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CHAPITRE 18

Je commençai à pleurer en trombe. Des larmes me coulaient telles des vagues. Au cours de ces pleurs, je me mis à me demander si j’étais réellement de cette maudite famille dont je portais le patronyme. Ou bien j’étais plutôt ramassée sur un tas d’ordure ou carrément si j’étais adoptée ? Pourquoi étais-je la seule à endurer tout ce calvaire ? Pourquoi pas ma sœur ni mon frère ? À ces questions, j’eus lasse de vivre. Pour une deuxième fois de ma vie, rendre l’âme et quitter la vie me plut. Eh oui ! La mort ne me faisait plus peur.

Brusquement, ma tante pénétra la petite cour et m’aperçut en pleines larmes. Elle constata que je pleurais et ne lavais pas les assiettes comme cela se devait. Si seulement j’avais entendu le crépitement de ses pas, je romprais mes larmes et me contenterais à la vaisselle.

Certes, elle fut venue en douce afin de me surprendre dans mon action.

– Tu pleures ? C’est parce que tu n’as encore rien vu ! Tu ne sais même pas encore ce qui t’attend. Je vais te redresser comme une brindille de balai. Espèce de fille sans scrupule.

Seigneur Jésus, qu’ai-je fait pour mériter toutes ces brimades ; toutes ces souffrances ; toutes ces menaces et tortures ? Voilà on veut me redresser telle une brindille de balai ; si seulement la souffrance ne tue pas et que ce sont juste des leçons qu’elle lègue, alors je te prends au témoin. Ce me sera juste un peu difficile à supporter mais je m’en sortirai un jour, me promis-je intérieurement, l’air confus.

Je me calmai et me remis à la tâche. Malgré les milles peines qu’endurais-je, je n’eus jamais songé m’enfuir de cette maison car, quoique je fusse dans mon septième et bientôt huitième mois de séjours dans cette ville, je ne maîtrisais encore aucun lieu hormis le seul itinéraire menant au marché et puis celui du restaurant pour la maison. Excepté tout cela, je n’allais nulle part. Même les dimanches, je n’allais pas aux cultes pendant que toutes les filles de ma tante, bien endimanchées, s’y rendaient.

***

Ma grossesse avait fini par se faire démasquer. Elle se faisait de plus en plus apparente. Mon habilité n’était plus comme celle d’au début. Peu de navettes, je me fatiguais car, que je le voulusse ou non, jamais je ne me rendais au supermarché à moto. J’étais d’ailleurs la domestique de la maison. Même le repas qu’allaient consommer les trois grandes filles, c’était moi qui le préparais. Les trois filles ne faisaient rien dans la maison que de se doucher et d’accrocher leur sac au dos et de prendre le chemin de leur école. Je me demandais même parfois si elles avaient un père. Puisque depuis que je sois venue dans la maison, je n’ai jamais vu personne se comporter tel leur daron. Je me demandais aussi parfois si ma tante n’avait pas très souvent envie de voir son mari puisque le mien me manquait affreusement. Mais chacun avait sa manière de regarder le soleil.

***

Aujourd’hui, c’est samedi. Et comme à la routine, je devrais normalement me réveiller à la première heure bien avant ma tante. Mais à défaut des tracasseries de la veille et du poids que prenait mon ventre de jour en jour, j’étais complètement harassée et surmenée. Oui, il s’agissait d’une terrible fatigue. Pourtant, il était déjà l’heure à laquelle il me fallait aller activer le feu à la cuisine. Mais la fatigue me dominait jusqu’au point où j’étais incapable de me lever de ma natte. J’essayais de prendre autorité sur cette fatigue mais je n’y arrivais pas. J’avais commencé à demander le secours du Père Céleste qui, même dans mes moments les plus difficiles, ne m’abandonnait jamais.

Aujourd’hui-là, j’avais atrocement mal au niveau du bas-ventre. Je ne pouvais imaginer une seconde d’où me venait cette fortuite douleur inespérée.

Par à coup, je commençai à entendre quelqu’un cogner à la porte. Malgré le silence du tambourineur, je devinais déjà moi-même celui ou celle qu’il pourrait s’agir. Et d’un air las, je me résignai et lui lançai :

– Tante, je ne peux pas me lever.

– Que me raconte-t-elle ce beau matin ? engueula la cogneuse, derrière la porte.

– Tante, je ne peux pas me…

– Va-t-elle se taire et venir m’ouvrir la porte avant que je ne commence à brûler de colère ?

– Tante, je suis sérieuse… je suis en train de…de… saigner, lamentais-je.

– Ne te fous pas de moi ce matin, d’accord ? Et il est bien temps que tu arrêtes tes simagrées avant que…

– Oh tante, le sang est en train de me couler des entrailles, l’interrompis-je.

– Et si tu saignes, où se trouve mon problème dedans ?

Cette idiote pouvait facilement commettre un crime.

– Tante, je veux mourir… ma respiration est en train de rater… aidez-moi !

Ce fut au cours de cette phrase que la harpie se retourna subrepticement dans sa chambre et revint quelques minutes plus tard avec une autre clef qu’elle introduisit dans la serrure pour défoncer la porte.

À sa grande surprise, elle me vit effectivement dans un bain de sang : je saignais vraiment. Je baignais dans un lac de sang.

Mais d’où me venait en réalité ce sang ? Je n’en avais aucune idée. Mon nouvel état me faisait peur et en faisait également peur à ma tutrice qui ressortit à la flèche. Elle revint quelques minutes plus tôt avec Vivien, l’homme de tous les matins qui venait lui transporter ses produits au restaurant. Pendant tout ce temps, je grimaçais de douleurs.

À l’arrivée du chauffeur, je fus immédiatement embarquée de toute urgence.

***

Les aides-soignants, sans perdre le temps, m’accueillirent dans leur salle d’hospitalisation. Voyant mon état, ceux-ci me conduisirent directement à la salle d’accouchement et m’exposèrent sur une large table.

Je les voyais aller de gauche vers la droite et la peur me tourmentait. Parce que quand j’étais encore petite et que je ne connaissais encore rien des réalités de la vie, j’avais peur de l’accouchement. Puisque je me demandais comment il pourrait être possible que l’on garde un gros objet dans son ventre et qu’au jour de sa libération, ce soit par cette petite matrice qu’il soit sorti.

Sur ce lit, j’avais peur ! Peur parce que je ne savais pas ce que voulaient me faire ces aides-soignants qui allaient et revenaient.

Mes jambes étaient devenues molles et flexibles. J’étais déséquilibrée. C’était ce jour-là que j’avais compris que nos mères étaient des êtres courageux et qui méritaient beaucoup de félicitations. Oui, elles sont à acclamer. Elles sont très courageuses et sont plus que des amazones. Donner naissance à un enfant qui, plus tard, leur manquera du respect n’était pas chose facile. C’est en ce jour que je déduisis que ces enfants qui manquaient du respect à leur mère ne verront du bonheur que lorsqu’ils se repentiront.

Mon cœur battait. Un moment après, je commençai par crier parce que je sentais quelque chose bouger dans mes entrailles surtout au niveau de la hanche.

Étendue sur la table, je voyais un autre monde ; un monde obscur malgré la luminosité des lampes électriques qui illuminait la pièce. Sur cette table, je me voyais entre la vie et la mort. Au bout de quelques minutes, trois hommes vinrent à mon secours avec des lunettes accrochées sur le nez.

Qui étaient-ce ? S’agissait-il des demi-dieux qui faisaient sortir les enfants des lieux obscurs des femmes accoucheuses ?

Malgré la douleur qui m’anéantissait, j’observais les scénarii au plus clair. Je voulais être témoin de tout ce qui allait se passer et comment ces hommes allaient commencer leur travail.

Lorsqu’ils finirent de bien s’apprêter, ils m’approchèrent et commencèrent leur prestation. Au bout de quelques minutes, j’entendis un des hommes habillés en blouse me dire : ‹‹oui, essaie de pousser un peu… oui, pousse un peu encore… il vient déjà…pousse un peu plus… oui, vas-y comme ça… ne t’arrête pas, pousse.››

Mais que devrais-je pousser en réalité ? Quelle était encore cette histoire de « pousse un peu » dont j’étais sujette ? Était-ce une brique ? Ou était-ce une porte ?

Dans mon agonie, je me posais des questions qui n’auraient jamais ni de sens ni de réponse. Je criais « ouille ».

Au moment où ces messieurs se nourrissaient de leur histoire de « pousse un peu », je lâchais des cris perçants puisque j’étais au bout des douleurs.

Enfin ! J’entendis le cri d’un bébé. Je me rendis compte que c’était mon bébé qui était sur le point de voir le jour et c’était pour son arrivée au monde que les docteurs me demandaient sans cesse de faire un petit effort afin qu’il puisse sortir de la jungle sain et sauf.

Après la naissance de cet enfant cadeau, il me vint systématiquement à l’esprit l’image de ce joli garçon avec qui j’avais eu à faire mon premier amour. Sur-le-champ, je me mis à pleurer. Je me demandais tristement là où il pourrait être en ce moment où le fruit de notre amour naissait.

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