Chapitre 2
Chapitre 2
— Ethan… c’est quoi, ça ?
Il tenait la petite boîte blanche entre ses doigts, comme si elle lui brûlait la peau. Le regard dur, les mâchoires contractées, il la fixait depuis l’entrée du salon, debout, droit, tendu comme une corde trop tirée.
Camille cligna des yeux. Elle posa le torchon qu’elle avait à la main, sortit lentement de la cuisine et s’approcha, perplexe.
— Quoi ?
— Ça. Tu vas me dire que tu n’as aucune idée de ce que c’est ?
Elle baissa les yeux. La boîte de pilules contraceptives. Rangée pourtant tout au fond d’un tiroir dans la salle de bains, là où elle planquait les affaires qu’elle n’utilisait plus. Elle la reconnaissait. Elle était à elle. Mais elle ne l’avait pas touchée depuis des mois. Depuis qu’ils avaient commencé à parler bébé.
— C’est… c’est à moi, oui, mais… ça date d’avant. Je ne les prends plus depuis longtemps, tu le sais.
— Non, Camille. Je ne le sais pas. Ce que je vois, c’est une boîte pleine. Dans notre salle de bain. Et je suis tombé dessus ce matin, par hasard.
Il ne criait pas. Mais c’était pire. Sa voix était froide. Blessée. Chargée de doutes. Camille sentit une vague glacée lui remonter la colonne.
— Tu me crois capable de ça ? De te mentir sur un truc pareil ?
Ethan ne répondit pas tout de suite. Il détourna le regard. Ses doigts se crispèrent encore plus sur la boîte.
— Sasha m’a dit qu’elle t’avait vue fouiller dans ses affaires l’autre jour. Et que tu avais… réagi bizarrement quand elle a évoqué les enfants.
Camille le fixa, interloquée.
— Quoi ? Elle t’a dit ça ?
— Elle s’inquiète pour moi, Camille. Elle pense que tu me caches des choses. Et pour être honnête… j’ai l’impression qu’elle n’a pas complètement tort.
Un rire nerveux échappa à Camille. Amer. Éraillé.
— Attends… Donc maintenant, tu préfères croire Sasha ? Elle débarque chez toi avec une histoire absurde, et toi, tu…
— Elle ne « débarque » pas. Elle est mon amie aussi. Et elle a été là quand tu ne l’étais pas. Quand tu étais distante, fermée, absente.
— J’étais fatiguée, Ethan. Tu le sais. On traverse une période compliquée. Et j’essaye, merde, j’essaye vraiment…
Elle sentait ses yeux picoter. La gorge serrée. Elle refusait de pleurer devant lui, mais il y avait quelque chose de profondément injuste dans tout ça. Cette mise en accusation soudaine. Cette confiance érodée sans qu’elle ait pu se défendre.
— Je ne prends plus ces pilules, Ethan. J’avais oublié cette boîte, c’est tout. Tu veux qu’on fasse un test, que je fasse une prise de sang ? Je suis prête. Tu veux que je les jette devant toi ? Je le fais.
Elle tendit la main, mais il recula légèrement, comme si son toucher allait le contaminer.
— Ce n’est pas ça, Camille. Ce n’est pas juste cette boîte. C’est tout le reste. Ton téléphone que tu gardes toujours en silencieux. Tes absences. Les soirées où tu dis être fatiguée, mais où tu ne viens même plus te coucher à côté de moi.
— Je travaille tard, tu le sais ! Et depuis quand tu ne me fais plus confiance ? Depuis quand tu préfères écouter Sasha plutôt que ta propre femme ?
Il pinça les lèvres. Son visage durcit.
— Parce que Sasha ne m’a jamais menti. Elle.
Camille recula comme si elle venait de prendre une gifle.
— C’est ça. Voilà. Tu veux me punir de ne pas être parfaite, hein ? De ne pas être la femme douce et docile que tu avais imaginée ? Tu veux que je m’excuse de ne pas avoir envie de sourire quand tout en moi hurle ? Tu veux que je sois à genoux pour te prouver que je t’aime ?
Il jeta la boîte sur la table basse. Elle glissa, s’ouvrit, quelques pilules roulèrent sur le bois, silencieuses et accusatrices.
— Je veux juste que tu me dises la vérité, Camille. Que tu me regardes dans les yeux et que tu me jures que tu ne m’as pas trahi. Que ce n’est pas Julien que tu appelles en cachette. Que ce n’est pas lui que tu aimes encore.
Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Julien. Toujours lui. L’ombre d’un passé qu’elle avait enterré. Elle avait gardé contact, oui, par courtoisie. Par faiblesse peut-être. Mais elle n’avait jamais franchi la ligne.
— Tu sais très bien que Julien, c’est fini depuis longtemps. C’est toi que j’aime. Toi que j’ai choisi. Toi avec qui je veux construire une famille.
— Alors pourquoi j’ai l’impression que tu n’y crois pas toi-même ?
La question la cloua. Ce n’était pas une accusation. C’était une supplication. Un cri silencieux dans le regard d’un homme qui se sentait trahi, rejeté, abandonné. Elle s’approcha, posa une main sur sa joue. Mais il ne répondit pas. Il resta figé, statufié, lointain.
— Ethan… Je t’en supplie… Tu doutes de moi à cause de Sasha ? Tu crois vraiment qu’elle te veut du bien ?
— Elle ne t’a jamais menti sur ses sentiments. Elle m’a toujours soutenu, elle. Elle a toujours été là.
— Parce qu’elle veut te voler, Ethan. Elle te veut. Tu ne le vois pas ?
Il se dégagea doucement de son contact, sans violence, mais fermement.
— Peut-être que tu te trompes. Peut-être qu’elle est juste sincère.
Camille sentit un vide immense s’ouvrir sous ses pieds.
— Tu doutes de moi… Et ça, c’est bien plus dur à avaler que tout le reste.
Elle le laissa là, seul, au milieu du salon, les pilules éparpillées comme les fragments de leur confiance. Elle monta lentement les escaliers, chaque marche un poids sur sa poitrine. Arrivée dans leur chambre, elle ferma la porte. Puis elle s’effondra sur le lit, les poings serrés contre ses tempes. Sasha. Cette garce avait semé une graine de poison. Et Ethan, son Ethan, l’avait laissée pousser.
Il n’y avait plus aucun doute. Ce n’était plus un simple malentendu. C’était une attaque. Une guerre insidieuse. Une stratégie lente et méthodique pour la détruire de l’intérieur. Et Ethan… était déjà en train de basculer du mauvais côté.
Mais elle ne comptait pas tomber sans se battre.
Pas sans montrer à Sasha qu’on ne vole pas la vie d’une femme sans en payer le prix.
Et pas sans rappeler à Ethan qui elle était vraiment. Pas celle que Sasha décrivait. Pas une menteuse. Pas une voleuse. Pas une lâche.
Elle était Camille. Et on l’avait sous-estimée.
