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4

Un cri monta en elle, primal, incontrôlable. Elle se leva brutalement et frappa la table de toutes ses forces.

— Quoi ?! hurla-t-elle, incrédule. C’est une blague, n’est-ce pas ? Dites-moi que c’est une putain de blague !

Alexander leva un sourcil, mais ne répondit rien. Elle tourna alors les yeux vers lui. Thomas Hardy. Directeur des ressources humaines. Le serpent au sourire mielleux.

Il se tenait derrière Alexander, les bras croisés, le regard triomphant. Roxanne sentit le poison de la haine se distiller dans ses veines.

Il lui avait dit un jour, après qu’elle eut repoussé ses avances pour la quatrième fois : « Tu continues comme ça, tes jours ici sont comptés. »

Elle aurait dû l’écouter. Elle aurait dû enregistrer cette menace. Elle aurait dû porter plainte.

Mais elle avait eu peur.

Elle tenta une dernière fois, s’accrochant au fil ténu de la dignité.

— Monsieur Lex, avec tout le respect que je vous dois… Il doit y avoir une erreur…

— Vous insinuez que Hardy a mal évalué vos performances ? rétorqua-t-il avec agacement.

Elle se tourna vers Thomas. Ses yeux pétillaient de cruauté. Un sourire cruel aux lèvres. « J’ai gagné, salope. »

Roxanne sentit le sang battre à ses tempes. Elle était en train de perdre la tête.

— Monsieur… J’ai tout donné pour cette entreprise. J’ai perdu mon fiancé, coupé tout lien familial… Ce travail… c’est tout ce qui me reste.

Mais Thomas l’interrompit, avec la voix mielleuse d’un prédateur satisfait.

— Vous pourrez m’exposer vos plaintes après cette réunion, Mademoiselle Harvey. Pour l’instant, asseyez-vous.

Elle obéit, les jambes de coton, la gorge nouée. Dix minutes de plus. Dix minutes de torture. Dix minutes à imaginer mille façons de le voir souffrir.

Dès que la réunion prit fin, elle bondit sur ses pieds, suivant Alexander dans le couloir.

— Monsieur, je vous en supplie…

— Vous avez entendu Monsieur Hardy. Adressez-vous à lui.

Même pas un regard en arrière. Juste le rejet. La froideur. Le mépris.

Elle chancela, tituba… puis se redressa, ravagée, mais digne.

Elle se retourna lentement vers Hardy, une rage froide dans les yeux.

— Tu oses ? chuchota-t-elle, les poings serrés.

Il haussa les épaules, s’approcha d’elle, trop près.

— Ne fais pas l’innocente. Tu savais que ça finirait comme ça, murmura-t-il.

— Tout ça parce que j’ai refusé de coucher avec toi ?

Les mots explosèrent dans l’air, tranchants comme des lames. Il rit.

— Ne te flatte pas, Roxanne. Je peux baiser qui je veux, n’importe où.

Il se pencha vers elle, souffla dans son oreille :

— Tu croyais être différente ? Tu n’es qu’une Américaine de plus. Maintenant, tu es surtout… chômeuse.

Elle recula, frappée de plein fouet.

Il recula, satisfait, puis lança :

— Vous avez dix minutes pour vider votre bureau. Dix minutes pour disparaître.

Et il s’en alla.

Elle resta là, figée. Brisée. Anéantie. Cinq ans de fidélité effacés en dix minutes. Cinq ans de sacrifices… réduits à néant.

Des larmes chaudes dévalaient ses joues. Elle n’avait plus rien.

Absolument rien.

Sa famille ! Jonah ! Et maintenant, LexCorp.

Le monde semblait se désintégrer autour de Roxanne, lentement mais douloureusement, comme une chute interminable dans un puits sans fond. Elle fixait l'écran noir de son téléphone depuis de longues minutes, paralysée, figée dans un silence assourdissant. Tout ce pour quoi elle s'était battue, tout ce qu'elle avait enduré et sacrifié… s'était évaporé en un claquement de doigts.

Sept années. Sept longues années à donner chaque once d’elle-même à LexCorp. Chaque idée brillante, chaque dossier ficelé à la perfection, chaque nuit blanche passée au bureau, tout cela n'avait servi à rien. Tout avait implosé devant ses yeux sans qu'elle puisse dire un mot. Son licenciement n’avait pas été une décision réfléchie, mais une trahison calculée, perfide, immonde. Comme si son labeur n’avait jamais compté. Comme si elle n’avait jamais existé.

Et Jonah ?

Rien que penser à lui provoquait chez elle une douleur sourde et profonde. Roxanne se mordit la lèvre jusqu'au sang pour contenir ses sanglots. Le visage de Jonah s’imposa à son esprit sans pitié, ravivant chaque souvenir comme une lame sur une plaie ouverte. Ils avaient été des enfants inséparables, des adolescents amoureux, des jeunes adultes fusionnels. Et malgré ce lien que même les années n’avaient su briser, il avait suffi d’une opportunité pour qu’il lui plante un poignard dans le cœur.

Un écho grinça dans sa mémoire : les mots de sa meilleure amie ce matin-là.

— « Ta modestie m’insulte, Roxy. Tu sais que ce poste est à toi. Ma belle, tu as donné à cette entreprise toutes tes nuits blanches et tes réveils de folie. Ils seraient fous de ne pas te donner cette promotion. »

Emily. Son rocher. Son unique source de lumière dans ce chaos.

Et pourtant… même cette certitude, même l’espoir qu’Emily lui avait insufflé, avait été réduit en cendres. Le poste était allé à une autre. Pire, à Rayla. Sa sœur jumelle. Celle-là même qui, jadis, riait de ses ambitions.

Roxanne inspira profondément, les yeux rougis, la respiration saccadée. Il fallait partir. Fuir avant de s'effondrer. Alors, rassemblant son sac et la dignité qu’on ne lui avait pas encore volée, elle quitta la salle de conférence comme on fuit un champ de ruines. Sans un regard en arrière.

Les trente jours suivants se confondirent dans un tourbillon d'heures silencieuses et de journées floues. Son quotidien se réduisit à deux lieux : l’ordinateur portable dans sa chambre pour postuler à des dizaines d’offres d’emploi… et la boulangerie de sa sœur Isabelle, un havre chaleureux où le sucre apaisait un peu l’amertume.

Isabelle, sa sœur aînée, avait été une bénédiction. Depuis qu’elle avait été rejetée par la famille après avoir révélé son homosexualité, Isabelle avait appris à se reconstruire. Elle avait épousé Carrie, ouvert sa confiserie, et surtout, tendu la main à Roxanne sans condition.

C’est dans ce petit cocon aux effluves de vanille et de caramel qu’Isabelle réussit à convaincre Roxanne de venir au mariage.

— « La famille d’abord, Roxy. Même si elle ne veut pas de nous, nous sommes plus fortes qu’eux. Viens. Pas pour eux. Pour toi. »

Mais Isabelle ne savait pas que, pour Roxanne, ce mariage représentait l’enfer incarné. Jonah allait épouser Rayla. Et Roxanne, humiliée, brisée, devait se tenir là, dans l’assemblée, applaudissant comme une étrangère.

Jonah avait essayé de la contacter. Des dizaines de fois. Appels. Messages. Mails. Elle les avait tous ignorés, avec rage et douleur. Même le soir où il osa venir frapper à sa porte, c’était Emily qui ouvrit. Et c’était un miracle qu’il soit reparti sans une claque en pleine figure.

Emily et Isabelle s’étaient improvisées ses anges gardiens. Styliste, maquilleuse, psychologue… elles faisaient tout pour qu’elle tienne debout. Mais il manquait quelque chose. Quelqu’un.

— « On ne te laissera pas mettre les pieds dans cette cathédrale sans un homme », avait affirmé Emily avec fermeté, en glissant son téléphone dans les mains de Roxanne pour qu'elle ouvre Tinder.

Mais swipe après swipe, rien. Personne ne convenait. Personne n'était assez bon pour lui faire oublier Jonah, ne serait-ce qu’une seconde.

— « Les hommes sont stupides », souffla-t-elle, résignée, en refermant son ordinateur.

— « Tu es sûre de vouloir y aller seule demain ? », demanda Emily, douce, mais inquiète.

— « Je survivrai. Toute seule. »

Mais elle mentait.

Le lendemain matin, à 9h précises, Emily fut brutalement tirée de son sommeil par une Roxanne en peignoir, paniquée, les yeux embués de larmes.

— « J’ai menti ! Je ne survivrai pas toute seule aujourd’hui ! »

— « Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ? »

— « Emily, je t’en supplie, appelle tes frères, un voisin, un livreur ! Je ne peux pas aller à ce mariage sans cavalier, c’est au-dessus de mes forces ! »

Emily, sans un mot, prit Roxanne dans ses bras. Elle comprit que ce n’était plus une question d’orgueil. Roxanne avait besoin d’un bouclier. D’une illusion. D’un miracle.

Quelques heures plus tard, elle était prête. Ou presque.

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