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CHAPITRE 15

Décollés de la gare de Cotonou à sept heures pile le matin, nous arrivâmes à Parakou à la tombée de la nuit à défaut de l’embouteillage immanquable dont la plupart des véhicules avaient été les objets.

La ville de Parakou encore appelée Cité des Princes Kobourou affichait effectivement l’aspect dont avait parlé Vanessa, ma copine. La ville ne présentait aucun aspect rustique.

Parakou, comme reconnu sur le plan national, était la troisième grande ville du Bénin après Cotonou et Porto-Novo. Il est reconnu comme ville la plus grande du Nord et dont la préfecture est le Département du Borgou.

Dans cette nuit noire, les lumières ressemblaient, avec leurs multiples couleurs, à un arc-en-ciel. La circulation était abondamment dense et les automobiles étaient obligées de rouler pare-chocs contre pare-chocs.

Du wagon, je mis pied à terre comme les autres passagers. Et soudain, je n’eus même pas encore bougé les pas lorsque par inadvertance, je vis une dame s’approcher de moi. Elle était d’un certain âge ; d’une corpulence similaire à un kapokier ; visage raid avec une cicatrice sur la joue droite ; tête coiffée d’une perruque. Elle était en général d’un teint café.

Lorsqu’elle arriva à ma hauteur, elle me scruta le visage et, malgré la nuit noire, elle me reconnut et me demanda :

– N’est-ce pas toi Grâce VODOUNON ?

Ébahie, je me mis à la regarder obséquieusement. Elle me paraissait étrange. Ce fut après quelques secondes d’observations que je me souvins enfin qu’elle nous eût récemment rendu visite pendant les vacances dernières. C’était sûrement celle chez qui m’avait envoyée mon père. Je lui répondis « si, c’est moi ; bonsoir. »

– Ok, je suis ta tante, celle chez qui on t’a envoyée. Nous n’allons plus attendre ; charge ta valise et suis-moi ; m’ordonna-t-elle sans me souhaiter la bienvenue ni comment avait été le voyage.

Calmement, je pris ma valise que je posai sur la tête. Machinalement, je me mis à la suite de ma prétendante tante. Elle et moi marchâmes pendant une vingtaine de minutes. Sa maison était à quelques pas de la gare routière. J’étais affreusement fatiguée et saoulais en marchant. J’écoutais mon estomac gargouillé parce que je n’avais rien mangé d’agréable depuis le matin en dehors des deux biscuits que j’avais achetés. Des cinq cents francs que m’avait remis mon père, je n’avais bouffé que cent francs parce que je n’avais pas l’appétit. Je voyais les gens manger toutes sortes de mets dans le bus alors que moi j’avais la nausée.

Enfin, nous arrivâmes à la devanture d’un grand immeuble. Malgré l’encre noire de la nuit, la luminosité de la lune qui était faible me permit de voir combien le mur de l’immeuble était carrelé du haut jusqu’en bas. C’était une maison à trois étages, bien bâtie.

Sans plus tarder, ma tante poussa le battant et nous pénétrâmes la cour. Cette cour, admirablement belle, était faite de pavés. Même pas une partie non-carrelée.

Dans l’angle droit, à quelques mètres du puits, étaient garées deux grosses voitures de luxe. Les lampes étaient allumées un peu partout on dirait Petit Paris. Dans le ciel, une myriade d’épars. Sûrement qu’une ondée s’apprêtait.

Lentement, je continuai toujours à suivre ma devancière. Elle m’emmena jusqu’à une porte et la poussa d’un coup.

– Descends ta valise ici, m’indiqua-t-elle de son index.

Sans mot, je déposai ma valise comme consigné.

– Maintenant, allons à la cuisine ; m’ordonna-t-elle.

Ah oui, il me fallait de la bouffe ! Une bonne pitance. J’obtempérai sans crainte. Je fus conduite dans une arrière-cour.

– Bien, as-tu vu ces assiettes ? Elles sont sales. Tu vas donc me les mettre rapidement au propre.

Je fus soudainement époustouflée et hypnotisée. Je secouai la tête de la gauche vers la droite. Je me croyais en train de rêver tant que la réalité me paraissait irréelle.

En fait, je secouais la tête parce que même si j’étais une nouvelle domestique, il devrait avoir une manière de m’accueillir et non de celle-là. Après douze heures de trajet et m’accueillir de cette façon ? C’est être méchant ça. J’étais hyper surmenée.

Impuissante et convulsée, une goutte de larme involontaire me perla la joue gauche. Les larmes, en même temps, voulaient commencer à se faire remarquer mais rapidement je les maîtrisai.

À contrecœur, je me mis à savonner l’éponge. Lentement, je commençai à frotter petit à petit les assiettes à l’éponge.

– Sont-ce mes assiettes que tu traites de cette manière ? me cria la dame de toute sa voix.

Mon Dieu, est-ce à comprendre que je suis tombée d’un cocotier pour me retrouver au fond d’un puits d’eau ?

Je pris à nouveau peur. Et ne pouvant pas supporter aussi tôt cette barbarie, je m’éclatai en larmes. Je commençai à pleurer silencieusement. C’était mon heure de repentance. Il était temps que je regrette mon acte. Je commençai à le regretter avec grande amertume.

En lavant ces maudites assiettes, les mêmes illusions, ces images de flagellation du jour dernier commencèrent par s’exploser dans mon esprit. C’est très misérable d’être sans secouriste dans sa vie.

Trente minutes après, je finis le travail mais en pleurs. Je m’approchai de ma nouvelle tutrice et lui dis que j’ai fini.

– Si tu as fini, alors viens m’aider à frire rapidement le reste de ces viandes, me dit-elle sans même un merci.

Et parce que la vie ne m’a appris que la déférence, je l’aidai ensuite à faire tous les autres travaux : frire le reste des viandes et poissons.

À la fin de tous les travaux, elle m’invita à la suivre. Ce que je fis sans contestation. Elle s’arrêta plus tard devant une porte et me dit :

– Ben, ici, c’est ta chambre. C’est ici ta couche ; ta chambre personnelle. Mais bien avant que tu n’ailles au lit, suis-moi pour que je te serve ton dîner.

Je suivis la dame jusqu’à l’entrée d’un salon où était allumée une télévision écran plasma. Le salon était diamétralement vaste et était garni de jolis meubles avec des appareils électroniques installés çà et là. La pièce était bellement décorée et elle dégageait une senteur bien agréable.

Dans les divans installés dans l’édifice, étaient assises trois jeunes filles qui suivaient un film à la télévision.

Au chevet du guéridon sur lequel étaient posés le poste téléviseur et quelques autres appareils, se trouvait une horloge accrochée. Je jetai un coup d’œil sur le tableau de la pendule murale et y lus zéro heure. J’entendis aussitôt une des jeunes filles demander : « Maman, est-ce elle la nouvelle domestique ? ».

– Ah oui ! s’exclama la dame ; mais elle est non seulement une domestique mais aussi votre cousine.

Bien qu’étant pincée par une forte colère, je ne bronchai aucun mot. Cette fille avait mille fois raison. Si je n’avais goûté à cette merde de fruit, je ne me retrouverais pas telle une traînée parmi elles où elle se mettrait à poser cette stupide question à sa présumée mère. Mes parents avaient quant à eux aussi raison ; si je n’avais pas commis un tel crime, ce n’était pas sûr que je sois dans un tel ravin. Je serais encore parmi mes camarades à l’école en train d’étudier. Ce faisant, au lieu de leur jeter le tort, je me culpabilisais plutôt.

En effet, je pris mon mal en patience et pris le repas des mains de la dame et me retournai dans la chambre que m’avait-elle indiquée.

Dans cette chambre, pas grand-chose. Il y avait juste une natte, une sale natte en plastique. Moi qui m’étais habituée à m’endormir sur une couchette, me voilà enfin en face d’une pauvre natte, d’une vieille natte d’ailleurs.

Contre qui me révolter ? C’est contre moi-même ! Oui, je dois me révolter contre moi-même.

La vie, elle est vraiment faite de différentes couleurs comme nous le disait l’un de nos professeurs. Tantôt, elle se déguise en une couleur blanche qui évoque de l’espoir ; tantôt rouge qui n’inflige que des douleurs.

Étant déjà en face des péripéties de la vie, je me calmai et étalai ma natte, celle qui sera dorénavant à l’accueil de mon petit corps. Je m’y installai au bord et commençai par manger à petit coup mon repas bien que je n’avais pas l’appétit.

Après avoir mangé cette igname pilée accompagnée de la sauce d’arachide que m’avait servies ma tutrice, je m’allongeai sur la natte sans faire mes dernières ablutions auxquelles je m’en étais déjà habitué. J’avais bien envie de me dégager des saletés de la journée mais je n’avais aucune idée de la localisation de la salle de bain.

Je fus cependant obligée de m’étirer sur ma pauvre natte. Je me couchai sur le dos, regard fixé sur le plafond. Engourdie, les souvenirs se mirent à affluer dans ma mémoire. En primo, je me souvins de Bruno et surtout de son beau visage et son joli sourire. Secundo, mes copines de classe dont Vanessa en l’occurence. Tercio, je vis l’image du professeur Josué, ce maudit. Et ce furent les images de mes oncles qui vinrent mettre fin à mes souvenirs. Je les revoyais avec à la main, leurs longues chicottes qui leur avaient servi de correction en ce jour fameux.

Plongée dans ce passé presqu’inoubliable, le sommeil finit par m’absorber sans que je ne m’y rende compte.

***

Le lendemain de mon arrivée à Parakou.

La chambre qui m’est destinée faisait corps avec la cuisine. Ce matin de lueur-là, j’entendais depuis la chambre qui était désormais mienne, des bruits percutants qui retentissaient sur la porte : oui, il y avait quelqu’un qui toquait.

Je me réveillai en sursaut et scrutai tout mon entourage qui me paraissait tout nouveau. Je me croyais en rêve mais sans plus tarder, je me rappelai que je n’étais plus avec mes parents mais plutôt à Parakou. Je baissai la tête et laissai couler une larme. La deuxième voulait tomber sur ma jambe lorsque tout à coup, les coups reprirent de plus beau. Je fus obligée de rompre ma tristesse et de me lever pour aller voir qui était à la porte. Je m’avançai vers la porte et l’ouvris. Derrière celle-ci, s’impatientait ma tantine.

Mais à cette heure-ci, que voulait-elle me dire pendant que l’on n’entendait que le réveille-matin des coqs, annonçant peut-être quatre heures du matin ? Je gardai subreptice mon silence et lui murmurai avec révérence : « Bon…bonjour madame. »

– Que…que viens-tu de dire ? me demanda-t-elle d’un ton bizarre.

Dans la vie, c’est quand l’on fait face aux vraies réalités qu’il se rend compte que la vie n’est pas ce qu’il imaginait.

Je fus ébahie et perdis le moral.

– Tu sais, écoute-moi bien, reprit-elle, que ça te soit la première et la dernière fois que je t’entende m’appeler madame. Est-ce que c’est clair ?

J’acquiesçai de la tête.

– Bien, rejoins-moi vite à la cuisine.

Dieu de miséricorde ! A la cuisine ? À quelle heure ? Environ cinq heures du matin ? Mes parents étaient sévères me disais-je ; je me retrouvais enfin en face d’une vraie sévérité.

Comme me le chantait mon cœur, il est vraiment temps que je regrette mon abomination. Mes parents étaient méchants imaginais-je. C’était maintenant que je faisais face à la vraie méchanceté de l’être humain.

Bien que je somnolasse encore, je suivis ma patronne jusqu’à la cuisine. En même temps, nous commençâmes les préparations. Celles-ci durèrent environ quatre heures de temps sans repos.

À la fin de la cuisine, une voiture de transport vint quelques minutes après empaqueter les mets cuisinés pour une destination dont j’ignorais le titre. Une fois les glacières embarquées dans la voiture, ma tante me dit en haussant le ton :

– Va rapidement te rincer les pieds pour qu’on monte dans le véhicule.

Oh, quel baratin abscons !

« Moi Grâce, ne pas me doucher tout au moins et me rincer tout simplement les pieds pour aller où ? Jamais de la vie », articulais-je tout bas.   

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