CHAPITRE 17
Par à coup, je me souvins du Collège d’Enseignement Général de Malanhoui, cette belle école qui m’avait accueillie depuis ma sixième jusqu’en troisième. Je commençai par imaginer l’atmosphère dans laquelle serait cette école. Involontairement, des larmes commencèrent à me rouler le long des joues. Je voulus cacher ces gouttes de larmes mais je n’y arrivais pas. C’était trop difficile pour moi à supporter une telle défiance.
Ne sachant pas que ma tante me surveillait de près, j’entendis tout à coup :
– Et à quoi servent cette fois ces maudites larmes que tu coules ?
Déprimée et abattue, je baissai la tête et commençai par la secouer à maintes reprises. Jamais, je n’avais cessé de regretter mes actes.
– Tu n’as encore rien vu, m’ajouta-t-elle sèchement.
Peu importe ce que me fera-t-elle subir, elle avait raison. S’il y avait peut-être quelqu’un à accuser, ne seront-ce que mes parents et non cette démone. Non, pas mes parents ! Mais plutôt mon destin parce qu’il a toujours été maître de nos situations, aussi belles qu’elles en soient.
***
Je me sentais si seule au monde et si impuissante devant la vie. La solitude, elle était presque devenue mon attitude, ma compagne et une fatalité obligatoire de ma vie.
Plus les jours passaient, plus je me couchais tard et me réveillais tôt.
À peine venais-je de faire trois semaines. Ma tante et un de ses clients avaient finalement commencé à planifier un complot entre eux. Bien qu’étant indifférente, je le soupçonnais.
Depuis trois jours environs, je pressentais une trame entre ma tante et un de ses clients. Mais je jurais bon gré de ne pas en parler et je gardais mon silence que de dire quelque chose qui me coûterait encore des paires de gifle desquelles je serais encore l’objet.
Aujourd’hui, lorsque nous finîmes à peine de vendre les repas, ma tante m’interpella. J’abandonnai rapidement la table de laquelle je rangeais les assiettes et me dirigeai à son adresse.
– Grâce, tu suivras ce monsieur ; il te remettra un colis que tu m’apporteras à la maison ; me dit-elle.
De quel colis s’agissait-il en effet ? Je me tus et me conformai à l’obligation. C’était d’ailleurs mon seul devoir : la déférence et l’obéissance.
L’homme me sourit, croyant avoir déjà gagné le jeu. Je fis mine à son sourire qui ne m’égayait même pas. Il démarra le moteur de l’engin et me remorqua jusqu’à une agglomération un peu distancée de notre point de vente.
La maison où me conduisit l’homme était sans clôture. Arrivés sous un manguier qui faisait face à l’unique maisonnette construite sur une petite parcelle, l’homme coupa le moteur, gara la vieille motocyclette et s’avança vers la porte de la chambre. Lorsqu’il tourna deux fois la clef dans la serrure, la porte s’ouvrit et il se tourna à mon adresse et me demanda de venir.
Moi, venir ? Pour quoi faire ? me demandai-je tout bas. Pour me défendre, je lui lançai à mon tour :
– Et pour venir faire quoi ?
– Ne sois pas idiote, voyons ! me dit-il découragé.
– Je préfère être idiote que de venir près de toi, lui susurrai-je en colère.
– Tu sais à qui tu parles ?
Agacée, je lui ripostai :
– Qui es-tu, toi ? Je sais bien que tu es un vieillard ! Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je préfère rester loin de toi que de t’approcher ! Si ça te tente, apporte le colis ici. Au cas échéant, garde ça pour toi.
Stupéfait, l’homme commença à secouer la tête. Il était surpris. Son plan avait certainement échoué. Et ne trouvant plus de prétexte, il me dit :
– Si c’est ça, alors va-t’en de chez moi ; me gronda-t-il, courroucé.
– T’ai-je dit que je ne vais pas m’en aller ? Ou t’ai-je dit que je ne reconnaîtrai pas le chemin de la maison ?
Or, pour dire vrai, je ne connaissais aucun chemin. Je ne maîtrisais nulle part à Parakou. C’était juste mon plan pour le tromper. Et pour lui faire croire que j’étais sérieuse, je pris une direction inconnue. L’acolyte de ma tante prit peur et au lieu de me laisser lui créer d’ennuis plus tard, il me rattrapa avec sa vilaine moto.
– Allez ! monte, petite insolente.
Qui voulait-il bluffer ? Moi ? Il a sûrement perdu la vue.
En tout cas, insolente ou pas, ma décision était prise et rien ne pouvait la contredire. Mais bien que je jouais au rôle d’actrice chez l’inconnu, j’imaginais les coups qui m’attendaient et me guettaient une fois que je serais de retour chez ma tante. Ah ouais ! j’étais certaine et très sûre que l’imbécile allait tout raconter à ma tante dès qu’on serait de retour.
Quelques minutes plus tôt, nous arrivâmes à la piaule. Mon cœur battait à se rompre. Oui, ça battait fort et très fort. J’avais trop peur. Mais ce qui me réjouissait de tout était le fait que j’étais arrivée à me tirer du jeu.
– Soyez les bienvenus ! s’exclama ma tante avec des sourires aux lèvres. Tout s’est bien passé j’espère ?!
Était-ce sa prière ? Elle n’a sûrement rien compris. Qui allait se négliger ? Peut-être ses filles mais en tout cas pas moi.
– Ta fille, commença le don juan ; c’est aujourd’hui que j’ai compris qu’elle était la première et la plus gradée des filles les plus impolies du monde.
Hum ? Quelle cachotterie !
Ses paroles modifièrent aussitôt l’émotion de ma tante et elle devint furieuse. Elle détourna son visage de l’adresse de son associé et commença à me fixer de ses grands yeux. Elle me regardait de ses gros yeux rouges on dirait loup-garou.
– De quelles sortes d’injures ne m’a-t-elle pas traité aujourd’hui, cette fille que tu vois ? continua le connard ; peut-être de celles qui lui ont échappé l’esprit. Elle m’injuriait tellement comme si j’étais son enfant ou son frère benjamin.
Le type m’agaçait de ses bassesses. Ma tante ne pouvait qu’y croire. Aussitôt, ma tante fut furieusement atteinte par ces expressions mensongères et commença par me loucher.
Que signifiait ce regard incisif lequel me fusillait cette dame ? Était-ce pour me faire peur ? Ou était-ce pour me prévenir de ce qui m’attendait dans les brèves minutes ?
L’idiot, après son cancan, se tut et se mit à rire clandestinement. Ses simagrées m’exaspéraient. Je commençai par avoir peur. Mon cœur se serrait davantage.
– Est-ce vrai ce que raconte le monsieur ? me demanda ma tante d’une voix acide.
Je ne pouvais pas détacher mes lèvres l’une de l’autre. Apeurée, je reculai d’un pas. Elle continua à nouveau, toujours avec la voix aigre :
– Est-il ton égal ? Ou bien vous êtes nés la même année ? Emmène-toi ici !
À cette recommandation, je ne mus point.
– N’est-ce pas à toi que je m’adresse ou bien tu veux que je vienne moi-même te chercher ? me criait l’énervée.
Fiévreusement, j’avançai et m’approchai de celle-ci qui attrapa subitement à l’assaut mes deux oreilles. Elle se jeta ensuite sur moi et m’allongea trois baffes. Et pour finir, elle m’attrapa les oreilles qu’elle pinça comme d’habitude.
Je commençai par voir circuler au-dessus de ma tête, une myriade d’étoiles se faufiler. Oh, la vie ! Elle n’est que de la merde.
En vérité, j’étais un peu allergique aux gifles. Les gifles étaient mes totems. Même mes parents en savaient quelque chose et peu importe combien ils étaient absorbés de colère, ils m’en épargnaient. J’aimais qu’on me frappe sur le corps que de m’appliquer des gifles.
L’imbécile, debout les bras croisés et sourires aux lèvres, était content. Il était heureux de me voir punir par ces fameux coups répétés. Pas sûr que ce connard verrait le paradis après sa mort, il irait en enfer si vraiment ce lieu était fait pour les mythomanes.
Je pleurai pendant une bonne minute. Et après mes pleurs, que pouvais-je d’autre ? Nada ! Quelle force avais-je d’autre que de me calmer et de prendre ma passion à l’épaule ?
Sur ce, je me tus et me dirigeai vers la porte de la chambre principale. Et lorsque je fus sur le point de pousser la porte, j’entendis derrière moi : « Où va-t-elle même ? »
Je m’arrêtai brusquement et me retournai sur la pointe des pieds.
– Me voici, tante, dis-je d’une voix chagrinée.
– Regardez-moi ça, vilaine fille ! Va directement dans l’arrière-cour et commence à me laver les assiettes.
À ses ordres, je disparus des lieux, les laissant discuter d’un thème dont j’ignorais l’importance.
***
Dans cette arrière-cour, je commençai à me souvenir de mon vécu ; des souffrances endurées de ma naissance jusqu’à ce présent où rien n’avait jamais changé ou au contraire, c’était du pire. Je me souvenais particulièrement de celles endurées lors des corrections perçues de mes deux oncles et de mes deux parents. Je me rappelais surtout de ce liquide que ces derniers m’eurent versé dans les plaies après m’avoir bien labouré le corps avec ces lanières indescriptibles et innommables.
