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5. « Crème de la crème »
On était vers la mi-décembre. J’adorais le temps qu’il faisait. Le matin au moins. Parce qu’à Dakar il ne faisait pas le même temps toute une journée. Jusqu’aux environs de 11h on pouvait prétendre avoir froid. Avant que le soleil ne pointe son nez, fier, ponctuel. Après le « froid » revient plus tard dans la soirée. Mais bon, je dis froid. Mais c’est plus un vent de fraicheur et un ciel un peu plus sombre que d’habitude. J’adorais ce temps. Ça ne durait jamais assez longtemps. J’espérais qu’en Janvier on aurait droit à un vrai froid glacial.
Je descendis du car avec une Kad… étrange.
Les jours passant, puis les semaines, j’avais cessé d’essayer de savoir ce qui se passait dans sa tête. Définitivement. Non seulement je n’avais pas assez de force mentale, mais ses humeurs semblaient changer un nombre incalculable de fois dans la journée. Je perdais le cap. Surtout quand c’était les week end et que je passais les journées entières avec elle. J’étais constamment sur un feu. Des fois elle redevient normale, toujours à être blottie dans les bras de maman dans le fauteuil étroit du salon, à lire les frères Karamazov pour la millième fois et même à rire aux blagues de papa. Puis l’heure suivante sans que je ne comprenne d’où ça vient, elle fixe le vide. Et y a ces soirs où elle pleure. Les torrents. Ca me fendait tellement le cœur. Je faisais semblant de dormir. Une fois je n’ai pas dormie toute la nuit, parce qu’elle n’a pas arrêté. Mon cœur avait battu à tout rompre et j’étais restée blottie au milieu de mon lit à essayer de ne pas me laisser transpercer par le son de ses sanglots.
Je ne pouvais trouver une raison valable pour que quelqu’un pleure tant de fois. Et le comble c’est qu’elle avait rompu avec Ali. Juste comme ça. Sans me le dire. C’est Ali lui-même, que je ne pouvais pas respirer et qui le savait donc évitait tout contact avec moi, qui était venu me demander ce qui se passait avec ma sœur. Si elle avait « des problèmes dans sa tête ou quoi ». Je lui avais posément demandé pourquoi il me parlait. Il m’avait dit sans faire attention à mon impolitesse qu’elle était devenue complètement folle et a rompu avec lui par texto.
J’avais attendu Kad ce soir-là à la maison m’attendant à ce qu’elle redevienne bizarre. Mais rien. Elle était « normale ». Elle avait fait la cuisine, s’était niché dans les bras de maman toute la soirée, et dans la nuit de son lit, elle avait fait ses exos jusqu’ à une heure du mat avant d’éteindre la lampe. Je lui avais demandé ce qui c’était passé avec Ali.
« Ah. J’ai arrêté avec lui. Plus envie, il est un peu bête. »
Puis c’était tout. Puis elle s’est mise à me dire que j’aurais dû venir regarder avec elle et maman le documentaire « de fou » qu’il y avait sur la chaine Science et Vie. Elle m’a parlé de galaxies et d’étoiles. Les étoiles étaient des feux qui brulaient pendant des milliers d’années. Que certaines d’entre elles brulaient plus lentement et plus longtemps. Et d’autres brulaient si vite leurs combustibles qu’elles pouvaient briller sur d’énormes distances et étaient impossible à rater. Et quand leur énergie fini, elles brulent de l’hélium, deviennent plus chauds et explosent en supernova. Les supernovas, avait-elle ajouté de sa voix fascinée, étaient plus brillantes que les galaxies les plus brillantes. Il y avait rarement choses plus brillantes que ça. Mais elles meurent éventuellement et tout le monde les voit partir.
« On ne peut juste pas ne pas les voir partir. » avait-elle conclut.
Puis elle m’avait demandé si je comprenais. J’avais hoché la tête comme si elle me voyait et j’avais gardé le silence et elle n’avait plus rien ajouté.
Quoi qu’il en soit, j’avais arrêté d’essayer de comprendre. Je me sentais égoïste et méchante des fois. Mais je ne pouvais juste pas.
On se sépara, arrivées au sommet des escaliers alors qu’elle partait en se dandinant vers sa classe. C’était un « bon » jour. Elle a plaisanté avec tout le monde et s’était faite particulièrement belle. C’était un bon jour pour moi aussi. Parce qu’elle allait bien. Parce que je n’avais pas vraiment à me sentir égoïste et parce que j’allais voir Khalil aujourd’hui.
Depuis que je m’étais prise les pieds dans le plat il y a deux semaines et qu’il avait posé ses mains sur moi, je me sentais prise dans une poussée d’adrénaline permanente. Je n’avais jamais ressentie ça. C’était si bête et c’était si incontrôlable. Je passais mes journées à penser à lui et à m’imaginer les films les plus improbables les uns que les autres. Et dans tous les films il ne regardait que moi et j’étais la meilleure chose jamais créée. Dans les films il ne pouvait me quitter et il plongeait sa main dans mes cheveux doux qui n’emprisonnaient pas ses doigts agiles et beaux. Je me sentais ivre et plus rien n’avait de sens à part lui t ses mains et son odeur et sa voix... En classe j’avais du mal à me concentrer. Je regardais la montre de maman sur mon poignet à chaque minute pour consulter l’heure. Ce qui me séparait de la pause. Et que je le vois. Maintenant je le vois régulièrement. Parce que Maimouna et les autres faisaient partie de leur comité d’organisation pour la campagne qui allait bientôt prendre fin. On ne se disait pas grand-chose. Des fois il ne me regardait même pas. Il avait l’air si inatteignable, si loin. Si convoité. Il parlait à gauche à droite à chaque fois que je l’apercevais et donnait les directives. Je me sentais sotte et petite à ces moments-là. Comment pouvais-je me mettre dans la tête de telles idées le concernant ? Pourquoi ferait il attention à parmi cette foule de gens qui ne demande qu’à le saluer ?
Je restais toujours à l’écart quand il parlait avec Maimouna. Il me salue toujours furtivement et dit mon nom tout aussi furtivement. Et c’était si beau dans sa bouche. C’est comme s’il ne s’agissait pas que de moi.
« Salut, Maya. Tu vas bien ? » Disait-il rapidement de sa voix forte et empressée en me regardant de ses yeux perçants et de continuer à parler à un tel. Et j’essayais moi de contrôler tous les sentiments démesurés en moi, de reconstituer l’intonation de sa voix dans ma tête.
Et des fois il était avec Amina. Souvent. Amina. Toujours fourrée dans ses bras, à lui toucher la tête, à lui arranger la chemise, à lui tenir la main. Son existence entière m’insupportait. Et elle me le rendait bien. Elle me regardait à chaque fois l’air de me demander ce que je faisais sur terre. Toujours à regarder les gens de haut. Donc maintenant je faisais en sorte de toujours paraitre le plus impeccable possible. Avec l’argent que nous a offert tata Marie je m’étais achetée des hauts au marché Samedi et même une veste que j’ai dégotée a force de recherche et de persévérance. Ça m’a pris un bon deux heures de temps pour dénicher les perles rares. Mais ça en valait la peine. Apres lavage et repassage ça avait l’air de sortir direct d’un magasin. Et tata Marie nous avait offert des chaussures aussi. J’étais bien pour un temps. Donc Amina qui me regardait de haut c’était le cadet de mes soucis. Je me sentais fraiche.
Je m’étais encore attachée les cheveux. Ça me faisait tout bizarre. La légèreté. Je me sentais même un peu conne. Mais Kad avait dit que ça m’allait bien, que ça dégageait mon visage et que ça me donner un air moins sauvage. Puisqu’elle le disait.
Je rejoignais ma classe et m’assis à côté d’un Lamine avec les écouteurs fourrés dans les oreilles.
Il ne les enleva pas quand je m’assis. Il faisait la tête. Il n’aime pas beaucoup Maimouna et les autres parce qu’elles se moquaient toujours de lui et venaient toujours se mettre sur notre table et « envahir notre espace » comme il s’en plaignait, quand elles voulaient me parler.
Je n’aimais pas quand il se fâchait avec moi. Ce n’était pas la même chose sans lui. Je lui enlevais les écouteurs des oreilles et il me fusilla du regard.
« Tu me fais la tête. »
« Non. »
« Si. »
« Ouais. Peu importe. »
Il se remit les écouteurs.
Je les enlevais une deuxième fois.
« Tu peux au moins me dire pourquoi tu sais ? »
« Parce que tu ne sais pas pourquoi ? » dit il durement
« Non c’est pour ça que je te… »
« On n’avait pas dit qu’on allait rentrer ensemble hier ? Tu m’as dit de t’attendre, ce que j’ai fait à l’arrêt car pendant 30 minutes à regarder les cars vides passer et tu ne t’es pas fatiguée pour te pointer. J’ai dû attendre 15 minutes supplémentaires pour avoir un car qui n’était pas bondé, alors désolé de n’avoir pas envie de te parler.»
Je me sentis mal sur le coup. J’avais complètement oublié que je lui avais demandé de m’attendre.
« Oh non. Désolée, désolée Lamine. J’avais complétement oublié. Avec Maimouna on devait faire un truc et ça a pris plus de temps que prévu et en plus j’avais oublié que je devais attendre ma sœur » mentis je
« Ouais c’est ça. Toujours des choses à faire avec Maimouna. Continues de faire des trucs avec elle, on verra ou ça te mènera, elle te mettra dans un trou d’où tu ne pourras jamais sortir. »
Cela m’énerva un peu.
« Ok ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi. Je ne sais pas pourquoi tu le prends comme ça. Je suis toujours avec toi en classe, tu fais comme si je te laissais pour elles alors que non et… »
« Ouais tu me fais une telle faveur d’accepter de me parler en classe et de totalement m’ignorer quand on est en dehors de la classe, quelle générosité. Merci beaucoup. Je me sentirais plus redevable à partir de maintenant. J’imagine que c’est même un privilège que tu sois toujours assise avec moi. »
Je ne savais pas quoi dire, j’étais définitivement énervée et blessée par ses sarcasmes. Il gâchait tout alors que je voulais juste qu’on parle.
« Ce n’est pas ce que j’ai dit lamine. Je ne sais pas pourquoi tu es comme ça. Je suis désolée. »
Il me regarda un moment.
« Tu ne sais jamais rien. » dit-il avant de mettre ses écouteurs.
Je me levais hargneusement et sortit de la salle pour me mettre au balcon. C’était son problème s’il voulait faire la tête pour rien. Faut toujours des troubles fêtes pour gâcher les humeurs des gens aussi tôt. Comme si c’était ma faute s’il ne s’était pas foutu de partir après avoir trop attendu. Je ne voulais même plus y penser. Il n’était pas encore 8H donc je restais au balcon et Rama me trouva la après avoir déposé son sac dans la salle. Elle me racontait le face à face entre les deux camps que je n’avais pas pu regarder jusqu’au bout hier.
Je n’avais pas pu rester parce que ça allait finir trop tard. Et le peu que j’avais suivi m’était complètement vague, parce que Khalil était là dans le petit groupe formé par son camp, faisant face à l’autre. Il prenait la parole des fois et je perdais le fil des qu’il le faisait. J’étais pitoyable.
Rama me raconta comment l’autre clan s’était noyé sous le flot de questions auxquelles il ne pouvait répondre. Puis je l’aperçus. Dans un des couloirs du jardin en train de parler à Amina. Il me faisait face mais il ne devait pas me voir du balcon où j’étais. J’avais arrêté d’écouter Rama. Il riait doucement en regardant Amina avant de parler. Il semblait si loin. J’essayais d’imaginer le son de son rire adressée à moi. Je me demandais si Amina était si drôle que ça. S’il se forçait un peu. J’étais sure qu’elle n’était pas aussi drôle. J’étais sure que c’était une snob et qu’au fond elle l’étouffait avec toute sa perfection.
Amina le prit ensuite dans ses bras. Il posa une de ses mains sur sa taille et une autre sur sa tête dans ses cheveux. Dans son tissage devrais-je dire. Moi au moins j’avais de vrais cheveux sur ma tête… moi au moins, il ne risquait pas de m’enlever une couture en touchant à ma tête, pensais je agacée. Ils prirent congé l’un de l’autre dans une bonne humeur qui m’écorchait vive.
Maimouna et Zeynab nous retrouvèrent juste avant que le prof n’arrive.
En classe je ne suivais pas vraiment. Lamine ne me parlait pas et le prof de physiques utilisait un langage indéchiffrable. Quand la pause arriva je rangeai mes bagages à la hâte en ignorant Lamine aussi bien qu’il m’ignorait. S’il voulait la jouer comme ça.
Je retrouvais les Maimouna derrière, à leur place. J’avais appris à m’arranger avant de sortir de la classe. Il fallait toujours se regarder dans le miroir, ajouter un peu de brillant à lèvres, du parfum. Maimouna me mit même de la poudre. C’était une sorte de talc teintée qui donnait un faux ton radieux à mon visage. Je détestais la sensation. J’avais l’impression d’être toute blanche. Mais le rendu dans le miroir était plus important. Il me fallait être belle. Parce qu’on allait certainement se voir de près, avec Khalil. Parce que Maimouna.
Maimouna c’était un peu le Graal. Tout, tout tourne autour d’elle, tout le monde veut lui parler, lui faire des bises, lui demander des conseils. Je ne sais pas trop pourquoi je l’intéresse autant. Je ne sais pas.
On alla s’acheter des madds devant l’école avant de marcher vers la station. Maimouna me parlait de son chéri. Il n’était pas à l’école plutôt à l’université. Il avait 24ans. Il avait une voiture. Il était attentionné et lui achetait plein de trucs.
«… Comme ce bracelet-là » dit-elle en me montrant son poignet.
« Il me l’a offert pour mon anniversaire. »
Et il l’amenait aussi dans des restaurants au centre-ville. Il l’appelait chaque soir parce qu’ils avaient tant de choses à se dire. Elle l’aimait vraiment.
« Je l’aime vraiment » répéta-t-elle une deuxième fois en me montrant son nom gravé joliment sur le bracelet.
Elle l’aimait. Même si elle aimait aussi son autre chéri en Terminale. Bon ce n’était pas vraiment son chéri.
« Mais il va l’être bientôt. Je vais bientôt entrer en phase d’attaque. »
Elle me rappelait un peu tata Marie. Elle avait une confiance sans bornes en elle et elle pensait qu’un garçon ça se dressait. Elle m’expliqua qu’attendre ce n’était pas pour elle. Quand on voulait quelque chose on allait le chercher. Et ce pauvre garçon ne ferait pas défaut. Elle avait déjà tout prêt, le regard mesuré au battement de cils près, le sourire à intervalles chiffrées, et toutes les choses salaces qu’elle avait à lui dire, à sous-entendre et surtout, avant tout, principalement, la pièce maitresse, le coup de grâce, le point final, la crème sur le gâteau, elle, Maimouna, irrésistible.
« Est-ce que tu vois quelqu’un me résister moi Maya ? » avait elle dit malicieusement en riant a gorge déployée.
Non avais-je dit, personne. Je le pensais. Elle avait tant de charme tant d’assurance. Je pensais que tout ça c’était des formalités, et le garçon l’aimait surement déjà. J’étais quand même désolée pour son chéri de l’université. Maimouna avait un si vaste cœur.
On se retrouvait comme d’habitude à notre spot préféré au jardin. La discussion allait toujours bon train et j’oubliais de retrouver Kad à la mosquée.
Je me précipitais pour aller la voir et je ne l’y trouvais pas. La voilée me fusilla du regard quand je sortis sans intention apparente de prier. J’allais à sa classe et elle n’y était pas non plus. Je demandais à une de ses camarades si elle l’avait vue.
« Elle est partie depuis onze heures. Elle est à son rendez-vous chez le médecin. »
Je la regardais, surprise, avant de la remercier rapidement et de tourner les talons.
Je rencontrais Ali qui se mit en travers de mon chemin.
« Elle est où ta cinglée de sœur ? » dit-il d’un ton où se décelait un énervement contenu.
Je le fusillais du regard avant de le contourner et de le laisser planté là avec son faux air inquiet. Faux jeton comme ça.
Kad avait séché les cours. J’aurais tout vu. Kad, sécher les cours.
Elle n’avait pas rendez-vous chez le médecin. Pas que je sache moi, en tout cas. Peut-être qu’elle s’était sentie mal et elle était rentrée à la maison. Elle ne séchait pas juste les cours. Elle n’avait pas séché un seul cours de son cursus scolaire depuis le primaire, j’en étais certaine.
Je pensais à emprunter un téléphone et l’appeler mais je rencontrais Khalil. Il tapotait sur son téléphone et ne m’avait pas vue. Je regardais bêtement à côté de moi comme s’il y avait quelqu’un puis je descendis lentement les escaliers en faisant attention à ne pas m’étaler devant lui encore.
« Khalil » dis je d’une voix assurée quand je fus arrivée à sa hauteur.
Il releva la tête sur moi, me jeta un regard légèrement surpris, puis il me sourit.
« Maya »
Je perdis toute mon assurance. Oui, Maya c’est mon nom, redis le, pensais je. Je me vis entrer dans le sol. Je me vis lui faire un sourire totalement con et lui dire de répéter, s’il voulait bien, mon nom avec la même voix. Je me vis faire des saltos arrière avec lui sous mon bras. Je ne savais pas trop ce que je faisais. Je…
Un autre sourire. Je me passais subtilement mais mains moites sur mon pantalon.
« Tu vas bien ? Je ne t’ai pas vue toute à l’heure quand je parlais à Mai. »
Il avait remarqué. Il avait remarqué mon abscence. Mon existence n’était pas vaine, en fin de compte.
« Je venais voir Kadi… Khadija… Ma sœur… dans sa classe, juste là… Elle n’y est pas. »
Un désastre.
Il eut un sourire en coin qui me rendit super faible.
« Je vois, Maya. Eh bien bonne journée. J’espère te voir à la proclamation demain soir ? »
« Oui, peut être.» dis je
Il sourit encore.
« A plus, Maya. »
Il posa sa main sur mon bras, l’y garda une seconde de trop que j’espérais ne pas avoir imaginé et s’en alla.
Quand je me retrouvais à ma place au cours de français le soir, j’étais encore un peu perdue. Ça devait se voir car Lamine me jetait des regards curieux. Il me faisait toujours la tête. Le cours de français, c’est notre cours préféré pour jouer au pendu et écouter de la musique sur son mp3.
De toute façon, je n’étais pas d’humeur aujourd’hui. Je devais trouver un moyen pour rester pour les résultats des élections demain. Je ne pouvais pas. Ca finissait tard vers 19H. Je ne savais pas quel mensonge papa goberait. Il est encore plus pointu avec l’heure. Grace à Khadija.
Je devais y aller. J’espérais que Kadi m’aiderait, je comptais bien profiter de ce bon jour.
J’arrivais à la maison et trouvais maman au salon et papa à son coin « bureau ».
« Tu n’as pas cours maman ? » dis-je en me mettant à côté d’elle.
« Normalement, oui. Mais les grèves à nouveau. Ça va durer toute la semaine. Je suis un peu en congés. » Dit-elle sans entrain.
Elle était comme Kadi, le travail, elle en avait besoin. J’étais contente moi. Elle me manquait. Et on se reposera un peu pour la cuisine avec Kad.
Je demandais après elle.
« Elle n’est pas encore descendue… » Commença maman.
« Tu ne l’as pas laissée à l’école ? » demanda papa en enlevant ses lunettes.
Je bougeais nerveusement la tête.
« Si, si. C’est que je ne l’ai pas vue à la descente parce que je suis rentrée directement. »
Papa me regarda suspicieusement. Il prit son téléphone et composa un numéro. Il raccrocha un court instant comme personne ne semblait prendre puis se mit à tapoter sur son ordi trop posément. Nos regards se rencontrèrent avec maman. Il n’était que 18H, elle allait bientôt venir et personne ne s’énerverait, priais je.
Je montais me doucher avant de redescendre retrouver maman. Qui avait déjà fait la cuisine. C’était une telle sensation. De ne pas avoir à cuisiner. De pouvoir rester avec elle sans qu’elle n’ait le nez dans ses cours. J’allais me nicher contre elle dans le coin du fauteuil comme faisait Kadi.
Elle me manquait maman. J’avais l’impression de n’avoir que des flashs d’elle. J’avais l’impression qu’elle me manquait tout le temps. Parce qu’elle travaille trop. Le soir on ne passe du temps ensemble qu’au diner. Apres elle est endormie ou doit faire quelques corrections ou autre travail. Elel travaille tout le temps. A l’école, à la maison… et les rares fois où elle ne le fait pas elle ne parle pas trop. Ou elle a Kad en train de faire le bébé dans ses bras. Je ne me sens pas lésée entre par rapport à Kad. Elle, elle avait besoin de ça, la proximité. Moi, la voir me suffit. Elle dégage tellement de douceur, maman. Tellement, tellement de douceur. C’est dans ses gestes lents, dans ses doigts longs, chauds, tendres, dans sa voix frêle, et dans son sourire d’une douceur infinie. A chaque fois qu’elle est un peu énervée et qu’elle essaye de hausser le ton, l’une de nous finit par sourire. Parce qu’elle ne peut pas, ma maman, elle est incapable de crier, d’être brusque. Tout l’opposé de tata Marie.
Maman est surement la personne la plus inoffensive, la plus douce que je connaisse. Tout chez elle inspire la douceur. Elle adorait mettre ses doigts dans ma tête même s’ils avaient du mal à en sortir. Et elle ne disait jamais non. J’ai appris toute seule à ne pas demander les choses qu’il ne fallait pas, parce que je la voyais bien dire oui à m’acheter un sac qu’on ne pouvait se permettre. C’était bizarre mais j’avais envie de la protéger rien qu’à sa vue. Ce n’est pas qu’elle est fragile, mais elle en a tellement l’air. La douceur.
Je passais donc un rare moment douillet avec elle. Je lui parlais de mes amies. Je devais les inviter un jour pour qu’elle les rencontre. Et bien sûr on parla des cours. J’aimais bien les Svt. J’omis de lui dire qu’en physiques c’était le naufrage. Et en maths aussi. Ça fait partie des moments où j’aurais voulu être plus intelligente. Avec Kad elle peut parler des heures de toutes ces choses que je ne comprends pas. Peut-être que c’est pour ça que je l’approche moins qu’elle. Parce qu’elle ressemble tellement à Kad et si peu à moi.
On appela ensuite tata Marie. Elle était énervée. Elle ne prit pas le temps de passer à papa une énième moquerie. Son mari voulait que sa sœur qui était venue du village reste habiter définitivement avec elle. Et elle n’était catégoriquement pas d’accord. Je pouvais l’entendre s’époumoner dans les oreilles de maman. J’eus pitié d’elle. Elle n’arrivait pas à en placer une. Quand elle raccrocha enfin elle soupira l’air fatiguée, lui promis de passer la voir.
Kadi rentra vers 19H moins. Toujours de bonne humeur. Elle s’excusa auprès de papa. Elle avait une réunion au club d’Anglais et elle s’était étirée. Elle était désolée. J’avais l’impression qu’elle sautillait un peu en parlant. Papa avait l’air surpris de son attitude et je vis maman relaxer. Je montais avec elle dans la chambre. Elle… chantonnait. Ok.
Elle se déshabilla dans les toilettes et je l’attendais. Elle ne se déshabillait jamais devant moi.
Elle ressortir avec sa robe large en pagne.
« Alors ? »
« Alors quoi ? » dit-elle avec un sourire radieux.
« Tu… Tu vas bien ? »
« Oui, pourquoi ça n’irait pas ? »
Je la jaugeais encore.
« Je ne t’ai pas vue aujourd’hui, à la pause, tu étais où ? »
« Je devais aller quelque part. Rien… D’important. Et toi cava ?»
Elle finit de plier ses habits et d’attacher sa tête. Et elle me demandait comment ça allait. Je dépassais rapidement ma torpeur.
« Il faut que tu m’aides. «
Je lui expliquais que je voulais aller à la délibération des résultats du lendemain. Que je devais avoir un alibi.
« Pourquoi tu veux aller à ça ? »
« Je… comme ça »
Elle me regarda malicieusement avant de sortir un « hmmmm » l’air de comprendre.
« Tu as un rendez-vous c’est ça ? »
Je rougis dans mon âme.
« Allez, raconte. Tu y vas pour quelqu’un de spécial ? »
Je me mis sur son lit comme elle était sur la chaise et je me triturais les doigts hésitant à lui dire.
« Intéressant »
Elle avait un ton enjoué et bon… Elle rayonnait un peu. Je n’essayais pas de comprendre. La chaleur se répandait en moi. C’est fou ce que ses humeurs déteignaient sur les miennes. Je me sentais plus heureuse instantanément. J’allais enfin pouvoir lui dire toutes ces choses dans ma tête.
Je lui dis que oui. Mais je n’allais pas lui dire que c’était Khalil. Je ne savais pas comment elle allait le prendre. Peut-être qu’elle penserait qu’il était trop âgé. Mais bon.
« C’est qui ? »
« Tu ne le connais pas. » mentis je sans conviction
Elle n’insista pas.
« Il n’y avait qu’à demander » dit-elle en se levant toujours en sautillant un peu.
« Je vais gérer pour toi, ne t’inquiète pas patate. I got you. I got youu, you know I got you anyyyyytimee you need me to baby, I’ll do for youuu anything aaaaand… » se mit elle à chantonner en sortant de la chambre.
Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire avant de descendre après elle.
On mangea dans une bonne humeur rare et j’étais aux pointes du bienêtre. Papa était le seul qui était aussi choqué que moi. Maman comme toujours ne disait rien et riait aux blagues que faisait Kad sur tata Marie après que maman se soit plaint de son appel bruyant. Même en temps normal elle n’était pas aussi enjouée.
Il ne restait que moi sur le bol entrain de bien traiter la bolognaise que maman avait faite.
Kad : « Maya tu as dit à maman pour tes cours de maths ? »
J’avalais difficilement en la regardant sans comprendre.
Elle se tourna vers maman l’air résolu.
« Kad a eu entre 9 et 12 durant tous ses devoirs de maths man. Si ça continue comme ça, elle finira en L1 à apprendre les figures de styles. Je lui ai dit d’aller en cours de renforcement mais elle remet toujours ça et ses camarades sont bien en avance Déjà. »
Je ne dis rien et la fixais. Elle avait le visage intraitable. Je savais que ça n’allait pas durer. En plus de tout, c’était une balance. Je n’en revenais pas. Personne ne pouvait lui faire confiance.
«… Demain il faut qu’elle soit au cours. Ça commence à la descente et ça finit à 19H. »
« … Et ne t’inquiète pas papa je veillerais à rentrer avec elle et à temps. » Ajouta-t-elle respectueusement à l’intention de papa.
Je me retins de lui donner une tape sur la tête. J’expirais de soulagement. Elle aussi, elle avait besoin de parler de mes notes en maths ?
« Maya toi aussi fais des efforts. La seconde c’est important. »
Maman me sermonna de sa voix douce, je culpabilisais un peu mais je dansais de l’intérieur et j’avais besoin de porter Kad sur mes épaules et courir avec elle dans la maison. Elle me fit un clin d’œil alors que papa prenait le relais avec le sermon. Je retins un sourire.
Au coucher je lui fis une vraie célébration.
« Tu es géniale. » lui répétais je dans son lit alors qu’elle griffonnait dans son cahier.
« Je sais, je sais. »
« Je te promets l’obéissance et la servitude à vie Kadi, merci. »
«Haha. Tu vas regretter ça. Mais il faut vraiment que tu ailles aux cours quand ils vont commencer, tes notes sont pitoyables. »
Je la fusillais du regard.
« Je suis sérieuse » répéta-t-elle.
« Et je vais te surveiller. Ne pense pas que je vais te laisser faire des bêtises. En plus tu ne m’as dit qui c’était » dit-elle en refermant ses cahiers.
Je ressentis une pointe de satisfaction à l’entendre. J’aimais son ton concerné. Elle s’inquiétait pour moi, ça comptait pour elle que je ne fasse pas de bêtises. Combien de fois avais-je voulu qu’elle me parle comme ça ? C’était si rare qu’elle me parle comme ça pour autre chose que les cours. Je me laissais tomber sur la tête.
« C’est seulement le garçon le plus magnifique que j’aie jamais vu, Kadi. Il est au-dessus de tout. Il a une telle voix Kad, et de tels yeux. Et il dit mon nom de cette façon... »
« Maya… » dis-je bêtement, avec une voix faussement rauque, « Je te jure Kad, il le dit de cette façon. Tu aimerais même t’appeler Maya toi, si tu l’entendais. »
Elle éclata de rire en rejoignant son lit.
«… Il est tellement… tellement… Je ne sais pas. C’est comme être foudroyé par l’éclair. »
Elle haussa les sourcils.
« Ah… Parce que tu sais ce que ça fait ça ? »
Je balayais d’une main.
« C’est une al-lé-go-rie »
« Donc toi tu apprends tes cours de français mais pas de maths ? »
« Ce n’est pas ça l’essentiel Kadi… L’essentiel c’est qu’il est différent et spécial. »
Elle me jeta hors de son lit, toujours hilare. Elle riait toujours quand je finis de me brosser les dents et de sortir mes habits. Je m’endormis quelque part entre « il faut que je te supervise », et « tu as des comparaisons bizarres ». Je priais intérieurement que ça dure… le sommeil aussi facile, au son de sa voix légère et heureuse, pas de larmes, pas de vide. J’avais retrouvé ma sœur.
