudes sur genoux et se penche pour rapprocher son visage du mien. Je peine à déglutir. Je réagis vraiment comme une midinette, il est grand temps que je me trouve un coup d'un soir !

-Pourtant, je sais pertinemment que les musiciens, ça a toujours été ton truc...

J'ai chaud.

-Je les aime un peu plus baraqués, si tu vois ce que je veux dire, lancé-je en feignant un regard dégoûté envers son corps.

Je mens. Le corps de est exactement le genre avec lequel j'adore passer de bons moments. Son large buste recèle à coup sûr de magnifiques muscles bandés. Ses longues jambes semblent fermes et le bout de ses doigts est légèrement râpeux à force de gratter les cordes. Et pour ne rien gâcher, ses lèvres malicieuses sont enveloppées dans une magnifique barbe brune légèrement négligée. Ouais, il faut vraiment que je me trouve un mec.

se met à rire et mes pensées déplacées s'envolent. Le monde autour de nous s'estompe pour laisser nos sourires scintiller dans la clarté de cette belle fin de journée. Il me dnde ensuite de lui raconter mes premiers pas en détails et je ne me prive pas pour lui relater ce moment que je n'oublierai jamais. Je vois bien qu'il s'en veut de m'avoir fait faux bond hier et même si l'idée qu'il ait préféré passer du temps avec sa ridicule petite-amie m'agace profondément, je ne dis rien. Je me suis promis de ne plus tout gâcher avec lui et je sens que si je prononce le moindre mot de travers concernant Laura, je risque de le perdre.

m'explique ensuite qu'ils ont joué un tout nouveau morceau écrit par Nico hier et que le public a adoré. Apparemment, Jamie s'est déhanchée comme une folle dessus et ils ont eu le plus grand mal à se retenir de rire sur scène.

-Et Laura ? Qu'en a-t-elle pensé ?

Ces mots m'écorchent la bouche. Putain, qu'on ne vienne pas me reprocher de ne pas être sympa avec cette fille !

-Elle n'était pas là. Elle n'est pas vraiment fan de ce genre de concert.

Quoi ? Je ne peux masquer ma surprise. Quel genre de petite-amie ne vient pas soutenir son mec un soir de concert ?

-Enfin bref, c'était top mais tu pourras juger par toi-même la prochaine fois.

J'ai déjà hâte d'entendre la voix de Sam résonner contre les murs de ce bar qu'il me tarde de découvrir. Nous continuons à bavarder tranquillement jusqu'à ce que Sophia vienne mettre dehors. Quelques jours plus tard, je suis transférée vers un établissement de convalescence et de rééducation. Pendant trois sines, je partage mon temps entre la salle de rééducation et les visites de mes amis. Je marche maintenant plus aisément mais je m'appuie tout de même sur des béquilles. Mes journées sont chargées et chaque soir, je m'endors un petit peu plus rassurée que la veille. Chaque matin, le soleil se lève en m'offrant la certitude que des progrès m'attendent. Aucun mystère n'est résolu mais j'ai enfin le sentiment d'avancer vers la lumière. J'ai conscience que ma sortie est imminente et cette pensée ravive des angoisses que j'avais enfouies jusque là. Je vais pouvoir aller fouiller la maison de mes parents et essayer de trouver les réponses à mes questions. J'ai peur de ne rien découvrir. J'ai peur de ce que je vais découvrir. Mon frère n'est toujours pas parvenu à mettre un pied là-bas mais je ne lui en veux pas. Il a toujours eu du mal avec ce genre de sentiments. Ceux qui te brisent et te mettent à terre alors que tu dois rester debout et continuer d'avancer.

La veille de ma sortie, Enzo me rend visite. Il a le teint bronzé et les yeux un peu rougis. Il me raconte qu'il squatte chez un de ses potes dont les parents sont en vacances et qu'il fait très bon usage de la piscine et des fêtes alcoolisées. Je m'apprête à lui faire hypocritement la morale quand il me coupe :

- t'es la reine des soirées qui dégénèrent, je crois que t'es mal placée pour me dire quoi que ce soit !

Je fais mine d'être offusquée mais il enchaine en énumérant la longue liste de mes beuveries. Je grimace en entendant un grand nombre d'anecdotes dont je n'ai pas le moindre souvenir. Une infirmière nous interrompt pour m'annoncer que je serai autorisée à quitter le centre dès le lendin. Je bouillonne déjà d'impatience. Enzo me promet qu'il viendra me chercher vers 11h. Je prévois de m'installer dans la maison de mon enfance mais le souvenir de mes parents me tord déjà les entrailles. Mon frère ne souhaite toujours pas retourner là-bas et même si les parents de son pote rentrent bientôt de vacances, il préfère continuer à squatter à droite et à gauche.

Il part peu de temps après l'annonce de l'infirmière et je me perds rapidement dans mes pensées. Le monde réel m'attend din. Je vais devoir affronter l'absence de mes parents et les fantômes de mon amnésie. Je ne comprends toujours pas comment j'ai pu atterrir dans cet hôpital. Qui peut bien en vouloir à ma famille au point de m'infliger le même accident qu'à mes parents ? Une menace plane-t-elle au dessus de la tête d'Enzo ? Que ce soit clair, je ne laisserai jamais personne toucher à un seul cheveu de mon petit frère. Ce sale gosse de trois ans mon cadet est certes un gamin immature et volatil mais tous ses défauts font de lui une merveilleuse tête à claque et il est désormais ma seule famille.

Le mois de juin se termine sur une note caniculaire. La chaleur est pratiquement insoutenable dans ma chambre et j'ai vraiment hâte de quitter ces quatre murs din. Je rêve de prendre une douche. Pour la première fois depuis que je suis réveillée, je n'ai besoin de personne pour m'accompagner. D'un pas mal assuré, je me dirige vers la petite salle de bain attenante à la chambre et je me déshabille. Le miroir qui me fait face me renvoie un reflet que je n'ai pas encore réussi à soutenir. Mais aujourd'hui, je décide qu'il est temps que j'affronte la réalité en face. Mon regard escalade difficilement le reflet de mes jambes pour atteindre mon ventre couvert de cicatrices. Ma peau est striée et sans doute marquée à vie. Sous mon sein gauche, une vilaine déchirure me donne la nausée. Quelques jours plus tôt, l'équipe médicale a débandé mon buste et ôté le plâtre sur mon bras gauche. Aujourd'hui, je prends conscience que mon corps est abimé à tout jamais.

Cette vision me dégoûte mais je ne cille pas. Je pivote légèrement pour apercevoir mon dos qui n'a pas été épargné non plus. Une longue cicatrice s'étend entre mes omoplates et ma peau est sensible sur toutes ces zones accidentées. Je porterai toujours sur moi les stigmates de cette nuit qui a bouleversé ma vie. Mes yeux continuent de scanner les horreurs qui ravagent mon corps avec une aversion presque insupportable. Ce corps que j'ai souvent utilisé pour prendre du bon temps, pour jouer de mes charmes et arriver à mes fins. Ce corps que j'ai poussé au premier plan pour renforcer l'armure que j'ai bâtie autour de mon cœur. Ce corps me révulse aujourd'hui.

Le dégoût que je ressens est tel que je finis par m'enfuir sous le jet de la douche. Je ferme les yeux et laisse quelques perles salées se mêler aux gouttes d'eau à mes pieds. C'est dans cette toute petite cabine, à l'abri des regards, que je me laisse aller et que je commence le deuil de mon ancienne vie. Cette vie dont j'ignore tout des sept dernières années. J'en rirais presque si ça ne me faisait pas aussi mal.

Cette nuit-là, mes rêves sont peuplés de cicatrices et de marques indélébiles. Je suis réveillée à l'aube par les premières lueurs du soleil. Mes pensées s'emmêlent dans un imbroglio d'angoisse que seule la musique parvient à faire taire. La matinée s'écoule dans une lenteur inhumaine. Je sens chaque minute s'étirer jusqu'à la suivante et quand arrive 11h, mon frère n'a toujours pas pointé le bout de son nez. En revanche, est déjà arrivé. Je lui avais dit qu'Enzo viendrait me chercher mais il a absolument tenu à être présent pour ma sortie. Je ne le lui dirai jamais mais je crois que j'aurais été déçue de ne pas l'avoir à mes côtés aujourd'hui. Mon ami termine de boucler ma valise et s'installe sur le bord du lit, tout près de moi.

-Tu es sûre que tu veux aller t'installer chez tes parents ?

-Oui ne t'en fais pas, ça va aller.

Je ne sais pas qui j'essaie de convaincre avec cette réponse.

se tourne légèrement et prend mes mains dans les siennes. Mon cœur bondit entre mes côtes. Ses beaux yeux bleus capturent délicatement les miens mais je ne veux pas m'en défaire. Je frissonne.

-Tu n'es pas toute seule je suis là.

Il ne saura jamais à quel point les mots qu'il m'offre sont précieux. Ce n'est pas la première fois qu'il les prononce mais c'est la première fois que je les entends vraiment. Je souris doucement et presse deux fois ses doigts. Son regard s'illumine quand il se remémore ce petit signe que nous avions trouvé pour signifier à l'autre que tout va bien.

Tout va bien. Il le faut.

Après avoir attendu mon frère une bonne vingtaine de minutes, je décide de l'appeler. Je refoule mon agacement quand mon j'entends sa voix pâteuse à l'autre bout du fil.

-Allo...

-Enz' ? T'es où ?

J'entends qu'il gigote entre ses draps avant de répondre.

-J'en sais rien. Chez mon pote je crois, pourquoi ?

Sa soirée a été mouvementée, je n'ai aucun doute là-dessous. Et visiblement, il ne se rappelle plus de son engagement.

-Putain t'imagines pas la soirée qu'on a passée hier ! On est sortis dans une boite hyper branchée et un groupe de nanas nous a sauté dessus. La musique était démente, l'alcool illimité et la compagnie plutôt charmante, glousse-t-il.

A cet instant, je n'ai pas le cœur à faire revenir mon frère à la réalité. Je préfère le savoir en train de décuver dans les bras d'une jolie fille plutôt que de s'inquiéter pour sa sœur dans un hôpital.

-Ok, ok, je ne veux pas en savoir plus. Retourne te coucher sale gosse !

ne semble pas surpris par l'oubli de mon frère. S'il a insisté pour venir, c'est parce qu'il savait que j'aurais besoin de lui. La sonnerie de son téléphone laisse mes pensées s'évaporer dans un nuage de confusion. Quand il lit le nom qui s'affiche sur son écran, il me lance un coup d'œil gêné.

-Oui Laura... non, je vais être en retard... écoute, je ne peux pas faire autrement... t'inquiète pas, je passe te voir après... arrête s'il te plait... ouais ok... à tout à l'heure... bisous.

Il raccroche dans un silence de plomb. Sa copine ne semble pas vraiment ravie de le savoir ici et je devrais peut-être culpabiliser mais je m'en contrefous. Quand la chaleur de l'été m'accueille à bras ouverts, je lève le visage en fermant les yeux. Tout va bien se passer, me dis-je pour me convaincre silencieusement.

La grande maison vide de mes parents m'attend. Je dois comprendre ce qui nous est arrivé pour pouvoir protéger Enzo. J'essaie désespérément de faire marcher ma mémoire mais une boule d'angoisse se forme dans le creux de mon estomac. Soudain, la main de s'enroule autour de la mienne. Elle exerce deux pressions et sa peau chaude m'électrise. Tout va bien se passer.

Je ne comprend vraiment pas pourquoi tu n'as pas voulu manger avec moi à la cantine. Depuis que tu sors avec cet idiot, tu passes tout ton temps avec lui et tu me laisses tomber. C'est pas sympa. En plus, je l'aime pas. Il arrête pas de dire qu'il n'à qu'à claquer des doigts pour sortir avec toutes les filles qu'il veut. Tu n'es pas n'importe quelle fille et tu ne devrais pas rester avec un garçon s'il ne comprend pas ça. En attendant, j'irais din à la cantine et j'espère que tu viendras manger avec moi comme tous les jours.

Je m'en fiche de ce que tu racontes, je suis sûre que tu inventes des trucs parce que tu es énervé. Matt n'est pas un idiot et il n'aurait jamais dit un truc pareil sur moi, il m'aime bien. Arrête d'être jaloux dès que je passe du temps avec un autre garçon, tu m'énerves.

Je n'ai rien inventé et je ne suis pas jaloux. J'aimais bien quand on passait du temps ensemble mais apparemment, ça ne te manque pas vraiment alors je vais accepter la proposition de Sophie. J'irais à sa fête même si elle n'a pas voulu t'inviter parce que tu est tout le temps méchante avec elle. Je suis sûr que tu seras bien occupé avec Matt de toute façon.

Je suis désolée de t'avoir laissé tomber ces derniers jours. T'avais raison, Matt n'est qu'un idiot. Il n'arrête pas de dire du mal de toi alors j'ai fini par lui foutre un coup de pied entre les jambes. Il a dit qu'il allait raconter plein de conneries sur moi à tous ses copains mais je m'en fous. Je n'aime pas qu'on te critique. J'espère que tu ne m'en veux pas et que tu veux toujours être mon ami. J'aimerais beaucoup qu'on passe la soirée ensemble samedi soir, tu pourras même choisir le film. Mais si tu préfères aller à la boum de Sophie, tant pis.

Je m'en fiche de la boum de Sophie. Évidemment que je viendrais chez toi samedi soir. J'ai bien vu que tu n'étais pas bien aujourd'hui et malgré ce que tu m'as dit, je sais que ce n'est pas à cause de ta rupture avec cet idiot de Matt. Alors ne rentre pas chez toi ce soir. Fuis cette ambiance bizarre dont tu ne veux jamais me parler et viens chez moi. On s'installera sur mon lit et je jouerais de la guitare pour toi.

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