CHAPITRE 04
Depuis trois semaines maintenant, je travaille assidûment pour Mademoiselle Hunter Taylor, avocate de trente-six ans, spécialisée en droit international privé. Mademoiselle Hunter est d’une efficacité redoutable, toujours très concentrée sur son travail, perfectionniste et donc exigeante ! L’un n’allant pas sans l’autre.
C’est une sorte d’Olivia Pope, une gladiatrice en costume. Une femme de poigne, qui parle peu, mais quand elle prend la parole c’est toujours à bon escient. Cette femme mérite le respect, je comprends que ce ne doit pas être évident de s’imposer face à un milieu très masculin.
La première semaine, j’ai cumulé des erreurs de débutante. J’ai beau avoir un niveau assez bon en anglais, travailler sur des documents uniquement dans cette langue s’est avéré une tâche plus ardue que je ne le pensais. Puis il a fallu que je m’adapte à leur façon de s’organiser, à tous ces termes inconnus et à l’environnement qui m’entourait. C’était légèrement le bazar dans mon cerveau et sur mon bureau. Heureusement, je m’accroche et je tiens bon, je ne suis pas venue ici pour rien ! De plus, Noah et Sarah, mes deux collègues, m’aident énormément et c’est rassurant de savoir que je peux compter sur eux.
Bien que Noah soit quand même plus du style à se foutre de moi et à me chambrer dès qu’il le peut, au fur et à mesure des jours, il s’est montré serviable mais joueur. Lui aussi me teste et j’avoue que ce petit jeu de compétition entre nous m’amuse et me stimule. Ces deux personnes sont devenues mes alliés de galère et mes piliers au sein de l’entreprise. Il faut dire qu’entre stagiaires, option larbin, on s’entraide. On se serre les coudes. L’université de droit de New York gère mes cours et mon dossier scolaire, ils sont en lien avec la faculté de Montpellier. Comme Sarah dépend elle aussi de la même université, nous nous y rendons ensemble, une journée par semaine pour faire un point avec les professeurs et suivre les cours. Au fil des semaines, je vois évoluer Manhattan et j’apprends à jongler avec mon nouveau rythme de vie et, une complicité s’est développée avec Sarah. Ce petit bout de femme a un caractère bien trempé et une imagination débordante. Il faut arriver à la suivre dans ses délires. Il n’y a pas une journée où elle ne me fait pas exploser de rire. Elle est un vent d’air frais dans ma vie et je remercie souvent le hasard de l’avoir mise sur mon chemin. Même si elle a un gros crush sur mon frère, elle n’en est pas moins attachante. A chaque fois j’essaie de faire dévier le sujet sur autre chose que nos sexy boss mais rien n’y fait, elle est bloquée sur lui. C’est quand même amusant de voir comment elle l’idéalise. Je crois qu’ils ne se sont jamais réellement dit plus de trois mots.
Heureusement, Sarah a aussi d’autres passions que Mathias dans sa vie. Il se trouve que c’est une grande amatrice de comédie musicale et de cinéma. A plusieurs reprises elle pique des répliques à Katniss Everdeen et même à Harry Potter. L’autre soir, elle m’a proposé une sortie et c’est avec joie que je l’ai suivie au théâtre Ambassador sur Broadway pour voir Chicago. C’était époustouflant, j’avais vu le film, mais là c’était carrément génial ! La qualité de cette comédie musicale et la présence d’un orchestre jazzy était grandiose. Je suis loin d’être parfaitement bilingue mais j’ai réussi à suivre l’histoire sans problème. J’en suis ressortie avec des étoiles plein les yeux et l’envie de croquer la grosse pomme par tous les bouts.
Cette soirée à l’extérieur comme une véritable New-Yorkaise m’a fait un bien fou. La solitude commençait à devenir pesante et mon trio d’amies françaises est de moins en moins disponible pour nos sessions Skype. Loin de moi l’idée de leur en vouloir, je comprends qu’elles aient peu de temps à me consacrer.
Grâce à Sarah mon moral est remonté en flèche. Elle me donne le coup de peps nécessaire pour que j’avance, c’est important d’avoir quelqu’un à ses côtés, autre que mon grand frère. J’ai beau adorer Mat, j’ai besoin d’avoir un cercle de connaissances en dehors de lui. Sans compter qu’il n’est pas très présent, entre l’entreprise et les femmes qui traversent sa vie, c’est tout juste si l’on se croise.
Naturellement, Sarah s’est incrustée dans ma vie professionnelle et personnelle sans même que je m’en rende compte. Bien sûr, elle ne sait toujours pas que je suis la sœur de son fantasme numéro un. Pour le moment, je préfère garder ce secret pour moi, je ne suis pas prête à partager tout ça.
C’est plus fort que moi, je doute des personnes, je ne fais pas confiance. Et je me déteste de voir le mal partout alors qu’à l’origine je ne suis absolument pas comme ça... j’imagine que ce sont les conséquences logiques de ce que j’ai vécu. Quand je repense au passé, j’en ai les larmes aux yeux, je suis en colère contre moi-même d’avoir été aussi stupide. Comment peut-on être aussi naïve ? Autant bonne poire ? Après réflexion, je me dis qu’ils se sont bien foutus de moi mais que j’ai récolté ce que j’ai semé...
Allez, stop ! Pas d’apitoiement sur soi Cam ! On écrit une nouvelle page ! me siffle ma conscience.
Je me concentre, les coudes appuyés sur mon bureau en train de chercher des infos sur internet quand Mademoiselle Hunter se plante devant moi. Cette femme a beau avoir de la prestance elle n’en reste pas moins aussi froide qu’une porte de prison. Voir un sourire s’afficher sur son visage ’reste du domaine de l’exceptionnel et de l’éphémère. Je n’arrive pas à déterminer si elle m’apprécie ou si elle me tolère dans son espace professionnel. Il y a des personnes qui ne laissent passer aucune trace d’émotion sur leurs visages, ce qui a tendance à éveiller ma curiosité.
— Camille, j’ai une réunion à 10h au seizième avec Monsieur Williams, c’est pour les nouveaux contrats que vous avez rédigés, juste une vérification avant de les établir officiellement. Étant donné que vous les avez réalisés, vous m’accompagnerez à cette réunion, me dit-elle, la voix claire, ses yeux marrons me fixant sans aucun sentiment perceptible.
Cette femme est un robot ce n’est pas possible ! Ma conscience fait une danse de la joie dans ma tête. Enfin je participe à une réunion ! Je retiens mon enthousiasme, avale ma salive tant bien que mal et essaie de répondre avec un ton monocorde.
— Je vous remercie Mademoiselle Hunter, je serai présente, vous pouvez compter sur moi, dis-je simplement et poliment.
Ce qu’elle ne peut pas voir ce sont mes jambes qui tremblent sous mon bureau. Mon corps a du mal à retenir la joie qui l’envahit. C’est une super journée que rien ne pourrait gâcher. Je suis imperméable à toute tentative extérieure de détruire ma bonne humeur. Voilà, vous êtes prévenus !
Dès qu’elle retourne à son bureau, je pivote vers Sarah avec la banane jusqu’aux oreilles en mode winneuse ! Mon amie secoue la tête en rigolant, elle sait combien j’attendais ce moment avec impatience. Depuis le début de mon stage, je suis confinée dans ce bureau et j’ai l’impression de faire office de bibliothécaire juridique. Le nez dans les recherches administratives, les différents codes du travail, à surligner les erreurs de mes supérieurs ou à préparer des cafés et des photocopies.
Les débuts sont difficiles et on confie peu de responsabilités à un débutant. Participer enfin à une réunion, c’est aussi apercevoir l’envers du décor, comprendre la mécanique de l’entreprise et le mode de fonctionnement de mes supérieurs.
#CamilleMarqueUnPoint
Hélas, mon bonheur est de courte durée, mon visage se décompose quand je comprends que je vais avoir affaire à Monsieur Williams. Celui dont j’entends parler depuis trois semaines mais que je n’ai jamais rencontré... un peu comme Voldemort dans Harry Potter. Avec le côté malsain et malfaisant en moins, bien sûr. Toutes sortes de rumeurs circulent à son sujet mais je ne leur prête pas attention. J’en ai moi-même bavé avec ce genre de racontars qui se colportent à vitesse grand V et la quasi-totalité était faux. Mais peu importe, le mal qu’elles font est sans précédent et je me souviens encore des coups de téléphone inconnus la nuit pour m’insulter ou bien des papotages à tout-va sur mon dos, en plein cours. La douleur est intacte, la colère aussi. Bastien ne s’était pas contenté de raconter des choses, il en avait inventées, extrapolées, déformées. J’avais subi un véritable enfer pendant deux mois, les deux mois les plus longs de ma vie.
— Hey... ça va ? Tu te sens bien ? Tu es toute blanche... me demande mon amie en m’attrapant le bras, ce qui me fait sortir de mes pensées.
— Oui, oui... désolée. Je stresse un peu, dis-moi tout ce que je dois savoir, lui dis-je tout en la fixant prête à enregistrer les infos qu’elle peut me donner.
Sarah lève les yeux au ciel en souriant.
— Tu n’as rien à faire si ce n’est te taire, observer et apprendre. Tu peux aussi, mais ça c’est optionnel, en profiter pour saliver sur le canon qu’est Monsieur Williams. Évite de te la jouer cruche par contre, cligne des yeux de temps en temps hein ?
Quoi ? C’est tout ? C’est ça ses conseils ?! Baver sur le big boss ?! Non merci très peu pour moi !
Je ne connais pas le meilleur ami de mon frère. D’ailleurs, je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer, ni ici, ni ailleurs. A chaque fois qu’il descendait de Paris avec Mat je n’étais pas à la maison. Honnêtement, je n’ai aucune envie de me préoccuper de lui, je suis fixée sur mon objectif. Réussir mon année. J’ai consacré tous mes efforts durant ces trois dernières années de ma vie pour valider mon année, croyez-moi je ne vais rien lâcher maintenant.
Au travail je me dois d’avoir une ligne claire et de m’y tenir. Que ce soit vis-à-vis des patrons ou bien de mes collègues. Et malgré ce que pense Sarah, il ne se passera jamais rien avec Noah.
— C’est ça tes conseils ? Mater le Directeur général de l’entreprise devant ma référente ? dis-je déconcertée par cette proposition.
— Non je t’ai dit que c’était une option, pas une obligation, répond-elle avec un sourire malicieux d’un air entendu.
— Oui et bien là, tout de suite, je préfère m’en passer et me concentrer sur le dossier. J’espère que je n’ai rien oublié... dis-je en survolant les feuillets.
— La construction me semble correcte, dit-elle en regardant par-dessus mon épaule. Ce sont les nouveaux barèmes pour les offres d’engagements ?
— Oui, il y a cinq types de forfaits proposés, mais le plus basique et moins cher c’est celui à trente-cinq dollars par mois.
— C’est quand même un sacré budget pour un minimum de sécurité.
— Comme s’ils étaient pas déjà assez riches, ajoute Noah avec dédain.
Sa remarque pose un vent glacial entre nous, ni moi, ni Sarah ne savons quoi ajouter. Je lui adresse juste un petit sourire même si au fond, sa remarque m’agace, je décide de ne pas y prêter d’attention.
Il est clair que ma présence ne justifie en aucun cas une prise de parole. Il s’agit d’un moment d’observation pour moi, un moyen de me féliciter du travail effectué. Un regard à ma montre m’indique que je suis en retard et merde ! 9h55.
Rapidement, je me lève tout en me précipitant jusqu’à l’ascenseur. Même pas le temps de me rafraîchir, je fonce. Une fois à l’intérieur de la cabine, j’appuie sur le bouton du seizième légèrement en panique.
Calme-toi Cam ! Bon sang, tu ne passes pas un examen, c’est juste un petit entretien dans lequel tu n’interviendras même pas... no stress ! me siffle ma conscience.
Quand les portes en acier s’ouvrent, je retrouve Mademoiselle Hunter postée à l’accueil qui me jette un rapide regard inhospitalier de côté. Mince... j’étais censée être là avant elle. Alors je prends mon courage à deux mains et me dirige d’un pas rapide vers elle. Je me place juste derrière, le calepin dans les mains. De toute façon, le mal est déjà fait donc allons-y gaiement et advienne que pourra !
Devant moi, défile tout un tas de personnes et après observation, je suis bien contente d’avoir mis ma jupe crayon noire et ma blouse blanche à manches courtes. Depuis peu, j’ai pris l’habitude de mettre une paire de talons. Bon... pas aussi vertigineux que les autres working girls mais plus stables et surtout, sans danger pour moi-même. Mon haut est peut-être un peu trop décolleté mais je n’avais rien d’autre ! Il devient urgent d’aller faire un tour dans les magasins une fois mon salaire en poche. Je lisse par réflexe ma jupe et attends patiemment le moment d’y aller.
Au bout d’un moment, ma boss me fait signe de la suivre elle-même précédée par l’assistante de direction. Nous longeons le couloir puis nous pénétrons dans une pièce immense, qui doit avoisiner les quarante mètres carrés. C’est très spacieux et lumineux, sans doute grâce à une large baie vitrée qui éclaire l’espace en offrant une vue sur Manhattan des plus magnifiques. Je pourrais passer ma journée face à cette vue !
Un grand bureau tourne le dos à la ville afin de dominer l’espace. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur le reste car à peine ai-je tourné la tête que mes yeux se retrouvent aimantés par un tableau représentant Le Baiser de Klimt qui amène un peu de couleur et de chaleur avec ses feuilles d’or et ses tons jaune-orangé. J’adore ce tableau, je l’ai en poster dans ma chambre en France, j’en suis tombée amoureuse de suite sans trop savoir pourquoi. Il s’en dégage quelque chose de beau, de simple, une étreinte amoureuse aux estampes japonaises. C’est un hymne à l’amour, un symbole d’éternité qui envahit mon cœur chaudement et me donne l’envie d’y croire. Rien que le voir me tire un sourire. Nous avons un point commun Monsieur Williams et moi, à moins que ce ne soit sa décoratrice d’intérieur qui ait tout imaginé. Peu importe, je félicite ce choix qui donne de l’émotion à la pièce.
Face à cette œuvre d’art, j’oublie tout. J’ai conscience que madame Hunter s’adresse à quelqu’un et qu’il me faudrait redescendre sur Terre mais j’ai du mal à décrocher de ce tableau. C’est à cet instant que je sens quelqu’un derrière moi, à seulement quelques centimètres. Instantanément mon corps se raidit et ma peau se parsème de frissons. Cette conscience aiguë de la présence de cet homme juste à mes côtés me trouble, je l’avoue. Il ne peut s’agir que d’un homme, je sens l’odeur de son aftershave, le parfum est chaud, boisé et ambré. Un sillage d’encens et de poivre très agréable. J’hésite entre me retourner pour affronter cet inconnu ou bien rester plantée ainsi et savourer ce moment de désir ? Oui, c’est du désir pour une personne inconnue qui crépite. Léger, presque imperceptible mais néanmoins présent. Ou alors est-ce le fruit de mon imagination ?
Cela doit être le résultat de ma libido qui se réveille, tu m’étonnes ça fait un bail qu’elle hiberne celle-là !
— Magnifique et presque hypnotisant, n’est-ce pas ? déclare une voix douce et chaude, extrêmement sensuelle. Le ton se veut aimable, invitant à la discussion. Mon cœur augmente sa cadence et une douce chaleur m’envahit.
— Oui, je pourrais rester des heures à le contempler. Cette reproduction est réellement troublante, j’ai l’impression d’être en face du véritable Klimt.
— Qui a dit qu’il s’agissait d’un faux ?
— Pardon ? dis-je en me tournant pour le regarder droit dans les yeux.
Et Bon sang ! Quels yeux !
Je reste figée et me perds dans un regard de bronze, brun foncé avec des reflets ocres, tel celui d’un chat, perçant, captivant. Aucun de nous deux ne baisse le regard. Nous nous contentons de nous fixer, l’air étonné, surpris. Le désir crépite toujours dans l’air comme un courant électrique chargé en haute tension.
Ma libido est décidément au taquet… Le néant de ma vie sexuelle commence à se faire ressentir !
Il se passe quelque chose d’inexplicable, de fort et d’intense. C’est là, au plus profond de moi et ça me bouleverse. Sarah a raison, Monsieur Williams est canonissime !
Non, en fait c’est bien plus que ça.
Monsieur Williams n’est pas simplement canon, il est sublime, vraiment très beau et avec un charme, une prestance magnétique. Il a une beauté naturelle, pas besoin de faire de grands sourires, il n’a même pas besoin d’ouvrir la bouche. C’est le genre d’homme à faire tomber les femmes, juste en claquant des doigts. Du haut niveau. Un Hitch de compétition, expert de la séduction. A proscrire d’urgence. Un signal d’alarme retentit dans mon crane. Danger !
Je détaille sa mâchoire qui est carrée, virile et ses épaules ont l’air solides, de quoi s’y accrocher fermement. Ses cheveux châtain foncé me donnent envie d’y passer mes mains pour voir s’ils sont doux. Je suis à deux doigts de me faire une double fracture ouverte de la rétine ! Il est trop canon, c’est le genre d’homme qui existe uniquement dans les films ou dans les livres, le genre trop parfait, trop rempli de testostérone, trop tout !
Ressaisis-toi Camille ! scande ma conscience.
Elle a raison, j’ai l’air d’une abrutie à le fixer comme ça ! La situation ne peut pas durer alors je me reprends et recule un peu afin de remettre en route mes neurones. S’ils n’ont pas grillé en cours de route… C’est à ce moment-là que décide d’intervenir ma supérieure.
— Monsieur Williams, veuillez excuser Camille, elle peut être parfois distraite, intervient Mademoiselle Hunter en me jetant un regard sévère.
Et merde ! Bravo Camille c’est du propre ! Elles sont passées où tes bonnes résolutions ? me sermonne ma conscience.
— Qui ne le serait pas devant un tel tableau ? répond-il en ne détachant pas ses yeux des miens, avec un sourire malicieux. Je rougis comme une idiote et me maudis mentalement de ne pas avoir plus d’emprise sur mon propre corps.
— Pouvons-nous nous mettre au travail ? Nous avons encore une belle journée chargée et j’aimerais régler ce dossier au plus vite, déclare Mademoiselle Hunter.
Je baisse les yeux et me contente de reculer encore un peu. Instinctivement, mes mains se resserrent sur mon bloc-notes, comme pour se raccrocher à la réalité. Ok cet homme en jette, c’est sans doute le mec le plus beau de la planète qu’il m’ait été donné de voir mais c’est zone interdite.
— Bien sûr Taylor, veuillez-vous installer, nous allons commencer, dit-il tout en nous faisant signe de la main de prendre place, face à son bureau.
D’une démarche souple et nonchalante il s’installe dans son fauteuil, pose son portable et se saisit d’une pochette bleue.
Assise sur ma chaise aux côtés de ma responsable et face à Monsieur Williams, je me contente de prendre des notes et d’écouter leur conversation. Ils discutent de points techniques, d’obligations légales des deux parties, des modalités. De temps en temps, je relève la tête et nos regards se croisent. Quand c’est le cas, il esquisse un léger sourire et je le trouve trop craquant.
Non mais stop ! me hurle ma conscience.
Oui oui ! Ça va, j’ai compris ! Je me replonge dans mes notes et décide de ne plus le regarder.
Sage décision... siffle ma conscience.
— Bien. Je pense que tout est dit, tout cela me paraît bien rédigé et aux normes. Vous avez fait du bon boulot Taylor, déclare-t-il de sa voix chaude.
— Merci Monsieur, mais je n’ai fait que vérifier ce contrat, Camille s’est chargée de sa construction et de sa rédaction tout en répondant à votre cahier des charges.
A mon prénom, je relève la tête et tombe sur Mademoiselle Hunter qui me fixe ainsi que Monsieur Williams.
Voilà, voilà... super !
— Je vois. Mademoiselle, je dois donc vous féliciter pour votre travail. Quand avez-vous intégré l’entreprise ?
Son regard intense posé sur moi me donne l’impression d’être une énigme, quelque chose de mystérieux qu’il a envie de découvrir. Je déglutis avec peine face à ses pupilles. Mon inconfort semble l’amuser car il a un demi-sourire qui ne laisse aucun doute.
— Depuis le début du mois Monsieur, dis-je en plongeant mes yeux dans les siens, ma voix n’est qu’un faible murmure, je suis gênée.
Il hoche la tête.
— Et vous êtes ? Nous ne nous sommes pas présentés officiellement, rajoute-t-il en s’enfonçant dans son siège.
— Camille Imbaud, assistante juridique junior. Je dépends de la faculté de Montpellier en France, j’ai intégré le programme Erasmus, dis-je plus fort, fière d’avoir réussi à aligner trois mots d’affilée.
Finalement mes neurones fonctionnent ! A peine ai-je terminé ma phrase qu’il fronce les sourcils comme pour me sonder. Peut-être a-t-il compris qui je suis réellement ? Après tout avant d’être Monsieur Williams il est surtout le meilleur ami de Mat alors il connaît forcément ma véritable identité. Il se racle la gorge et desserre légèrement sa cravate.
— Bienvenue Camille. C’est une belle opportunité pour vous et apparemment, pour nous aussi. Continuez ainsi, les débuts sont prometteurs.
Il me semble percevoir de l’admiration dans l’intonation de sa voix, mais peut-être me fais-je des films, encore et toujours...
— J’en ai bien l’intention, merci Monsieur.
— Bien, nous en avons fini, dit-il en refermant son dossier et en rendant les feuilles du contrat à ma supérieure.
Avant de nous quitter il serre la main à Mademoiselle Hunter puis me tend à mon tour sa main. Sa poigne est chaude, ferme mais ce simple contact me donne envie de davantage. Mon corps réagit au sien d’une façon qui est déstabilisante, tant par son intensité que par sa rapidité.
C’est à n’y rien comprendre !
Jamais je n’ai eu de réaction aussi puissante, vis-à-vis du sexe opposé. D’un geste rapide, très peu courtois, je mets fin à ce contact et lui tourne le dos en me dirigeant vers la sortie, suivie de près par Hunter. Je ne pense qu’à une chose. Sortir d’ici et être loin de lui.
Surtout ne pas se retourner. Trace ta route, tout droit ma grande, me guide ma conscience.
Bon, ce n’est pas la fin du monde, ni même un bouleversement apocalyptique, relativise Camille ! me dis-je pour me rassurer et me donner une certaine contenance, tandis que je suis dans l’ascenseur seule avec ma supérieure. Avec un peu de chance elle n’a pas remarqué ma gêne, ni mon trouble et tout ira bien !
Bien sûr, comme d’habitude je prends mes rêves pour la réalité et quand Hunter me tire par le bras en direction de son bureau dont elle claque la porte, je comprends que je suis dans la panade.
Son visage n’a rien d’accueillant ou de chaleureux, bien au contraire elle jette son dossier sur le bureau, pose ses mains sur ses hanches et me fixe. Une inspiration, deux inspirations et elle lâche les vannes.
— Mademoiselle Imbaud je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je n’apprécie pas du tout votre attitude non professionnelle et je ne suis pas pour les jeunes filles qui se la jouent naïve mais qui ne pensent qu’à la promotion canapé. Ici ce n’est pas Williams qui valide et note votre année, mais bel et bien moi ainsi que Madame Perry, dit-elle d’une voix grondante.
— Ce n’est absolument pas ce que vous croyez ! dis-je pour me défendre.
— Ah bon ? Pourtant la situation m’a paru assez évidente toute à l’heure, dans son bureau.
— C’est un malentendu, vous avez peut-être surinterprété ? bafouillé-je.
— Quel retournement de situation ! Ce serait donc moi qui m’imagine des choses ? Je ne sais pas si je dois être admirative de votre culot ou énervée par votre insubordination. Peu importe... Écoutez-moi bien car je ne me répéterai pas. Vous êtes au début de votre vie et il serait dommage de tout bousiller pour une pseudo relation avec un supérieur hiérarchique, qui par-dessus le marché, a largement le choix. L’offre n’est pas un problème pour lui, si vous voyez où je veux en venir ?
— C’est clair, très clair, dis-je plus sèchement, légèrement vexée de me faire gronder comme une enfant alors qu’il ne s’est strictement rien passé !
— Quoi qu’il en soit, ne gâchez pas vos chances de faire une jolie carrière et de décrocher un contrat outre-Atlantique. Restez focus sur vos objectifs Camille. Ne me faites pas perdre mon temps, je déteste ça, dit-elle d’un ton sans appel.
Quand je sors dans le couloir, il me faut quelques secondes pour me reprendre et me recomposer un visage neutre. Je suis encore sous le choc de ses propos. Certes elle a voulu me mettre en garde et j’avoue que le message est bien passé, mais ce n’est pas non plus comme s’il m’avait draguée ! Nous n’avons fait qu’échanger sur un tableau et je trouve que ma supérieure dramatise un peu. Sérieusement, comme si Williams pouvait être intéressé par moi ? Non mais laissez-moi rire ! Ce genre d’homme a d’autres chats à fouetter qu’une stagiaire dans son entreprise. On ne joue pas dans la même cour ! D’ailleurs je ne joue pas du tout, je suis sur le banc de touche. Ma libido naissante va devoir patienter et prendre son mal en patience.
Un peu énervée du comportement absurde de Mademoiselle Hunter je retourne m’installer à mon bureau. Quand je pénètre dans la pièce, il est un peu plus de 11h et ni Sarah, ni Noah ne sont présents. Soulagée, je soupire en me calant dans mon fauteuil, je vais pouvoir prendre un peu plus de temps pour me poser et éclaircir mes idées. Encore choquée par les événements précédents et par ma discussion avec Mademoiselle Hunter, je me plonge dans le boulot, faisant le tri dans les mails pour me changer les idées. Je pianote rapidement sur l’ordinateur quand Sarah vient prendre place à son poste de travail.
Au bout d’un moment, je ne peux continuer à ignorer le regard curieux que Sarah pose sur moi. Mon amie attend sûrement que je lui fasse un rapport de la réunion mais là, de suite, j’en suis incapable. Alors je fixe toujours mes rapports et tape frénétiquement sur le clavier comme si elle n’était pas là. C’est vraiment mal la connaître !
— Tu comptes faire semblant de travailler encore longtemps ? C’est bientôt midi et on va aller manger, tu ne pourras pas t’échapper.
— Je ne fais pas semblant, je bosse réellement.
— Ce qui ne t’empêche pas de parler en même temps pour mon plus grand plaisir ! Alors, raconte !
— Raconter quoi ?
— Comment ça s’est passé avec le Big Boss ?
— Taylor a très bien géré et mon travail a semblé leur convenir à tous les deux, dis-je calmement en tournant la tête vers elle.
Elle lève les yeux au ciel avant de me fixer.
— C’est super pour toi poulette, même si je ne doutais absolument pas de la qualité de ton boulot. Tu es rigoureuse et une acharnée donc ça ne pouvait qu’être payant.
— Merci, c’est gentil.
— Bon passons aux choses sérieuses, tu as enfin eu l’occasion de rencontrer Williams. Comment le trouves-tu ?
Et voilà ! Il ne lui a pas fallu longtemps…
— Il est très minutieux et pointu, il a dû lire le prototype du contrat au moins deux fois avant de donner son avis.
— Ok tu es irrécupérable ! Je me fiche de ses qualités professionnelles, je les connais un peu. Enfin ! Tu as des yeux Camille, avoue qu’il est quand même hyper séduisant ?
— C’est bon, tu as gagné, j’avoue qu’il est séduisant et il faudrait être aveugle pour ne pas le voir, dis-je consciente que le terme « séduisant » soit très loin de la vérité et de ce que j’en pense réellement.
— Carrément et cerise sur le gâteau il est célibataire ! fait-elle avec un sourire coquin sur les lèvres.
— Tant mieux pour lui, mais si tu veux mon avis, je pense que c’est tout à fait le genre d’homme à rester célibataire par choix.
— Et alors ? Tu fais exactement pareil que lui.
— C’est différent, marmonné-je.
— Non, je ne crois pas, dit-elle avec sérieux.
— Je n’ai pas tous les hommes de la planète à mes pieds ! dis-je un peu énervée en repensant aux paroles de Mademoiselle Hunter à ce sujet.
L’offre... pas besoin d’un dessin pour comprendre qu’il n’a aucun problème de ce côté-là ! Allez savoir pourquoi, j’éprouve un petit pincement au cœur douloureux et incompréhensible.
— Peut-être pas tous, mais j’en connais un, tout proche, qui attend une ouverture depuis des semaines, s’amuse Sarah en me faisant un clin d’œil puis en me montrant le bureau de Noah d’un signe de tête, juste au cas où je n’aurais pas saisi dès le début.
La discrétion c’est pas son truc !
— Il n’y a rien de bon à mélanger le travail et les sentiments.
— Ah, je vois. Alors on s’est mal comprises toutes les deux car je ne te parle pas de sentiments, ni d’engagement mais de sexe Camille, tu sais ce truc qui devrait être à notre âge une part importante de nos vies, tu vois de quoi je parle ?
Elle ose me parler de ça au boulot ! Non mais sérieux ? Je la mitraille des yeux pour qu’elle parle plus doucement.
— Je me porte très bien Sarah je n’ai pas besoin d’une histoire de… sexe, dis-je en chuchotant presque, tellement gênée.
— Oh mais c’est quoi cette tête ? Serais-tu prude ? demande-t-elle en me regardant d’un air interrogateur.
— Non ! C’est juste que je n’ai pas autant de facilité que toi pour en parler, on est au bureau !
— Si c’est juste ça qui te dérange on peut en discuter un soir dans un bar, mais tu sais, une petite histoire de temps en temps ne fait pas de mal. On est jeunes et on passe notre temps à travailler en oubliant l’essentiel.
— Coucher avec des types ?
— Oui et non, disons simplement s’amuser et profiter un peu de la vie. Depuis quand n’as-tu pas eu une nuit débridée ?
— Euh... ça doit faire bien trois ans ? avoué-je à voix basse.
Sarah me fixe les yeux écarquillés.
— Bordel ! Trois ans ?! Mais... attends, tu n’as rencontré aucun homme en trois ans, rien ? Nada ? Walou ? Même pas un petit baiser ?
— Il y a eu un baiser échangé avec un étudiant de la faculté. On avait validé notre année alors on s’est retrouvé sur une paillote, en bord de mer et on a bu quelques cocktails. A la fin de la soirée, il m’a proposé de me ramener avec deux autres personnes et devant chez moi, il m’a embrassée.
— Et ?
— Et c’est tout. Je n’ai rien ressenti, c’était... je ne sais pas, il n’y a rien à dire.
— D’accord. Le pauvre... au moins il aura tenté le coup.
— Et toi ? Tu as quelqu’un ?
— Depuis que je suis ici je n’ai eu personne, j’ai un blocage ou plutôt je fais une fixette.
— Et elle porte un nom, cette fixette ?
— Tu le sais très bien ! Je suis tellement pathétique Camille ! J’attends patiemment qu’il me remarque et quand son regard se pose sur moi, je deviens une vraie débile !
— C’est normal, il t’impressionne.
— Peut-être, dit-elle en m’adressant un petit sourire et en haussant les épaules.
— Tu sais, je crois qu’au fond on se ressemble toutes les deux.
— Hein ? Ne me dis pas que toi aussi Mathias Castel t’a tapé dans l’œil ? J’ai déjà assez de concurrence comme ça ! bougonne-t-elle en croisant les bras.
Quoi ?!
— Non ! Absolument pas, tu n’as aucun souci à te faire. Ce que je veux dire, c’est que nous sommes prises entre ce que l’on voudrait et ce que l’on peut avoir. On est des romantiques et je pense que cela nous dessert.
— Certainement vu le calme plat de notre vie sentimentale. Si c’était un électrocardiogramme je serais morte depuis longtemps ! dit-elle avec un gros soupir en calant son menton dans sa main, le regard perdu.
— Oui, mais au moins on sait à quoi s’en tenir. Tu as raison Sarah, fais-je en relevant le menton.
— Je sais, mais à quel sujet déjà ?
— On doit s’amuser, on doit vivre pleinement et arrêter de programmer ou de se fermer les portes. Il faut s’ouvrir aux opportunités qui s’offrent à nous, sans pour autant en abuser hein ?!
— Carrément ! Tu proposes quoi ? dit-elle le regard pétillant et le dos droit.
— Aucune idée mais une chose est sûre, on va arrêter de pleurer sur notre sort et sortir un peu ! Il est temps de prendre les choses en mains. On est deux filles canons et sympas alors c’est pas normal d’être seules ! dis-je forte de mes convictions en mode Girl power.
Dans ma tête le titre Wannabe des Spice Girls tourne en boucle et au vu de la tête que fait Sarah, elle est dans le même cas que moi. Sauf que pour elle c’est du Beyoncé à longueur de journée, elle voue un culte à son idole.
— De quoi parlez-vous ? demande Noah qui vient d’arriver.
— De la vie qui est courte et du fait qu’il faut en profiter, répond Sarah en pivotant vers lui.
— C’est bien profond comme discussion, vous philosophez de bon matin.
— Que veux-tu ? On est comme ça nous !
— Vous êtes surprenantes les filles, dit-il en esquissant un sourire.
— Et je le prends comme un compliment, donc merci Noah.
— Mais je t’en prie Sarah, sinon vous n’avez pas un petit creux ? C’est midi, on va manger ? propose-t-il en regardant sa montre qui me paraît bien trop grosse comparée à la finesse de son poignet.
Je remarque aussi qu’elle est vraiment très belle avec son bracelet en cuir et son cadran en or.
— Oui j’ai vraiment faim, tout ça m’a ouvert l’appétit ! déclare Sarah en se levant et en prenant sa veste en jean.
— Par contre je vous préviens ce midi je compte manger de la viande et avoir le ventre plein, j’en ai marre de bouffer des salades de quinoa et des graines. Les graines c’est pour les oiseaux, moi je suis un carnivore j’ai besoin d’un bon steak !
— Je ne mange pas beaucoup de viande, mais je respecte tes besoins d’hommes des cavernes. Alors tu nous emmène où ? déclare Sarah en lui jetant un coup d’œil.
— The grill dans le Midtown East, soi-disant que la nourriture est délicieuse et l’ambiance agréable. Sans compter que c’est un Steakhouse au style old school, tout ce que j’aime.
Je prends mon sac et suis le mouvement. Nous gagnons rapidement en métro le fameux restaurant qui, une fois à l’intérieur, me paraît être plus luxueux qu’un simple Steakhouse comme nous l’a dit Noah. Sarah et moi nous regardons avec clairement en tête la même idée. Réservation obligatoire, on va se faire gentiment raccompagner vers la sortie.
C’est sans compter sur Noah qui d’un sourire et d’un abus de charme auprès de l’hôtesse, nous fait installer au bar. Ce lieu se prête à des repas d’affaires ou des dîners romantiques plutôt qu’à un déjeuner rapide entre midi et deux. Mais bon, nous sommes installés et le barman nous apporte la carte des menus. Noah commande le burger standard avec des frites, tandis que Sarah et moi préférons nous prendre des portions de frites et un club sandwich.
Généralement, le hasard ne fait pas bien les choses en ce qui me concerne et quand le barman nous sert à tous les trois des cocktails sans alcool que nous n’avons pas commandés en désignant une table au fond, derrière nous je reste figée, foudroyée.
— Oh j’y crois pas ! Le Big boss nous offre nos boissons ! C’est super gentil de sa part, déclare Sarah, en levant son cocktail en direction de Williams qui lui répond d’un sourire et d’un signe de tête.
— C’est la moindre des choses, déjà qu’on est sous-payés ! réplique Noah d’un ton acerbe.
Voilà une chose que je déteste chez lui. Ses remarques incessantes et totalement inappropriées voire carrément injustes sur nos patrons. Je ne sais pas quel problème il a avec les personnes qui gagnent bien leur vie, mais il bloque là-dessus depuis que je le connais.
— Ce n’est pas sa faute, c’est ainsi partout c’est la loi Noah. Le jour où tu connais un stagiaire bien payé et qui vit dans le luxe fais-moi signe, rétorque Sarah en souriant avant de prendre une gorgée de sa boisson. Hum... il est trop bon ce cocktail, j’adore les fruits rouges ! Il est à quoi le tien Camille ? demande-t-elle.
— Pèche et abricot, dis-je sans trop d’entrain.
La remarque gratuite de Noah et le fait de savoir Williams juste à quelques mètres m’a mise de mauvaise humeur. J’ai l’impression de sentir le poids de son regard sur moi et je n’aime pas ça.
— C’est vraiment une gentille attention, il n’était pas obligé et je crois que peu de patrons ont cette habitude. En six mois de présence ici, c’est la première fois qu’il a un geste aimable envers nous... bizarre non ? demande-t-elle suspicieuse en me fixant.
Heureusement, Noah est concentré sur son téléphone et tape un message sans s’occuper de nous.
— Quoi ? dis-je en levant les yeux vers elle, fatiguée par ses sous-entendus.
— Rien, je note juste la coïncidence que je trouve troublante. Le jour où tu le rencontres, Williams nous remarque enfin et nous offre une tournée de boisson. Aurais-tu quelque chose à me dire ?
— Je ne vois pas à quoi tu fais allusion et je n’ai rien à t’avouer. Oh regarde nos assiettes arrivent ! dis-je en pointant la serveuse du doigt.
— Ton changement de sujet l’air de rien est pitoyable !
— Peut-être mais ça fonctionne, mange et tais-toi. C’est ça oui... mange ! dis-je d’un ton autoritaire et en souriant pour masquer ma panique.
— C’est quoi ces messes basses ? demande Noah en se fixant sur nous.
— Rien, Sarah à une imagination débordante, c’est tout.
— C’est pas nouveau ! Bon appétit les filles, dit-il en salivant à la vue de son plat.
— Donc, reprend Sarah en mangeant ses frites. Toi et Williams c’est juste le fruit de mon imagination ? murmure-t-elle.
— C’est ça.
— Bien, alors qu’il soit en ce moment même à table avec une jolie blonde ne te fait rien ?
— Absolument rien. C’est mon patron, ni plus, ni moins, dis-je en serrant les dents.
Je me retiens pour ne pas me retourner, je ne suis même pas certaine que ce soit vrai. Connaissant Sarah, il peut s’agir d’un mensonge juste pour tester ma réaction, alors je dois rester calme.
Ne pas se retourner ! Ne pas se retourner !
— C’est trop bon, plus jamais je n’irai manger dans vos cantine verte et écolo, les trucs de babacools c’est juste pas possible ! déclare Noah en s’essuyant la bouche avec une serviette, de la graisse coulant sur ses doigts.
— Ravie pour toi Noah, mais je te rappelle que tu n’es en aucun cas obligé de manger avec nous tous les midis si tu n’en as pas envie, rétorque Sarah.
— Reçu cinq sur cinq, dit-il en mordant dans son hamburger.
— Je vais aux toilettes, dis-je en me levant et en profitant du trajet pour assouvir ma curiosité qui me démange depuis cinq minutes.
Discrètement, je jette un coup d’œil dans la salle du restaurant. Je ne mets pas longtemps à le trouver et mon regard accroche cet homme, détaille chaque muscle qui se tend sous sa chemise blanche. Ses doigts fins qui entourent son verre, et inexorablement ma libido repart au quart de tour. Jusqu’à ce que la femme qui lui fait face se mette à sourire et à lui parler.
C’est qui cette fille ? Blonde, jolie. Ils ne sont que tous les deux, est-ce un dîner romantique ? Un déjeuner professionnel ? Non, je ne pense pas. Quoique ?
Jalouse ? me siffle ma conscience. Non, pas du tout ! Juste curieuse !
Ok peut-être plus que de la curiosité. La situation n’est pas saine et j’ai une ligne de conduite à tenir. Je gagne les toilettes d’un pas rapide et en profite pour me passer un peu d’eau fraîche sur le visage. J’aime mon travail et mes nouveaux amis, j’adore être ici alors je ne dois pas tout foutre en l’air surtout pour un béguin digne d’une gamine de quatorze ans.
A la sortie, perdue dans mes pensées je me cogne contre un roc dur et chaud. Deux mains se placent sur mes bras pour me maintenir, je n’ai pas besoin de lever les yeux pour savoir contre qui je me suis lamentablement heurtée. Son parfum, je le reconnaîtrais n’importe où.
Malgré tout je relève la tête et tombe dans ses prunelles ocres. Il y a un moment de flottement pendant lequel nous ne faisons rien d’autre que nous fixer. Cette tension revient inexorablement entre nous et une forme d’attirance s’installe. Suis-je la seule à la ressentir ?
Son regard perçant me scrute et quand il descend sur mes lèvres je crois vriller. Sa peau directement en contact avec la mienne, me donne la chair de poule. Ses mains chaudes et douces provoquent une sensation de picotement sur mes bras, ma respiration s’accélère et quand son pouce caresse lentement ma peau je suis prête à fondre. Il fait chaud ou c’est moi ?
Bon sang Camille ! Un peu de tenue ! me hurle ma conscience.
— Désolée… je ne vous avais pas vu, dis-je doucement m’éloignant de lui et en m’arrachant de ses bras, le cœur battant à tout rompre.
— Ne vous excusez pas Camille, j’aime bien quand une jolie femme me rentre dedans, répond-il avec un sourire mi-amusé, mi-soucieux.
— Oui, j’imagine que cela doit vous arriver assez souvent, dis-je légèrement agacée.
Et mince ! Les mots sont sortis tous seuls, je n’ai pas réfléchi. C’est pas pro du tout ! Il fronce les sourcils en me regardant.
— Pas tant que ça.
— J’ai du mal à vous croire.
— Pourtant c’est vrai.
— Bien, je dois y retourner mes amis m’attendent, mais merci pour les boissons et bon après-midi, dis-je en le contournant pour m’éloigner de lui.
— Camille.
Le fait qu’il m’appelle par mon prénom, l’entendre le prononcer me rend toute chose mais je ne m’attarde pas dessus. Ce type est ma kryptonite, il me rend faible et débile ! Comme Superman j’en perdrais presque mon invulnérabilité et je n’en ai pas besoin !
— Oui, dis-je en me retournant pour lui faire face.
— Vous ne lui ressemblez pas, à Mat. Il m’a fallu un peu de temps pour faire le lien entre vous ce matin.
— Oh oui, Mathias tient plus du côté de mon père et moi de ma mère, vous n’êtes pas le seul à me le dire. Et puis vous n’auriez pas pu me reconnaître on ne s’est jamais vus.
— C’est vrai, à chaque fois que je venais passer quelques jours dans le sud de la France vous étiez absente. Ou peut-être vous cachiez-vous ?
— C’est possible, j’étais plutôt timide et je préférais rester enfermée dans ma chambre avec mes bouquins.
— Je suis ravi que vous ayez cessé de jouer à cache-cache.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai eu le plaisir de faire votre connaissance.
— Ah... oui, bien sûr. Je suis contente aussi d’avoir enfin vu qui est le meilleur ami de Mat.
— Et moi sa petite sœur. Passez une bonne journée Camille, dit-il en me tournant le dos.
A mon retour, Sarah ne fait aucune remarque sur son absence et la mienne, qu’elle a certainement dû remarquer. Sans doute ressent-elle mon exaspération et ma contrariété, car elle ne me parle presque pas tout le long de la fin du repas ainsi que du trajet retour. Les deux me laissent tranquille tout le reste de la journée.
***
Dans l’après-midi, mon frère m’a envoyé un message. Il est en déplacement et rentrera plus tard que prévu, cela dit, il devrait être là pour le repas du soir. Comme mes talents en cuisine se limitent à faire des pâtes ou des quiches, je décide de prendre des plats à emporter.
Une petite bifurcation s’impose, direction mon traiteur indien favori. Sarah m’a partagé cette bonne adresse et depuis c’est devenu mon traiteur numéro un. J’emporte quelques plats dont les parfums qui parviennent à mes narines ne font qu’accroître mon appétit.
Une fois à l’appartement, je range mon poulet curry masala dans le frigo ainsi que les samoussas, puis prends un peu de temps pour répondre aux emails de mes parents et à celui d’Emeline. Au bout d’un moment, l’envie d’une longue douche bien chaude me pousse à bouger mes fesses. Je mets l’album d’Ed Sheeran à fond les ballons et fonce sous la douche en chantant à pleins poumons. Faux bien sûr mais je suis seule alors c’est pas grave !
En sortant de la cabine de douche, je m’enroule dans une petite serviette éponge blanche. D’un coup de main j’essuie la buée sur le miroir et attrape le sèche-cheveux.
Entre le bruit du sèche-cheveux et Ed Sheeran qui balance son flow sur Don’t, je n’entends pas la porte de l’appartement s’ouvrir. La tête vers le bas pour l’effet décoiffé naturel tant recherché, je chante encore et toujours avec petit bonus s’il vous plaît, une super chorégraphie dont le seul mouvement est de bouger mes pieds tout en trémoussant mon popotin ! Sexytude zéro !
Je relève la tête tout en dégageant mes yeux de ma crinière et c’est là que je le vois. Ethan Williams me fixe, les mains dans les poches, un sourire moqueur sur son visage et ses yeux brillants de malice.
Heure de décès de ma dignité : 19h27 !
