chapitre 3
Chapitre 3
Les papiers étaient étalés sur la table. Sophie ne les regardait même plus. Elle avait passé des heures à lire et relire ces mots, cette formalité qui allait marquer la fin de son mariage, de sa vie d’avant. Ce n’était pas un soulagement, c’était un simple constat : tout cela faisait partie d’un enchaînement qu’elle ne pouvait plus ignorer. Elle avait franchi le pas. Le divorce. Une déchirure qui ne laissait plus de place aux faux espoirs. Plus de compromis. Plus de fuites en avant.
Elle prit la plume, son poignet un peu raide, le geste mécanique. Le dossier. Le verdict. Ce qu’il en resterait. Elle n’avait plus de patience. Pas pour ça. La fin de cette histoire était écrite. Il n’y avait plus de place pour les regrets.
Le téléphone vibra sur la table. Sophie jeta un œil distrait. Un message de Claire, son ancienne collègue de bureau. Elle cliqua sans y penser.
« Alors, ça y est ? C’est fait ? Comment ça se passe ? »
Elle hésita. Comment répondre ? Les mots qu’elle avait dans la bouche n’avaient pas de forme. Elle effaça le message avant de répondre, comme si la simple pensée de l’écrire allait la ramener en arrière. Au moment où elle avait tout cru. Au moment où elle avait cru que Gabriel serait autre chose qu’un homme froid, distant, inconscient de son propre vide. Elle n’avait pas envie de parler de lui, de l’expliquer, de raconter encore une fois. Parce que tout cela, c’était devenu inutile.
Les démarches se faisaient. Elle n’avait plus de temps pour la douleur.
Un appartement. Un nouveau départ. Un endroit à elle, sans souvenirs. Elle avait trouvé un petit deux-pièces dans le centre, juste assez grand pour tout recommencer. Pas grand-chose, mais suffisant. Il n’avait pas besoin d’être somptueux. Juste un endroit où se poser, où respirer. Un endroit où l’air ne serait plus chargé de ses faux sourires et de son mépris.
Les cartons étaient pleins, la tête pleine de tout ce qu’il fallait oublier. Des affaires, des objets qui avaient accompagné des années de mensonges, des moments qui n’avaient jamais existé. Elle les regardait, les mains tremblantes. Rien d’essentiel.
Le téléphone vibra à nouveau. Cette fois, c’était un appel. Gabriel. Il n’avait pas compris.
Elle le laissa sonner. Puis, lentement, elle coupa la sonnerie.
C’était fini. Mais Gabriel n’arrivait pas à le comprendre.
Elle se leva, se dirigea vers l’armoire, et y déposa un autre carton. Ses doigts frôlèrent les objets, les souvenirs qui n’en étaient plus. Tout ce qu’il restait de cette vie était là, dans ces objets inutiles. Elle en prit quelques-uns et les jeta dans le carton, sans pitié. Il n’y avait plus rien à sauver.
Le lendemain, Sophie retourna au cabinet. Il fallait bien continuer. Reprendre sa vie en main. Elle avait encore un emploi, encore des affaires à traiter. Mais les collègues semblaient hésiter. Ceux qui la connaissaient bien la soutenaient, mais les autres… Les autres se contentaient de la regarder avec des airs dubitatifs, comme si elle avait fait une erreur. Comme si tout ce qu’elle avait vécu était une erreur.
« Tu es sûre de ce que tu fais, Sophie ? » C’était Léa, sa collègue, celle qui avait toujours vu juste.
Elle la regarda, les yeux dans les siens, sans hésiter.
« Oui. Je le suis. »
Léa ne répondit pas tout de suite. Elle posa son stylo, les yeux fixés sur Sophie. Une trace de doute sur son visage.
« Et… Gabriel ? » demanda Léa, sans chercher à cacher son scepticisme.
Sophie haussait les épaules. Elle n’avait pas de réponse à cette question. Il n’y avait rien à dire. Rien de plus. Parce que Gabriel était un non-sujet. Un fantôme.
« Il n’a plus rien à voir avec moi. »
Elle ne se sentit même pas coupable. Ce n’était pas de la colère. C’était juste la vérité. Une vérité qui l’avait brisée pendant des années, qu’elle avait combattue sans jamais la voir réellement. Mais ce n’était pas de la rancune. Ce n’était pas un combat. C’était juste l’acceptation d’une réalité qui s’était imposée.
Mais l’autre côté de cette vérité, c’était l’incertitude. Elle n’était pas seule dans cette décision. Il y avait d’autres avis, d’autres voix qui murmuraient à son oreille. Des voix qui se mêlaient à la sienne, créant un tourbillon d’émotions contradictoires. Parce qu’il y avait cette peur aussi. La peur de tout recommencer. La peur de ce qui l’attendait.
Les jours s’enchaînaient. Chaque matin, elle se levait, s’habillait, sortait. Pas pour fuir, non, mais pour exister. Pour ne pas disparaître dans cette mer de solitude. Mais c’était un combat. Pas contre Gabriel, non. Mais contre la femme qu’elle avait été. Contre cette image d’elle-même qui avait trop longtemps été effacée par l’ombre d’un homme.
Elle jeta un coup d’œil à son téléphone. Un message encore de Gabriel. Cette fois, il était court.
« Je ne t’ai pas méritée. »
Elle sourit, un sourire amer. Elle n’avait même pas envie de répondre. Parce que, quelque part, il avait raison. Mais c’était trop tard.
Les appels continuaient. Elle les ignorait tous. Il n’y avait plus de place pour lui. Il n’y avait plus de place pour ses remords tardifs. Sophie se rendait compte qu’il n’avait jamais vraiment été là, même quand il croyait l’être.
La réalité était bien plus cruelle que tout ce qu’elle avait imaginé. Mais elle avait fini par comprendre que, même si la douleur était présente, elle avait la chance de ne pas être dans l’illusion. Elle n’était pas victime. Elle était libre.
Elle posa le téléphone sur la table et se leva. Dehors, l’air était frais, et Sophie savait que, malgré les doutes, la peur, elle allait réussir. Parce qu’elle n’avait plus rien à prouver à personne, à part à elle-même.
