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Chapitre 3

Chapitre 3

— Tu me passes le sucre ?

Camille tendit la main sans quitter des yeux l’écran de son téléphone. Un message de sa mère lui demandait encore si elle allait bien, si Ethan ne travaillait pas trop, si elle prenait soin d’elle. Elle répondit d’un cœur et d’un « tout va bien ». Mensonge doux. Les choses n’allaient plus aussi bien, et elle le sentait.

— Camille ?

— Hein ? Ah, pardon, voilà.

Sasha attrapa la sucrière, ses ongles manucurés cliquetant doucement contre la porcelaine. Elle remua sa tasse de thé avec une lenteur calculée.

— Tu es ailleurs, dis donc.

— Je suis juste… fatiguée. Beaucoup de boulot. Ethan est tendu aussi.

Sasha esquissa un sourire compréhensif. Un sourire de façade.

— C’est normal, avec tout ce qu’il gère au cabinet. Mais toi… tu tiens le coup ?

Camille haussa les épaules, son regard se perdant dans la vapeur qui montait de sa tasse.

— Je fais de mon mieux.

Le téléphone de Sasha vibra. Elle jeta un œil, puis le retourna sur la table, écran contre bois. Camille leva les yeux.

— Julien, hein ?

— Quoi ?

— Tu fais toujours ça quand c’est lui. Tu caches l’écran.

Sasha émit un rire léger.

— Pas du tout. Et puis, Julien, ça fait longtemps. C’est toi qui devrais me dire si tu es toujours en contact avec lui.

Camille fronça les sourcils.

— Moi ? Non. Il m’a écrit une fois après notre mariage, j’ai pas répondu.

— Mais tu l’aimais vraiment, non ? Ce genre de sentiment, ça part pas comme ça…

La voix de Sasha n’était pas moqueuse. Elle avait cette fausse douceur qui pouvait passer pour de l’intérêt sincère. Camille secoua la tête, mal à l’aise.

— Ce genre de conversation ne mène à rien, Sasha. C’est du passé.

— Bien sûr. C’est juste que… je t’ai toujours vue tellement entière avec lui. Et parfois, avec Ethan, je sens que… je sais pas. Il y a comme un filtre entre vous.

Camille baissa les yeux. Quelque chose dans sa poitrine se serra. Sasha savait appuyer là où ça faisait mal. Lentement. Sans en avoir l’air. Mais elle ne voulait pas créer de conflit. Pas aujourd’hui.

— Tu te fais des idées.

— Peut-être.

Silence.

Quelques minutes plus tard, Camille partit dans la cuisine chercher un plat de biscuits. Elle ne vit pas Sasha sortir son téléphone, ni activer discrètement l’enregistreur audio.

— Camille ? cria Sasha depuis le salon. J’ai repensé à ce que tu disais sur Ethan et son obsession pour le bébé…

Camille revint avec le plateau.

— Obsession, c’est un grand mot.

Sasha la regarda d’un air faussement neutre.

— Pourtant, tu disais encore la semaine dernière que tu ne te sentais pas prête. Tu veux vraiment un enfant avec lui ?

Camille soupira.

— Est-ce que tu pourrais arrêter avec ça ? Ce n’est pas que je ne veux pas… C’est juste que j’ai encore des doutes. Et je ne veux pas faire semblant. C’est pas un chat, un bébé.

— Donc tu doutes d’Ethan.

— Non, je doute de moi.

— Mais tu as quand même dit que parfois tu regrettais d’avoir renoncé à Julien. C’est ce que tu m’as dit, non ?

Camille s’arrêta, les sourcils froncés.

— Je n’ai jamais dit ça.

— Si, dans le parc, le mois dernier. Tu m’as dit : « Parfois, j’ai l’impression d’avoir fait le mauvais choix. »

Camille rougit légèrement.

— C’était un moment de faiblesse, une figure de style. Tu m’as prise au mot ? T’as enregistré ou quoi ?

Sasha rit doucement.

— T’es parano ma vieille.

Mais c’était trop tard. La phrase était dans la boîte. Le ton, la formulation, tout. Et sorti du contexte, cela sonnait comme une trahison amoureuse. Juste ce qu’il fallait.

Le lendemain, Sasha débarqua chez Ethan, le visage décomposé, les yeux gonflés, les mains tremblantes. Son manteau entrouvert laissait apparaître une robe ample, vaguement froissée. Elle semblait à la fois abattue et paniquée. Il s’était à peine levé de son bureau qu’elle fondit en larmes dans ses bras.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Elle hoqueta.

— C’est Camille… On s’est disputées… je suis tombée.

— Quoi ? Où ? Comment ça, tombée ?

— Dans l’escalier… chez elle. Elle m’a poussée. Je… j’étais enceinte.

Ethan blêmit.

— Quoi ?

— Je n’avais pas encore eu le courage de te le dire. C’était très récent. Mais maintenant… c’est fini. L’hôpital m’a confirmé ce que je savais déjà.

Il l’aida à s’asseoir, la regardant sans comprendre. Elle mit quelques secondes à reprendre contenance, sortant d’une poche un petit compte-rendu médical. Juste assez flou pour ne rien affirmer. Mais juste assez crédible pour troubler.

— Camille t’a poussée ?

— Elle a perdu le contrôle. On parlait de toi, du bébé, des choix qu’elle a faits. Et puis… elle a crié, m’a saisie, et j’ai trébuché. Je suis tombée. C’est ma parole contre la sienne, je le sais. Mais…

Ses larmes recommencèrent.

— Et ce n’est pas tout, Ethan. Il faut que tu saches.

Elle fouilla dans son sac, en sortit un petit flacon. Des pilules contraceptives. Le même qu’elle avait discrètement glissé dans un tiroir de la salle de bains de Camille quelques jours plus tôt.

— Je les ai retrouvées chez elle. Dans sa salle de bain. Bien cachées. Elle n’a jamais arrêté. Elle te ment.

Ethan, silencieux, semblait suffoquer. Il prit le flacon, le tourna entre ses doigts.

— Elle m’a dit qu’elle les avait arrêtées il y a deux mois.

— Ce n’est pas tout. Elle… elle est toujours en contact avec Julien. Je t’assure. Il lui écrit, et je pense qu’elle le voit. Elle me l’a presque avoué, tu veux écouter ?

Elle sortit son téléphone et fit jouer un extrait de l’enregistrement.

« Parfois, j’ai l’impression d’avoir fait le mauvais choix. »

Le ton de Camille y semblait hésitant, fragile, sincère.

— Voilà. C’est à ça que tu veux lier ta vie ?

Ethan se leva, agrippa le dossier de sa chaise. Son cœur battait la chamade. L’image de Camille s’effondra dans son esprit, fracassée par les morceaux de cette version faussée, mais cohérente.

— Tu es sûre que c’est vrai, tout ça ?

Sasha le regarda droit dans les yeux, la voix brisée.

— J’aurais préféré mourir que de venir te dire ça, Ethan. Mais je ne pouvais pas me taire.

Aux urgences, Sasha joua son rôle à la perfection. Une plainte fut déposée. Elle pleura sur commande. Joua de ses yeux rougis, de ses jambes fléchissantes, de son ton blessé. La chute n’était pas filmée. Mais les traces sur son bras, soigneusement provoquées, plaidaient en sa faveur. Et le médecin de garde, submergé, nota ce que la patiente lui déclara.

« Poussée par une tierce personne — conséquences : saignements, suspicion de fausse-couche précoce. »

Tout allait dans son sens.

Camille, de son côté, vivait encore dans l’insouciance du piège qui se refermait. Le calme avant la tempête. Elle pensait que son monde était juste un peu désaxé. Pas qu’il allait s’écrouler.

Sasha, elle, marchait en silence vers ce qu’elle voulait depuis toujours : la place de Camille. Et elle avait décidé qu’il était temps que plus rien ne l’en empêche.

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