chapitre 5
Chapitre 5
Le café était presque vide quand elle arriva. Un léger parfum de vanille flottait dans l’air, et il n’y avait que quelques tables occupées. L’ambiance dégageait une tranquillité qu’elle n’avait plus connue depuis trop longtemps. Elle aperçut Nathan à une table près de la fenêtre, assis sans affectation, comme si ce n’était qu’un endroit comme un autre pour discuter, pour parler, sans le poids d’attentes ou de masques. Elle s’installa en face de lui, et il lui sourit simplement, sans gestes superflus, sans cette fausse prévenance qu’elle avait tant rencontrée par le passé.
“Alors, comment ça va ?” demanda-t-il.
Un simple « comment ça va », mais il l’avait dit d’une manière qui la fit s’interroger. Quelque chose dans sa voix, dans ses yeux, qui faisait qu’elle n’avait pas besoin de cacher la vérité. C’était aussi étrange que libérateur. Elle se coucha dans l’instant, dans cette sincérité qu’elle n’avait plus connue depuis des années.
“Je vais bien, mieux,” répondit-elle en haussant les épaules. “Je me rends juste compte de combien je me suis perdue.”
Elle le regarda attentivement, cherchant à déchiffrer ses réactions. Il n’avait pas l’air d’être étonné. Pas une once de jugement. Juste une oreille attentive, prête à entendre. Ça n’arrivait plus, depuis longtemps. Que des gens comme lui lui offrent ce genre de liberté.
“Perdue ?” Il prit une gorgée de son café, comme s’il prenait son temps pour réfléchir avant de répondre. “Perdue comment ?”
Elle resta silencieuse quelques secondes. Les mots s’emmêlaient, ou plutôt ne voulaient pas sortir. C’était le genre de vérité qu’elle avait trop longtemps ignorée. Mais Nathan ne la pressait pas. Il attendait.
“Je ne sais même pas comment j’ai pu en arriver là. Mon mariage… c’était un piège. Et je me suis laissée y enfermer, jusqu’à ce que j’étouffe. Je croyais… je croyais que ça finirait par être… quelque chose de mieux, mais il n’y avait rien à sauver.”
Elle le regarda droit dans les yeux, comme si tout le poids de cette confession se déposait enfin dans l’air entre eux.
“Tu crois que ça pourrait être différent, maintenant ?” demanda-t-il sans détour.
Elle rit. Un rire presque amer. Un petit rire nerveux qui la fit se sentir vulnérable.
“Tu veux dire, tout recommencer ?” Elle secoua la tête. “C’est un peu trop pour moi, non ? Je suis à peine capable de… reprendre le contrôle sur ma propre vie, après avoir été aussi aveugle. J’ai passé des années à me mentir. À me dire que ça irait. Mais je savais au fond de moi que ce n’était pas la vérité.”
Elle marqua une pause. Ses doigts jouaient avec la tasse devant elle, mais son regard restait fixé sur Nathan. La sincérité de l’instant, de ce café où tout semblait simple, la frappait de plein fouet. Il était là, sans faux-semblants, sans chercher à obtenir quoi que ce soit. Juste pour être là, pour l’écouter. Un véritable soulagement.
“Tu n’avais pas à t’en vouloir pour ça,” dit-il, comme une évidence. “Parfois, les gens se trouvent dans des situations dont ils ne savent même pas comment sortir. C’est comme une illusion, jusqu’à ce qu’ils réalisent que ça ne peut plus durer.”
Elle hocha la tête, impressionnée par sa clarté. C’était ce qu’elle avait toujours voulu entendre, mais jamais elle ne l’avait entendu de la part de ceux qui l’entouraient. Tous ces faux conseils, ces faux soutiens. Mais lui, Nathan, il n’était pas là pour lui dire qu’elle avait fait des erreurs. Il était là pour lui dire qu’elle avait le droit d’être humaine, d’avoir des failles.
Elle sourit enfin, sincèrement cette fois. Un sourire qui n’était pas contrit, ni triste. Un sourire libéré. Il y avait quelque chose d’étrange dans l’air, comme un avant-goût de la suite. Quelque chose d’inédit. Quelque chose qui la faisait se sentir entière.
“Merci,” dit-elle, les mots quittant ses lèvres avec une franchise qu’elle ne s’était pas autorisée depuis trop longtemps.
“C’est moi qui devrais te remercier,” répondit-il, un éclat d’amusement dans les yeux. “On se rend parfois service sans même s’en rendre compte.”
Leurs regards se croisèrent, et quelque chose changea alors. Un petit frisson de compréhension. Ils n’étaient pas seulement deux personnes en train de parler, deux âmes perdues dans une mer d’indifférence. Non. Il y avait cette évidence. Une complicité qu’elle n’avait pas vue venir.
Avant qu’elle ne puisse ajouter quoi que ce soit, un murmure envahit la pièce. Le bruit des conversations à la table voisine se figea, et Sophie tourna la tête sans trop y prêter attention. Mais elle entendit son prénom. Elle tourna la tête encore une fois. Cette fois-ci, elle reconnut la voix. Une voix familière. Une voix qu’elle aurait voulu ne plus jamais entendre.
Un des membres du cercle mondain. Un visage qui appartenait au passé, un ancien ami de Gabriel. Il la regardait de loin, presque d’une manière trop insidieuse pour qu’elle puisse l’ignorer. Elle eut un instant de panique. Il n’y avait pas de doute. Il savait. Il savait pour le divorce. Il savait pour tout.
Et c’était à cet instant que Sophie comprit qu’elle avait oublié l’essentiel. Que sa vie privée ne lui appartenait plus depuis longtemps. Que tout ce qui la concernait finirait par se retrouver étalé dans les rumeurs. Parce que tout, dans ce milieu, se savait. Elle baissa les yeux sur sa tasse. Nathan suivit son regard, sans poser de questions.
“C’est rien,” dit-elle finalement, secouant la tête. Elle chercha à retrouver sa contenance, mais il y avait quelque chose de brisé dans sa voix. “Juste des rumeurs. De vieilles histoires.”
Nathan ne répondit pas. Il savait. Il avait vu. Mais il ne chercha pas à s’attarder sur le sujet. Il se contenta de lui sourire, et dans ce sourire, il y avait la promesse d’un futur simple, sans drame, sans fard. Rien de ce qu’elle avait vécu jusque-là.
“Tu veux partir d’ici ?” demanda-t-il, comme si tout ça n’avait pas d’importance.
Sophie haussait les épaules, son regard toujours plongé dans la tasse devant elle. Elle n’avait pas encore la force de regarder ce monde extérieur qu’elle avait fuie.
“Je crois qu’on a plus de choses à dire,” murmura-t-elle, presque pour elle-même.
Ils se levèrent tous les deux. Nathan posa de l’argent sur la table sans un mot, puis, avant de sortir, il lui lança un dernier regard. Ce regard, elle savait ce qu’il signifiait. Elle n’était pas seule. Pas tout à fait.
Et même si la rumeur allait se répandre comme une traînée de poudre, ce n’était plus vraiment sa préoccupation. Parce qu’elle commençait à comprendre une chose : peu importait ce que les autres pensaient. Ce qui comptait, c’était ce qu’elle était prête à faire pour elle-même.
Le reste ne la concernait plus.
