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2. « Le vent sous mes ailes »
C’était mon premier jour de classe. Nous venions de descendre du car, Kadi et moi et elle était restée à attendre Ali devant le kiosque-papeterie. Ce qui était dommage. J’avais envie de lui demander ce que ça allait être. La seconde. J’avais envie de partager mon excitation quelque part et mes craintes.
Je me sentais comme une star. Comme si j’avais fait un grand pas dans ma vie. Je me sentais adulte et à ma place dans mon corps. En troisième, on regardait les élèves du second cycle comme des Dieux. Comme dans un pays lointain où on ne mettrait jamais les pieds. Mais maintenant, maintenant, j’y étais. La seconde. Finis le collège. Finis le petit bâtiment aux couleurs de l’enfance. Maintenant j’étais une grande, une lycéenne.
Les négociations pour que j’aille en S ont été assez faciles. Maman est un peu vénérée par notre proviseur et Kadi également. De plus, venant d’une telle famille, ils « savaient » que je ne pouvais que m’en sortir. Ça m’angoissait un peu. Surtout Khadija. J’attendais qu’elle me dise à quel point ça serait génial et qu’on prendrait la soirée à en parler. Mais tout ce qu’elle m’a dit c’est que c’était fini les dictées en classe maintenant, qu’il fallait prendre des notes, qu’il fallait être attentive, qu’il ne fallait rien rater de ce que le prof disait, que les rédactions où je racontais des histoires rocambolesques et pleines de fautes aussi : finies. Maintenant ça serait les dissertations, des sujets réels, engagés, culturels, politiques. Et surtout, surtout, j’allais commencer les sciences physiques et les langues. Les sciences physiques, c’était très important. Elle voulait être biologiste quand elle serait grande. Si je voulais ça aussi il faudrait que je m’y mette. C’est tellement de pression. Moi je ne voulais penser qu’à ma nouvelle classe, à mon nouveau bâtiment. Au lycée, ils avaient un jardin pour eux seuls. En troisième, on passait notre vie à y penser, ce jardin mythique, fabuleux, légendaire et les choses qui s’y passaient. Savoir que j’y mettrais les pieds dorénavant et que j’en aurais le droit, me remplissait de bonheur. Je balayais toute la pression que kadi avait mise dans ma tête. Maintenant j’étais une grande dame. Comme avait dit papa. Lui au moins il n’était pas concentré sur tous les cours que je devais avoir dans le sang maintenant. Ce qui l’inquiétait c’était plutôt les garçons potentiels qui feraient attention à moi. J’espérais intérieurement qu’il avait raison de s’inquiéter.
Le premier jour devait être bien. Alima et Maty n’étaient plus dans la même classe que moi. Alima était en 2NDLB et Maty en SB. Moi j’étais en SA. C’était pour ceux qui avaient choisi l’arabe comme langue. J’étais triste de ne plus avoir à les voir dans ma classe. On se mettait toujours ensemble et on s’aidait beaucoup dans les cours. Surtout Maty, c’était la plus intelligente de nous trois. Elle avait toujours la meilleure note en mathématiques. On comptait beaucoup sur elle. Mais on allait se voir pendant les pauses et à la descente. Ça c’est sûr.
Mais je n’étais pas peu contente de me faire d’autres copines. Ce matin je m’étais méticuleusement préparée. Kadi m’avait lavé mes cheveux et m’avait mis de l’huile de coco minutieusement. Ils sentaient bon et étaient très doux, ce qui n’arrivait pas souvent. Et maman m’avait permis de mettre sa montre préférée, que papa lui avait offerte bien avant que « l’idée de nous existe » d’après papa. Il existait toute une histoire derrière cette montre.
Il lui avait offert à l’université, avec sa pension d’étudiant et il avait passé un long mois dans le besoin avec beaucoup de galère et de misère. J’adorais cette montre.
Je dépassais mon ancien bâtiment et les vulgaires bancs dont on avait droit. J’en avais fini moi en tout cas.
Je rencontrais quelques camarades et on marchait ensemble. On devait passer par le responsable d’abord avant d’aller en classe. Elle nous prit 20 bonnes minutes pour des broutilles. Maintenant on allait se faire remarquer si on arrivait les dernières.
Elle nous dirigea dans notre salle qui était bondée. Mais vraiment, bondée. Je n’avais jamais vu une classe aussi pleine. On était au moins 50. Et je ne reconnaissais pas grand monde. Il devait y avoir des nouveaux aussi parce que certains visages m’étaient totalement inconnus. Je me précipitais à la première place libre que je trouvais, vers l’arrière. Kadi avait dit de ne pas se faire remarquer.
Des petits groupes s’étaient déjà formés. Je sortais mon cahier tout neuf et ma nouvelle trousse. J’observais à la dérobée les autres élèves. Il y avait tellement de filles, ça m’angoissait un peu. Un groupe à l’arrière pas très loin de là où j’étais assise, faisait le plus de bruits. Elles sentaient les nouveaux habits et les nouvelles tresses. Deux filles étaient assises et parlaient et les autres filles autour écoutaient attentivement. Je tendais l’oreille autant que je pus.
« … Déjà comment ça se passe. Ici c’est l’entraide on a tous besoin des autres. Et vous aurez surtout besoin de nous, on connait tout ce qui concerne les profs, les cours, et toutes les autres choses… si vous voyez ce que je veux dire. »
Je n’arrivais pas à les voir. Je ne voulais pas espionner en plus un garçon venait de se mettre à côté de moi. On se dit bonjour dans des murmures. Il regarda ma tête comme si j’étais dérangée. Je haussais un sourcil comme papa m’avait appris, ça me donnait un petit air racaille il trouvait.
Il se détourna après quelques secondes.
C’était un cours de Svt. Le prof n’était pas du tout chaleureux. Personne n’osait tourner la tête ou piper mot. Surtout après le discours de la terreur qu’il nous avait tenu.
Le cours se déroula normalement. Le titre de la première leçon c’était : la terre, une planète habitée. Je pensais au nombre incalculable de blagues que papa pourrait faire juste pour le titre.
Et je pensais aussi à la pause. J’avais tellement hâte d’aller au jardin, de m’asseoir sur les bancs. D’assister.
Vite la cloche sonna. Mais les élèves ne se pressèrent pas pour ranger, ils posèrent des questions et on perdit 10minutes de pause avant qu’ils ne décident de sortir. Ce n’était vraiment pas des blagueurs ici.
Je sortis pour aller m’acheter des beignets. Maintenant j’avais eu une augmentation de 500 sur mon gouter. Parce que j’étais une grande. Je pouvais acheter plein de choses alors.
J’achetais le beignet en question et un jus en sachet et des « madds » en sachets. Il m’en resta juste assez pour le car du retour et des chewing gum.
J’aperçus Kad en me dirigeant vers le jardin. Elle était avec ses deux amies et j’eus l’impression qu’elle avait l’air contrariée. Mais je n’allais pas vers elle. Je lui adressais juste un sourire auquel elle ne répondit pas. Elle n’aimait pas que je lui parle à l’école. Surtout qu’elle allait bien.
Je pris mon temps pour poser mes fesses sur les bancs sacrés, dans le jardin sacré, entourée de personnes de la haute société lycéenne en mordant dans mon beignet à la crème onctueuse. Le bonheur avait un goût. J’étais, comme qui dirait, arrivée. Sur les bancs de la gloire.
Je repérais déjà les célébrités, les couples fares que seuls les sixièmes ignoraient. Je pouvais même voir le groupe Elite de l’école. Les célébrités des célébrités. On ne les voyait que de loin en troisième. Il y avait les mecs les plus adorés de l’école et leurs copines magnifiques à t’en faire mal. Ils étaient un peu la quintessence de toutes les choses parfaites qui existent : Ils étaient dans l’équipe de foot du lycée, tout le monde allait les regarder aux épreuves de vitesse en eps parce qu’ils étaient les plus rapides, ils ne mangeaient pas à la cantine, ni n’achetaient les beignets dehors comme nous, mortels, ils ne prenaient pas le car, et même s’ils le faisaient, ils pouvaient rendre le tout charmant. Et SURTOUT, ils organisaient les grands évènements de l’école. J’étais juste heureuse, beignet et jus en main. Il y avait aussi Khalil avec eux. Les rumeurs couraient qu’il avait mordu à l’hameçon d’Amina. Les contraires s’attirent, définitivement. Ça m’agaçait d’y penser.
Je n’avais pas vu Alima et Maty. Je m’apprêtais à finir pour aller les chercher quand trois filles se dirigèrent vers moi. C’était elles qui faisaient les discours au fond de la classe. J’avais l’impression qu’elles s’étaient habillées en accord. Je déglutis en m’essuyant rapidement la bouche.
« Bonjour Mariama » dit la première avec un grand sourire.
« Bon-Bon… jour… Je… Comment vous… ? »
« Tu es la sœur de LA Khadija, on te connait. Et puis on a vu la liste. On a pas eu à parler »
Elles étaient assez impressionnantes. Celle qui parlait avait un français impeccable et des sourcils qu’elle avait dû tracer au laser. Je devais avoir l’air acide devant elles.
« Euh… »
« On a fait connaissance avec toutes les autres filles, on se disait qu’on ne devait pas te laisser de côté. »
Elles l’avaient dit comme si elles me faisaient une faveur.
« On peut s’asseoir ? » Demanda la deuxième
Elles s’assirent avant que je n’ouvre la bouche.
« Elle, c’est Leissa » reprit la première en pointant le doigt sur la deuxième.
« Elle, Zeynab, et moi je suis Maimouna. »
Je hochais la tête en leur faisant des sourires crispés. Je ne me sentais pas très à l’aise. Et en même temps je me sentais un peu importantes qu’elles viennent me parler. Elles avaient l’air d’être populaires.
« Moi c’est Maya… Juste … Maya » dis-je faiblement.
Je me frapperais, des fois.
« D’accord,"juste Maya" .Alors, tu te sens comment dans la classe ? »
« Je… »
« Un peu perdue n’est-ce pas ? Nous savons ce que c’est, on a déjà vécu ça. La seconde ce n’est pas facile, tu as besoin de gens qui connaissent. C’est juste pour te dire que nous sommes là pour toi. Si tu te sens perdue tu peux nous demander tout ce que tu voudras sans hésiter. »
« D’accord, merci… Beaucoup c’est vraiment gentil de votre… » Commençais je.
Elle se leva et Zeynab et Leissa se levèrent à sa suite. Je les regardais avec toujours mon sourire crispé. Elles me regardaient l’air de me dire que je ratais quelque chose. Puis je me levais aussi. Je marchais avec elles, sans trop savoir pourquoi, jusqu’à la classe. Les regards se retournaient à notre passage. Je marchais un peu plus fièrement.
« Ils sont très euh… éclatants, tes cheveux. » dit Leissa
« Merci. » dis-je simplement.
Je savais que les compliments sur mes cheveux n’étaient pas toujours de vrais compliments. Je rencontrais le regard de Khadija au loin parmi ceux qui nous suivaient. Et elle n’avait pas l’air content.
17h arriva très vite et la journée a été superbe. Maimouna, Leissa et Zeynab étaient des superstars. Elles étaient un peu le point pivot de la classe. Parce que je les connaissais, je connaissais presque toute la classe, les filles en tout cas. Et même à la descente, hors de la classe, on a eu à saluer des élèves de terminale, et de « l’Elite ». Elles connaissaient tout le monde.
Mais elles étaient aussi redoublantes, Maimouna et Zeynab pour être plus précises. Je me demandais bien ce qu’entendait maimouna par «nous avons déjà vécu ça ». Elle l’avait vraiment vécu.
S’il y avait un mot qui me faisait peur de tous les mots qui existent, après « seringue », et « malaka » (ange), c’était bien le mot « redoubler ». C’était vraiment pénible comme mot. Désespérant et flippant. Rien que l’entendre me faisait me sentir dans le pétrin. Je n’étais pas sure de vouloir m’accompagner de redoublantes, et de me sentir dans le pétrin pendant 9mois. Et en plus, j’avais l’impression qu’elles nous donnaient des ordres, Maimouna. Qu’on devait se lever si elle se levait et aller avec elle quand elle partait à la cantine. J’avais hâte d’arriver à la maison et d’en parler avec Kad.
Je trouvais papa à la maison sur son bureau à tapoter sur son ordi super vite comme il savait le faire. Ça me fascinait, j’essayais des fois mais je n’arrivais à écrire aucun mot normalement.
« Bonjour pa… »
Il leva sa main en un geste d’arrêt sans lever les yeux de l’écran.
« Je suis toujours au travail là. Je ne suis pas là. Je suis au bureau. Tu ne me vois pas. Je ne suis pas « papa », je suis programmeur, même si je suis enfermé dans ma propre maison alors que vous vaquez à vos occupations librement… »
« Ah… » dis-je en comprenant.
Il faisait ca des fois quand il avait envie de nous montrer qu’il ne s’était toujours pas fait à l’idée de rester à la maison et travailler. Ca durait des fois toute une semaine. Semaine de râle intense.
« Ok. Je retire mon salut. Je ne te vois pas, tu n’es pas là, tu es au bureau. Et je vais me taire puisse que tu… n’es pas la… Pa… Programmateur. » Dis-je en partant en reculons d’un ton faussement sérieux.
« Programmeur » dit-il d’un ton agacé
« Oui, comme j’ai dit »
Je me douchais avant de faire la chambre et celle de maman. Comme papa était de mauvaise humeur aujourd’hui, il n’avait pas fait sa vaisselle après avoir mangé à midi. Je nettoyais la cuisine et me mis à faire le diner. Maman avait dit de faire du poisson au four avec alloco et attieke. Papa n’allait pas aimer.
Khadija arriva vers 19H 30. Elle ne répondit pas quand papa lui demanda où elle était et pourquoi elle venait aussi tard le premier jour de classe. Elle monta direct à la chambre sans passer à la cuisine me voir.
Je finissais de faire le diner et on attendit maman. Elle arrivait tard avec les cours du soir de ses étudiants.
Je trouvais Khadija, nez fourré dans ses cahiers. Elle ne me calcula pas. Je pris une douche rapide avant de la retrouver toujours hyper concentrée.
« Maman avait dit de remplir les bouteilles d’eau dehors, il y aura peut-être coupure ce weekend end et… »
« Pas le temps maya, pas le temps. »
Je grimpais sur mon lit sans rien dire.
« J’ai fait un cours de svt aujourd’hui… J’ai pris beaucoup de notes même si le prof était un peu rapide. »
« … »
« Et je me suis faite tellement d’amis tu te rends compte ? Le premier jour»
« … »
« En tout cas, je le sens bien cette année. Et puis j’adore le jardin. J’ai même vu Amadou et marie, ils n’étaient pas loin de moi. Je ne vois pas pourquoi ils sont si populaires, je ne les trouve pas si beaux que ça ensemble tu sais et en plus… »
« Maya, je travaille la, si tu ne vois pas. » dit-elle de son lit.
« Je veux juste… »
« Je travaille, je dis. » dit-elle, sèche.
Je me tus longtemps en fixant mon plafond. Je pris mes cours de la journée pour les lire mais je n’avais pas vraiment envie. Je sortis alors de la chambre pour retrouver papa. Elle allait ramer avant que je ne lui reparle. Mais vraiment ramer.
Papa était devant la télé à regarder cuisine tv. Il faisait ca aussi quand il était au bout du désespoir. Je me laissais tomber à côté de lui sur le canapé.
« Elle a quoi ta sœur ? »
« Je ne sais pas, je ne lui parle pas. »
« Ah ! On verra tout ça quand maman rentrera. Venir à cet heure le premier jour, me tourner le dos quand je lui parle. J’espère que tu ne comptes pas t’y mettre, je ne pense pas que vous soyez toutes les deux suicidaires. »
« … »
« Oui, ne dis rien. En tout cas j’ai l’œil sur toi. »
« Unhun pa. Tu regardes quoi ? »
« Toute cette viande, ce fromage que je ne mangerais pas. » dit-il, sinistrement, comme s’il portait tout le poids du monde.
« Ce n’est surement pas bon. » tentais je
« Je suis sûr que c’est plus bon que les épinards, les avocats à la vapeur, le poisson, et les « mbaxal » (riz humide) que vous me donnez. » dit-il trop passionnément.
Je me retenais d’éclater de rire. Quand il est d’humeur à râler mieux vaut le laisser.
Il resta un moment sans rien dire. La femme à la télé cuisinait des lasagnes aux poulets émincés. Quand elle finit d’enfourner papa se renfrogna encore plus. Il garda le silence encore quelques minutes avant de reprendre.
« Tu sais, démocratie bi ci deuk bi degn key wax rek mais kenn pratiker wuko (La démocratie dans ce pays on en parle seulement mais on ne la pratique pas. »
« Ah… »
« Mais oui, oui. Pas le droit de sortir, pas le droit de manger, pas le droit de dormir quand on veut, en plus on te crie dessus pour un rien… »
« Ah… »
« Mais yala nieup leufi nekal » (mais Dieu est là pour tous) dit-il tandis que les lasagnes sortaient du four.
Maman arriva vers 22H et on mangeait en silence comme très rarement. J’ignorais Khadija. Maman était trop fatiguée et se leva la première.
Papa : « Parle à ta fille avant de te coucher. Si tu ne veux pas que je la frappe dans cette maison. »
Khadija continua de manger naturellement. Papa fit ses plaintes, très énervé.
Maman : « Elle est en terminale maintenant, elle descendra surement tard et… » Disait maman de sa voix fluette.
« Tu penses que les études ca explique tout dans la vie. En tout cas parle à ta fille. Moi je ne ferais plus la discussion avec elle comme elle me prend pour sa copine. »
Khadija murmura quelque chose. La chose qu’il ne fallait absolument jamais faire. Sous aucun prétexte. Aucun. Papa ne s’énervait jamais. A part pour ça.
« Maya rejoins ta chambre. » dit-il trop posément
Je me levais avant qu’il ne finit sa phrase. Je grimpais dans mon lit déjà alors que le ton montait. Je détestais quand ils se disputaient. Ce n’était pas la première fois. Khadija, c’était toujours elle. Je n’entendais que papa qui criait. Maman ne pouvait pas crier. Peu importe à quel point elle était énervée. Elle ne pouvait pas.
Je fixais mon plafond en attendant que ça passe.
Papa : « … te sens adulte maintenant. Je suis ton père que tu le veuilles ou non et ne pense pas que ça me fait plus plaisir qu’à toi. »
« … »
« … DE REPONDRE QUAND JE TE PARLE KHADIJA. »
Je mis rapidement mes écouteurs.
Kadi arriva bien plus tard. Elle se brossa les dents rangea ses affaires dans le silence et se coucha après avoir éteint.
Le ventilateur faisait tout le bruit. Je savais qu’elle ne dormait pas. Je ne pouvais pas dormir non plus. Je détestais quand elle se disputait avec papa. Apres je m’en voulais toujours qu’il lui crie dessus. Parce qu’il ne me criait jamais dessus, moi. Ce n’était pas très solidaire de ma part.
Je gardais les yeux ouverts dans le noir. Elle devait s’être endormie maintenant. Je lui ferais la tête encore un peu demain dans la matinée. Elle ne devait quand même pas penser que j’étais une sœur facile. J’étais très fâchée.
« Ali et moi on a rompu »
Elle avait parlé d’une voix sourde. Je fus prise de court. Je ne dis rien. De longues minutes passèrent. Elle se mit à renifler. J’étais tellement fâchée. Tellement. J’avais tellement envie de lui parler de mes amies redoublantes et dirigeantes et elle m’avait rembarrée comme une vulgaire chose. Mais elle pleurait.
« Je suis désolée » dis-je simplement.
Elle éclata en sanglot. Je sentis un nœud dans ma poitrine au son de ses pleurs. Je ne voulais pas descendre près delle. Pas quand elle pleurait comme ça. Je ne savais pas quoi dire ou faire. Je ne savais pas grand-chose des garçons. Je savais juste que ce Ali était un con et qu’il ne l’aimait pas et j’espérais que tous les petits amis n’étaient pas comme lui. Mais ça elle le savait, elle s’en fichait, j’avais l’impression. Je ne pouvais pas penser à un truc à dire. Je ne savais rien de tout ça. Et ses pleurs me faisaient peur. Si quelqu’un l’entendait pleurait, il pourrait penser que quelque chose de grave était arrivé. Elle pleurait tellement fort et douloureusement. Ça me brisait le cœur. Je me levais pour m’adosser au mur en attendant que ça se termine. Je pourrais dire qu’elle trouverait mieux. Ça se disait, ca. Ou que, peut-être, ils se rabibocheront comme ils le font toujours. Oui, ça c’était bien. Ça, ça la ferait se sentir mieux.
« Tu… Il reviendra vers toi, j’en suis sure Kad, il revient à chaque fois. »
Elle renifla plus fort.
De longues minutes de silence passèrent et je ne l’entendais plus. Elle devait dormir maintenant. Demain je lui achèterais un beignet pensais je bêtement. Je priais intérieurement qu’ils ne se remettent pas ensemble. Même si elle pleurerait encore. Mais je pense que ça finirait par s’arrêter. Elle ne pourrait pas pleurer tous les jours pendant trop longtemps. C’était trop de temps et elle devait être un génie.
Je commençais à somnoler quand je sentis ses genoux contre mes jambes.
« Pousse toi un peu. » dit-elle d’une voix enrouée.
Je me poussais contre le mur. Elle se glissa sous les draps. On restait comme ça, toujours dans le silence.
« Papa me déteste. » dit elle doucement
« Papa ne déteste personne » murmurais-je
« Papa ne déteste personne » répétais je, pensant qu’elle ne m’avait pas entendue.
Je fermais les yeux quand je fus sure qu’elle était endormie.
Le lendemain je me levais et elle était déjà partie.
Je me rendais à mon cours. Arrivée en salle, Maimouna me montra la place qu’elle m’avait gardée c’était au fond mais elles étaient toutes la bas.
Je me dirigeais à la salle de Khadija à la pause beignet a la main. Je priais intérieurement qu’elle ne soit pas avec lui.
Je la trouvais toute seule dans son coin les yeux plantés dans son livre trop volumineux. Elle me prit le beignet des mains quand j’arrivais à sa hauteur.
« Merci. »
« Ça va ? »
Elle regarda autour d’elle comme pour vérifier qu’on ne nous regardait pas.
« Pas ici Maya. On se parle à la descente... »
« Je voulais juste… »
« Oui je sais. » dit-elle doucement.
Elle était toujours triste. Je me sentais si impuissante. Je balayais la salle des yeux. Je trouvais Ali debout avec ses amis parlant comme si de rien n’était. Lui n’avait pas passé sa nuit à pleurer, c’était sûr. Je ressentais un fort élan de haine pour lui. Ses yeux se posèrent sur ma sœur puis sur moi et je lui lançais le regard le plus féroce dont j’étais capable.
« Bonne journée alors… Je t’ai pris le beignet-world-class »
Je lui arrachais un sourire. C’était comme ça qu’elle appelait les beignets accidentellement plus fournis.
Je lui tapotais sa touffe avant de sortir de la salle. Je rencontrais Khalil et son groupe d’amis cotés. Je ne savais ce qu’ils avaient de si particulier pour que, lorsque tu passes à côté d’eux tu te sens si peu, si peu important, et que tu dois leur laisser la place, les laisser passer, t'effacer.
« Salut Maya »
Je clignais des yeux. Il me regardait avec son sourire qui creusait ses fossettes. Il me bloquait le passage. Une chainette toute mince dépassait de son t shirt. Je fixais son cou. J’avais un truc… avec les cous des gens. Ça me fascinait. Son cou était impressionnant et… Sexy. Je ressentais une envie irrésistible de courir et créer de l’espace entre nous.
« Je… Euh… Salut Kha…lil »
Je le dépassais rapidement et descendis les escaliers par deux. Je me rappelai que je ne l’aimais pas trop. Mais son cou, son cou…
Je ne pouvais pas m’empêcher de me retourner en m’éloignant de leur bâtiment. Je rencontrais ses yeux au loin et son visage indéchiffrable. L’envie de fuir me repris. Je ne me sentais pas bien. Peut-être que Kadi rentrerait mieux ce soir et je pourrais lui demander tout ça.
