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Chapitre 3: MA MEILLEURE AMIE

Elle m’appelle moins souvent. Quand je propose de passer la voir, elle me répond “pas ce soir, je suis avec Adam”. Et quand elle me voit, son téléphone ne la quitte plus.

Je deviens spectateur de sa joie. Et c’est cruel à dire, mais ça me fait mal. Parce que cette joie, elle n’est plus pour moi. Elle a changé de direction.

— Tu te rends compte qu’il m’a cuisiné hier soir ? Genre un vrai dîner, avec des bougies et tout. Il m’a même préparé une playlist avec mes chansons préférées.

Elle me racontait ça les yeux brillants, assise en face de moi au café où on allait depuis des années. Mais pour la première fois, je m’y sentais étranger. Comme si j’avais été remplacé sans préavis.

— Il est parfait, tu crois pas ?

Je ne savais pas quoi répondre. Bien sûr qu’il avait l’air parfait. Et c’était bien ça, le problème.

— Tant qu’il te rend heureuse, c’est tout ce qui compte, j’ai murmuré.

Elle m’a souri, sincèrement. Elle a pris ma main une seconde sur la table, ce genre de geste familier qui m’aurait autrefois réchauffé. Mais cette fois… j’ai senti le froid.

Parce que sa main n’était plus vraiment là. Son cœur non plus.

Et moi, je commençais à me demander… combien de temps il me restait avant qu’elle m’oublie un peu plus chaque jour.

Elle ne le disait pas, mais ça se voyait dans ses yeux. Cette façon qu’elle avait de sourire quand elle recevait un message. Ce petit réflexe de verrouiller son téléphone d’un geste rapide, comme pour préserver quelque chose de sacré, d’intime.

Adam était en train de devenir le premier. Le premier qu’elle appelait quand elle avait une bonne nouvelle. Le premier à qui elle écrivait avant de se coucher. Le premier à qui elle parlait de son futur.

Et moi, j’étais doucement repoussé vers l’arrière-plan.

Ce n’était pas brutal. C’était insidieux.

Elle continuait à m’envoyer des photos de son chat, à me raconter ses journées… mais ses phrases étaient plus courtes. Moins habitées. Il y avait des silences là où avant il y avait des rires.

Un soir, elle m’a proposé de la rejoindre pour un verre. « Juste toi et moi, comme avant », elle avait écrit. Je m’y suis accroché comme à une bouée.

Quand je suis arrivé, elle était déjà là. Belle, évidemment. Naturelle. Le genre de beauté qui ne cherche pas à plaire, mais qui le fait sans effort.

— Tu bois quoi ? a-t-elle demandé en se levant à moitié.

— Surprise-moi, j’ai répondu. Elle a souri. Ça l’amusait toujours, ce genre de défi.

Elle est revenue avec deux verres, s’est installée en face de moi. Pendant quelques instants, c’était comme avant. On a ri. On a parlé musique, boulot, souvenirs. Elle s’est même moquée d’Adam, gentiment.

— Il est trop carré parfois. Genre, il planifie des moments "spontanés". Qui fait ça ?

Je ris, parce que j’espère que dans ce rire-là, il y a un doute. Un flottement. Une hésitation.

Puis elle a baissé la voix.

— Tu crois que je vais le gâcher, lui aussi ? Comme les autres ?

Je l’ai regardée, surpris.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Parce qu’il est différent. Il est bien. Et j’ai peur. Chaque fois que je commence à tenir à quelqu’un, je me sabote.

Elle ne savait pas qu’elle m’avait déjà sabordé, moi, sans même le voir.

— Tu mérites d’être heureuse, Emma. Et si c’est lui qui te rend heureuse… alors fonce.

Elle m’a regardé avec tendresse.

— T’es trop sage pour ton âge, toi. Tu devrais être un vieux philosophe, assis au bord d’un lac avec une pipe.

— Je suis surtout un type qui t’aime depuis toujours et qui n’a jamais trouvé le courage de te le dire.

Mais cette phrase-là, je ne l’ai pas dite. Je l’ai gardée pour moi, une fois de plus. En la regardant, je me suis demandé : combien de fois on peut taire l’évidence avant qu’elle disparaisse pour de bon ?

Elle s’est levée à la fin du verre.

— Adam passe me chercher. Tu veux que je te dépose quelque part avant ?

J’ai secoué la tête.

— Non, je vais marcher un peu. Prendre l’air.

Elle m’a serré dans ses bras, fort, sincèrement.

— Merci d’être toi.

Et je suis resté là, seul dans ce bar qui vidait ses clients comme elle vidait, lentement, mon cœur de tout ce qui faisait "nous".

Ce soir-là, je suis rentré chez moi avec un nœud dans la gorge.

J’ai ouvert notre vieille conversation, celle où elle m’envoyait des photos de ses plats ratés, des selfies avec ses grimaces, des “je passe te prendre dans 10” ou des “viens, j’ai besoin de toi”.

Je faisais encore partie de sa vie, oui. Mais plus comme avant. Plus comme le premier réflexe. J’étais devenu le retour arrière.

Je suis tombé sur un vieux message. Elle me disait :

"Si un jour je me perds, promets-moi de venir me chercher. Même si je t’envoie balader. Même si je fais semblant d’aller bien."

J’ai gardé l’écran allumé un moment. Je ne savais plus si elle était perdue… ou si c’était moi.

Le lendemain, je ne l’ai pas vue. Ni celui d’après. Elle m’a juste envoyé un message court :

"Désolée, j’ai été un peu débordée cette semaine. Adam m’a emmenée à la mer. C’était parfait."

Parfait.

Ce mot-là m’a transpercé.

J’ai tapé une réponse. Effacé. Retapé. Re-effacé.

Puis, dans un élan que je n’ai même pas compris moi-même, je lui ai écrit un message que je n’ai jamais eu le courage d’envoyer :

> "Tu sais, parfois j’aimerais que tu m’aimes un peu moins comme un refuge, et un peu plus comme une évidence.

Que tu me regardes comme tu le regardes, lui.

Je ne suis peut-être pas parfait, Emma. Mais je suis là. Je l’ai toujours été."

Je l’ai relu. Je l’ai gardé dans mes brouillons. Parce que je savais que si je l’envoyais, quelque chose se briserait pour de bon.

Et peut-être que j’étais pas prêt à perdre, même l’illusion.

À ce moment-là, j’ai compris : l’amour en silence, c’est comme crier dans une pièce vide. T’as beau hurler, personne n’entend.

Mais toi, tu continues à crier. Parce que t’as que ça.

*À SUIVRE...*

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