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6. « Possessions »

Je finis de me regarder dans le miroir et je songeais : aujourd’hui je m’oublierais toute la journée. Je n’aurais aucun besoin de regarder à deux fois si quelque chose n’allait pas sur ma mise. Je savais que je n’aurais pas à le faire. Je me sentais belle. Non, jolie. Jolie, c’était mieux. J’étais sure de l’être au moins toute la journée. Je pouvais me « négliger », comme si je ne faisais pas exprès, d’être aussi jolie.

Il y avait quelque chose dans cette journée. Je m’étais rarement sentie aussi bien, aussi belle, aussi confiante. Comment tous ceux, beaux sans efforts.

Aujourd’hui c’était la proclamation des résultats des élections à l’école. Kad m’avait coiffée et habillée pour « que je fasse mouche » auprès de mon coup de cœur.

Ce matin quand papa avait frappé à notre porte pour la prière de l’aube, elle était déjà réveillée. Elle était assise sur l’ordinateur dans la pénombre, à écrire quelque chose dans son petit carnet qu’elle trainait partout. Elle avait mis sur son petit téléphone à la qualité audio médiocre, une chanson de Beyonce qui sortait faiblement en grinçant quelques fois. Elle avait mis sur pause et s’était levée pour ouvrir la porte pour montrer à papa qu’on était bien réveillées. Elle avait regagné l’ordi en laissant la porte entrouverte. Elle avait attendu le temps que papa aille à la mosquée pour remettre la musique. Elle chantonnait, et j’étais restée allongée en une masse immobile, couchée sur le ventre à observer sa forme fine. Et je m’étais dit qu’il y avait des silhouettes tant bavardes.

C’était dans sa façon de se tenir, de vouter ses épaules et se gratter par ci par là, de rester immobile l’espace de quelques instants, de bouger légèrement au rythme de la musique sans vraiment danser. Quelque chose dans sa posture m’empêchait de cligner des yeux. Même si elle chantonnait et avait l’air si insouciant. C’était dans sa voix. Elle griffonnait longuement sur son petit carnet en cliquant sur la souris de temps en temps.

J’avais ensuite balayé ces pensées sombres de ma tête. Rien ne clochait dans sa silhouette. Elle chantonnait. Tout était dans ma tête.

Je la regardais ainsi longtemps jusqu’à ce qu’elle quitte l’écran pour venir vers moi. Je fis semblant de dormir et restais toujours immobile. Elle m’avait donnée une tape douloureuse sur le dos. Elle s’était penchée sur mon lit et s’était remise à chanter, couvrant le son provenant de son téléphone. Ma tête enfouie dans l’oreiller, je marmonnais de fausses complaintes. Je n’avais plus sommeil. Elle tirait sur l’oreiller et me secouait de ses petites mains. J’avais fini par m’asseoir, adossée au mur, la mine horrible. Elle n’avait pas allumé la lampe et je la regardais faire des pas de danse bizarres. Peut-être qu’il y avait des silhouettes heureuses, tout compte fait.

Je détestais la chanson qu’elle chantait, mais elle avait une belle voix, et c’était Kad et elle avait l’air heureux de si près. Comme je riais, elle m’avait demandé si ce n’était pas trop pour moi, Beyonce sur le plafond, Beyonce dans mes oreilles, Beyonce si tôt le matin... Je lui avais dit que non. Ce n’était pas trop. Puis elle avait inutilement augmenté le son de son petit téléphone. Il devait être 6H 30 passé, on pouvait entendre la prière à la mosquée. N’y tenant plus j’avais commencé à chantonner inintelligiblement. C’était mal, mais c’était si bien. On n’avait pas prié. Dieu, Dieu nous pardonnerait.

Puis après la douche, elle était allée sur la pointe des pieds prendre de l’huile d’olive à la cuisine que maman nous avait formellement interdit d’utiliser pour des futilités tels que nos cheveux parce que c’était trop cher. Elle m’avait coiffée avec ses élastiques. Elle savait faire une tresse ondulée puis un chignon au milieu de ma tête. J’étais si belle. Même papa m’avait regardée bizarrement alors que je sortais.

Lamine était moins froid avec moi ce matin. Il m’avait même dit que j’étais jolie. Même si je le savais déjà j’étais soulagée de l’entendre dire ça avec sa fausse réserve. J’en avais profité pour m’excuser encore même si j’avais décidé de lui faire aussi la tête. C’est qu’il me manquait.

On avait cours d’anglais donc on restait silencieux. Le prof posait des questions au hasard aux plus bavards et ôtait des points. Zeynab et Rama y passaient toujours. Mais elles pouvaient se permettre, elles, de donner des points cadeau au prof. Moi je ramais pour en avoir assez. Donc je restais silencieuse tout le cours durant à m’adonner à mon loisir favoris : produire des films dans ma tête.

En vrai, je n’en avais que faire de qui gagnait les élections, j’espérais peut être même, intérieurement, que l’équipe de Khalil allait perdre. Comme ça je pourrais lui parler plus longtemps. Je pourrais le consoler. Il y’avait tellement plus de choses à dire aux gens qui perdent.

A la pause je retrouvais Kadi à la mosquée. Après avoir prié à une vitesse éclair, elle me demanda à quelle heure je comptais rentrer le soir.

« Je dois partir quelque part maintenant. Je serais là vers 18H 30, tu vas m’attendre » ajouta t elle

« Tu n’as pas cours ? »

« Si mais c’est important. » avait-elle juste répondu.

Puis elle changea de sujet. Elle me dit qu’elle avait décidé de reprendre Ali. J’eus le bon sens de ne pas prendre tout ça à cœur. Je me demandais plutôt où elle allait. Je ne posais pas de questions. Je ne voulais pas percer la bulle que je m’étais créée pour cette journée. Mais je ne pouvais empêcher mon esprit de se demander ce qu’elle pourrait bien faire de 14h à 18H.

Quand elle partit à la hâte, me laissant seule dans la mosquée je divaguais encore. Ou pouvait-elle bien aller. Que pouvait-elle bien faire seule ? Kad pouvait faire rarement des choses seule. Elle ne pouvait pas aller en ville seule parce qu’elle ne connaissait pas le chemin et se perdait, n’aimait pas la foule, les marchands ambulants l’angoissaient, il fallait que j’y aille avec elle. Elle ne pouvait pas marchander aussi parce qu’elle cédait rapidement à n’importe qu’elle prix qu’on lui imposait. Elle ne pouvait aller chez le médecin sans maman. Elle ne pouvait même pas marcher seule sans paraitre concentrée.

Un jour qu’on était allées au marché mercredi, où tout le monde se bouscule, et chacun se débrouille pour ne pas se faire cracher dessus ou voler, on s’était mises à chercher devant un des tas de chemises emmêlés. Il fallait chercher soit même dans le tas de vêtements à trois cents pièces. C’était une véritable bataille pour pouvoir piocher, et c’était une vraie mine d’or si on savait bien chercher et rapidement. Kadi avait tiré une chemise à rayures rouges juste avant qu’une autre fille ne mette la main dessus. Cette dernière avait tiré sur la chemise alors que Kad l’avait prise avant. Elle s’était mise à la regarder sans rien faire. Puis s’était mise à s’excuser. Je suis allée prendre la chemise des mains de la fille. Ça avait fini en bagarre entre elle et moi. Tout ça pour une chemise de trois cents. Mais je savais que ce n’était pas pour la chemise que je m’étais battue. Je ne supportais pas qu’elle se laisse tout le temps écraser. J’aurais voulu qu’elle ne se laisse pas tout le temps écraser.

Kad ne pouvait rien faire seule, au fil du temps je m’étais habituée, donc que faisait-elle pendant tout ce temps ? Peut-être qu’elle avait rencontré quelqu’un d'autre qu'Ali ?

Je me cassais la tête en vain avant de sortir retrouver Lamine en classe. Maimouna, Zeynab et les autres avaient une réunion. Je dépassais la cour sur animée en ce jour de vote.

Je pensais à passer voir Maty et Alima, j’avais l’impression de ne pas les avoir vues depuis des siècles.

Elles me firent un sermon sur comment je les avais abandonnées pour mes nouvelles copines pendant tout le restant de la pause. Je leur promis de me rattraper et leur promis même de les inviter à déjeuner à la maison pour qu’on se retrouve. Elles me manquaient vraiment, et ça me pinçait le cœur de les entendre faire des allusions qui ne me concernait pas, comme si je ne faisais plus partie de la bande.

Le cours du soir passa le plus lentement possible. Je ne cessais de regarder ma montre, énervée que les aiguilles soient aussi figées. J’étais sure que mon éclat de depuis ce matin s’était estompé. Plus le temps s’égrenait lentement plus la voix du prof m’irritait. De plus on pouvait entendre toute la bonne ambiance venant du jardin avec tout le monde qui votait et les spéculations. J’avais voté pour l’autre camp. Je voulais vraiment que khalil ne gagne pas. Je pensais déjà à toutes les choses que j’aurais à lui dire dans ce cas, si j’en ai l’occasion.

Quand la cloche sonna enfin, j’avais déjà rangé mes affaires. Je rejoignis comme d’habitude maimouna derrière. J’essayais d’ignorer son regard malicieux. Je me fis une petite toilette, du parfum. J’ouvris un bouton de plus de mon chemisier. Je ne sais pas… Ça me semblait être une chose que je devais faire.

Quand j’arrivais dans le jardin derrière Maimouna, c’était bondé de monde et tout le monde parlait et riait dans tous les sens. Maimouna commença à être appelée de part et d’autre. Elle se déplaçait entre les petits groupes qui s’étaient formés et faisait des bises par ci et des chuchotements par là. Fatiguée de la suivre dans ses déplacements, je restais plantée quelque part avec Zeynab. Il y avait tous ces gens que je voyais toujours de loin. Les discussions allaient bon train. Tout le monde était convaincu que le candidat de Khalil, Momar, allait gagner. Je faisais toujours en sorte de trouver un truc à dire et m’intégrer. C’était un tel challenge de parler au même débit que tous ces gens. Mais j’avais horreur de l’exclusion, donc je trouvais toujours quelque chose à dire.

Je n’avais vu Kad dans aucun des groupes même si quelques-uns des gens de sa classe étaient là, ainsi qu’Ali. Je balayais encore une fois de mon esprit l’endroit mystérieux où elle devait être. Ce ne fut pas difficile comme Khalil passait au même moment pour saluer tout le monde. Je rajustais ma chemise et fis semblant de ne pas le voir en parlant à une fille à côté de moi. Son rire, pas loin, résonnait en moi, et sa voix forte était insoutenable. J’avais peur de tout ce par quoi je passais, autant de choses ressenties au milieu de tous ces gens, alors même qu’il était loin de moi et que je ne le voyais pas, il arrivait à me tourmenter.

Je me remis instantanément à créer des scenarios entre Amina et lui. C’était plus facile de les imaginer eux deux.

Quand il vint vers nous il était bras dessus, bras dessous avec Maimouna qui lui murmurait quelque chose furtivement à l’oreille. Il baissa la tête en un sourire malicieux, sexy, douloureux.

Je perdais le nord.

Il lança un salut général. Parla avec son aisance et sa grâce naturels, ne s’adressa pas à moi directement. Mais je le jurais, que ses yeux étaient rivés dans les miens pendant tout le temps qu’il était avec nous. Je ne pouvais pas respirer. Je sentais mes mains humides et mon ventre creux. Khalil.

Je n’arrivais pas à sortir mot. Je n’arrivais pas à avaler ma salive. Je pensais, « souhaite lui bonne chance », mais je n’arrivais juste pas à réagir. Il prit congé de nous un moment plus tard. Me jeta un regard appuyé puis partit. J’hyperventilais.

J’eus envie d’aller aux toilettes.

J’entrais dans une cabine et m’adossais à la porte, haletante. Qu’est ce qui m’arrivait ? Tout cela me dépassait. Ce n’était pas moi tout ça. Les mains moites, ce manque de contrôle. Qu’est ce qui m’arrivait ? J’attendais de maitriser ma respiration. Me remis du parfum du flocon que j’avais piqué à maman.

Je retrouvais Zeynab qui s’adressait à maimouna en aparté. Elle s’arrêta de parler quand j’arrivais à elles.

Il était bientôt 18H 15. Je n’avais jamais été à l’école jusqu’à cette heure pendant un quelconque évènement. L’animation était à son comble, personne ne s’entendait. Et j’adorais être là dans cette marre de confiance en soi, de popularité et de légèreté.

Lamine n’était pas là, ni Alima ou Maty. Et ça ne me gênait pas tant que ça.

Enfin on annonçait les résultats. Celui qui proclamait avait des rastas et était maitre en l’art du suspense. Il nous fit rire à chaque 5 minutes, nous faisant attendre à chaque fois un peu plus. Il prononça les résultats de la première « urne », remportée par l’autre camp. C’était serré. Il y en avait trois.

« L’urne numéro deux, compte comme gagnant, avec « 325 voix », 325 voix fraiches et féminines j’en suis sûr, Momar ».

Je criais instantanément avec les autres. Il annonça après une énième blague la victoire de l’équipe de Khalil avec à sa tête Momar. Le brouhaha repris de plus belle. Maimouna et Zeynab ainsi que le groupe avec lequel je me trouvais s’étaient évaporés pour rejoindre l’équipe victorieuse. J’étais contente malgré moi. Je m’avançais lentement vers eux et félicitait les autres membres du camp que je connaissais, l’un d’eux, Bachir, que je connaissais un peu me serra contre lui euphoriquement et me fit une tape dans la main. Ça me fit éclater de rire. Je ne comprenais pas l’engouement pour ces élections. Ce n’est pas comme s’ils y gagnaient de l’argent.

Non loin de Momar, le nouveau président, j’aperçus Amina qui sautillait avec Khalil comme une enfant. Ca me fit sourire malgré moi et ça me pinça le cœur en même temps.

Elle prit Khalil dans ses bras. Le froid me fit frissonner en même temps que Khalil posait ses yeux sur moi. Il avait sa main dans le dos de Amina et son menton sur son épaule, les yeux rivés dans les miens. Il me fixa ainsi, alors que j’étais pétrifiée au milieu de tout ce brouhaha, submergée, imaginant les mains délicates de Amina sur sa nuque, sur son dos. Puis Amina se desserra de lui et se mit à parler, encore et encore.

Je regardais ma montre en un effort pour me contenir. 19H 20. Toujours pas de signe de Kadi. Je lui avais donné le numéro d’Astou pour qu’elle m’appelle quand elle serait là. Je cherchais Astou en vain pour lui emprunter son téléphone. Je ne voulais pas énerver papa, mais je ne voulais pas rentrer tout de suite.

Je trouvais Astou alors que j’étais sur le point de laisser tomber. Elle me tendit l’appareil et je me mis à l’écart pour appeler Kadi. Elle ne décrocha pas jusqu’à la 4eme sonnerie.

« J’arrive Maya, je suis en route. Il y a des embouteillages mais je suis à deux minutes. Tu peux m’attendre devant l’école ok ? »

« Papa va nous tuer. Tu avais dit 19h, il sera bientôt 20h qu’est ce qu’on va lui dire ? »

« Ne t’inquiète pas. Attend moi seulement où je t’ai dit »

Puis elle raccrocha. En grande peureuse je stressais déjà. Je rendais à Astou son téléphone et pris congé d’elle. J’étais dégoutée de devoir partir sans parler à Khalil mais j’avais surtout peur de la colère de papa.

Je vis Maimouna en pleine discussion avec lui et Amina. Et ce fut plus fort que moi.

« Mouna, je vais rentrer. Khadija va bientôt être là je vais l’attendre devant la porte. »

« Mais non ne part pas » fit elle en faisant mine de s’agripper à moi. Viens on va prendre un pot avec Momar et célébrer notre victoire. »

Mes tempes battaient d’être si près de Khalil. Amina était toujours à côté de lui à éclater de rire et à s’accrocher à lui.

Je ris nerveusement avant de dire à Maimouna que je devais vraiment y aller que Kad était surement déjà là. Elle me fit un bisou sonore sur la joue avant de me laisser. J’hésitais avant de me retourner vers Khalil dans la faible pénombre.

« Félicitations » dis-je assez faiblement en évitant de dire son nom.

« Merci Maya » dit-il.

Je ne calculais pas Amina et leur tournais le dos, dégoutée.

Le vent me fouettait la peau et je commençais à ne pas supporter la fraicheur. J’en voulais tellement à Kad. Il était 20h moins 20 maintenant et j’étais sure et certaine que papa allait nous tuer. Je l’imaginais derrière son écran, faisant un effort surhumain pour ne pas laisser éclater sa colère sur maman qui devait rester silencieusement, couchée sur le grand fauteuil. Je pensais à des potentiels mensonges. Je dirais que, comme on avait un autre contrôle la semaine prochaine il fallait rester tard. Je dirais qu’il y avait un embouteillage monstre. Je dirais que notre car était tombé en panne. Ou que…

« Tu es toujours là ?»

C’était Bachir. Je regardais automatiquement derrière lui m’attendant à ce que Khalil débarque à sa suite.

« Oui » dis-je nonchalamment.

« Pourquoi tu attends ici ? »

J’étais sur le point de lui dire que j’attendais ma suicidaire de sœur et qu’il faisait trop froid pour papoter. Puis il se retourna en entendant son nom.

« Je reviens » me dit il à la hâte en me donnant une légère tape sur le bras.

Il retrouva le groupe qui venait de sortir. Ils étaient adossés un peu plus loin de là où j’étais, sur les barrières de l’école.

Je profitais de l’obscurité pour essayer de reconnaître la silhouette de Khalil.

Je regardais toujours vers eux, tendant l’oreille à leur discussion animée quand l’un d’eux se retourna pour venir vers moi. Je fus soulagée qu’on ne puisse pas clairement voir mon visage. Je priais intérieurement qu’il continue à avancer, que ça soit lui. Khalil. Je priais intérieurement qu’Amina ne débarque pas. Ou Maimouna. Ou que Bachir ne revienne pas vers moi.

Puis il arriva à ma hauteur.

« Khadija n’est toujours pas là ? »

J’essayais de maitriser les battements de mon cœur au son de sa voix. Je murmurais un non faible en fixant son visage à moitié éclairé. Je pouvais sentir son parfum.

« Alors tu feras partie du bureau des gagnants ? »

Je souris, plus en émoi par sa voix que vraiment amusée.

« Non je ne pense pas. Je ne suis pas très… »

Je laissais ma phrase en suspens. Il garda le silence un court instant.

« Je vois » dit-il.

Silence

« J’aimerais bien que tu en fasses partie » ajouta-t-il.

Je gardais toujours le silence, incapable d’en dire plus.

« … Je te verrais plus souvent. »

« … »

Je baissais la tête. Je sentais l’humidité s’emparer de mes mains. Je me les passa sur mon jean, puis sur mes bras.

« Je te rends nerveuse ? » dit-il doucement.

Je secouais la tête lentement. Il garda le silence un moment.

« Tu n’aimerais pas ça ? Qu’on se voit plus souvent ? »

Je restais immobile, les yeux rivés sur sa bouche. Et je hochais la tête avant de me rendre compte.

« J’aimerais ça aussi » murmura-t-il

Puis je vis sa main s’avancer vers mon visage, sa main, forme excitante dans le noir, se poser sur ma tempe, glisser sur mes joues, glisser dans mon cou.

« Tu es si jolie » dit-il doucement en détachant les syllabes.

Ma bouche restait entrouverte. Je ne pourrais pas bouger, j’en étais sure, si j’avais un chien à mes trousses. Et je ne pourrais pas bouger, s’il me fallait bouger. Il retira sa main qui me brulait encore. Bachir revint avec les autres dans un brouhaha. Et il gardait toujours ses yeux rivés dans les miens. Je ne faisais pas attention à Bachir même si j’eus l’impression d’entendre mon nom. Kad arriva à un moment. Il avait toujours son visage tourné vers le mien. La discussion autour ne semblait pas l’intéresser. Je me ressaisis quand Kad me tira vers le bras. Il frôla ma main alors que je disais furtivement au revoir.

Je ne pus m’empêcher de me retourner en partant à l’arrêt avec Kadi. J’eus l’impression qu’il avait le buste tourné vers moi, mais Kad marchait trop vite et je risquais de cogner quelqu’un à force de me retourner, ivre de sa silhouette irrésistible.

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« Chaque jour tu me montres à quel point tu es irresponsable. Tu te fiches réellement de moi. Tu penses que tu as dépassé l’Age de suivre les ordres qu’on te donne, c’est ça ? Tu te sens grande maintenant ? »

« … Tu restes avec ta sœur jusqu’à pas d’heure et tu te pointes sans explications. Quel exemple lui donnes-tu ? »

Papa avait les poings serrés sur la table et la posture nerveuse. Je tremblais de mes mains enfouies sous mes cuisses, dans le fauteuil. J’essayais de me faire toute petite. Mes yeux passaient de maman, qui était allongée à moitié sur le canapé, la mine lasse, la main se tenant le menton, fixant papa d’un regard suppliant. Et Kad. Elle ne semblait pas intéressée par ce que papa lui disait. Elle était là, comme ailleurs.

Je finissais par garder la tête baissée alors que papa haussait encore la voix.

« Tu es si jolie »

« Tu es si jolie »

« Je te verrais plus souvent »

Khalil.

« … C’est bien la DERNIERE fois que je gâche ma salive sur toi. Comme tu n’as plus aucun respect pour personne, j’ai FINI de parler avec toi D’ACCORD ? On verra de nous deux qui est le père. »

Kad murmura quelque chose. Papa qui s’était tourné vers maman pour lui répéter de parler « à sa fille » avant qu’il ne la frappe, n’eut pas le temps de la voir.

Je fixais Kad, sidérée par son aise. Puis comme pour balayer une discussion ennuyeuse qui n’avait que trop duré, elle déclara mollement:

« Maya est obligée d’emprunter un téléphone pour qu’on coordonne donc ça nous a un peu retardé. C’était juste ca papa, et les embouteillages. Je suis désolée papa » dit-elle machinalement.

Papa fit une pause.

« Vous ne pouviez pas coordonnez avant, pendant la pause par exemple ? »

« On n’a pas pu se voir parce que j’avais examen toute la journée. »

Papa garda le silence un moment en la fixant.

« On verra. » dit-il le ton légèrement moins fâché. Je n’en revenais pas qu’il se calme aussi vite. Une seconde il criait et là il était calmé. Il se leva et rejoignit la chambre.

Maman s’adressa à Kad de sa voix frêle.

« S’il te plait Khadija arrête d’énerver ton père. S’il te plait. Chaque jour c’est la même chose. Fais un effort je t’en prie, on ne peut pas se disputer tout le temps. »

Je me sentie immédiatement coupable. Et Kad aussi, à l’entente de sa voix quand elle répondit.

« Désolée maman. Je ne veux pas te tourmenter mais c’est vraiment vrai ce que j’ai dit, on ne traine pas comme papa le pense. Ça ne se reproduira plus. »

Maman promit de me trouver un téléphone. Mais qu’il n’était pas nécessaire de le dire à papa. Il n’aimerait pas ça. Puis elle nous demanda de mettre la nappe et de réchauffer le repas qu’elle avait préparé.

On mangea en silence. Je ne mangeais pas moi. Je n’avais pas faim.

Je fis la vaisselle rapidement après qu’ils eurent fini et je rejoignis la chambre prétextant un mal de tête alors que Kad était nichée dans les bras de maman. Papa avait regagné son ordinateur et ne s’adressait à personne mais il avait l’air largement moins énervé que ce à quoi je m’attendais. Ça m’étonnait encore.

Kad riait avec maman, lui chuchotait dans l’oreille, comme une enfant, ce qui faisait sourire maman qui lui caressait les cheveux. Je restais longtemps au pied de l’escalier à les observer.

Quand je rejoignis enfin la chambre. Je pris une douche froide, immobile sous le jet d’eau faible.

« Tu es si jolie ».

Je me passais les doigts sur ma joue, la naissance de mes cheveux, mon cou, où ses doigts avaient trainé.

Je me nichais sous ma couette après avoir enfilé une robe confortable. Je ne trouvais pas le sommeil. Quand Kad vint se coucher elle ne dit rien non plus. Je n’essayais pas de lui parler. Je me demandais vers où ses pensées à elle, vagabondaient. Mais ce soir elle n’était pas le centre de mes préoccupations.

Je pensais à lui sans logique et sans retenue. Je sentais une bataille prendre place à l’intérieur de moi. Je me sentais flottante. Ce soir je n’en avais que faire que mon matelas soit trop fin, que Beyonce me fixe sans ciller, d’Amina qui était tant de choses que je n’étais pas. Je n’en avais que faire de l’endroit où Kad était allée aujourd’hui, ou les autres jours. Je pensais, à comment je voulais me coucher chaque soir en sentant son odeur sur moi. Je pensais, que c’était presque dangereux de dormir sans savoir où il se trouvait. Et je pensais à toutes sortes de choses nouvelles et enivrantes. Je repassais mes doigts là où ses doigts étaient passés.

« Tu es si jolie ».

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