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-J'ai hâte de terminer ma garde et de sortir profiter de ce beau soleil.
Je tourne le visage vers la vitre pour laisser la chaleur inonder mon visage. Bientôt ce sera mon tour.
-Putain, je tuerais pour poser mon cul en terrasse !
-Je penserai à vous quand je boirai un coup ce soir, me répond Sophia avec un petit sourire en coin.
-Arrête de me vouvoyer, on a pratiquement le même âge ! Tu sors ce soir ?
La jeune infirmière évite soudain mon regard, ses joues ayant déjà viré au cramoisi. Oh, oh, oh...
-Où vas-tu petite cachotière ? Je veux tout savoir !
-Hors de question. Si je te raconte quoi que ce soit, tu vas passer ton temps à commérer et à m'asticoter.
Je me mets à rire, incapable de la contredire.
-Oh allez, je vais bientôt sortir, tu auras la paix ensuite. Dis-moi tout !
Sophia semble hésiter un instant mais elle finit par souffler doucement avant de se confier.
-Alexandre m'a dndé de sortir boire un verre avec lui ce soir et j'ai accepté.
-Alexandre ?
-Le jeune kiné, tu sais le...
-OH PUTAIN ! Il a osé ? Enfin, je veux dire... il l'a vraiment fait ? Oh putain mais c'est génial !
-Cupidon a encore frappé ! Depuis le temps que je le bassine, ce stupide kiné a enfin écouté mes conseils ! Bon... il faudrait que je pense à arrêter de l'appeler « ce stupide kiné » parce qu'il n'est pas franchement stupide. Il est même plutôt sympa. Je me redresse avec frénésie pour bombarder Sophia de questions quand son beeper nous interrompt. Elle se lève immédiatement pour quitter ma chambre. Je l'interpelle en grognant avant qu'elle ouvre la porte.
-Tu ne perds rien pour attendre ! Repasse me voir din pour tout me raconter !
Sophia me lance un petit clin d'œil énigmatique et disparait derrière la porte. Cette journée est définitivement pleine de promesses. Je laisse filer les heures en écoutant de la musique, le cœur léger. A travers la fenêtre de ma chambre, j'observe des dizaines de patients profiter de leurs proches à l'ombre des arbres. Depuis que je me suis réveillée, j'ai toujours refusé qu'on me balade en chaise roulante. Je daigne à peine poser mes fesses sur ce foutu engin lorsque l'équipe médicale me fait passer des examens alors il est hors de question que je me montre dans un tel état en dehors de ces quatre murs. Mais aujourd'hui, j'ai le sentiment que mon isolement ne sera bientôt qu'un lointain souvenir.
J'ai très envie de marcher. Le kiné m'a ordonné de ne pas prendre le moindre risque mais manque de bol pour lui, je n'ai jamais été du genre à obéir. Les mains tremblantes autant d'excitation que d'appréhension, j'agrippe les accoudoirs de mon fauteuil et j'inspire longuement. Je gorge mes poumons d'oxygène et de courage avant de donner l'impulsion à mon buste. Doucement, je me mets sur mes pieds et je sens les muscles amoindris de mes membres inférieurs se contracter. Je suis debout. Je souris, fière d'être parvenue à me relever après ce qui a été sans aucun doute l'épreuve la plus éprouvante de toute ma vie.
Les jointures de mes doigts sont blanchies tant je m'accroche au cuir des accoudoirs. Je fixe mes pieds en leur intimant silencieusement l'ordre de ne pas me lâcher. Mes doigts se décramponnent des accoudoirs et je me redresse. Je souffle. Je pose mes paumes contre le lit à ma droite et contre la vitre à ma gauche. Elle est chaude, gorgée de la chaleur des rayons du soleil qui s'écrasent contre elle toute la journée. Je lève une jambe. Je pose mon pied quelques centimètres en avant. Puis je recommence avec l'autre. Mon cœur tambourine si fort qu'il assourdit tout autour de moi. Je sens mon sang pulser à vive allure dans mes veines. Et je marche.
Les secondes s'arrêtent et l'air se fige. Je marche jusqu'à l'extrémité de mon lit. Mes jambes sont rouillées par ce repos forcé qu'on nous a infligé mais elles me portent toujours. Mes bras tremblotent et tous mes muscles sont crispés mais je marche. Je ne sais même pas si je pense à respirer mais je m'en fiche. Je marche !
La porte de ma chambre s'ouvre et mon cœur sursaute. Merde, je vais me faire choper par le médecin. Le corps vibrant de toutes parts, je lève les yeux pour découvrir totalement subjugué par le spectacle que je lui offre. Toute l'angoisse que je ressentais s'évapore en un clignement de paupière et je plonge dans son regard azurite avec délectation. Ses iris brillent de mille éclats et lorsque ses lèvres se retroussent en un beau sourire, de minuscules ridules plissent le coin de ses yeux. Exactement comme je l'avais imaginé. Il s'avance de quelques pas pour me rejoindre. Son visage est un tableau reflétant d'infinies émotions, passant tranquillement du soulagement à la fierté, de la douceur à la confiance. Je n'ai qu'un pas à faire pour sentir son souffle caresser ma joue.
-Tu... tu... tu marches ? chuchote-t-il d'une voix béate.
Ma gorge est soudain nouée. est trop près, son regard est trop intense et mon cœur bat trop vite.
-Surprise... parviens-je à peine à murmurer.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi je ne peux plus à bouger. Je suis prisonnière de son lagon.
-Mais ? Tu marches depuis quand ?
-Hier.
Une onde de culpabilité vogue immédiatement sur ses eaux turquoise et le charme est rompu. Je me recule légèrement en me tenant au lit tandis qu'il détourne le regard en passant sa main dans sa barbe.
-Je suis désolé de ne pas être venu hier. Je...
-C'est pas grave. T'es pas obligé de venir tous les jours tu sais. Je comprends que tu aies des empêchements.
-Ouaip mais tu pourrais éviter de réussir des exploits les jours où je ne viens pas s'il te plait ?
Je ris légèrement, contente de retrouver un peu de légèreté.
-Tu sais bien que je ne fais jamais ce qu'on me dnde.
lève théâtralement les yeux au ciel en me prenant la main pour me guider jusqu'au fauteuil. Il a sans doute dû rrquer que mes bras tremblaient de plus en plus. Je m'assieds tandis qu'il s'installe sur le lit. Je souris en pensant que nous avons inversé nos places aujourd'hui.
-Bon, qu'est-ce que tu avais de si important hier qui t'as empêché de venir me voir ?
A peine ai-je terminé ma question que se fige. J'ai l'impression que je ne vais pas apprécier ce qui va suivre...
-Je... Avec les gars, on jouait au Sick one. Ces soirs-là, je ne suis pas vraiment dispo et Laura aime bien quand je passe un moment avec elle avant le concert.
Les flammes de la jalousie se réveillent et m'embrasent. Putain, je sais bien que ne m'appartient pas mais je déteste l'idée qu'il ait préféré passer du temps avec elle plutôt que venir me voir. Je me mords la langue pour retenir une flopée de mots qui ne lui plairaient sûrement pas. Mon ami se tortille, signe qu'il est mal à l'aise. Je ne sais pas quoi dire. Alors je m'efforce d'éloigner tous ces sentiments déplacés pour lui répondre.
-Ok. Et comment était le concert ?
Ses yeux retrouvent instantanément les miens. Ils étincellent de joie et de plaisir.
-C'était génial ! Le bar était bondé et l'ambiance démente ! La prochaine fois qu'on joue, je veux que tu sois là.
-Aucune chance que je joue les groupies au premier rang !
