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Entre les lignes

Le temps semblait s’être suspendu dans cette bulle de papier et d’encre.

John et Anna continuaient à écrire, parfois dans un silence profond, parfois en échangeant un regard complice, un sourire discret. Il y avait quelque chose d’apaisant dans ce rituel naissant, une routine qui, bien qu’inattendue, trouvait naturellement sa place dans leurs journées.

John leva un instant les yeux vers Anna. Une mèche de cheveux s’était échappée derrière son oreille, tombant légèrement sur son front. Elle ne semblait pas s’en soucier, totalement absorbée par ce qu’elle écrivait.

Il se surprit à penser qu’il aimait cette image.

Qu’il aimait ce moment.

Anna releva soudain la tête et croisa son regard.

— Tu me regardes souvent, ces derniers temps.

John cligna des yeux, pris au dépourvu.

— Ah… Je…

Elle sourit, amusée par sa réaction.

— C’est une observation, pas un reproche.

Il passa une main dans ses cheveux, un peu embarrassé.

— Désolé.

— Pourquoi tu t’excuses ? demanda-t-elle doucement.

Il n’avait pas de réponse immédiate. Peut-être parce qu’il n’était pas habitué à ce genre de moments, à cette attention qu’on lui portait sans attente ni jugement.

Anna reposa son stylo et l’observa avec cette intensité discrète qu’il commençait à bien connaître.

— Tu penses trop.

— Je sais.

— Et si, pour une fois, tu laissais juste les choses être ?

Il la regarda, intrigué.

Elle sourit légèrement et tendit la main vers son carnet.

— Échangeons nos pages. Juste un instant.

John sentit son cœur accélérer.

Partager un extrait à voix haute était une chose. Mais lui confier ses pages sans filtre, sans contrôle… c’était une autre étape.

Il hésita.

Puis, lentement, il détacha une feuille, la plia et la tendit à Anna.

Elle fit de même.

Ils échangèrent leurs écrits en silence, et John baissa les yeux sur la page d’Anna.

Elle avait écrit sur les hasards de la vie. Sur ces rencontres qui arrivent sans qu’on les attende, mais qui finissent par devenir essentielles.

Et au fil des lignes, il eut l’étrange sensation qu’elle parlait d’eux.

Quand il releva les yeux, Anna lisait toujours son texte.

Elle sourit doucement et tapota la feuille du bout des doigts.

— Tu as écrit sur la lumière.

John hocha la tête.

Elle pencha légèrement la tête.

— C’est moi, cette lumière ?

Il sentit son souffle se bloquer un instant.

Elle ne le quittait pas des yeux, mais elle ne le mettait pas non plus au pied du mur. Elle lui laissait le choix de répondre.

Il serra légèrement son stylo, inspira profondément.

Et sans vraiment réfléchir, il répondit :

— Oui.

Anna ne dit rien tout de suite.

Mais son sourire s’élargit légèrement.

Puis elle reprit son carnet, et, comme si de rien n’était, elle traça quelques mots sur la page.

John n’avait pas besoin de les lire pour comprendre que quelque chose venait de changer entre eux.

Quelque chose de subtil.

Quelque chose d’inévitable.

Et pour la première fois depuis longtemps, il n’avait pas peur.

Le lendemain, John sentit quelque chose de différent lorsqu’il entra dans le café.

Ce n’était pas le lieu qui avait changé, ni même l’agitation familière des clients et du personnel. C’était en lui que la différence s’opérait, quelque chose d’indéfinissable mais bien présent.

Comme si un verrou qu’il ne savait même pas exister venait de céder.

Il repéra Anna presque aussitôt. Assise à leur table habituelle, elle griffonnait dans son carnet, une tasse de thé fumante à côté d’elle. Dès qu’elle leva la tête et croisa son regard, un sourire s’esquissa sur ses lèvres. Un sourire simple, naturel, mais qui lui fit ressentir une chaleur étrange dans la poitrine.

— Salut.

— Salut.

John s’assit en face d’elle, et sans un mot, il sortit son propre carnet. Ils n’avaient pas besoin d’expliquer quoi que ce soit. Leur rendez-vous d’écriture n’était plus une coïncidence ni un simple essai. C’était devenu un rituel.

Il y eut un moment de silence, puis Anna, d’un geste nonchalant, fit tourner son stylo entre ses doigts.

— Hier, j’ai beaucoup réfléchi à ce que tu as écrit.

John releva la tête, intrigué.

— À propos de la lumière ?

Elle hocha la tête.

— C’est étrange, tu sais. On passe tellement de temps à chercher ce qui nous éclaire qu’on ne réalise pas toujours quand c’est déjà là, tout près.

John resta silencieux.

Elle ne le regardait pas en disant cela. Son regard s’était perdu vers la fenêtre, observant la rue avec cette intensité songeuse qui lui était propre.

Il se demanda alors ce qu’Anna cherchait vraiment dans ses mots.

Et s’il était prêt à lui donner cette réponse.

— Et toi ? demanda-t-il finalement. Où trouves-tu ta lumière ?

Elle eut un petit rire, presque surpris, et secoua la tête.

— Bonne question.

Puis, après une courte pause :

— Peut-être ici. Avec toi.

John sentit un frisson imperceptible le traverser.

Elle l’avait dit d’un ton léger, sans attente particulière, mais ces mots le touchèrent plus qu’ils n’auraient dû.

Anna baissa les yeux vers son carnet et, après un instant d’hésitation, elle le poussa doucement vers lui.

— Lis.

Il fixa le carnet, puis elle, incertain.

— Tu es sûre ?

— Oui.

Il ouvrit la page.

Son écriture était fine et élégante, un peu inclinée, comme si chaque lettre portait un fragment de sa pensée.

Elle avait écrit sur la peur de se dévoiler. Sur cette sensation d’être un livre à moitié ouvert, jamais totalement lisible. Sur l’envie d’être comprise sans avoir à tout dire.

Et, entre les lignes, il sentit une vérité qui résonnait étrangement avec la sienne.

Lorsqu’il releva les yeux vers elle, il comprit qu’Anna n’attendait pas qu’il commente. Elle voulait juste qu’il sache.

Alors, au lieu de parler, il posa doucement son carnet devant elle.

Anna eut un sourire presque imperceptible et ouvrit la première page.

Ils ne dirent rien pendant un long moment, plongés dans l’univers de l’autre.

Et dans ce silence, quelque chose d’invisible continuait de se tisser entre eux.

Quelque chose de fragile.

Mais d’essentiel.

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