Chapitre 4
Chapitre 4
Ethan ouvrit la porte après que Sasha eut frappé trois petits coups légers, presque timides. Elle portait un chemisier crème qui mettait en valeur la pâleur de son visage, et dans ses bras, une pochette en cuir qu’elle serrait contre sa poitrine comme si elle contenait un secret trop lourd à porter. Ses yeux étaient rouges. Elle n’avait pas eu besoin de se forcer. Les larmes avaient coulé toutes seules, cette nuit. Pas de tristesse, non. Juste l’adrénaline du plan en marche.
— Tu peux entrer, murmura Ethan, visiblement fatigué. Je viens de mettre Léo à la sieste.
Sasha hocha doucement la tête, enjamba le seuil et prit place sur le canapé. Elle ne dit rien pendant de longues secondes, laissant planer ce silence tendu, celui qu’on utilise quand on veut provoquer l’inquiétude sans avoir besoin de mots.
— Ethan, j’ai quelque chose à te montrer… quelque chose d’important.
Elle ouvrit la pochette avec lenteur, presque avec solennité, comme si elle sortait un acte de décès. Elle posa une enveloppe sur la table basse. Un simple rectangle blanc. Mais dans les yeux d’Ethan, ce papier prenait une forme bien plus tranchante, bien plus douloureuse.
— C’est quoi ? demanda-t-il, méfiant.
— Les résultats de l’hôpital. Tu sais, suite à ma… fausse couche.
Le mot sortit avec un tremblement parfaitement maîtrisé. Elle ne leva pas les yeux, pas encore. Pas tout de suite. Elle voulait lui laisser le temps de lire. D’assimiler. Et surtout, de s’enflammer.
Ethan prit le document. Ses mains étaient fermes, mais son souffle, lui, s’accélérait à mesure qu’il déchiffrait les lignes imprimées.
« Hémorragie traumatique. Patient admis suite à une chute dans les escaliers. Antécédents de stress post-traumatique déclenché par une agression verbale et physique. »
Il relut deux fois le paragraphe en bas, celui qui mentionnait « présence de contusions compatibles avec une poussée violente dans le dos ».
— Attends… C’est Camille ? souffla-t-il, incrédule.
Sasha ne répondit pas tout de suite. Elle se contenta de lever les yeux vers lui, brillants d’eau et de peur feinte.
— Je n’ai pas voulu t’en parler avant. Je voulais… je voulais lui laisser une chance de se calmer. Mais elle ne s’arrête pas. Elle m’envoie des messages, des menaces à peine voilées… Et j’ai peur, Ethan. J’ai peur de croiser son regard. Je ne dors plus. J’ai… j’ai l’impression qu’elle me hait tellement qu’elle pourrait vraiment me faire du mal.
Elle laissa sa voix se briser, juste à ce moment-là. Assez pour faire frémir Ethan.
Il jeta les papiers sur la table, se leva brusquement, et commença à faire les cent pas. Ses poings se serraient.
— Mais pourquoi ? Pourquoi elle ferait ça ?
— Parce qu’elle pense que je t’ai pris, répondit Sasha d’une voix faible. Alors que… c’est elle qui t’a perdu, Ethan. Tu m’as toujours vue, moi, toujours écoutée. Tu sais que je t’aime, pas vrai ? Je n’ai jamais rien voulu, sauf te voir heureux…
Elle se leva à son tour, lentement, s’approcha de lui, toucha son bras. Il frissonna.
— Elle dit à tout le monde que je mens, qu’elle ne t’a jamais trahi, qu’elle est une victime. Mais regarde ça, Ethan. Tu crois vraiment qu’on peut simuler ça ?
Elle lui tendit l’écran de son téléphone. Un échange de messages y apparaissait, visiblement entre elle et Camille. Des mots durs. Des menaces à peine masquées. « Tu ne sais pas de quoi je suis capable », disait l’un d’eux. « Je t’ai à l’œil. Approche-toi encore de lui, et tu verras. »
Ethan se figea.
— C’est pas elle, ça. Camille… elle n’écrit pas comme ça.
— Tu veux dire que je les ai inventés ? Que j’ai tout monté ? Que j’ai inventé une fausse couche et que je me suis jetée dans un escalier pour qu’on me prenne en pitié ? Tu crois que je suis folle à ce point ?
Sa voix monta, trembla, se fissura. Elle recula, bras croisés, jouant à merveille la carte de la femme blessée, accusée à tort.
— Je suis désolée, Ethan. Je ne voulais pas te mettre dans cette situation. Mais tu dois voir la vérité en face. Cette femme n’est pas celle que tu crois. Et si tu ne fais rien, elle continuera.
Un silence oppressant tomba dans le salon. Ethan avait l’impression que le sol s’effritait sous ses pieds. Il revoyait Camille, riant dans la cuisine. Camille, la mère de son fils. Camille, qui l’embrassait dans le noir en lui promettant qu’ils seraient toujours une équipe. Mais aussi Camille qui lui avait menti sur les pilules. Camille qui refusait toujours d’avoir un deuxième enfant. Camille qui se murait dans le silence depuis des semaines.
— Je vais lui parler, dit-il froidement. Maintenant.
— Ethan…
— Je dois l’entendre de sa bouche. Si elle ment, je le saurai.
Il attrapa sa veste, son téléphone, et sortit sans attendre. Sasha resta seule dans le salon, le cœur battant, mais un petit sourire flottait déjà sur ses lèvres. Il était tombé dans le piège, exactement comme elle l’avait prévu.
*
Camille ouvrit la porte avec surprise. Les traits tirés, vêtue d’un large pull et d’un legging, elle tenait une tasse de thé à la main.
— Ethan ? Tu n’étais pas censé passer ce soir ?
Il ne répondit pas. Il entra, referma la porte derrière lui, la regarda fixement.
— Tu me caches encore quelque chose ?
Elle fronça les sourcils, confuse.
— De quoi tu parles ?
— Des messages que tu envoies à Sasha. Des menaces. Et de cette chute dans les escaliers… T’étais là ce jour-là, non ? T’as dit que tu passais chez elle pour lui parler.
Camille recula d’un pas, la bouche entrouverte.
— Tu crois que je l’ai poussée ?
— Dis-moi que c’est pas vrai.
— Bien sûr que c’est pas vrai ! Tu me connais, Ethan ! Tu crois vraiment que j’irais jusqu’à…
— Je te connaissais, Camille. Avant. Mais depuis quelque temps… je sais plus. Je comprends plus rien. Tu veux pas d’enfant, tu me caches des pilules, tu me dis rien… Et maintenant ça ?
— Sasha te manipule, hurla Camille, les yeux brillants. Elle t’enroule autour de son petit doigt depuis le début ! Tu veux une preuve ? Ouvre les yeux, Ethan ! Pourquoi elle aurait gardé ça secret jusqu’à maintenant ? Pourquoi elle a attendu que tu sois au plus bas avec moi pour te sortir ça ?
Il la regarda sans ciller, mais quelque chose en lui s’était déjà fendu.
— J’aurais jamais cru devoir dire ça. Mais si je découvre que t’as fait le moindre mal à Sasha… ou à notre fils… je te jure que je te retirerai la garde, Camille.
Un frisson glacé parcourut sa nuque. La menace était réelle. Le ton implacable. L’homme qu’elle aimait n’était plus là. Pas ce soir. Pas maintenant.
Elle n’eut pas le temps de répondre. Il tourna les talons et partit, laissant la porte claquer derrière lui. Camille resta là, debout, figée, incapable de respirer. Et ce n’est qu’au bout de plusieurs secondes qu’elle sentit les premières larmes couler sur ses joues. Sasha avait gagné. Pour l’instant. Mais elle n’avait pas dit son dernier mot.
