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CHAPITRE 03

Le lendemain, mon réveil est brutal. Mat fait irruption dans ma chambre sans frapper et la musique résonne dans l’appartement. Il a de la chance d’avoir de bons goûts musicaux autrement je l’étriperais. Tout en me redressant, j’enlève quelques mèches de devant mes yeux puis fixe Mat. Appuyé nonchalamment contre le cadran de la porte, ses bras croisés sur le torse, il est vêtu de son bas de jogging gris foncé et d’un débardeur à l’effigie des Yankees.

— Debout marmotte ! Il est 6h30 alors bouge tes fesses et viens déjeuner, un mug rempli de caféine t’attend.

— Mmmmh... J’arrive, pas la peine de m’attendre.

Il secoue la tête en souriant.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? dis-je en plongeant mon regard dans le sien.

Ses yeux pétillent d’amusement.

— Tu as assisté à un concert d’Indochine hier soir ? demande-t-il, son sourire s’étirant davantage sur ses lèvres.

Il se fout de moi... je ne sais pas si cela m’a manqué ou si je suis énervée. Non, à vrai dire je me retiens de rigoler à mon tour, ses petites remarques m’ont réellement manqué même si j’en suis la victime.

— Mes cheveux sont indomptables le matin, un peu comme moi d’ailleurs. Je vais te faire ravaler ton sourire de crétin, tu vas voir, dis-je en attrapant un coussin et en levant mon bras.

Prête à l’attaque !

D’un geste approximatif, je balance l’objet qui passe juste à côté de sa tête d’abruti. Et mince ! Cible ratée ! Il n’en faut pas plus à mon frangin pour répliquer. Il ramasse mon coussin et me le renvoie directement, en plein dans la face. J’esquisse une vague grimace en levant mon majeur dans sa direction. Ce qui le fait éclater de rire. Mes réflexes sont inexistants le matin tant que je n’ai pas eu mon café.

— C’est peine perdue frangipane, je suis trop fort pour toi et sans vouloir me vanter, je suis le meilleur, dit-il avec un sourire arrogant ce qui me fait lever les yeux au ciel d’exaspération.

— En toute humilité bien sûr.

— Bien sûr. Allez debout, je ne me répéterai pas Cam. Je te laisse trente minutes pour te préparer et oui, avant que tu le demandes c’est trente minutes incluant le petit-déjeuner, déclare-t-il en partant en direction du salon.

Tout en râlant comme il se doit, je m’extirpe du lit et traîne mon corps jusqu’à la cuisine. Je pose mon derrière sur un tabouret et quand j’attrape le mug contenant mon café, un sentiment de réconfort m’envahit. C’est l’effet caféine du matin. Impossible d’avaler quoi que ce soit d’autre, mon estomac est noué par le stress. Sans compter que je suis un peu à côté de la plaque, je n’ai eu qu’un seul jour pour récupérer du décalage horaire ainsi que du voyage. C’est pas un mug de café qu’il me faut, posez-moi carrément une intraveineuse !

Tant bien que mal je vais dans la salle bain pour me passer un coup d’eau fraîche sur le visage et me réveiller un peu. Une touche de BB crème pour avoir un joli teint, un peu de rouge à lèvres rose pâle, discret et ça fera l’affaire. J’essaie de discipliner mes cheveux mais ils refusent de coopérer et mon carré long plongeant reste flou, ni frisé ni plat. C’est abstrait comme coiffure mais c’est à la mode. Je l’ai vue sur Lucy Hale l’actrice de Pretty Little Liars. Avant, mes cheveux étaient très longs, légèrement ondulés mais juste avant de partir, j’ai tout coupé. Nouvelle vie, nouvelle Camille !

Une fois prête, un dernier tour dans ma chambre s’impose pour enfiler les vêtements choisis hier. Je m’habille rapidement puis je rejoins mon frère qui m’attend dans le salon. Portable en main, Mat a revêtu son costume d’homme d’affaires qui lui va comme un gant. Quand il sent ma présence dans la pièce, il relève la tête et m’observe quelques secondes.

— C’est bon et si je ne me trompe pas j’ai mis moins de trente minutes, dis-je toute fière en jetant un coup d’œil à ma montre.

— Exact. Tu as vraiment changé Cam. Tu fais plus… femme.

— Peut-être parce que j’en suis une Mat, une femme en chair et en os, répliqué-je en lui souriant.

— Tu seras toujours ma petite sœur pour moi Cam, celle qui volait le maquillage de maman pour faire des dessins sur les murs de sa chambre, ou qui a essayé de teindre notre chinchilla avec de la coloration pour cheveux.

— Ça a presque fonctionné ! dis-je outrée qu’il se remémore ce souvenir pas très glorieux.

— Presque, c’est le mot à retenir. Il a fallu des semaines entières pour que Punky s’en remette. Paix à son âme, dit-il en regardant vers le ciel la main sur le cœur.

Ce côté dramatique... non mais sérieusement, il aurait pu faire du théâtre !

— Heureusement que j’ai mûri alors... remarque qui sait ? Fais bien attention à fermer la porte de ta chambre, je suis certaine que le rose t’irait à ravir ! dis-je en souriant de toutes mes dents.

— Ne t’avise pas à ça Cam, n’oublie pas qui t’héberge. Allons-y c’est l’heure, déclare-t-il en attrapant son attaché-case et les clefs de l’appartement.

Dès que je mets le pied dehors, je suis saisie par le bruit et le monde dans les rues. Rien à voir avec hier ! Mat ne me laisse pas le temps de m’attarder sur ce qui m’entoure, il hausse le bras et hèle un taxi. Le yellow cab s’arrête devant nous et c’est parti, direction la 5ème avenue où se situe l’entreprise. Je suis à la fois impatiente, surexcitée et légèrement paniquée d’être si proche du moment fatidique. Mon tout premier jour de travail. Le début du reste de ma vie ou un truc dans le genre... c’est une sensation étrange mais dans le bon sens.

C’est très stimulant de se lancer de nouveaux objectifs surtout dans une ville aussi dynamique et énergisante. Avec un peu de chance et beaucoup de boulot de ma part, ma supérieure sera satisfaite de moi, ce qui me permettrait par la suite d’intégrer un Master spécialisé. Il faut que je me donne à deux cents pour cent afin d’atteindre mon but.

Le cœur de Manhattan grouille de monde. Cette ville est intense, colorée et en perpétuel mouvement. Au premier coup d’œil, je remarque que la plupart des personnes sont très bien habillées. Les hommes ont pratiquement tous opté pour le duo gagnant costard-cravate tandis que les femmes, elles, ont misé sur les jupes et talons hauts. Le look womanizer semble être à la mode et je me sens incroyablement idiote dans mes vêtements tout simples. Mon style jeune fille de bonne famille me paraît à côté de la plaque, ce qui me démoralise et me fait douter.

Bon, ne paniquons pas ! Je suis compétente et c’est l’essentiel, non ?

En levant la tête, je remarque que les buildings se disputent pour savoir lequel est le plus haut. L’Empire State Building les menace tous l’air de dire « je suis le patron les gars ».

Le soleil éclaire les rues, mes yeux papillonnent de partout, un sentiment de renouveau me saisit. Tout commence ici, à New York. Un frisson d’excitation traverse mon corps et la peur me retourne l’estomac mais je ne me suis jamais sentie aussi vivante !

Le taxi nous dépose. Je sors la première et attends Mat sur le trottoir, devant un grand immeuble, tout en verre. On dirait la planque secrète de la Reine des Neiges. À tout moment, je m’attends à voir sortir une femme qui chanterait Libérée, délivrée ! Mon Dieu, j’ai fait trop de baby-sitting et ce dessin animé m’est monté à la tête !

Concentre-toi Camille bon sang ! me siffle ma conscience.

Mat pose sa main dans mon dos pour me guider jusqu’à l’entrée. Il ouvre la porte, salue l’hôtesse d’accueil d’un furtif signe de tête. Ce simple geste a l’air de la décevoir. Une victime de plus de Mat ! D’après ce que mon frère m’a expliqué, l’immeuble se compose de seize étages. Ces étages sont occupés par quatre entreprises ainsi qu’un magazine. KeepSafe occupe le quinzième et le seizième.

Nous pénétrons dans l’ascenseur sans un mot. Au fur et à mesure de la montée de la cabine, j’essaie de reprendre le contrôle de mon corps. Mes mains sont moites, mes jambes un peu tremblantes. L’excitation a laissé peu à peu place à l’anxiété.

Quand les portes s’ouvrent, je prends une profonde inspiration tandis que Mat me dirige à travers un couloir en saluant quelques personnes. Ça me fait bizarre d’entendre tous les employés lui dire "Bonjour Monsieur Castel ". Il reste aimable tout en imposant son statut de supérieur. Il me regarde à peine, marche devant moi, déterminé, le torse bombé, la tête haute. On sent qu’il est dans son élément.

— Et voilà, nous y sommes. Tout va bien Cam ? demande-t-il d’une voix douce tout en m’examinant. La plaque dorée fixée sur la porte indique que nous sommes devant le bureau de Mme Perry, directrice du service juridique.

— Oui ça va aller. Ne t’inquiète pas, dis-je en me redressant et en enlevant une poussière imaginaire sur ma robe.

— Tu es sûre ? insiste-t-il en me tenant le bras.

— Certaine, tout va bien se passer il n’y a aucune raison que ça foire, affirmé-je en essayant d’avoir l’air hyper confiante.

Honnêtement, je flippe grave ! Mais la partie rationnelle de mon cerveau est là pour me rassurer et puis ma conscience m’ordonne de foncer et de tout déchirer !

Mat frappe à la porte et pénètre dans le bureau. Derrière lui, j’avance en rassemblant toute la confiance que j’ai en moi. D’un tour de tête, j’observe ce qui m’entoure. La pièce est plutôt grande, une fenêtre derrière le bureau laisse passer la lumière du jour. J’ai du mal à voir le visage de ma responsable, le soleil se reflète sur son bureau blanc laqué alors je plisse les yeux pour mieux discerner sa silhouette. Assise sur sa chaise, les yeux braqués sur mon frère, Mme Perry se lève, me permettant ainsi de la voir pleinement. Elle est grande, plus que moi c’est certain, longiligne et sa coupe à la garçonne lui donne un côté strict. Sans parler de ses cheveux noirs et de son teint diaphane, le contraste est saisissant et il renforce la dureté de ses traits.

— Bonjour Monsieur Castel, je présume qu’il s’agit de notre stagiaire Erasmus de France ? déclare-t-elle d’une voix posée, sans aucune émotion, son regard néanmoins braqué sur moi.

Vous avez déjà connu ce sentiment de régression ? Vous savez cet instant où vous avez l’impression d’avoir quinze ans et d’être convoquée chez le CPE après une bêtise ? A ce moment-là, je n’espère qu’une chose, arriver à aligner deux phrases.

— Effectivement, c’est bien elle Isabelle. Comme convenu je vous laisse toutes les deux, j’ai une réunion dans dix minutes. Nous nous reverrons me semble-t-il vers 14h ? répond Mat.

— C’est cela. A tout à l’heure, Monsieur.

Mon frère me sourit furtivement, se retourne et ferme la porte. Me voilà face à ma responsable. Notre première rencontre. Les bras croisés devant moi, je ne bouge pas, un peu mal à l’aise et ne sachant pas quoi faire. D’un signe de la main Mme Perry m’invite à prendre place sur une chaise, face à son bureau.

— Bien, commençons Mademoiselle Imbaud, déclare-t-elle en s’asseyant et en attrapant ce que je crois être mon curriculum vitae que j’avais joint à mon dossier de candidature.

Durant quinze bonnes minutes elle m’explique mon rôle, ce qu’elle attend de moi. Elle teste mes connaissances juridiques sur le droit international. Fière de moi je réponds du tac au tac, et je me félicite intérieurement d’avoir revu mes cours hier. Ma supérieure semble satisfaite et je crois même avoir décelé un petit sourire sur ses lèvres.

Après ce qui me paraît durer une éternité, elle me propose de me faire visiter le service. Nous longeons le couloir jusqu’à un bureau où je rencontre une partie de l’équipe juridique composée de Sarah et Noah, qui sont comme moi de jeunes assistants. La pièce doit faire dans les quinze mètres carrés, de quoi y mettre trois petits bureaux et des armoires de rangements. Juste à côté il y a un autre espace, plus grand qui est réservé aux avocats, nos référents et nos supérieurs directs. Taylor et Christopher sont accueillants, l’un plus que l’autre mais j’essaie de ne pas juger. La première impression n’est pas forcément la bonne. J’apprends que je vais être supervisée par Taylor, la moins avenante des deux. Forcément...

Dix minutes plus tard, je prends place dans ce qui va être mon bureau pendant un an. Je pose mes affaires ainsi que mes fesses sur ma chaise. Tout est dépersonnalisé mais j’ai le temps d’envahir mon espace et de me créer un lieu de travail qui me corresponde.

— Salut, je suis Sarah, bienvenue chez KeepSafe.

— Merci, moi c’est Camille.

— Tu es française non ?

— Oui, c’est si évident que ça ?

— Cet accent... je l’adore, vous avez tout vous les Français, le style, la langue et la bonne bouffe !

— D’après ce que je vois depuis mon arrivée ici, vous n’avez pas grand-chose à nous envier !

— Tout est discutable non ?

— Exact. Tu travailles ici depuis longtemps ?

— Je suis l’assistante de Christopher depuis six mois. Je survis grâce à un taux de caféine élevé dans mon sang et un moral à toute épreuve, déclare ma nouvelle voisine.

Sa voix est douce et son regard émeraude semble aussi amical que son sourire.

— Tu survis ?!? Ne me dis pas que c’est si horrible que ça ? demandé-je intriguée et inquiète.

Elle fait une moue mi-figue mi-raisin, pas sûre d’elle sur ce coup.

— Ça dépend des jours... Parfois c’est génial et à d’autres moments, j’aimerais avoir le pouvoir de me téléporter ailleurs ou posséder une cape d’invisibilité ! Mais dans l’ensemble, je te rassure, c’est surtout un très bon apprentissage, j’apprends beaucoup. Christopher et Taylor sont doués dans leur domaine. Surtout ne lâche rien, persiste toujours, lâche-t-elle le poing serré et l’air déterminé.

— Je suis du genre battante surtout dans ma vie professionnelle, j’ai vraiment envie de réussir. En tout cas, merci du conseil. Je vais travailler pour Taylor, dis-je en allumant mon ordinateur afin d’accéder à mon espace interactif.

Mme Perry m’a donné mes codes de connexion et je dois créer mes mots de passe.

— Taylor peut paraître froide au premier abord, mais c’est juste une façade. Je suis certaine que ça va bien se passer et puis on se soutient entre assistants surtout qu’en ce qui te concerne tu seras en binôme avec Noah, moi je travaille en solo, dit-elle en me montrant du doigt le garçon qui nous a rejointes.

— Salut moi c’est Noah, déclare-t-il en me tendant la main.

Je la saisis et me présente à mon tour.

— Camille.

— Ravie de faire ta connaissance Camille, bienvenue dans l’entreprise. On va bosser ensemble et parfois l’un contre l’autre, ça fait partie du jeu.

— Me voilà prévenue, mais autant te mettre au courant de suite, je déteste perdre, riposté-je en répondant à son défi.

Son visage s’illumine d’excitation, j’ai vraiment la sensation que je suis tombée dans une bonne équipe. C’est agréable d’être aussi bien accueillie.

— Tant mieux, j’ai en horreur la facilité. Avoir un adversaire à sa taille, c’est stimulant. J’espère que tu tiendras le coup ! déclare-t-il en souriant.

— Ne te préoccupe pas de moi, je suis solide.

— Je n’en doute pas !

— Il y a de l’électricité dans l’air les enfants ! déclare Sarah en nous regardant tour à tour.

D’un geste furtif, j’observe Noah qui retourne à son bureau. C’est tout à fait le genre de garçon qui pourrait me plaire mais bien qu’il soit mignon, je ne m’attarde pas plus car il est clair que pour moi, mélanger le pro et le perso, c’est hors de question.

— Cet échange était très instructif. Tu attaques fort Frenchie ! Me lance ma collègue.

— Quand on me cherche, on me trouve.

— Pour le plus grand plaisir de Noah.

— Ce que tu sous-entends n’arrivera pas. Je ne suis pas là pour me trouver un mec ou pour batifoler. Ma priorité c’est le boulot ! dis-je en tournant la tête vers elle.

— C’est ce que tu dis maintenant mais tu sais ce que l’on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Quand tu vas voir nos big boss, ta priorité sera tout autre crois-moi. Deux sex symbol sont à la tête de cette entreprise et bien que Williams soit canon, je craque pour son associé... Mathias Castel est sans conteste mon fantasme numéro un, avec son petit accent français, ses yeux verts et sa musculature de rugbyman.

Super ! Fallait que ma collègue soit une groupie de mon frère et fantasme sur lui.

— C’est ton patron Sarah, sur un plan déontologique je ne suis pas certaine que ce soit autorisé, dis-je faussement indignée.

Finalement, c’est une bonne chose qu’on ait décidé Mathias et moi que j’emprunterai le nom de jeune fille de notre mère. Je ne suis plus Mademoiselle Castel, mais Mademoiselle Imbaud. Très peu de personnes sont au courant du lien de parenté qui nous unit Mat et moi. Je préfère l’anonymat dans cette situation.

— Je sais, je sais. Mais de toute façon il ne se passera jamais rien entre nous, c’est de l’ordre du rêve, de l’inaccessible. Crois-moi, je sais très bien que cela n’arrivera jamais, je suis transparente à ses yeux, déclare-t-elle en tournant la tête et en ouvrant un livre.

Son geste n’est pas assez rapide et je discerne la tristesse qui a voilé son regard. Je m’interroge sur son comportement et je me demande si son soi-disant fantasme, n’est pas plus réel et profond qu’elle ne le dit.

Je décide de ne pas m’attarder sur ce sujet. D’un petit clic j’accède à ma boîte de messagerie et je regarde mes mails. Dis donc, ils n’ont pas tardé, j’ai déjà un boulot colossal qui m’attend !

Allez ! Au travail ma grande !

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