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12

Je suis tellement heureuse de t'avoir enfin retrouvé ! Je ne supportais plus cette tension qui nous bouffait la vie. Nous deux, c'est des rires, de la folie et des confidences. Je te promets que je ferai tout pour ne pas gâcher une nouvelle fois notre amitié. Elle m'est bien trop précieuse.

Ce matin, je bouillonne d'impatience. Je compte chaque satanée seconde qui passe lentement, beaucoup trop lentement. Bon sang, mais que fait ce stupide kiné ? Depuis que mes jambes ont commencé à se réveiller il y a trois jours, je ne tiens plus en place. Enfin, façon de parler puisque je suis toujours clouée à ce lit insupportable. Mais j'attends dorénavant les séances de kiné avec une impatience démesurée. Je ressens clairement des fourmillements dans mes jambes et chaque mouvement qu'il me fait faire exalte mes terminaisons nerveuses. Plus il me fait bouger, plus je sens mes jambes m'appartenir à nouveau. Et putain, j'aime ça !

L'équipe médicale m'a fait passer un tas d'examens et je crois les avoir entendus dire que les résultats me seront annoncés aujourd'hui. Je suis plus confiante que jamais. Je rêve déjà de la sensation du sol froid sous mes pieds quand je quitterai enfin cet hôpital de malheur.

-Bonjour Madame Pazzi, prête à faire travailler vos jambes ?

Le tant attendu kiné entre enfin dans ma chambre. Sa blouse est froissée et ses cheveux bouclés qui partent dans tous les sens lui donnent un air tombé du lit qui est plutôt ridicule. Je sais que je ne suis pas franchement sympa avec lui mais sa dégaine ne me pousse pas à le prendre au sérieux. En revanche, il supporte mes sautes d'humeur sans broncher et rien que pour ça, je lui tire mon chapeau.

-Oh que oui ! Je vous ai attendu toute la matinée !

-Il me semble que je vous avais prévenue que je passerai plus tard aujourd'hui.

-Ouais, ouais. Bon, on s'y met ?

Un petit sourire en coin apparaît sur son visage. Il s'approche de moi, enduit ses mains de pommade et commence à s'activer sur mes jambes. Il débute toujours la séance en me massant et si je ne ressentais rien jusqu'alors, ce n'est plus du tout le cas depuis trois jours. Je distingue nettement la texture de ses doigts sur ma peau, leurs mouvements appuyés et les picotements qu'ils provoquent. Je ne suis pas encore capable de bouger moi-même mes jambes mais les sensations reviennent progressivement. Selon le kiné, c'est un « excellent pas sur le chemin de la guérison ». Selon moi, c'est un excellent pas sur le chemin de la sortie et du bar le plus proche ! Bah quoi ? J'ai déjà prévu de fêter dignement ma convalescence !

Le kiné est concentré sur mes jambes et il ne me prête pas le moindre regard. Je ne parviens pas à distinguer la moue qu'il affiche aujourd'hui alors je décide de le taquiner un peu.

-Alors, ça avance avec Sophia ?

Je l'entends étouffer un hoquet de surprise quand il lève brusquement les yeux vers moi. Je souris de toutes mes dents, fière d'avoir une fois de plus su le bousculer un peu. Depuis que je passe mes journées à ne rien faire, j'ai pris l'habitude de laisser la porte de ma chambre ouverte et j'ai rapidement rrqué son petit manège. Il en pince clairement pour l'infirmière qui s'occupe de moi et je peux le comprendre. Elle est sacrément jolie avec ses yeux noisette en amande et ses lèvres fines. Et pour ne rien gâcher, elle est toujours agréable, souriante et drôle. Alors à chaque fois que j'ai l'occasion de me retrouver en tête à tête avec lui, je ne me prive pas pour commérer.

-Je l'ai entendue dire qu'elle était de repos ce week-end. Vous devriez l'inviter à prendre un verre.

-Mlle Pazzi, vous voulez bien arrêter vos bêtises ?

-Apparemment, elle n'a rien de prévu encore. C'est l'occasion idéale pour passer un moment sympa avec elle.

-S'il vous plait, cessez de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas une bonne fois pour toutes !

-En plus, elle est célibataire. Franchement, c'est le moment de prendre votre courage à deux mains et de foncer !

-Quoi ? Non mais d'où sortez-vous ça encore ?

-Bah je lui ai dndé ! Vu que vous n'avez toujours pas osé l'approcher, il fallait bien que quelqu'un se rencarde à votre place.

Ses mains s'immobilisent et son regard vire au noir.

-Vous vous moquez de moi là, j'espère ?

-Evidemment que non ! Ecoutez, je n'ai rien d'autre à foutre de mes journées et je trouve ça dommage que vous passiez à côté de cette nana parce que vous n'avez pas le courage de lui proposer de boire un verre. Alors je me suis juste renseignée, voilà tout.

La stupéfaction se lit clairement sur son visage. Je soutiens son regard, pas honteuse pour un sou. J'adore jouer les cupidons et me mêler de ce qui ne me regarde pas.

-Est-ce que vous vous rendez compte qu'en plus d'être insultante, votre attitude est totalement déplacée ?

-Est-ce que vous vous rendez compte que j'aurais pu faire pire ? J'aurais par exemple pu lui dire clairement ce que vous ressentez pour elle. Alors vous devriez plutôt me remercier !

-Non mais quel culot ! Je n'en reviens pas ! Maintenant taisez-vous et laissez-moi travailler !

Je lève les mains en signe de défaite.

-Ok, ok, comme vous voulez.

Je crois les bras sur ma poitrine et laisse passer un instant de silence. Le kiné a déjà repris ses mouvements sur mes jambes mais je distingue nettement la tension qui l'habite. Je ne voulais pas le mettre dans tous ses états. Je voulais seulement le faire réagir un peu. A quoi est-ce que ça sert de perdre du temps à attendre éternellement dans l'ombre ? J'ai compris récemment que nous avons tous un sablier dans les mains. Mais aucun d'entre nous n'est capable de savoir combien de grain de sable il nous reste. Alors en attendant que tout s'arrête, autant vivre démesurément.

-Elle vous trouve mignon.

Il soupire bruyamment pour bien me notifier qu'il n'en peut plus de mes conneries.

-Ok, j'me tais !

Je l'entends marmonner dans sa barbe sans comprendre ce qu'il raconte mais après quelques minutes, il finit par s'éclaircir la voix.

-Je vais avoir l'air d'un idiot.

-Quoi ?

-Je vais avoir l'air d'un idiot si je vais la voir. Je... je n'ai... jamais su me débrouiller avec les filles.

-Comment ça ?

-Je bafouille, je panique et je débite bêtise sur bêtise.

-Et alors ? Y'a des filles qui trouvent ça hyper charmant. Invitez-la à boire un verre et vous verrez bien ce que ça donne.

La séance se termine dans le silence le plus complet. Tous les étirements que me fait faire le kiné m'arrachent des grimaces de douleur mais je suis heureuse. Je suis heureuse de ressentir tout ce dont j'ai été privée ces derniers temps.

En milieu d'après-midi, Docteur-j'ai-cinquante-balais-et-je-porte-des-mocassins-de-retraité vient m'annoncer les résultats des examens que j'ai passés. Les IRM, scanners et autres rayons montrent que l'œdème qui écrase ma moelle épinière se résorbe progressivement. Il a bon espoir qu'il disparaisse et que la rééducation me permette de retrouver l'usage complet de mes jambes. Quand il prend congé, je distingue enfin un rayon de soleil dans mon ciel orageux.

Pendant dix jours, je partage mes journées entre la rééducation, les visites de mon frère, de mes amis et de . Chaque jour, je fais de nouveaux progrès. Je n'ai jamais été aussi déterminée de toute ma vie. Tous les soirs, me dnde de lui raconter mon exploit du jour et je lis une fierté infinie briller dans son regard. C'est d'ailleurs ce qui me fait tenir quand les exercices me donnent du fil à retordre. Je ferme les paupières et je laisse le visage rayonnant de mon ami m'insuffler toute la force qui me fait défaut.

Le jour où je parviens à enchainer mes premiers pas, je ravale quelques larmes de joie. Je me tiens debout, dans une immense salle, entourée d'un bon nombre d'estropiés comme moi qui sont concentrés sur leurs propres exercices. Mon cœur s'excite entre mes côtes à tel point que je ne sais plus vraiment comment respirer. Quand je suis entrée dans cette pièce pour la première fois, je l'ai tout de suite détestée. Je me souviens avoir pensé que c'est ici que s'exprimeraient toutes mes incapacités. Je me rappelle ne pas avoir supporté cette idée et avoir dû user de toutes mes forces pour ne pas m'effondrer en larmes. Aujourd'hui, mon regard balaie la salle dans les moindres recoins. Les murs blancs, les barres parallèles, les étagères remplies de ballons et autres accessoires, les malades qui essaient tant bien que mal de se remettre à flot. Et je réalise alors que dans cette salle, l'impossible devient possible.

Je passe la journée à trépigner d'impatience en attendant pour lui offrir une démonstration privée de mes nouveaux talents. Je vois déjà ses yeux rieurs se plisser et ses lèvres roses se courber en une virgule indécente. A cette simple pensée, mes joues s'empourprent légèrement mais vers 18h, un message fait voler en éclat ma bonne humeur.

: Je ne pourrai pas passer ce soir mais je viendrai din sans faute. Hâte que tu me racontes ta performance du jour ;)

Instantanément, mon sourire meurt sous une chape de plomb. J'étais si heureuse de partager la bonne nouvelle avec lui que la déception que je ressens est presque cruelle. Malgré la douceur de cette belle fin de journée, je ne parviens pas réellement à me ressaisir. Heureusement, Jamie passe à l'improviste à l'heure du repas. Si elle rrque la morosité qui m'habite, elle ne dit rien. Elle se contente de me raconter en détails la façon dont elle s'y est prise pour choper son dernier coup d'un soir. Nous rions de bon cœur et je me sens déjà un peu mieux.

Le lendin, je réitère mon exploit en enchainant de nouveaux pas. Docteur J'adore-faire-passer-un-tas-d'examens-à-mes-malades dnde à Sophia de me conduire une nouvelle fois en salle de radiologie. Les clichés qu'il obtient semblent le ravir puisque lorsqu'il s'approche de moi, un grand sourire fend ses lèvres. Je ne l'avais encore jamais vu si enthousiaste.

-Mlle Pazzi, je suis ravi ! L'œdème est pratiquement résorbé et vos terminaisons nerveuses réagissent comme je l'espérais. Continuez vos efforts et vous pourrez très bientôt quitter cet hôpital en marchant.

Sophia me raccompagne jusqu'à ma chambre puis elle m'aide à m'installer sur le fauteuil. Je suis excitée comme une puce et je n'ai absolument pas envie d'être seule. J'insiste un long moment pour qu'elle reste avec moi et elle finit par accepter de déjeuner dans ma chambre.

-Bon d'accord mais rapidement hein ? Ce n'est pas forcément bien vu de fraterniser avec les patients.

-On s'en fout du protocole, on a un truc à fêter aujourd'hui ! Fais péter la carafe d'eau !

Nous explosons de rire en chœur. Elle s'absente une minute pour aller chercher son sandwich. J'en profite pour allonger mes jambes, faire gigoter mes doigts de pieds et savourer cette sensation simple d'être enfin maitre de mon propre corps. Sophia s'installe sur une petite chaise en face de moi. Elle n'est pas très grande mais son corps est harmonieux. Sa silhouette est fine et élancée, ses traits sont doux et son regard toujours bienveillant. Ses jolis yeux noisette qui jouent souvent avec sa frange lui confèrent un air faussement espiègle qui lui va à ravir. Elle parle toujours d'une voix chaude mais affirmée et j'adore passer du temps avec elle. Je n'ai jamais eu beaucoup d'amies filles à part Jamie mais avec Sophia, je me sens étrangement bien.

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