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CHAPITRE 19

En ce moment précis où les larmes s’échappaient péniblement de mes pauvres paupières telle une marée, un des agents hospitaliers eut pitié de moi, m’approcha dans le lit et me demanda d’une voix triste :

– Jeune femme, pourquoi tu pleures ? Qu’y-a-t-il ? Pourquoi à peine après avoir accouché, au lieu de sourire pour la venue au monde de cet ange, tu pleures ?

Abattue et terrorisée, je lui répondis :

– La vie m’a tant bien que mal enseigné beaucoup de choses, Docteur.

– « Nul n’est à l’abri des vicissitudes de la vie » disait Amadou KONE dans son ouvrage Les Frasques d’Ebinto. Dans la vie, il faut s’adapter à la souffrance parce qu’elle est mère de la sûreté.

Ah ouais, ce docteur avait bien raison. Ces phrases qu’il venait d’aligner l’une après l’autre m’allaient beaucoup droit au cœur et me nourrissaient d’espoir même si je n’avais plus l’envie de vivre.

– Et qu’est-ce qui te pousse à asserter une telle hypothèse, jeune femme ? me demanda l’homme, sourcils froncés.

Triste et inquiète, je lui répondis :

– C’est parce que j’ai trop souffert, Docteur. Je n’ai jamais plu à personne. Et de pire, je pressens que ces souffrances ne se sont pas encore atténuées.

Je me tus sans plus ajouter mot.

– Je t’écoute, jeune femme.

– De toute ma vie, je n’ai jamais eu le sourire aux lèvres comme les jeunes filles de mon âge ; je n’ai jamais eu la joie non plus. On dirait que je suis née avec tous les maux de ce monde. J’ai toujours été un problème pour tous. Que ce soient à mes propres parents comme à toute autre personne, j’ai toujours été mal vue. Personne ne m’a jamais aimée de toute ma vie. Je suis sans importance aux yeux de tout le monde.

Le docteur, emballé de tristesse, se mit à se nettoyer les yeux avec une pochette qu’il sortit de sa poche. Jamais de la vie, je ne pouvais imaginer que mon histoire ferait couler des larmes à un homme qui ne me connaissait ni d’Adam ni d’Ève. Au commencement, je n’y croyais pas. Mais puisque mon histoire était autant pathétique que misérable et touchante, je voyais le monsieur compatir à ma douleur.

– Ma chérie, je voudrais que tu saches que « ceux qui vivent sont ceux qui luttent. » Prends ton courage en main. Mais je suis très touché par tes paroles. Mais tu sais, il ne faut pas t’en faire, ce sont les méandres de la vie.

– Merci Docteur, merci pour le soutien et pour le moral, merci infiniment de vos conseils.

– Ne t’inquiète pas ! Ce ne sont que des épreuves de la vie. Nous sommes à la bataille dans cette vie. Et sache qu’un jour, tu seras la gagnante de cette bataille, sois en sûre. Et une chose : sache que derrière le rideau du triomphe, se cache une myriade de pénuries ; c’est la loi de la nature. Sois donc sûre que tu seras la gagnante du jeu peu importe le temps que ça va coûter.

La gagnante ? Ça me fera beaucoup plaisir !

– Merci Docteur, merci infiniment.

Ce docteur me semblait trop gentil. Il n’était pas de la même race que mes parents. À présent, il était temps que je sache le sexe de mon enfant.

– S’il vous plaît Docteur, lançai-je à l’adresse du monsieur qui ne cessait de me regarder, de quel sexe est mon bébé s’il vous plaît ?

– Ton bébé ? Il doit être une fille, répondit-il.

– Que Dieu soit loué ! maugréai-je, toute contente. Puis-je la voir s’il vous plaît ?

– Si ! Mais tu vas devoir bien attendre un peu parce qu’elle est à la pédiatrie. Elle est sous traitement.

– D’accord, merci monsieur.

– Ne t’inquiète pas, elle te sera ramenée dans quelques minutes, conclut le docteur en s’esquivant.

– Merci et à très bientôt.

C’était après le départ de l’homme en blouse que je me rappelai de ma pauvre tante. Oserait-elle m’abandonner dans cet hôpital pour vaquer à son hobby ? Et d’ailleurs, elle en était bien capable.

Trente minutes après, je fus conduite dans une salle où on y comptait une cinquantaine de nouvelles femmes mères. J’eus envie d’uriner et alors, je descendis du lit et me dirigeai vers la porte.

Mais surprise ! Je vis une silhouette qui, même de loin, j’en déduisis le portrait. Ne pouvant pas croire tout de suite à ma vision, je me mis à me frotter les yeux, me croyant dans un monde d’imagination.

« Mais, est-ce un rêve ? », me suis-je profondément demandé, l’air à la fois heureux et malheureux.

Non, ça ne pouvait jamais être lui, me suis-je reproché dans mes idées.

Malgré la fatigue qui me submergeait, je fis l’effort à aller voir qui était vraiment cette personne en tenue bohumba, assise le long de ce banc réservé aux visiteurs.

Du lointain, je ne détachai point le machin du regard. Je m’avançai vers cet homme qui me stupéfiait aussi tant. Est-ce vraiment Bruno ? Pas vrai ! Comment saurait-il que je vivais à Parakou, dans cette grande ville ? Et même s’il le savait, comment pourrait-il savoir que je me retrouvais actuellement dans un hôpital ?

Des interrogations de stupéfaction me passaient une à une à l’esprit. Mais je compris après tout que tout était grâce pour des personnes simples, naïves et humbles que j’étais.

Je m’approchai du visiteur : c’était belle et bien Bruno ; ce mec le plus beau des mecs du monde entier.

Bruno, depuis tous ces instants, ne m’avait pas encore vue puisqu’il avait la tête baissée où on dirait qu’il était pensif.

Ne m’ayant pas vue venir, sursauta lorsque je toussotai, lui faisant savoir la présence de quelqu’un à la hauteur de sa tête. Il leva brusquement la tête. Pris de joie, il se leva de son siège puis d’un élan, s’accourut à mon encontre.

Sans honte malgré la présence de l’assistance qui nous embrassait de regards hostiles, il me souleva et me serra fort contre sa poitrine. En même temps, il commença à me chatouiller de gros câlins.

Oui, de tendres câlins ; ces baisers qui m’avaient autant manquée. Il était bien temps que je revive ce beau moment, ce moment d’amour. Je ne résistai pas à l’envie de me laisser embrasser. Le père de mon nouveau-né me serra une fois encore contre sa poitrine. Il humait mon odeur et moi aussi, j’humais la sienne. Jamais je n’avais l’envie de me détacher de lui parce que les baisers étaient trop forts, trop chics et très agréables.

Scotché à ma poitrine, des perles de larmes se mirent à s’échapper de ses yeux aussitôt sans cesse. Ses larmes, sur-le-champ, provoquèrent les miennes et moi-même en personne, je ne parvins pas à retenir les miennes. Je me mis à pleurer fort et très fort telle une personne privée d’une grande grâce. Je pleurais très fort telle une enfant qui venait à peine de perdre sa mère ou son père. On râlait, mon amoureux et moi. On piaulait : c’était l’affection.

Mais pourquoi cette tristesse au lieu de la joie ? Qu’est-ce qui était à l’origine de ces larmes fatidiques ? Tout compte fait, la réponse était inexplicable.

Mon visage, enfoui dans le creux de son épaule, je lui chuchotai à mi-voix :

– Pourquoi pleures-tu, chéri ?

Bruno se décolla légèrement de ma poitrine afin de bien me regarder droit dans les yeux. Jamais de la vie, je ne pouvais croire que mon homme oserait couler des larmes pour moi devant une foule. Moi, je m’en étais déjà habitué puisque j’avais toujours été traitée telle une brebis galeuse.

– Chéri, mais pourquoi tu pleures ? lui demandai-je à nouveau, affectée.

– Mes larmes n’éprouvent que de la détresse, ma chérie.

Ah oui, de toute ma vie, c’était ma première chance d’être appelée « chérie. » Alors, même si tout le monde me détestait et me haïssait, au moins je tenais à une personne.

J’étais très contente lorsque tout de suite, j’entendis mon beau gars me dire :

– Regarde… regarde combien tu as dépéri. Dis-moi, on ne te donne pas à manger là où tu es ?

À cette interrogation, je baissai la tête car, cette interrogation me rappela une fois encore mes peines et souffrances depuis mon arrivée sur le territoire du royaume Akpaki KOBOUROU.

En vérité, depuis ma venue à Parakou, je ne mangeais pratiquement que deux fois par jour. Je prenais mon repas matinal parfois à treize heures ou à quatorze heures et celui du soir était complètement pris aux environs de vingt-trois heures après les derniers travaux domestiques. Ce souper que prenaient mes cousines à vingt heures, le mien était programmé pour vingt-trois heures.

Que devrais-je répondre à cette question aussi réflexive que simple à répondre ? Dois-je lui dire que j’étais traitée telle une fille ramassée dans la brousse ? Je ne sus point quoi lui répondre exactement.

– Bruno, tu as fait une très belle remarque et je pense que tu as raison de m’avoir posé cette question. Mais bien avant que je ne te réponde, je voudrais mettre ton attention sur certaines choses : tu vois, Bruno, si je continue à t’aimer, sache que c’est parce que c’est toi l’homme que j’ai choisi pour ma vie et que tu comptes beaucoup pour moi. Tu comptes beaucoup pour moi que mes propres parents. Et tu sais quoi, je ne vais jamais souffrir au nom d’un homme et l’abandonner plus tard à cause d’une quelconque mésintelligence. Regarde-moi bien dans les yeux. Je suis prête à me sacrifier pour toi que de t’abandonner, Bruno. Mon amour pour toi, jamais ne tarira. Je t’aimerai toujours. Je peux même vendre ce que j’ai de plus cher pour te décrocher la lune. Et tu sais quoi ? Même si les circonstances m’obligeaient à passer mille ans ici à Parakou, ne crois jamais que je te tromperai. Épargne-moi de l’espèce des femmes que tu connais : je te serai toujours fidèle. Tu es le père de ma fille qui vient de naître. C’est de la même sorte que tu en seras père de mes autres futurs enfants. Tu m’as vue dépérir et cela t’a choqué au point où des larmes t’ont coulé : c’est bien notre histoire idyllique. En dépit de tout, je t’aime. Je suis déterminée à subir ces peines corporelles jusqu’à notre aménagement. Je ne te quitterai jamais et tu sais pourquoi ? Parce que je t’aime. Je t’aime et n’aimerai que toi, toi seul.

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