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4. « Laisser les anges se soumettre »
Des fois, souvent, j’aime penser aux couleurs. Les couleurs… Je me retrouve dans ces situations… complètement folles... et je pense à des couleurs. Comme la première fois où j’ai vu mes règles, à 13 ans. Sous le chaud soleil. Marchant avec hâte pour arriver à la maison. J’étais presque arrivée, j’étais tout près de la mosquée du quartier pas loin de notre maison… puis je l’ai sentie. L’humidité… le sentiment d’être trempée. Je croyais avoir fait pipi dans ma culotte. Mais je ne faisais jamais ça. Maman, évidemment, ne m’en avait pas parlé. Parce que maman ne disait jamais rien. Et Kad, Kad, n’avait pas mon temps, Kad avait ses propres problèmes de grande. Je m’étais assise sur une pierre près d’un poteau. Et j’avais effleuré l’intérieur de mes sous-vêtements de mes mains moites. Du sang. J’allais mourir. On était Mercredi. J’étais descendue à 13h. C’était mon jour préféré. Parce qu’on descendait tous tôt et on mangeait ensemble. Et papa ramenait des arachides cuits à la vapeur et on les mangeait tous ensemble dans le salon assis à même la moquette. Ce n’était pas un jour pour mourir. Mais j’avais ce sang qui sortait de mon corps. J’allais mourir, seule, sous ce soleil. Le soleil brillait. Mais j’allais mourir quand même. Le soleil brillait et ça ne m’empêcherait pas de mourir. Je m’étais adossée au poteau et j’avais pensé à quel point la couleur pourpre était sinistre. Je ne connaissais pas le mot « pourpre » à l’époque, juste le violet. Juste le violet. C’était sinistre. Tellement, tellement sinistre. Je me suis dit que c’était bien que ça ne soit pas une couleur commune. Que le ciel n’était pas souvent pourpre. Qu’il n’existait pas tant de choses pourpres. Que je n’allais pas mourir sous cette couleur. C’était tellement sinistre. Ça me rendait triste d’y penser. Mais je ne pouvais pas arrêter.
La vendeuse de légumes du quartier m’avait trouvée là. Elle me posait questions mais je ne l’entendais pas vraiment. Elle m’a ramenée jusqu’à chez moi. Kad et maman avait ri de moi. Je ne comprenais pas. J’étais en train de me vider de mon sang, de crever et elles se marraient. Puis maman m’avait expliquée. Je n’allais pas mourir. J’étais tellement soulagée. Il n’y avait plus de couleur, plus de signal d’alerte, plus de signal de détresse.
Je quittais le plafond des yeux et regardais Kadi allongée à côté de moi, sur la natte, yeux fermés, mains croisées sur le ventre. Je balayais la salle des yeux, la voilée nous ignorait royalement. C’était la moindre chose après le chantage qu’elle nous avait fait.
Maintenant on priait avant de pouvoir nous terrer ici. C’était « le minimum » avait-elle dit. Si on ne priait pas on ne pouvait pas rester, c’était tout. Elle ne pouvait pas nous forcer à prier mais on le faisait quand même. De toute façon, prier, ce n’était pas diable. Je n’aime juste pas la sensation de mon front sur leurs nattes à la propreté douteuse. Sinon, faire des flexions, réciter les sourates insensées les plus courtes que je connaissais, ce n’était pas diable. C’était vite fait. Elle nous fusille toujours du regard après le salut final, quand on se lève à la hâte sans prières supplémentaires. Je pense qu’elle pense que le diable nous habite ou un truc. Je ne sais pas pourquoi elle est si sérieuse à propos de cela. Je n’ai que 16ans, bientôt 17, j’étais sure que Dieu n’avait pas encore vraiment besoin de mes prières pour de vrai, j’étais sure qu’Il n’avait pas besoin de moi, qu’Il ne me punirait pas moi pour si peu alors qu’Il avait tellement de grandes personnes à surveiller. J’avais le temps. Kadi par contre, elle avait besoin de moi. Mais elle n’avait pas 16ans, je pense que Dieu avait besoin qu’elle prie un peu plus…
Je ramenais mes yeux à elle.
*A quoi tu penses ? *… Mais ma bouche restait scellée. Je voulais la faire parler. Le silence m’étouffait. Ses larmes m’étouffaient aussi, mais le silence, le silence… Je déteste ne pas savoir. Je déteste imaginer toutes ces choses qui se passent dans sa tête et que j’ignore. Ça a l’air si grand. Si, si grand. Plus grand que moi. Plus grand que tout. C’est dans ses yeux. Quand elle ne pleurait pas, elle fixait un point quelconque longtemps, longtemps, sans ciller, c’était douloureux, j’étais sure que c’était douloureux. Ou elle me regardait. Je n’aimais pas son regard dernièrement, comme si elle m’analysait. Comme quand papa me sonde pour savoir qui est allé sur 123Love sur l’ordinateur. Et qu’il cherche une preuve sur mon visage. Mais Kad me connaissait, elle n’avait rien à chercher.
Et des fois elle me posait des questions. Des questions qui avaient l’air de lui échapper. Par exemple si je trouvais que ses cheveux étaient plus fins que les miens… si je pensais que j’avais bonne mémoire… C’est angoissant d’être près d’elle. J’ai juste envie de la secouer et de lui répéter mille fois que je ferais pour elle tout ce qu’elle ne peut pas, qu’elle pouvait me dire.
Des fois elle s’arrête au milieu d’une phrase. Et des fois elle ferme juste les yeux. Ça, c’était le pire.
Elle ne veut même plus aller aux balades avec papa et maman. Je comprends qu’ils se soient fâchés mais même papa fait des efforts. Il lui a même offert un téléphone pour qu’elle appelle quand elle a besoin de rester tard. Elle n’était même pas enthousiaste. Etre avec elle me faisait peur. Ne pas savoir me faisait peur. Et je ne voulais pas qu’elle me dise non plus. Je voulais mais je ne voulais pas. Ça me rassure intérieurement de me dire que c’est surement avec Ali que ça ne va pas. Ca me semble plus simple que toutes les choses que ça pourrait être. Je voulais juste qu’elle arrête de pleurer. Et que son regard quitte le vide.
« Tu sais, je pense que tu devrais prier plus sérieusement. Au cas où, tu sais, je pense que tu es punissable là » murmurais je en me tournant totalement vers elle.
Elle prit un moment avant d’ouvrir lentement les yeux et de fixer le plafond.
« … En plus, tu as un petit ami. Je pense que c’est interdit. Donc tu devrais en plus faire des prières supplémentaires pour compenser… Parce que genre, tu sais, papa dit qu’il suffit de faire ce que Dieu demande et faire des efforts…»
« Si papa le dit c’est surement vrai, hein ? » dit-elle de cette voix la qui me faisait rater des battements.
Je perdis le fil.
Elle referma les yeux. Je balayais encore la salle des yeux. Personne ne faisait attention à personne. Il y avait une autre fille en plus de la voilée. Cette dernière tenait un Coran de ses deux mains comme on tenait un bébé. Je la fixais jusqu’à ce qu’elle rencontre mes yeux. Elle me fusilla du regard avant de retourner à sa lecture. J’eus envie de lui dire que peut être elle ne devrait pas être aussi hostile avec un coran entre ses mains.
Je parlais encore à Kad. Je lui parlais des trois petits diables. Je lui dis comment elles étaient géniales même de loin et que peut être que j’avais réagis trop vivement. Que je me sentais trop à l’écart. Que je n’étais pas censée être un outsider mais que j’étais réduite à trainer avec Lamine qui était si effacé.
« Je suis Regina tu vois, Regina George, Je suis Blair, Je suis Serena. Je ne devrais pas être la fille à coté, avec l’appareil dentaire, avec l’unique pote bizarre. » Dis-je légèrement.
Elle ne rit pas comme j’espérais.
« Tu ne veux pas être Regina. Elle se brise la colonne vertébrale, à la fin, tu te rappelles ? Tu ne veux pas ça. »
Silence.
« Mais je te comprends. » ajouta-t-elle au bout d’un instant, « Je te comprends… Que tu veuilles être elle. Elle a tellement d’amis. »
Pourpre.
Je ris nerveusement.
« Ou je pourrais être comme toi. Ça m’irait aussi. » Tentais je
Le silence. Je la regardais alors qu’elle fixait le plafond maintenant. Elle avait les lèvres fines et un nez pointu. Et ses pommettes, tracées au laser… Comme les sourcils de Maimouna, tiens. Elle détestait ça, ses pommettes, son nez. Et je la trouvais tellement belle. Je souhaitais qu’elle se voie à travers mes yeux, juste une fois, ou en rêve.
Je repensais à ce qui avait pu se passer ce soir-là. Comment une minute elle était prête à parler de nuques et la minute suivante elle fixait le vide. Puis j’arrêtais d’y penser. Simplement. Comme papa disait. Quand une chose ne nous va pas on décide simplement d’arrêter. Tout est dans la décision. J’arrêtais d’essayer d’imaginer. Elle se tourna pour me regarder furtivement avant de ramener ses yeux au plafond. Elle avait mis ses cheveux en chignon au milieu de sa tête. Elle faisait plus d’efforts que moi. Elle n’aimait pas la masse sur sa tête. Je n’aimais pas moi, quand elle les attachait. Ça nous distinguait encore plus. Mais c’est inimaginable pour elle d’aller, tête hirsute, à l’école. J’aimais ca moi. Je me sentais un peu brute comme ça, un peu intimidante, un peu à part.
« Tu ne seras jamais comme moi. »
J’ouvris la bouche avant de la refermer.
J’aimais aussi quantifier toutes les choses que je pouvais. Ça me relaxait de savoir exactement à quel niveau se trouvait quelque chose. Combien. Comme compter les nombres de mots que je ne connaissais pas dans les livres, compter le nombre de points qu’il me restait pour que j’arrive à une note précise, compter les minutes quand papa et Kad se disputait. J’aimais ça. Ça me relaxait. C’est tellement plus facile de se dire qu’on est à 3 points de la note qu’on veut que de se dire qu’on aurait dû plus apprendre, ne pas bâcler. Et de se dire que tout se limitait au nombre. C’est si facile de tout ramener au nombre. De un à 10, à quel point me sentais je dominée par ce poids invisible que posais Kadi sur mes épaules à chaque fois qu’elle fermait les yeux ou fixait le vide ou pleurait ou me posait des questions trop lourdes pour moi ? Je voulais m’éloigner d’elle, juste un peu. Ce nombre était trop grand. C’était trop grand. Plus grand que moi et ça m’échappait.
« Faut que j’y aille. »
Elle avait refermé les yeux et ne bougeait toujours pas quand je sortis.
J’avais cours de Géographie. Il restait encore dix minutes avant le début du cours. Maimouna et les autres étaient devant la classe sur le balcon dans une discussion animée. J’eus un pincement au cœur mais je les dépassais quand même. Zeynab me lança un salut alors que j’entrais en classe et j’en restais bouche bée. Je lui fis un petit sourire. Je rejoignis Lamine à notre table.
Lamine était drôle. Derrière ses airs nonchalant et calme il était… drôle. Vraiment drôle. Il n’essayait pas beaucoup. De l’humour facile. Facile tout comme sa conversation. Je suppose qu’il y a des gens comme ça qui rende tout tellement facile. Tout ce dont je parle avec lui vient sans recherches. Je suis sure que si quelqu’un d’autre écoutait nos conversations, il décèlerait toute la bêtise qui m’habitait. Je ne me sens pas plus intelligente quand je lui parle mais, comment dire, ça importe peu. Ce qui compte c’est que je ris avec lui et ma bêtise lui va et surtout il ne me suit pas partout au vu de tous. Et en plus il connait de la bonne musique. Je pensais être la seule à écouter Kid Cudi et Eminem. Il comprend. C’est un vrai. Et en plus, et en plus, il ne me regarde pas bizarrement quand je parle de papa à n’en plus finir, je lui ai dit au moins cinq fois qu’il était un tel génie avec un ordinateur, qu’il connaissait tout sur tout et qu’il avait écrit un livre sur le langage C, et ça ne l’ennui pas. Et il m’aide à réviser. On a fait deux autres devoirs et j’ai eu de bonnes notes même si Kadi n’avait pas le temps de les regarder.
Du coup on bavarde beaucoup en classe maintenant. On se fait des messes basses et j’ai arrêté d’aligner mes affaires sur la table devant moi. Bien sûr je ne suis pas encore prête à passer mes pauses avec lui ouvertement, mais j’aime lui parler en classe. Je vois Maimouna et les autres et leurs airs supérieurs quand je ris avec lui. C’est vrai qu’il est un peu bizarre, Lamine, et il ne fait pas vraiment parti de la « haute société ». Mais je suis sure que ça ne voulait pas dire que je n’en faisais pas partie aussi. Je suis Regina.
Je me suis rapprochée d’autres filles de la classe, comme Rama, elle est sympa. Et elle traine avec Maimouna mais elle me parle quand même, ça veut dire que je ne suis pas exclue complétement.
Pendant le cours, Zeynab et les autres agissaient bizarrement. Elles… me parlaient… me souriaient… A la descente alors qu’on formait des groupes pour un exposé je me retrouvais dans le même groupe qu’elles... A leur demande. On resta un peu pour parler de notre thème. Je ne parlais pas beaucoup. Et elles parlaient de tout sauf du thème. Elles parlèrent des élections à venir pour le président du foyer de l’école, du premier bal poussière pour bien débuter l’année, du nouveau rouge à lèvre à la boutique du coin. Des sujets tellement légers. Je ne parlais pas mais je me sentais relax, sans responsabilités, légère. Ce n’était pas comme toute à l’heure avec Kad.
« Tu peux venir demain Maya avec nous pour qu’on voit les rouges à lèvres, si tu veux. »
Je m’entendis dire oui, je me sentis sourire. Amina passa dire bonjour à Zeynab. Elle était très maquillée. Je me demandais quelle explication elle avait donné à ses parents pour sortir comme ça. Je l’aimais de moins en moins à chaque fois que je la voyais. Des que tu entends sa voix tu sais qu’elle est belle, qu’elle a de longs cheveux lisses, un parfum capiteux, de longs ongles et que les mecs se retournent sur elle, alors la voir en plus… Et comme Maimouna, elle avait cet air, comme si elle en savait plus que tout le monde.
Je rentrais sans pouvoir voir Kad. Maman était descendue tôt pour une fois. Elle avait fait la cuisine. C’était le tour de Kad, je n’avais pas de chance.
Elle était au salon à revoir ses cours et papa était comme toujours sur son ordi. Il me demanda où était Kadi. Je ne savais pas.
« Elle était en classe. Ils ont des examens. »
Il me posa d’autres questions. Il était tellement protecteur. S’il savait que Kad était avec Ali je n’ose pas imaginer comment il le prendrait. Puis il me demanda si je ne m’approchais pas trop des garçons ou vice versa. Maman nous suivait, riant de mes manœuvres désespérées pour m’échapper. J’espérais que Kad allait rentrer bientôt. Tout le monde était de bonne humeur … peut être qu’elle pourrait se réconcilier avec papa. Mais quand elle arriva elle se dirigea vers la chambre après avoir salué. Ambiance.
Papa était énervé et maman ne disait rien. Je pensais à la petite discussion avec Maimouna et les autres. Si léger, pas comme maintenant.
***
Je rangeais pour la cinquième fois la chambre en quelques déplacements inutiles, essuyant par ci par là. Kadi avait laissé trainer des sous-vêtements dans les toilettes.
Je descendis ensuite au salon où papa faisait des exercices de respiration qui faisaient rire maman. C’était ridicule, je ris en rejoignant Kad en cuisine.
Aujourd’hui était un jour spécial. Ma tante Marie venait nous voir. C’était la grande sœur de maman. Et elle était terrible. On doit se préparer minutieusement quand elle doit venir. Elle est terrible. Entre elle et ses enfants, la maison est sens dessus dessous après leur passage. Je l’adore. Elle fait partie de ces personnes qui crient plus fort que tout le monde. Peu importe comment tu cries, elle crie plus fort que toi. Et elle rit plus fort. Personne ne peut rater sa présence. Et quand elle est fâchée tu le sais, elle ne le cache pas, elle est crue. Comme une salade. Et elle est géniale. A chaque fois qu’elle vient elle amène deux paquets de défrisage pour Kad et moi même si elle sait qu’on ne les utilisera pas, elle tente toujours. Elle déteste nos cheveux.
Elle nous fait passer quelques moments embarrassants en laissant échapper des remarques indélicates, et elle ne mâche pas ses mots avec papa. Entre papa et elle, c’est compliqué. Ils se chamaillent beaucoup, toujours à se chercher des poux comme des enfants. Et ses enfants aussi sont super. Les deux garçons, Adama et Amadou ont mon âge et il y’a Diatou qui a 15 ans et le petit dernier, Bachir qui en a 11. J’adore quand ils viennent. Ils viennent passer le week end au moins chaque deux mois. C’est super. On met des matelas un peu n’importe comment dans le salon, on dort tous ensemble… et des fois on ne dort pas. Et les deux garçons dorment dans notre chambre. Et papa grinche quand ils restent avec nous tard dans la nuit. Mais il n’arrive jamais à vraiment se fâcher contre eux parce qu’ils ne lui laissent pas le temps.
Et on fait des petits dej spéciaux. J’adore vraiment quand elle vient. Maman rit haut et fort. Kad l’aime beaucoup aussi. C’est difficile de ne pas l’aimer. Surtout parce qu’elle fait flipper et c’est mieux de l’avoir de son côté. Et aussi parce qu’elle n’en a rien à faire que la maison puisse à peine nous contenir tous. Quand je vais chez elle j’ai souvent peur de me perdre tellement sa maison est grande. Mais elle n’en a rien à faire, qu’il faille réchauffer l’eau sur le gaz, qu’il faille aider à faire la cuisine et le ménage, qu’il faille mettre la serviette sur la porte des toilettes pour que ça se referme ou qu’on ne mange pas à table comme chez elle. C’est difficile, de ne pas l’aimer, même avec son tempérament.
Ça tombe bien qu’elle vienne. J’espère qu’elle fera ce qu’elle fait si bien, embarrasser tout le monde. J’ai grand espoir qu’elle donnera son avis décalé sur Kad et papa et qu’elle les réconciliera et aussi qu’elle déridera Kad, surtout ça.
Elle arriva comme toujours avec deux heures de retard, avec plein de bruits.
« Ahh ma miss est là. Namonn naleu. Toujours aussi belle. Et ces cheveux que tu ne veux pas que je lisse… »
J’éclatais de rire alors qu’elle franchissait la porte avec tous ses sachets et sacs.
« Donc vous vous jurez vous ne vous coifferez jamais de votre vie. Si tu arrives à avoir un chéri avec cette tête je devrais aller jouer au loto souvent. Mais tu es belle quand même ma chérie allez fait moi un autre bisou… Et Kad, pourquoi elle ne m’accueille pas ? C’est qu’elle m’a oublié cette petite… KHADIJA ? J’ESPERE QUE TU ES VRAIMENT OCCUPEE.»
Amadou et le petit Bachir entrèrent à sa suite suivit de Diatou sa sœur et Adama. Amadou fourragea dans mes cheveux comme habitude avant d’entrer. Et Adama me lança un salut dédaigneux. C’est celui que j’aimais le moins.
On se retrouvait tous au salon. Kadi subissait Déjà le faux sermon de tata Marie.
« Yangui napp sene wa ecole beu legui ? » (Tu fais toujours ta terreur à l’école ?)
Kadi rit sincèrement.
« Hamnako. Dangua fokni sa papeu moko mom mo tax meyo ken place ? Dgn leussi bayi req » (J’en suis sure. Tu penses que ton père a acheté l’école donc tu ne laisses de place à personne ? On te laisse trop faire.) »
Elle ne s’arrêtait pas. Elle ne filtrait pas. Papa faisait tout pour ne pas se disputer avec elle si tôt. Même quand elle lui demanda combien de tonnes il avait perdu maintenant avec son faux régime. Une vraie tornade.
Et comme toujours après le repas elle empêcha tout le monde de bosser ou de dormir. Elle prit sa douche, fouilla notre chambre. Puis se remit au salon. Kad, Amadou, Diatou, Adama et moi nous retrouvâmes dans notre chambre à discuter. Amadou aussi était un petit génie. Donc tout tournait autour des études. Diatou et moi nous regardions compatissantes l’une pour l’autre. Puis on parla de séries télévisées, on parla de tout. Puis Amadou me demanda comment était la seconde. Ou était les chéris. Adama ne participait pas à la discussion. Il portait ses écouteurs et tapotait sur son téléphone l’air d’être au bout de sa vie.
Apres diner. On se mit à mettre les matelas au salon. Je fis la vaisselle avec Diatou. Elle n’était pas comme Amadou, elle était plus réservée et timide. Et Kad l’intimidait un peu donc des qu’elle entrait dans la cuisine elle se taisait. Elle était en troisième. Elle avait un petit ami. Elle me demanda si j’en avais moi. Je lui dis que non mais je lui parlais de Khalil. Mais j’arrêtais au milieu de ma description détaillée par ce que ça n’avait pas de sens que je parle de lui. Puis je lui parlais de Maimouna et des autres et de leurs frasques. On trouvait papa et tata marie et maman discutant au salon. Je montais avec Diatou pour nous mettre en pyjama. On trouvait Kadi assise au bout de son lit les yeux dans le vide. Elle prit quelques secondes de trop avant de se lever et de bredouiller quelque chose et de sortir. Je fis comme si de rien n’était.
Le week end se passa super. On passait des nuits blanches. Tata Marie nous racontait des anecdotes hilarantes sur ses voisins snobs dans son quartier huppé et sur sa belle-sœur qui venait du village. Puis elle nous harcela sur les garçons. Elle nous menaça pratiquement de mort si jamais on s’aventurait à aller aux réunions entre jeunes dans des appartements ou qu’on se mettait à être trop « ouvertes » avec les garçons.
« Kumeu si deg da dem AP dineu meti si yenn » avait elle dit
Je me demandais ou elle trouvait toutes ces infos.
« … Les garçons c’est super. Ne vous méprenez pas. Il faut sortir avec. Plus d’un même si vous voulez. Seulement ne les laisser pas croire qu’ils vous ont achetées à l’épicerie du coin. Vous devez être au contrôle et bien mesurer les limites. »
C’est le genre de choses qu’elle disait. C’est pour ça que papa et elle ne s’entendait pas.
« Ne me traumatise pas mes enfants » lui avait dit maman entre deux rires.
Ca l’avait déclenchée. Elle avait commencé à nous raconter les mésaventures de maman qu’on appelait « Kalmy la foudre » tellement elle détruisait tout sur son passage. Même Adama riait aux larmes. Seule Kad restait silencieuse dans son coin.
Dimanche matin une énième dispute éclata entre papa et Kadi, parce que Kadi ne quittait pas son téléphone et cela mit papa hors de lui. Evidemment tata Marie s’en mêla. Ca s’envenima quand Kad refusa de donner le téléphone à papa. Tata Marie avait dû remarquer que ça n’allait pas entre eux, elle calma la situation avant d’aller avec Kad dans notre chambre. Elles restèrent ensemble dans la chambre près d’une heure. Puis maman et tata marie parlèrent à l’écart. Je restais cloitrée au milieu du salon à suivre tous les mouvements et à écouter Diatou et ses frères murmurer à côté. J’étais fatiguée.
Quand elle rentra la maison me sembla plus vide qu’avant. Parce que personne ne parlait à personne. Maman était plus silencieuse qu’avant. Je me sentais seule au monde. J’entendis Kad pleurer dans la nuit. J’attendis que ça finisse, le torrent. Je me poussais tout contre le mur. Mais elle ne se glissa pas dans mon lit. Ni ce soir, ni aucun autre soir après.
***
Les candidats faisaient leur campagne à l’école. Ils étaient deux. Quand le camp de Khalil entra en classe, je faillis sortir de ma table. Khalil était là, sublime, avec son cou sublime, ses bras sublimes. Il s’avança en premier. Il parla de sa voix rauque et posée. Les filles se tortillaient sur leurs bancs, se touchaient les cheveux.
« Regarde comment Adji se mord les lèvres, genre Khalil va la calculer » me murmura Maimouna, narquoise, dans l’oreille.
Je ris avec elle avant d’écouter Khalil qui était le porte parole de son camp. J’essayais de ne pas agir comme adji et toutes ces filles ridicules. Pas de tortillements, pas de mains qui trainent, rien. Mais Khalil balayait la pièce en parlant et des fois j’avais l’impression qu’il s’arrêtait particulièrement sur moi. Je gardais un visage impassible avec Maimouna à côté de moi. Puis j’eus l’impression qu’il me souriait à moi. Avec tous ces gens dans la classe, j’eus l’impression qu’on partageait un secret. Mon cœur battait à rompre tous mes veines. Et je sentais mes cinq sens en alerte, et les ondes se déplacer en moi. Puis je pensais au fait que j’étais ridicule, qu’on n’avait pas cinq sens, que c’était un mythe ridicule pour ceux qui ne connaissait pas les autres sens comme la toniception, le nociception, la thermoception et qu’en plus, les ondes ne se « déplaçaient » pas, elles se « propageaient ». Kad m’avait dit tout ça et si …
« Tu es complètement givrée ma foi » Marmonnais je
Maimouna : « Quoi ? »
« Non rien, rien. » dis-je précipitamment.
J’eus envie de me frapper la tête contre la table juste une fois.
Khalil nous présenta son candidat et se mit en arrière avec le groupe. Puis là, il me regarda fixement. Mon esprit tordu eut envie de vérifier si je n’étais pas en feu, tant la chaleur se répandait dans mon corps. Je devais avoir une tête franchement ridicule. Parce qu’il baissa la tête en un sourire. Je souris aussi.
*Mais que tu es bête. Que tu es bête.*
J’eus l’agréable sensation qu’on partageait un moment intime au milieu de toutes ces personnes dans la salle. Puis quand je me tournais pour voir que personne ne nous voyait je tombais sur Maimouna qui me regardait suspicieusement moitié rieuse. Elle me fit un clin d’œil avant de suivre. J’étais embarrassée de fou.
En sortant avec Maimouna et les autres, elles s’arrêtèrent à l’endroit où était Khalil et son groupe. Je restais à l’ écart. Maimouna les félicita pour leurs discours. Puis s’adressant à Khalil elle me tira par le bras.
« Khalil, c’est Maya, je ne vous ai pas présenté. C’est mon amie. » Dit-elle malicieusement.
Khalil la quitta des yeux pour se tourner vers moi avec son sourire éclatant. Même sa façon de bouger m’éblouissait. La façon dont il tournait sa tête doucement et que son profil laissait place à sa face. J’étais éblouie. Je me sentais un peu poussière, un peu vaporeuse, un peu fondante, un peu flottante… Je me détesterais pour tout ça plus tard, sous les yeux de Beyonce dans mon lit. Apres, mais maintenant, je suivais ses lèvres se mouvoir au ralenti et ses yeux rives dans les miens. Il cillait rapidement… Et c’était délicieux.
« … Tes amies sont mes amis » arrivais je à l’entendre dire.
Puis je pris maladroitement la main qu’il me tendait. Toutes sortes de sensations se passèrent en moi. J’étais sûre qu’on n’avait pas que cinq sens. Tout ça ne pouvait pas contenir dans cinq seuls sens. Et je pensais au fait que le rouge était une couleur magnifique et heureuse et excitante. Et je pensais que de 1 à 10, j’étais en train de tomber pour Khalil à vitesse 100. Littéralement, tomber.
« Attention ! »
Il fallut que je sente sa main sur mon dos avant de me rendre compte que j’etais sur le point de m’étaler sur le sol du couloir devant tout ce monde. Les carreaux étaient glissants et je pensais beaucoup, beaucoup trop.
*Bon moment pour tomber petite idiote*
« Merci » balbutiais-je alors que j’essayais de retrouver l’équilibre.
Ses mains n’avait toujours ma quitté mon dos et ma paume. Maimouna se racla la gorge, un autre ami de Khalil aussi. Puis Amina apparu, agaçante avec sa voix qui m’énervait. Il me relâcha instantanément. Elle embrassa Khalil sur le coin des lèvres lui demanda quand ils feraient un tour dans leur classe. Salua tout le monde, me jeta un regard hocha la tête avant de partir avec Khalil. Khalil et ses yeux, délicieux, ses mains, délicieuses, et son cou…
***
Je regardais Kad, je brulais de lui dire, de lui donner trop de détails. De lui dire que finalement je ne détestais pas Khalil, que finalement son sourire ne me faisait pas sentir si mal que ça. Mais elle était occupée. Elle était normale. Elle n’avait plus les yeux dans le vide. Elle avait l’air vraiment occupée. Elle parlait un peu plus à papa et était même venue à notre dernière balade. Peut-être que ça allait mieux ? Bientôt je pourrais lui dire toute ces choses. Je me couchais après lui avoir emprunté son haut rouge. Et un élastique. Demain j’allais m’attacher les cheveux.
J’espérais que la nuit passerait vite. Que demain viendrait vite. Je me fis de nouveaux films fraichement produits dans ma tête. Khalil et moi nous rencontrant dans les couloirs, échangeant des regards. Peut-être qu’il me sourirait comme ce matin. Et peut-être qu’il garderait ma main un peu plus longtemps dans sa main. Et au milieu de tous ces gens on partagera ce moment spécial, secret. Puis j’imaginais encore la sensation que ça devait faire quand Amina avait posé ses lèvres sur sa peau. Ça devait être si bon. D’être aussi près de lui, de toucher sa peau, de la sentir. Ça devait être délicieux.
Maimouna avait dit que Khalil avait dit que j’étais belle. Que ça deviendrait intéressant. Je savais que je m’étais emballée et qu’il valait mieux être copine avec elle. De toute façon ça ne fait rien si elle a l’air de donner des ordres des fois, elle en connait plus que moi, sur tout. Et je pourrais toujours me débrouiller pour acheter à la station. Ce n’est pas si compliqué. C’est au moins 5 fois plus facile que d’aider Kad à passer deux journées sans déprimer.
***
I miss you :*
