chapitre 4
Chapitre 4
Les jours précédant leur mariage étaient une succession de formalités, d’accords et de préparatifs qui semblaient plus administratifs que sentimentaux. Elle avait mis son émotion de côté, ou plutôt, elle l’avait enterrée sous des couches de raison. Ce mariage, ce n’était pas le sien. C’était un compromis. Un arrangement. Elle savait ce qu’il en était, et il en savait tout autant. Pas de discours enflammés, pas de passion bouillonnante. Juste un contrat, des signatures, des gestes d’apparence. Comme une marchandise qu’on échange. Il y avait cette froideur qui entourait chaque étape, chaque sourire forcé des invités, chaque mot échangé dans la grande salle. Victor, implacable, au centre de tout, ne laissait rien transparaître. Pas une once de chaleur, pas un geste tendre.
Elle se tenait là, à ses côtés, n silence, absorbée par cette ambiance figée. Elle savait ce qu’on attendait d’elle. Elle n’avait pas d’illusions. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de jouer le rôle qu’on lui avait attribué. Mais quelque part, au fond, un sentiment grandissait. Quelque chose qui ne voulait pas s’éteindre. De l’incompréhension, de la frustration. La frustration de ne pas pouvoir s’impliquer pleinement dans cette vie qu’on lui imposait. Elle n’avait pas signé pour cela. Personne ne l’avait consultée. Elle était devenue la pièce d’un puzzle dont elle ne comprenait même pas la finalité.
Le mariage fut rapide, expéditif, presque sans saveur. Les invités étaient là, mais à peine présents. Tout se passa à la manière d’un événement qu’on devait juste cocher sur une liste de choses à faire. Et puis, soudainement, la journée fut terminée. Un « oui » échangé entre eux, et tout bascula. La jeune femme, désormais épouse de Victor, se retrouva dans une réalité qu’elle n’avait pas anticipée.
Les premières semaines de leur union s’étiraient comme une distance qu’ils s’efforçaient de maintenir, un gouffre invisible qui les séparait constamment. Elle se résignait. Elle s’adaptait. Mais son esprit ne cessait de tourner. Comment pouvait-elle vivre ainsi ? Comment continuer à se plier à des règles qu’elle n’avait pas établies ? Comment réagir face à un homme qui refusait de voir au-delà de sa propre rigidité ?
Victor, lui, semblait toujours aussi distant, aussi inébranlable. Il menait sa vie comme avant, avec la même froideur, la même volonté de contrôler chaque aspect de leur quotidien. Il ne la laissait pas respirer, ou bien il se retirait dans un silence implacable. Il n’avait pas fait de promesses. Ni de tendresse. Aucun effort pour atténuer la distance entre eux. Elle, de son côté, se demandait si elle devait attendre qu’il prenne une décision, ou si elle devait simplement se faire à l’idée qu’il n’y aurait jamais de place pour un amour entre eux. Peut-être, tout simplement, qu’il n’y avait pas d’espace pour ça dans leur union. Mais alors, pourquoi ? Pourquoi cette tension, pourquoi cette attraction étrange et silencieuse ? Un homme comme lui, aussi distant, aussi froid, ne semblait pas avoir besoin d’affection. Pourtant, il y avait quelque chose. Un geste fugace, un regard plus intense que d’habitude, des silences remplis de non-dits.
Elle avait fini par comprendre qu tout ce qu’il voulait, c’était maintenir cette situation en place, sans se laisser troubler par le moindre écart. Elle n’avait pas son mot à dire, mais elle n’était pas idiote. Elle savait que Victor l’observait, qu’il scrutait ses réactions, mais elle ne lui donnait rien. Elle ne s’était pas laissée faire. C’était son corps, son esprit, et elle n’allait pas se plier à ses règles sans condition.
Puis arriva la nuit où ils devaient partager la chambre. Le mariage, le contrat. Maintenant, il fallait aussi « consommer » cet engagement. La chambre, vide de chaleur et d’affection, ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait imaginé. Elle se tenait là, immobile, se demandant si elle devait lui céder ou se battre pour ce qui restait de sa dignité. Il ne disait rien. Il s’approcha lentement, et son ombre se dessina sur elle, mais son regard restait aussi glacial qu’auparavant.
— “Il faut qu’on en parle”, dit-il enfin, brisant le silence.
Elle haussait les sourcils, incertaine. Parler de quoi ?
— “Je suppose qu’on ne va pas se faire d’illusions. Ce mariage, c’est un contrat, rien de plus. Mais il faut que ce soit clair entre nous.”
Elle le regarda sans détourner le regard, sans lâcher un seul mot. Parce qu’elle savait que, tout comme lui, elle ne pouvait pas faire semblant que tout allait bien. Pas cette fois-ci.
— “Je ne suis pas du genre à jouer ce genre de jeu, Victor. Si c’est juste une formalité pour toi, alors pourquoi continuer ?”
Il serra les poings, comme pour retenir une part de frustration qu’il dissimulait toujours si bien. Il y avait quelque chose dans son regard, une violence contenue. Une colère muette. Il voulait dire quelque chose, mais il se retint.
— “Parce que tu es ma femme maintenant. Et même si tout ceci est un fardeau pour nous deux, il y a des choses qu’on doit faire. Parce qu’on est liés par ce mariage. Point.”
Elle ne répondit rien, son regard toujours fixé sur lui. Il se rapprocha encore, mais au lieu de la toucher, il se recula, comme s’il avait peur que ce geste soit une erreur. Elle le remarqua. Elle voyait ses hésitations, ses fragilités, celles qu’il cachait si bien derrière cette façade de magnat inaccessible. Il n’avait pas confiance en elle, pas encore. Il ne voulait pas se laisser prendre à ce jeu qu’il pensait déjà maîtriser. Mais il était déstabilisé, plus qu’il ne l’aurait avoué.
Elle se tourna de côté, décidée à ne pas fléchir. Leur relation était une impasse. C’était lui qui avait choisi de se refermer ainsi, mais peut-être qu’il n’avait pas compris que le temps passait. Que l’absence de passion finirait par créer un vide qu’aucun de ses actes ne pourrait combler. Et ce vide, elle le ressentait à chaque instant passé à ses côtés.
Leurs corps se frôlèrent dans la nuit, mais ce fut une rencontre sans effusion. Un acte mécanique, froid et dénué de toute chaleur. Pas de complicité, pas de désir. Juste deux individus liés par un contrat, chacun enfermé dans sa propre solitude.
Elle se demanda si elle était en train de se perdre, ou si c’était lui qui était en train de se perdre dans l’immensité de sa propre distance. La nuit se termina sans éclat, et, malgré tout, quelque chose se passait. Quelque chose qui ne se disait pas, qui ne se voyait pas. Mais qui avait déjà commencé à les transformer, tous les deux.
