Chapitre 2
C’était un dimanche et la jeune femme enseignante profitait de son jour de repos. Firmin, quant à lui, n’était pas de service ce jour-là. Tous deux étaient assis devant la télévision lorsque le téléphone de Firmin sonna. Il le prit sur la table, vérifia l’appelant et décrocha.
– Allô ? Tu es déjà là ? D’accord, j’arrive dans quelques minutes.
Il raccrocha ensuite.
– S’il te plaît, chérie, appela-t-il, laisse-moi aller chercher la fille dont je t’ai parlé.
– Il n’y a pas de souci, mon amour, répondit Prunelle. À tout à l’heure, d’accord ?
– Oui, à très bientôt.
Firmin se précipita alors vers la sortie.
Les yeux fixés sur l’écran, l’enseignante observait les images défiler, mais en réalité, son esprit était ailleurs. Les sons provenant des haut-parleurs de la télévision lui parvenaient, mais elle n’y prêtait pas attention. Son cœur était lourd. Des voix, non, des pensées résonnaient en elle.
“Pour toi, commença l’une des voix, c’est de la stupidité. Comment oses-tu demander à ton homme de t’aider ?’’
Face à cette interrogation, Prunelle détourna son regard de la télévision et fixa le plafond.
« Crois-tu vraiment que cette femme sera aussi facile et bienveillante que tu l’imagines ? »
À cette question intérieure, la jeune femme poussa un long soupir.
« Tu t’es attiré des ennuis et du déshonneur en agissant ainsi. »
Ces mots firent perler une larme involontaire dans l’œil de Madame Akanni, qui roula sur sa joue droite.
– Ai-je vraiment le choix ? se demanda-t-elle.
« Oui, tu as bel et bien le choix », lui reprocha une des voix qui résonnaient en elle.
– Après tout, il a besoin d’un enfant pour être heureux, soupira-t-elle.
‘‘C’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour lui faire cette proposition’’, lui fit remarquer une des voix.
La jeune femme était profondément affectée par les différentes voix qui résonnaient en elle et regrettait son initiative. Elle essuya son visage, prit son téléphone et composa un numéro. Lorsque son interlocuteur décrocha, elle répondit d’un simple ‘‘allo’’.
– Allo Sage ? Je voudrais te voir... Oui, il faut qu’on se voie avant ce soir. J’aimerais te parler d’une situation et avoir tes conseils, comme tu en donnes à tout le monde. Merci et à tout à l’heure. Oui, je viendrai avant le coucher du soleil. Merci infiniment !
Prunelle venait de téléphoner à Sage, un conseiller âgé d’à peine seize ans, mais doté d’une grande sagesse.
Après cet appel, l’enseignante commença à donner raison aux différentes voix qui venaient de lui parler.
– Ces voix qui résonne en moi ont peut-être raison, mais elles ne disent pas toute la vérité, lâcha-t-elle.
Elle prononça ces mots lorsque le rideau s’ouvrit sur deux personnes qui entrèrent dans le salon. Firmin s’approcha de Prunelle et lui murmura d’un ton élevé : ‘‘Bonne assise, ma chérie’’.
– Merci, mon amour, répondit-elle. Bonne arrivée, ma chérie, ajouta-t-elle en s’adressant à la compagne de son époux.
La compagne de Firmin s’inclina respectueusement devant Prunelle, l’enseignante, pour lui souhaiter une bonne journée.
– Bienvenue, ma chérie, reprit Prunelle. Lève-toi et viens t’asseoir à côté de moi.
La jeune fille, souriante, se leva et s’installa près de la trentenaire.
– Laisse-moi te servir quelque chose, ajouta Madame Akanni en se levant pour se diriger vers le réfrigérateur.
Elle revint quelques secondes plus tard avec un plateau chargé de trois bouteilles. Elle posa le plateau sur la table et, déballant les verres de leur torchon, elle en servit trois. Elle remplit le verre de la visiteuse avec une boisson et l’invita à boire.
– Toi, tu n’es pas un étranger pour que je te serve ton verre, dit-elle en souriant à l’homme militaire.
– Je peux m’en occuper moi-même ! répondit l’autre en riant.
La nouvelle venue prit son verre, en but quelques gorgées, puis le reposa sur la table.
– Encore une fois, bienvenue, dit Prunelle à l’adresse de sa visiteuse.
– Merci, madame ! répondit cette dernière.
– Alors, puis-je connaître ton identité, s’il te plaît ?
Observant Firmin depuis sa place, la jeune fille esquissa un sourire silencieux avant de répondre par un oui.
– On m’appelle Aïcha, dit-elle. Je suis de la famille Kora. Je suis la benjamine de mes parents.
– Enchantée ! Moi, on m’appelle Prunelle. Je suis enseignante. Mon époux Firmin m’a parlé de toi et j’ai été très ravie de la nouvelle, alors je lui ai demandé de te faire venir près de moi. En te voyant, tu me sembles être une femme bien éduquée qui saura respecter les autres. On dit souvent que l’apparence est trompeuse, mais je ne peux pas penser cela de toi. Je pense donc que je ne regretterai pas de t’accepter à mes côtés !
– Pas du tout, madame !
– Oui, d’après tes manières, je pressens que tu es une personne digne de confiance. Pour cela, je te fais confiance !
– Merci, madame.
– Alors, tes parents sont musulmans, c’est bien ça ?
– Tout à fait !
– Accepteront-ils que tu épouses un chrétien ?
– Je ne le sais pas encore.
– D’accord ! J’espère que tu aimes tout de même Firmin ?!
– Oui, je l’aime !
– J’espère que tu ne l’aimes pas seulement pour sa position sociale ! Car il y a plusieurs raisons d’aimer quelqu’un ! Si quelqu’un te donne régulièrement de l’argent, tu peux aimer cette personne pour ses cadeaux ! J’espère que ce n’est pas le cas ici !
– Non, pas du tout. L’amour que je ressens pour Firmin est sincère.
– Je suis très heureuse pour toi. Puisque tu aimes sincèrement Firmin, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire évoluer votre relation, peu importe le coût.
– Merci, madame !
– Alors, dis-moi, est-ce que ta mère est déjà au courant de votre relation ?
– Pas encore.
– Cela signifie donc qu’elle ne sait pas encore que tu es enceinte !
– Non, pas du tout.
– D’accord, donne-moi son numéro et je la contacterai moi-même.
– Pas de souci.
Aïcha communiqua les huit chiffres composant le numéro de sa mère et l’enseignante les enregistra. Firmin, gardant son calme, manipulait son téléphone. Dans ce calme, il écoutait les deux femmes discuter.
***
Il était dix-sept heures lorsque le véhicule de Prunelle s’arrêta devant le portail d’une maison. Elle descendit de la voiture et se dirigea vers le portail qu’elle poussa. Elle entra dans la cour de la maison et vit une femme debout près du puits, à qui elle adressa un salut.
– Bonjour, madame ! Que puis-je faire pour vous ?
– Excusez-moi, je suis à la recherche de votre fils.
– Oh, ce garçon ! Il n’est jamais à la maison. Deux jeunes gens sont venus le chercher en voiture il y a peu de temps.
– Bon sang, où peut-il être ! s’exclama Prunelle.
En se tournant vers le portail, l’enseignante ne savait que faire.
– Vous auriez dû l’appeler avant de venir, madame ! s’exclama l’autre femme.
– Nous nous sommes appelés ce matin. Bon, je vais lui téléphoner à nouveau.
La jeune femme pencha la tête dans son sac, à la recherche de son téléphone portable. Au moment où elle espérait le sortir de son sac, le portail grinça, claqua et laissa apparaître une silhouette.
– Oh, il est de retour, s’exclama Madame Akanni. Bon retour, Sage.
– Merci, répondit le nouvel arrivé. C’est votre voiture qui m’a fait venir.
– Tu l’as vue de loin, c’est ça ?
– Oui ! Allons dans mon salon.
– À tout à l’heure, maman, dit Prunelle en se dirigeant vers Sage.
Lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, le jeune homme invita sa visiteuse à s’asseoir.
– En quoi puis-je vous aider, madame ? demanda-t-il, debout.
– Je souhaite me confier et bénéficier de ta sagesse pour obtenir des conseils, répondit la visiteuse.
– Je vous écoute, madame, dit-il.
– En fait, commença la visiteuse, je me suis mariée il y a quelques années. Pour être précise, cela fait six ans. Je n’ai jamais réussi à rendre mon mari heureux. Tu sais, avec ton jeune âge, il peut sembler illogique de te parler de ma vie de couple, mais j’ai besoin de tes conseils. Donc, je vais continuer à te parler. Je n’ai jamais su apporter la joie à mon époux, car pour un homme, la joie après le mariage réside dans la procréation. Mais pour moi, cela m’a été impossible de lui offrir cette joie. Alors devine ce que j’ai fait ? J’ai fait une proposition, une proposition que la voix de mon intuition a d’abord jugée vaine et déraisonnable. Je lui ai proposé de me seconder...
– Quoi ? s’exclama le jeune garçon, surpris.
– Laisse-moi terminer mes paroles, s’il te plaît, interloqua la visiteuse.
– Je vous écoute, madame !
– Donc, lorsque je lui ai fait cette proposition, il m’a avoué sans aucune hésitation qu’il avait rencontré une jeune fille avec qui il a fini par avoir une relation, et maintenant elle est enceinte de lui. Je lui ai demandé de faire venir cette fille pour que je puisse discuter avec elle. Il n’a pas hésité à l’inviter. Nous avons eu une conversation, la fille et moi, et nous nous sommes comprises. Mais il y a une chose : j’ai remarqué que la fille est très respectueuse. Voilà, j’ai fini.
Le jeune garçon racla la gorge, toussa et s’assit sur une chaise.
– Madame, appela-t-il, je vous ai écoutée et pour être honnête, je pense que vous avez mal joué votre carte.
– Vraiment ?
– Oui ! Vous ne devriez pas proposer cette idée à votre mari. Cela donne l’impression que vous n’êtes pas satisfaite de votre situation actuelle. Je suis sûr que vous êtes heureuse sous le toit de votre époux, même si vous n’avez pas encore eu d’enfant. Ai-je tort ?
– Pas du tout !
– Voilà ! Tout d’abord, vous êtes une enseignante, et en tant que femme active, vous avez une grande valeur aux yeux de votre mari. C’est pourquoi il vous respecte. Vous avez souligné tout à l’heure que la jeune fille est respectueuse. Permettez-moi de vous demander combien de fois vous vous êtes déjà rencontrées.
– Nous ne nous sommes vues qu’une seule fois, mon frère.
– Je comprends que vous puissiez penser cela après une seule rencontre. Mais laissez-moi vous dire que son respect pourrait disparaître dès qu’elle s’installera sous le toit de votre mari et qu’ils auront un enfant ensemble. Non seulement vous perdrez de la valeur aux yeux de votre époux, mais également la personne que vous avez invitée chez vous ne vous montrera aucun respect, bien plus que vous n’en avez jamais vu de toute votre vie. Elle se considérera comme la femme précieuse et votre mari sera d’accord avec cela. Et si vous ne savez pas comment agir, ce seront les règles de votre rivale que votre mari suivra. En conclusion, vous ne devriez jamais, je dis bien jamais, recommander à votre mari d’amener sa maîtresse dans votre foyer conjugal. C’est très grave et très dangereux. J’ai également fini de parler.
Prunelle, très désolée, transpirait sans s’en rendre compte alors qu’il ne faisait pas chaud.
