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7. « Démineur »
« C’est la troisième fois que je t’appelle, tu ne suis pas ? qu’est ce qu’il a dit après solide ? »
Je baissais mes yeux sur mon cahier avant de les ramener vers Lamine, qui m’attendait, stylo en l’air.
« Euh… »
« Pff » murmura-t-il avant de demander à celui qui était devant lui. Je recopiais sur son cahier machinalement, me rendant compte que j’avais raté un paragraphe entier. C’était peu de dire que je n’étais pas concentrée.
Quand on sonna la pause je restais clouée à ma table, l’esprit vagabondant. Lamine dit quelque chobse que je n’entendis pas, puis il me poussa la tête en un geste taquin et sortit de la salle. Maimouna et les autres vinrent me retrouver et me demandèrent si j’avais l’intention de sortir. Je les suivais machinalement après avoir refermé mon cahier sur ma phrase inachevée.
On empruntait notre chemin habituel vers la station et on faisait les escales habituelles pour saluer. Maintenant on ne disait pas mon nom comme pour me demander comment je me suis infiltrée ici, mais plutôt comme si j’étais une pièce intégrante, ma présence ne faisait pas tiquer.
J’avais mis les écouteurs branchés sur le mp3 de Lamine tandis qu’on sortait enfin de l’école. On s’arrêtait au kiosque de l’entrée pour que Zeynab achète du crédit. Maimouna et Leissa riaient à gorge déployée tandis qu’ Astou à côté de moi essayait de se contenir en vain. Je balayais des yeux la masse d’élèves sur le trottoir convaincue de pouvoir découvrir sans effort l’objet de leur hilarité.
Marie, une camarade de classe de Kadi était devant le vendeur de beignet et était vêtue comme d’habitude d’une façon bien à elle. Ce qu’elle portait ressemblait à un corsage dont les fils avaient lâché. Je m’arrêtais aussi à Souleymane de ma classe de l’année dernière, on le surnommait Zidane, parce que son front était plus en vue que le reste de son corps. Et je regardais au hasard une fille jolie que je ne connaissais pas mais dont le greffage se situait quelque part entre une coupe carré et quelque chose sans nom. Elles devaient être en train de parler d’elle. C’est toujours Maimouna, elle rit toute seule d’abord avant de sortir quelque chose comme « Zeynab, ton greffage est vraiment là où il doit être », et à Zeynab de chercher des yeux à qui elle faisait allusion puis c’était l’hilarité général, et une succession d’autres blagues malicieuses.
Je regardais encore le tissage de la fille et décidait qu’elles parlaient définitivement d’elle. C’était quelque chose, faut le dire. Ou peut-être marie ? Mais je n’arrivais pas à décider si elles se moquaient de son corsage ou de ses chaussures. Je décidais d’enlever mes écouteurs.
« … à y croire qu’elle se rend pas compte. On dirait un champignon. »
Elles se remirent à rire. Je ris aussi. Elles parlaient de la fille au greffage. Je la regardais aussi et ça avait vraiment l’air d’un champignon. Maimouna me demanda si je voulais bien mettre ça sur ma tête pour mon premier tissage. J’éclatais de rire en acquiesçant. Quand elle passa devant nous on riait encore. Moi, un peu plus discrètement. Je trouvais ça drôle mais pas si elle nous entend. C’était un peu méchant, et papa m’avait fait promettre de ne jamais rire chez quelqu’un quelque chose qu’il ne pourrait pas changer en 10 secondes. Mais j’étais tellement habituée maintenant avec les filles, je ne pouvais m’empêcher de rire à leurs blagues inspirées même si c’est sur des gens que j’aime bien.
Et j’avais besoin de rire.
Plus de trois semaines depuis le soir des élections. Je ne savais plus quoi faire. Mon cœur battait à tout rompre en permanence. Et j’étais de mauvaise humeur si souvent. Je ne voyais plus Khalil. Je le voyais, en vrai, mais juste comme avant, quand il y avait cette ligne invisible qui nous séparait, de loin. Mais je ne pouvais plus me permettre de le voir comme ça maintenant qu’il occupait mes pensées de cette manière. Je me rassure, me disant qu’il était occupé. Il est en terminale, ils préparent la première nuit du conte et tant de choses dont je n’avais pas idée. Donc c’était à cause des contraintes, j’en étais sure. Je me rappelle encore de ce soir-là, de mon cœur cognant contre ma poitrine et de son regard sur moi, même quand je les quittais avec Kadi. Je n’avais rien imaginé de la tension entre nous. Je n’avais rien imaginé j’en étais certaine. Mais il ne fait que m’envoyer des signaux contraires et ça me désespère. Des fois quand il vient parler à Maimouna furtivement et que je ne suis pas loin il ne me regarde pas et fait vite de disparaitre. J’en suis arrivée à me dire que c’était surement aussi une bonne chose, il m’évitait si ouvertement que ça ne pouvait être que parce que, moi aussi je le tourmentais. L’idée que je puisse tourmenter quelqu’un me semblait légèrement ridicule au début. Mais j’ai besoin d’y croire. Je ne fais que penser à lui en classe, à la maison, dans mon sommeil. Je me sens égarée et en terrain inconnu. Encore il y a un mois, je gardais en tête que les mecs ce n’était pas pour moi car étant tous des Ali et qu’il fallait les fuir comme la poisse. Mais ça c’était clairement parce que Khalil n’avait pas encore posé ses yeux sur moi. Et ses mains.
Je ne peux pas en parler à Kad. Je la vois à peine. Elle fait toujours ses excursions, elle a dû atteindre la dizaine de cours désertés. Elle rentre aussi tard que possible. Et quand elle est à la maison si elle ne travaille pas, elle est avec maman ou elle dort. Même le matin elle part plus tôt maintenant, mais elle n’est quand même pas à l’école quand j’arrive à 8h.
Je ne pouvais pas non plus en parler à Maty et Ouli parce qu’Amina est copine avec Maty.
Et Maimouna, curieusement ne m’a plus rien dit sur Khalil depuis qu’elle m’avait rapporté qu’il avait dit que j’étais jolie. Elle me regarde et je sais qu’elle sait mais elle ne pipe mot. Je ne sais pas de quel côté elle est, surtout quand je la vois rire avec Amina. Je ne suis pas sûre de devoir lui en parler.
Peut-être que c’est moi qui ne lance pas les bons signaux. Avec ma manie de garder le silence, peut être que j’aurais du être un peu plus entreprenante. Peut-être que je devrais faire plus d’efforts. La dernière fois j’avais à peine ouvert ma bouche. Avec toutes les belles filles matures et de son âge qui doivent se bousculer devant lui il ne s’attarderait pas sur une petite qui ne prend même pas la peine de parler, j’en étais sure. Je décidais, alors qu’on rejoignait notre banc préféré, que la prochaine fois que je le vois, je lui parlerais.
Le cours du soir était un cours de français. C’était curieusement le cours que je préférais. Il arrivait même à me sortir de mes pensées. Je n’avais jamais envie de jouer au pendu avec Lamine ou d’échanger des mots avec les filles. On continuait l’étude de notre première œuvre au programme : une si longue lettre de Mariama Ba. Je pense même à le lire. A part le harlequin de Kad, quelques pages de ses livres compliqués, les bandes dessinées de Aya de Yopougon que Maty m’avait prêtées une fois, le guide d’utilisation d’un kit à défriser, je n’avais jamais lu un livre. Je suis des fois attirée par les couvertures, ou les titres ou je veux juste faire comme Kad et aimer ça, mais je finis par laisser tomber parce que je ne me vois pas parcourir toutes ses pages et lire tous ces mots. Je n’aime juste pas lire. Toutes ces petites lettres rassemblées, mélangées sur plusieurs pages m’angoissaient. Mais ce livre est spécial. J’adorais écouter la douce lecture de Koumba qui se portait toujours volontaire pour lire. J’écoutais toujours attentivement, menton appuyé sur mes bras croisés sur la table. Peu de choses me faisaient me sentir aussi comblée. Je ne me savais pas aussi patiente. Le temps de lecture me parait toujours trop court et chaque bruit m’irrite plus que nécessaire. Et je déteste quand arrive la fin. Même Lamine avait compris qu’il ne fallait pas me parler quand on faisait la lecture, moi qui ne dit jamais non à une bonne séance de bavardage. Ce livre était définitivement quelque chose. Je n’arrivais pas à m’en détacher. Je n’arrivais pas à y penser comme à un livre ennuyeux qu’une énième personne prétentieuse impose au monde. Ramatoulaye me semblait être une personne réelle, palpable et mon cœur se serrait pour elle. Moi, qui n’avait aimé aucun homme à part mon père, mon cœur se serre a chacun des passages ou elle décrit si bien sa déception, sa douleur, je m’indigne avec rage de son esprit d’acceptation, je ressens ma gorge se nouer à tous les tourments dont je ne sais rien et auquel elle doit faire face seule. Je connaissais certains passages par cœur et j’y repensais des fois. J’aime ce livre, pas seulement parce qu’il utilise des mots que je comprends mais parce que je n’aime pas les livres et celui-ci est arrivé à me rendre, concernée, concentrée, engagée.
Le prof interrompit la lecture de Koumba une deuxième fois pour lui indiquer la prochaine page à lire. J’avais horreur qu’on ne puisse pas tout lire et qu’il faille sauter des pages. Il me fallait le lire pensais je encore tandis que Koumba continuait.
[ … Mes enfants poussèrent des cris joyeux en apprenant la fin proche de leur calvaire, qui reste le lot quotidien de bien d’autres élèves.
L’amitié a des grandeurs inconnues de l’amour. Elle se fortifie dans les difficultés, alors que les contraintes massacrent l’amour. Elle résiste au temps qui lasse et désunit les couples. Elle a des élévations inconnues de l’amour. Tu m’apportais en aide tes privations, toi la bijoutière.]
Le ton clair de Koumba était captivant. Je pensais à noter cette partie et la lire à Kad.
[… Modou surpris, incrédule, enquêtait sur la provenance de la voiture. Il n’accepta jamais sa véritable histoire. Il croyait, lui aussi, comme la mère de Mawdo qu’une bijoutière n’a pas de cœur.]
Le prof l’arrêta en me laissant sur ma faim. On discuta du style de l’écriture, du champ lexical de la reconnaissance. Encore un dernier saut de pages et on lisait la dernière partie à mon grand désarroi.
[… Ainsi demain je te reverrai en tailleur ou en robe maxi ? Je parie avec Daba : le tailleur…]
Je souris malgré moi de la tendresse dissolue qu’elle avait en parlant de sa meilleure amie.
[… Habituée à vivre loin d’ici, tu voudras-je parie encore avec Daba- la table, assiette, chaise, fourchette. Plus commode, diras-tu. Mais je ne te suivrai pas. Je t’étalerais une natte. Dessus le grand bol fumant où tu supporteras que d’autres mains puisent. Sous la carapace qui te raidit depuis bien des années, sous ta moue sceptique, sous tes allures désinvoltes, je te sentirai vibrer peut être. Je voudrais tellement t’entendre freiner ou nourrir mes élans…]
Je pensais encore à Kad. Je me demandais si elle avait pensé à moi quand elle aussi, en seconde lisait cette partie. Je repensais, elle a forcément du penser à moi.
Tandis que Koumba lisait la dernière phrase je décidais de commencer, arrivée chez moi, l’exemplaire de Kad auquel je n’avais pas touché. Jamais avant ce livre, un mot ne m’avait inspiré autre chose que l’ennui.
***
Je pensais encore à Ramatoulaye alors qu’on était debout devant l’école à attendre Maimouna. J’essayais de recréer son visage. Je l’imaginais grande et noire reine, je l’imaginais belle avec un constant foulard négligemment jeté sur la tête. Et je l’imaginais avec un rictus particulier, de ceux qui se battent en constance. Et un regard d’où se voyait l’intelligence. Elle devait avoir des airs de Kad.
Ma tristesse refis surface quand je me retrouvais seule dans le car, me rendant compte que c’était une journée de plus où je n’avais pas vu Khalil.
A la maison de trouvais papa comme toujours derrière son ordi.
Maman avait repris le travail même si les grèves continuaient, la gardant à la maison quelque fois.
Après avoir rangé les chambres, nettoyé le salon et lavé la vaisselle, je rejoignis papa à son « bureau ». Il ne me jeta pas cette fois. Je constatais un sachet sur la table près du petit bocal au milieu de la table. Je le pris pour regarder avant de lever un regard accusateur à papa. Il me regarda aussi comme s’il n’avait rien fait.
« Maman sera contente de savoir ça. C’était quoi un hamburger, un sandwich ?»
« Non. De la viande braisée. Je t’en aurais bien gardé mais… »
« Papa ! » m’écriais-je indignée
Je n’en revenais pas qu’il puisse encore plaisanter avec ça.
La dernière fois qu’il avait mangé à la dibiterie, il a dû passer une semaine à l’hôpital. Ça lui fait des palpitations et des maux de têtes atroces et quand on allait le voir il ne nous reconnaissait pas. C’’était horrible. Je détestais y penser. Le docteur nous rassurait nous disant que c’est juste l’intensité de la douleur qui le rendait comme ça mais que ça passerait. Mais l’image de papa qui ne me reconnaissait pas ne quittera jamais mon esprit.
Il ne prend jamais ça autant au sérieux que nous.
« Tu vas le dire à ta mère ? » demanda-t-il en tapotant sur l’ordi l’air de rien.
Je ne répondis pas et le fusillais du regard.
« Ce n’est que de la viande Maya pourquoi tu le prends comme ça ? »
Il plaisantait toujours et je me retenais de rire.
« De toute façon c’est fait. Dis juste que je t’en garde la prochaine fois, ce n’est pas la peine de prendre ça à cœur.»
Je ne voulais pas rire donc je me levais pour me diriger vers la cuisine. Ça m’énervait qu’il ne s’inquiète pas autant pour lui. Comme j’ouvrais le frigo, je sentis les vibrations dans la poche arrière de mon jean. Je sortis l’appareil et vis s’afficher un nouveau message.
Maman m’avait acheté un téléphone la semaine dernière. Et je l’adorais, il était bien plus sophistiqué que celui de Kadi et faisait des photos magnifiques. Maman m’avait dit d’échanger avec Kad mais elle a dit qu’elle n’en avait pas besoin. J’étais pour une fois contente de son manque d’entrain. Je ne l’utilise pas beaucoup parce que maman veut qu’on attende encore un peu avant que papa ne le sache.
C’était sympa d’avoir un téléphone. Je pouvais maintenant discuter par texto avec Lamine et les filles aussi. Je me mettais au coin de la cuisine et ouvrit le téléphone après m’être assurée qu’il était sur silencieux.
« Coucou la plus belle. »
Je fixais l’écran 2 bonnes minutes partagée entre l’excitation et l’hystérie. Je regardais le numéro inconnu et je m’imaginais Khalil penché sur l’écran de son téléphone tapotant sur son clavier pour m’envoyer un message à moi. Je ne me demandais pas qui lui avait donné mon numéro, je priais juste que ça soit lui.
Je répondis pour demander c’est qui. Pour la forme. Je savais que c’était lui. Ça devait être lui.
Il répondit 5 longues minutes plus tard avec la réponse que j’espérais.
Je sautillais au milieu de la cuisine en retenant mon envie de crier, je manquais de me cogner contre le frigo.
« Salut Khalil. Ça va ? » tapais je, puis j’optais pour « Salut Khalil. »
Maimouna disait que la clé c’était d’en dire toujours peu. Le minimum. Que les hommes aimaient le mystère et adorait qu’on se fasse désirer. Je cliquais sur « envoyer » dépitée de devoir mesurer mes mots.
Sa réponse ne tarda pas à arriver.
« Comment tu vas Maya ? »
« Je vais bien, et toi ? »
« Ca va super. J’espère que je ne te dérange pas. »
« Tu peux me déranger tous les jours si tu veux. Je veux être dérangée par toi. Tiens, je veux aussi que tu refasses le truc de la dernière fois, tu sais avec tes yeux, tes mains et »
J’éclatais de rire de ma bêtise. Papa fit irruption dans la cuisine et j’eus à peine le temps de mettre le téléphone dans le panier à cuillères.
Il me regarda suspicieusement.
« Tu fais quoi ? Tu as une tête bizarre.»
« Euh, rien, je… Je finissais de ranger les… plats »
Il haussa les sourcils. Puis s’avança et les battements de mon cœur s’accélérèrent, il ouvrit le frigo pour prendre une bouteille d’eau.
« Tu n’aurais pas cette tête si tu avais mangé de la viande. » dit-il avant de sortir.
Je repris le téléphone. Je pris soin d’effacer mes divagations bêtes et de taper une réponse courte et mesurée. Je restais scotchée à l’écran tandis qu’on s’échangeait des textos banales dont je raffolais. Il me demanda s’il pouvait m’appeler. Je fus prise de panique et je ressentis une envie irrésistible de m’allonger par terre sur le sol de la cuisine. Je réfléchis rapidement avant de sortir de la cuisine. Il était 19H15, si Kadi faisait comme les autres jours elle viendrait à vingt heures. Et papa ne monterait pas à l’étage de sitôt. Je serais en sureté dans ma chambre.
Je dis à papa que j’allais faire mes devoirs avant de faire les escaliers par deux.
Je lui répondis ensuite un oui puis j’attendis. Il appela 10 minutes plus tard. Je décrochais la main tremblante et le cœur battant la chamade.
« Allo. »
Je me serrais le poing dans une tentative de me contenir et de maitriser les battements de mon cœur et la sueur mais rien n’y faisait, j’étais paralysée.
« Allo Maya ? » répéta-t-il
Je ne pus sortir un mot. Je m’insultais dans ma tête. Je ne pouvais pas respirer ou bouger.
« Allo ? » redit il un peu chantant et ça me tua.
Il raccrocha ensuite et je posais le téléphone pour parcourir la chambre comme en furie.
Mais quelle conne, quelle conne, quelle conne, quelle conne.
Quelle conne.
Je fis des exercices de respirations et essayais de penser normalement. J’avais passé un temps horrible à me plaindre de son absence et maintenant qu’il était là je refaisais ça. Son intérêt pour moi allait finir par disparaitre si je ne faisais pas d’efforts. Il allait finir par penser que j’étais une petite fille puérile. Je respirais encore avant de prendre le téléphone. Il m’avait encore appelé en vain. Je lui envoyais un message pour lui dire de rappeler. Il appela la minute d’après et j’inspirais longuement avant de répondre.
« Allo ? »
« Allo ? » dis-je d’une voix aigüe.
« Maya » dit-il
« Oui c’est moi. »
Evidemment que c’est toi. Evidemment que c’est toi.
Il rit doucement.
« Tu étais occupée ? »
« Euh… Oui… J’avais… je faisais des trucs. »
« Ah d’accord. Tu vas bien ? »
« Oui super et toi »
« Ca va maintenant que j’ai entendu ta voix. »
Je restais muette et immobile au milieu de la chambre à me tordre les jambes et les mains.
« Tu ne dis rien ? » dit il au bout d’un instant.
« Je… Je suis contente aussi d’entendre ta voix » dis-je difficilement.
« Vraiment ? »
J’acquiesçais ardemment avant de répondre par la positive.
« Ça me fait plaisir. Je ne t’ai pas beaucoup vue dernièrement, je pensais que tu m’avais oublié. »
Mon esprit vagabonda vers Amina mais ça dura une seconde. Je ne ressentais aucun scrupule à parler à Khalil, son image me semblait un peu terne comparé à la voix de Khalil.
« … Moi je ne t’ai pas oubliée » ajouta-t-il doucement.
Je l’imaginais, collé à son téléphone, ses fossettes se creusant tandis qu’il me murmurait ses maux de sa voix caressante.
« Je pense beaucoup à toi » dit il après une autre pause.
Je gardais le silence encore. Cette fois ci vraiment parce que je ne savais pas quoi dire. Je pensais à une liste de personne qui avait dû penser à moi au cours de leur vie. Il ne devait pas en avoir beaucoup.
Je pourrais couper le téléphone si ces mots pouvaient continuer de raisonner dans ma tête avec la même intonation intime. Il pensait beaucoup à moi. Ca me donnait des pensées agréables où il ressentait le besoin de m’imaginer faire des choses banales telles que me brosser les dents, dormir. Ces mots chantaient dans mes oreilles. Je fis fi des conseils de Maimouna. Je ne voulais pas être subtile, ni me faire désirer, il pensait déjà à moi.
« Je pense aussi à toi » murmurais-je sans pouvoir me contenir.
Il garda le silence un court instant.
« Tu penses qu’on pourrait se voir demain soir après la pause ? Quelque part ? Pour parler ? »
Demain soir j’avais cours de Français encore.
« Oui » répondis-je juste la gorge nouée.
« D’accord. Je serais à notre bureau près du foyer, tu connais ? »
« Oui »
« Je t’enverrais un message »
« D’accord »
Le silence encore.
« J’ai hâte, Maya qu’on soit tous les deux. »
« Moi aussi. » soufflais je, mi haletante.
Il me souhaita une bonne soirée, me souhaita une bonne nuit avant de raccrocher. Maimouna aurait qualifié mon attitude de « carte de facilités » ou de flirt-suicide. Mais je n’en avais que faire. J’eus envie de me coucher à l’instant, convaincue que ma nuit sera bonne.
***
Rien n’allait plus. La pause était maintenant finie. Je sentais mon téléphone chauffer contre ma cuisse. J’essayais de me contrôler pour ne pas suer. Ce n’était pas le moment. Mais Dieu que mon cœur battait. Kadi venait de me laisser dans la mosquée pour faire un contrôle. Je restais sur la natte à essayer d’avoir des pensées positives. Tout irait bien. Ce n’était que Khalil. Tout ce que je voulais c’était être avec lui. C’était possible maintenant. Je n’avais pas à paniquer. Mais ça ne marchait pas. Quand mon téléphone vibra dans ma poche je me jetais dessus.
« Coucou la plus belle. Je t’attends. »
Je relis encore et encore le message avant de me pincer un bon coup et de me lever. Je me dirigeais vers les toilettes pour m’arranger et m’asperger de parfum.
Je me dirigeais en essayant de ne pas avoir l’air coupable vers le bureau éloigné. La cours était déserte tout le monde était en salle de classe.
Quand j’arrivais devant la porte je restais plantée devant jusqu’à ce qu’elle s’ouvre sur Khalil. Il portait une chemise à carreaux bordeaux et beige ouvert un peu sur sa poitrine. Je déglutis avant d’entrer comme il me laissait passer. J’entrais dans la petite salle alors qu’il fermait la porte derrière moi. Je me passais les mains sur mon jean en balayant la salle. Il y avait un bureau où des documents étaient empilés et un ordinateur ouvert, et il y avait quelques chaises aux airs pas confortables et une faible climatisation.
Je le sentis furtivement derrière moi avant qu’il ne me contourne pour me faire face.
« Salut » dit il
« Salut » dis-je après un temps d’arrêt.
Puis je me mis sur la pointe des pieds pour poser mes lèvres sur ses joues. Ce n’était pas moi. Il se mordit la lèvre inférieure avant d’avancer son visage vers moi et de me faire un baiser sur ma joue à son tour.
Je ne pus retenir un sourire puis je baissais la tête convaincue qu’il pouvait entendre mes pensées bruyantes.
« Content que tu sois là. »
Je ne dis rien. Il me demanda de m’asseoir sur une des deux chaises pas confortables en face du bureau. Puis il se mit dans l’autre avant de la rapprocher de moi.
« Bienvenue dans notre humble bureau. Là où toute forme de magie s’opère. » dit-il d’un ton exagéré qui me fit rire.
« Très humble en effet » réponds je
Il éclata à son tour d’un rire qui figeait le temps. Ses fossettes avaient l’air encore plus douloureuses de près tant elles étaient creuses.
«… Mais comme nous sommes la team efficience on fait avec les moyens »
« Tu fais quoi toi de toute façon ? »
Sa chaleur me mettait à l’aise, me rendait un peu moins nerveuse.
« Moi je suis même plus important que Momar. Je suis le secrétaire général, c’est moi qui trouve les sponsors, c’est moi qui m’occupe des autres clubs d’anglais environnement etc. C’est moi que les élèves viennent voir s’ils ont des problèmes pour trouver des salles après les cours ou des ordinateurs. Bref je suis primordial. »
J’étais sure d’avoir l’air bête devant sa prestance. Je me sentais tâche à côté de lui, on était si opposés. Je n’arrivais pas à croire que j’étais assise là, tout près de lui et qu’il a envie de me raconter tout ça.
« Donc au final Momar il fait quoi ? » dis-je
Il rit encore.
« Sincèrement rien. » murmura-t-il en faisant semblant de me confier un secret
J’éclatais de rire. Puis Je stoppais net comme il me regardait sans ciller.
« Tu es vraiment jolie. »
Je ne dis rien.
« … J’adore tes cheveux. Ils te donnent un air… Je les adore. Surtout quand tu les détache.»
Je déglutis, déjà décidée à me débarrasser des élastiques de Kad.
« Merci » arrivais-je à dire.
« Tu me plais beaucoup, Maya. »
J’essayais d’imaginer la tête d’Amina si elle savait que Khalil qu’elle croyait sien n’en a rien à faire d’elle. Ce qu’il me disait me faisait tellement de bien et il n y n’avait pas de place pour Amina dans ma tête.
Je ne pouvais toujours rien dire. On se regardait et des frissons me parcouraient. Il avança sa main et se mit à passer sur mon bras avec ses doigts lentement. Je baissais les yeux sur ses doigts en mouvement, sentant son regard sur moi. Mes yeux n’arrivaient pas à quitter le déplacement étourdissant de ses doigts. J’eus l’impression de faire quelque chose de mal tant ça me faisait du bien. Une douceur se propageait dans mon ventre. Comme quand j’ai envie de serrer un coussin entre mes jambes quand je lis les harlequins de Kad. Jamais je n’avais ressenti cela. Je ne savais pas hier qu’il y avait cela à ressentir. Cela dura une éternité, lui continuant sa douce torture et moi suivant ses doigts évitant de rencontrer ses yeux.
Puis il continua de parler. Il me parlait de ses cours. Il voulait aller en France après le Bac. Ça me pinça le cœur. Mais c’était encore loin. Il voulait faire de la biologie comme Kad. Puis éventuellement j’ai commencé à lui parler d’elle. Je finis toujours par parler d’elle. Et il m’écoutait l’air captivé, même quand je lui racontais les péripéties de papa. On parla ensuite du proviseur qu’on décidait d’un commun accord que c’était le pire de l’histoire. Il avait arrêté ses caresses et avait retiré sa main pour la poser sur sa cuisse. Une moi que je ne connaissais toujours pas pris sa main à son tour. Il observa un temps d’arrêt comme pour me jauger puis il baissa ses yeux sur ma main. Il la prit et m’embrassa la paume. La douceur dans mon ventre se décupla, je crus défaillir. Et c’était de pire en pire alors qu’il rapprochait mon visage du mien.
