Chapitre 4: MA MEILLEURE AMIE
Je ne m’attendais pas à le croiser seul.
C’était un hasard. Un de ces soirs où l’on sort pour s’aérer l’esprit et où le destin, parfois cruel, décide de nous placer face à ce qu’on essaie d’éviter.
Il était là, à la terrasse d’un bar, un verre à moitié vide devant lui, l’air pensif. Il m’a vu en premier. Et il a souri.
— Hey, t’as deux minutes ?
Je me suis figé un instant. J’ai hésité. Puis j’ai avancé. On ne fuit pas une guerre qu’on ne déclare jamais.
Je me suis assis face à lui. Pas d’agressivité. Juste… une fatigue invisible entre nous deux.
— Emma n’est pas là ? ai-je demandé.
— Non. Elle voit une copine. Je crois qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un d’autre. D’un peu d’air.
Il a bu une gorgée, puis m’a regardé.
— Elle parle souvent de toi, tu sais.
Je n’ai rien répondu. Parce que je ne savais pas si c’était censé me rassurer ou me faire plus mal.
Il a continué.
— Au début, je pensais que t’étais un ex, ou un futur. Pas juste un “meilleur ami”.
J’ai haussé les sourcils.
— C’est ce que je suis.
— Peut-être. Mais faut être honnête : y’a un truc entre vous. Et je suis pas idiot.
Il a posé son verre.
— J’vois comment tu la regardes. Et j’vois comment elle t’écoute. Elle rit pas pareil avec toi. C’est plus… vrai. Plus brut.
J’ai croisé les bras. Défensif, malgré moi.
— Et alors ? Tu veux que je m’éloigne ? Que je disparaisse ?
Il a souri. Un sourire triste.
— Non. Parce que je pense que t’as été là dans des moments où moi, je pourrais jamais comprendre. Et que quelque part, elle t’aime. Peut-être pas comme tu voudrais… mais elle t’aime.
Cette phrase m’a frappé de plein fouet. Parce que c’était la première fois que quelqu’un mettait des mots sur ce que je taisais depuis des années.
Adam s’est redressé.
— Je suis pas venu te défier. Ni t’accuser. Juste… je veux pas être un connard de plus dans sa vie. Elle mérite mieux. Alors je préfère qu’on soit honnêtes. Tous les deux.
J’ai regardé ce type, là, en face de moi. Ce type que j’aurais aimé haïr. Mais il était sincère. Sûr de lui. Et quelque part, respectable.
— Tu sais ce qui me fait peur ? ai-je dit doucement.
Il a attendu.
— C’est pas que tu sois meilleur que moi. C’est qu’elle s’en rende compte.
Un silence. Chargé. Puis il a acquiescé, lentement.
— Moi aussi, j’ai peur de ça.
On a fini nos verres en silence. Pas d’ennemis. Pas d’amis non plus.
Juste deux hommes, liés par la même femme, chacun tenant une partie de son cœur… mais un seul qui la serre contre lui la nuit.
Le serveur est passé une deuxième fois. Adam a commandé deux autres verres sans même demander mon avis. Un whisky pour lui, un gin pour moi. Il savait.
— Tu la connais depuis combien de temps ? m’a-t-il demandé, les yeux rivés sur la rue.
— Depuis qu’on a treize ans, j’ai répondu.
Il a souri, doucement.
— Alors t’as vu tous les mecs avant moi.
J’ai hoché la tête. Et dans ma mémoire, ils sont tous revenus comme une armée invisible. Des visages, des prénoms, des déceptions. J’étais là à chaque chute, à chaque larme, à chaque fois où elle disait : “Cette fois, c’est fini.”
Et moi, j’étais toujours là. Le pansement silencieux. Le retour au calme.
— Tu crois que je vais lui faire du mal, moi aussi ? a-t-il murmuré, presque pour lui.
Je l’ai regardé. Longuement. Il semblait sincère. Pas parfait. Pas invincible. Mais pas mauvais.
— Je crois que tu pourrais, sans le vouloir. Parce que t’as ce truc que les autres avaient pas : elle commence à te croire.
Il a posé son verre, pensif.
— Et toi ? T’as jamais tenté ta chance ? Jamais eu le courage de lui dire ?
J’ai souri, amer.
— Si. Plein de fois. Mais toujours… deux secondes trop tard. Toujours quand elle venait de tomber amoureuse d’un autre. Ou quand elle me disait : “Heureusement que toi, tu seras jamais ce genre de mec.”
Il a acquiescé. On ne se battait pas. On se reconnaissait.
Puis il a dit, doucement :
— J’ai peur qu’elle te garde dans un coin de son cœur où je pourrai jamais entrer.
Et là, j’ai répondu sans réfléchir :
— Elle me garde pas. Elle m’oublie juste assez pour croire qu’elle ne m’aime pas.
Il n’a rien dit. Il a juste bu.
Le silence est tombé entre nous, pesant mais pas agressif. Un silence d’hommes qui savent qu’ils ne gagneront pas. Qu’il n’y aura pas de victoire. Juste un choix. Et qu’aucun d’eux ne le contrôle vraiment.
Quand on s’est levés, il m’a tendu la main. Je l’ai serrée. Ni rival, ni frère. Juste… les deux faces d’une même pièce.
Il a souri, sans joie.
— Bonne nuit.
— Bonne chance, ai-je répondu.
Parce qu’au fond, il allait en avoir besoin.
Parce qu’au fond, j’espérais encore qu’elle choisisse celui qui l’aimait en silence depuis toujours.
Moi.
*A SUIVRE...*
