Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

1

Livre I : Maya.

1. « Immaculées»

Quand je pense à ma sœur, je pense souvent à ses cheveux. Comme à un symbole. Ses cheveux. Un gros afro, noir, ténébreux, sec, têtu. J’aime à penser à ses cheveux. C’est si naturel, si spontané, de penser aux cheveux de quelqu’un. Si léger… Ce n’est pas comme penser à un accident de voiture, ou une maladie, ou une quelconque tragédie. C’est léger. Comme s’il n’y avait rien de plus consistant que cela. Des cheveux, c’est tellement ordinaire. Tellement naturel. Sans poids. C’est la seule chose à laquelle je peux penser la concernant, sans ressentir ce nœud à l’intérieur de mon corps.

Je me souviens quand on était petites et qu’on allait toutes les deux à l’école coranique à deux rues de notre maison. Elle serrait ma main dans la sienne et marchait devant moi. Elle marchait trop vite et j’étais obligée de courir légèrement pour ne pas tomber. On avait les pieds poussiéreux et nos grands voiles trainants sur nos têtes. Ça donnait un rendu bizarre avec nos touffes. Dès qu’on arrivait, le maitre coranique nous répétait la même chanson : pourquoi on ne se tressait jamais ? Pourquoi on ne mettait pas bien nos foulards ? Si la prochaine fois on revenait la tête à moitié couverte comme cela, il nous taperait le bout des doigts avec son bâton en bois. Dix fois. Et les autres se moquaient. On était si bizarres toutes les deux. Khadija manquait toujours de pleurer et je lui chuchotais qu’ils étaient juste jaloux. Que nous étions comme Minus et Cortex, spéciales. Ça lui suffisait, elle me jetait un regard entendu comme si ce que je venais de dire résolvait tout et mettait fin aux rires des autres et elle ouvrait son livre.

Encore aujourd’hui je me demande qu’est ce qui, en moi, sa petite sœur, la rassurait tellement ? Si déjà quand on était enfants, avec deux ans d’écart, elle comptait sur moi. J’aurais dû voir venir notre vie. J’aurais dû la voir venir elle.

Elle devait être avec maman en ce moment, toute rouge et trempée de ses larmes intarissables. Maman serait surement entrain de lui caresser ses cheveux maintenant lisses et en bataille sans rien dire, car ayant ses propres larmes à retenir. Et ça la ferait pleurer de plus belle. Puis éventuellement elle me pleurera, suppliera maman de me parler. Je pouvais presque l’entendre, sanglotant, demandant ce que j’avais. Jusqu’à quand ça allait durer ? Elle n’en pouvait plus. Ça, j’étais sure et certaine qu’elle le dirait. Qu’elle n’en pouvait plus. Toujours à penser à elle, à ce qu’elle perd, à ce qu’elle veut.

J’ai perdu ma sœur tellement de fois dans une vie que j’ai cessé de compter. Et à chaque fois qu’elle s’en est allée elle a emporté avec elle une partie de moi. Une partie de moi qu’on partageait. Je pense qu’avant, on se ressemblait. Avant. C’est comme si toute connexion avec moi devait être rompue. Et ensuite, ensuite, elle trouve le moyen de me faire me sentir coupable pour cela. Toujours.

*****************************************

[Avant]

[16 ans]

Je l’écoutais pleurer la tête enfouie dans l’oreiller. Je lui tenais sa main moite attendant patiemment qu’elle finisse.

« Je n’arrive pas à y croire… Je n’arrive pas à y croire… je n’arrive pas à y croire… »

Elle haletait trop fort et bégayait en répétant douloureusement cette phrase.

« Tu te rends compte ? Tu… Je n’arrive pas à y croire… Je pensais… Je pensais qu’il m’aimait… »

« … »

« Je lui ai fait tous ses devoirs de ce semestre… Tous… Tous sans exceptions Maya, tous. Je faisais les siens avant les miens. Et il me paye avec ça ? »

« … »

«Il s’est moqué de moi devant tous. On aurait dit une autre personne. Je suis sûr que c’est Omar… Ça doit être Omar… Omar lui a retourné le cerveau… Il est toujours dans ses oreilles entrain de dire du mal de moi… Il ne peut pas avoir changé comme ça. Il ne peut pas. »

« … »

Des sanglots. Des reniflements. Ca dura une bonne heure. Elle fixait le vide et gardait ma main dans la sienne. J’avais des crampes tant elle serrait ma main. Mais je ne pouvais pas la faire desserrer son étreinte. Je ne voulais pas. Elle fixait le plafond où trônait un énorme poster de Beyonce. Je détestais Beyonce, et je détestais dormir sous ses yeux. Mais Khadija l’idolâtrait. J’attendis jusqu’à ce que sa respiration se calme.

« Je ne pense pas que ça soit Omar ou qui que ce soit. C’est lui. Il a quoi ? 19 ans ? Je pense qu’il peut penser tout seul. Et Khadija, au nom de quoi tu lui fais ses exos ? Pourquoi tu fais ça ? » Je lui essuyais doucement les larmes, le cœur serré.

Elle continua à renifler fortement.

« Combien de fois je dois te dire qu’il ne te mérite pas ? Il a l’air si bête et puis tu as vu ses oreilles ? Tu peux trouver mieux que lui j’en suis sure. »

« … »

« … Je t’en prie. Ne sois pas comme ça. » Repris je comme elle ne disait rien

Elle pleura encore, s’endormit. Je la sentis se glisser dans mon lit au milieu de la nuit. Elle se serra contre moi et je la sentie s’apaiser.

Le lendemain je me réveillai et elle était déjà partie pour l’école. C’était bon signe. J’arrivais en retard et j’allais la voir dans sa classe à la pause avec un des beignets à la crème qui se vendaient à la cantine et dont elle raffolait, ça allait lui remonter le moral.

Je la trouvais au fond de la classe avec son éternel groupe d’amis. Elle était assise à côté de lui, Ali il s’appelait, le regardant comme on regarde une divinité, comme si elle n’avait pas pleuré à cause de lui juste hier. Je n’étais même pas surprise.

Elle sursauta quand elle me vit. Elle vint vers moi en souriant. Elle me prit à l’ écart et mit son bras sous le mien.

« Je sais ce que tu vas dire… Que je me fais trop avoir que je suis trop naïve mais non, je te l’avais dit, ce n’était pas lui… c’est l’approche des compositions… Tu sais on ne stresse pas tous de la même façon. Il était un peu pas bien et maintenant il regrette tellement, je m’en veux d’avoir pensé aussi mal de lui et il s’est tellement excusé et en plus… Tu ne peux pas comprendre, tu es trop jeune, j’ai exagéré hier juste et il n’est pas… Tu sais je suis sure que…»

Je l’écoutais se perdre dans ses explications avec un sourire contrit. Elle parlait en hochant la tête trop rapidement et avec des gestes brouillons.

« … Oui je comprends Kadi, j’y vais, Alima m’attend.» dis-je précipitamment

« Maya, attends, pourquoi tu… »

Je lui fourrais le sachet avec le beignet dans la main avant de descendre les escaliers rapidement la laissant plantée là. En m’éloignant de leur bâtiment, je me retournais et la vis au même endroit, me suivant du regard.

Je la trouvais à la descente à la maison nichée dans les bras de maman devant la télé. Je voulais m’éclipser après avoir salué.

« Tu ne parles pas à ta sœur ? »

Je soupirais.

« Si maman, je lui parle. » dis-je nonchalamment.

« Non ce n’est pas vrai, tu fais la tête. »

Maman me sermonna. Elle était ma sœur. Ma grande sœur. Je lui devais du respect. Je lui devais de l’attention. On n’était que deux. On devait se serrer les coudes. Pourquoi je lui faisais la tête de toute façon ? Je fusillais Khadija du regard. Elle me regardait de cette façon qui m’empêchait de m’énerver. Il me tenta de dire à maman qu’elle se faisait avoir. Qu’elle se faisait avoir chaque jour.

« Désolée Khadija. » dis-je simplement

Elle me prit dans ses bras. Et je ne pus m’empêcher de sourire. Puis elle quitta maman avant de me retrouver dans la chambre, maintenant qu’elle était assurée que je ne faisais plus la tête. On ne parla pas de son copain. On parla des cours et du dernier épisode de notre série télé préféré.

Elle me convainquit de lui défaire ses tresses contre mon tour de cuisine du lendemain. Je n’y pensais pas deux fois.

Apres diner ses tresses n’étaient toujours pas finies. J’avais mes exos à faire mais je ne pouvais la laisser aller avec une tête à moitié finie à l’école. Elle ne pouvait pas se détresser seule. Je la retrouvais au salon encore nichée dans les bras de maman qui sermonnait encore papa. Elle se mit à même la moquette et je recommençais ma besogne, désespérée. Papa était assis sur le canapé délabré en face du notre et maman était allongée à côté de lui.

Papa essayait encore de la convaincre qu’il n’avait pas besoin d’aller chez le médecin chaque semaine. On se retenait bien de nous en mêler quand ils parlaient de ça parce que maman devenait vite énervée contre tout le monde. Papa avait des problèmes de tension. Il les a pris à la légère jusqu’au jour où il a perdu connaissance au bureau en pleine réunion. L’année dernière il a commencé à travailler à domicile. Le trop d’efforts au bureau et sa mauvaise alimentation empiraient tout. Le médecin avait dit qu’il devait se ménager, ménager son cœur, éviter les situations de stress et manger sain. Il ne se ménage pas. Papa est une force de la nature, il ne sait pas faire ça, se ménager. Le faire travailler à domicile était le mieux qu’on puisse faire. Et encore il s’en plaint chaque jour. Que si nous n’étions pas de petites pleurnicheuses, maman la première, il ne serait pas obligé d’être confiné à la maison tout seul. Il essaie d’en parler légèrement mais je sais que ça lui reste en travers de la gorge. Mais il nous a promis.

« Tu n’écoutes jamais ce qu’on te dit, tu as voulu manger de la viande au diner, lève-toi qu’on marche un peu au moins. » Dit maman qui commençait déjà à s’énerver

« Un coup faut pas que je fasse trop d’efforts, un coup si ? Faut choisir. Je vais bien, tu peux me réchauffer un peu de kinkeliba si tu veux, pas besoin d’aller marcher. »

« Je ne sais même pas pourquoi je me fatigue avec toi. Si tu veux mourir vas-y, tu ne penses qu’à toi-même, tout le monde s’inquiète de ta santé sauf toi. Si tu as envie de te suicider vas-y. »

Elle avait dit ça la voix un peu plus basse et s’était retournée d’un air obstiné vers la télé.

« Kalmy, tu ne penses que tu exagères un peu ? N’est-ce pas elle exagère les filles ? »

« … »

« L’entraide règne vraiment ici »

« Elle a raison papa » dit Khadija

« Je vois… Du coup je vais venir t’aider à enlever tes tresses aussi. C’est assez d’efforts pour toi ma chérie ? C’est un entrainement considérable pour mes doigts, on peut même dire pour mes bras aussi. »

J’éclatais de rire et il me fit un clin d’œil en prenant un des épingles. Il était sérieux. Il emmêla bien les tresses auxquelles il avait touché avant d’abandonner.

Maman se dérida quand il lui promit plus sérieusement d’aller faire du sport le lendemain matin. Il nous parla du dernier logiciel de surveillance réseau qu’il avait finalisé ce matin.

« Je vais peut-être tester ca sur votre ordinateur »

« Ah ! » dis-je en même temps que Khadija

« Oui. Pour être sûr que ça marche. »

Je changeais vite de sujet avant que Khadija n’aie le temps de paniquer.

Papa était technicien informatique pour une boite de consultance et il pouvait devenir très vite sérieux dans ses histoires. Et on n’avait pas besoin qu’il se mette à surveiller tout ce qu’on fait sur l’ordi. Maman nous sauva en recommençant à se plaindre de l’impolitesse de ses étudiants.

Elle était professeur à l’université, en mathématiques appliquées. Elle avait du mal à rendre ses étudiants assidus et à se faire écouter. Et elle prenait un peu trop personnellement les mauvaises notes de chacun. La discussion vira rapidement vers moi. Je passais le Bfem dans deux mois. Je n’étais pas trop stressée. A part quand maman et Khadija me cassaient les oreilles avec les histoires de séries pour la classe de seconde. Je pouvais aller n’importe où, ça m’importait peu. Maman et Kadi voulaient, évidemment que j’aille en série scientifique. Je pourrais, même si je ne suis pas un génie comme elles. Je serais surement à peine moyenne. Pas comme Khadija. Elle, elle est en première S1. Je ne me souviens pas la dernière fois où elle a été autre chose qu’au-devant de la classe. L’école pour elle c’était une passion. Et j’ai l’impression qu’elle se retrouve sans efforts première de classe, comme par accident. Ça lui tombe dessus. Sans qu’elle se rende compte. Elle n’était jamais stressée pour l’école. Elle n’avait pas à l’être. C’était un génie. Ma sœur. Un génie. Elle peut tout calculer pour toi. La vitesse de l’air, de la lumière, Elle peut te faire l’historique de la guerre froide sans sauter sur les dates, sans se tromper de pays. Elle connait chaque pays d’Afrique et sa capitale. Elle connait le tableau périodique par cœur. Elle connait ses théorèmes qu’elle a appris en troisième. Elle anticipe sur ce qu’elle va apprendre dans deux ans, elle trouve le temps de faire des lectures bizarres, d’aider ses copines de classe et même d’essayer de comprendre les choses que maman enseignaient. Un génie ma sœur.

Pour moi c’est un peu plus dur. Je dois bosser chaque jour pour être légèrement au-dessus de la moyenne. J’aurais voulu être aussi intelligente qu’elle. A vrai dire j’aurais voulu faire tout comme elle. Ca me faisait tellement de bien quand on disait qu’on se ressemblait.

« … Ce weekend on va revisiter tout ton cours de maths, ton dernier devoir était vraiment limite ma chérie, tu ne peux pas avoir 11 et t’en contenter. Revois bien les probabilités, Thalès et tes racines carrées »

Je me retenais de lever les yeux au ciel. Je rencontrais les yeux de papa qui faisait semblant d’avoir envie de vomir. Le regard de maman tomba sur lui et il reprit tout son sérieux. Je pouffais de rire.

On partit se coucher quand je finis avec la tête de Kadi. Je me couchais la première alors qu’elle se lavait la tête dans la salle de bain. On avait des lits superposées et j’avais celui du haut donc je pouvais cacher le livre que je lui avais volé avant qu’elle ne monte. Elle aimait bien venir dans mon lit à l’improviste.

Je me plongeais dans les pages jaunies alors que l’eau coulait toujours dans la douche.

J’avais essayé quelque fois de lire les livres que Kadi lisait. Mais c’était trop dur. Le français dedans, je ne comprenais pas. Elle lit des choses de Heiddeger, Melville, Mann, Joyce. C’était bien de jolis noms, ça me donnait envie, mais quand je m’y essayais ca ramenait mon moral à zéro. Ça m’angoissait de voir tous ses mots que je ne connaissais pas. Ça me fait me sentir tellement bête. J’ai essayé de les compter une fois, sur une page, il y avait 20 mots que j’ignorais, dont je n’avais jamais entendu parler. Ça me donnait réellement envie de pleurer. C’est que, c’est tellement de mots sur une seule page d’un seul livre. J’ai fini par abandonner. De toute façon, elle était tellement de choses géniales ma sœur. Je pourrais essayer de lui ressembler autrement. En plus, lire ce n’était pas mon truc. Mais ce livre que j’avais trouvé le mois passé était intéressant. C’était un arlequin. Ca parlait de gens amoureux et d’échanges de salives. Je l’ai volé parce que Kadi sursaute quand j’entre dans la chambre quand elle le lit et elle fait semblant de faire autre chose. Je suis à la trentième page. J’ai compté les mots que je ne connaissais pas sur une page, ils n’étaient que 7. Ça m’a encouragé à continuer de le lire. Et c’est bizarre. Je me sens bizarre quand je le lis. Des fois j’ai besoin de mettre un oreiller entre mes jambes et je me demande si Khadija fait de même... Je crois que je vais arrêter de le lire des que cette page…

« Voleuse ! »

Oh non.

Je ne l’avais pas sentie sortir. Elle était sur la pointe des pieds une main à la taille, l’air furieux.

« Je l’ai tellement cherché alors que tu l’avais. Je t’ai dit de ne pas toucher à mes affaires. »

« Je voulais juste… »

« Tu n’as pas vu c’est écrit ici pour adultes, tu ne devais pas le lire. »

« Toi non plus. »

« Quoi ? »

« Je dis, toi non plus, tu penses que je ne te vois pas te cacher quand tu le lis. »

« Je… Tu n’as pas… Ne t’occupe pas de moi. Ne touche pas à mes affaires c’est tout. »

Je lui tirais la langue avant de dormir.

***

Le temps passait vite et je devenais anxieuse. Les profs n’avaient que l’examen à la bouche et maman descendait plus tôt pour plus me torturer. Seul papa ne me mettait pas la pression. Il essayait de me dérider et ça marchait. Quand Maman me faisait réviser, il venait se mettre au salon et ajoutait son grain de sel à chaque explication de maman. Puis elle avait ce sourire incontrôlé quand il faisait l’enfant et qu’elle essayait d’être sérieuse. Puis elle finissait par me laisser avec un quelconque exercice pour aller faire des messes basses avec papa. Elle gloussait et lui donnait des tapes sur le bras. Ça me rendait heureuse. Papa me rendait heureuse. Alima, elle, c’était Amadou son chéri de la troisième B qui la rendait heureuse, et Maty aussi, mon autre copine avait un chéri en Terminale, elle visait très haut. Leurs chéris les rendaient heureuse. Moi papa, me rendait heureuse. Des fois quand je suis en classe je pense à un truc précis qu’il avait dit la veille et ça me faisait éclater de rire en plein cours. Ensuite à la pause Maty et Alima me pressaient pour savoir ce qui était si drôle et elles avaient l’air tellement peu impressionnées quand je leur disais que c’était à propos de papa. Elles ne comprenaient pas. Je trouvais ça dommage.

Khadija continuait de sortir avec son chéri que je détestais. Ce soir je devais la couvrir. Elle devait aller quelque part avec lui et je devais rester à l’école pour qu’on rentre ensemble. On a prétendu qu’elle nous faisait réviser Alima et moi. Je me suis retrouvée dans le groupe de travail avec les autres de la classe. Je n’y participais jamais parce que c’était Khalil, un camarade de Kadi qui faisait les séances, et je ne l’aimais pas trop. Mais ce soir j’étais obligée pour elle.

Je m’étais mise au fond de la classe en évitant les regards. Ce soir ils révisaient les fonctions linéaires et affines. C’était le seul chapitre en maths où j’étais calée. Donc je me mis à observer la salle. Il y avait beaucoup de gens de ma classe. Amina, la diva de tout notre cycle était devant, jambes croisées, jupe relevée. Cette fille était spéciale. Je priais quelque fois, pour que ma stupidité n’évolue jamais vers sa stupidité. J’aimais mon genre de bêtise. Mais son genre à elle, c’était autre chose. Je ne sais pas pourquoi les garçons l’aiment. Ils se mettent tous en rang pour lui faire ses devoirs et lui tenir son sac après l’éducation physique. C’est vrai qu’elle a une poitrine plus volumineuse que nous toutes mais elle n’avait que ça. Elle suivait celui qui expliquait comme si elle comprenait. Alors que sa meilleure note en maths resterait à jamais 6, ça j’en étais sure.

Khalil expliquait en passant entre les rangées. Je n’aimais pas le regarder longtemps. Il aimait beaucoup sourire et passer sa main sur sa nuque. Ça me mettait mal à l’aise quand nos regards se rencontraient. Je fis semblant de faire l’exercice qu’il avait donné. J’espère Khadija va venir à temps. Elle m’avait dit à 18H 30. Il était déjà 18H et quart.

Je finis l’exercice. Le garçon qui était à deux tables devant moi leva la main pour qu’il vienne le corriger. Je l’insultais à voix basse. Je gardais la tête obstinément baissée mais quand il finit avec lui il s’approcha de ma table.

« Tu as compris ? »

Je gardais la tête baissée et la hochais.

« Je peux voir ce que tu as fait ? »

Je maudissais Kadi dans ma tête et me promis de lui faire payer. Je poussais mon cahier au bout de la table. Sans relever la tête.

Il vérifiait en silence. Je n’aimais pas la façon dont il se baissait car ça rapprochait nos têtes. Son parfum m’irritait et on respirait en accord. Je retenais ma respiration pendant cinq secondes pour qu’il y ait un décalage. Je me sentis un peu bête mais je ne m’y attardais pas.

« Tu es la sœur de Khadija ? »

Je hochais encore la tête.

« Donc tu n’as à faire ici toi. Je suis sûr que tu peux même m’expliquer mes cours à moi. »

Je fis un son entre un gémissement et un « Ah ». Je relevais la tête vers lui et rencontrais son sourire amusé. Il avait des fossettes tellement creuses que je me demandais si ça ne devait pas faire mal. Je n’aurais pas dû venir à ce…

« Coucou, je suis là. Salut Khalil »

« Salut Khadija. »

Je la fusillais du regard en rangeant rapidement mes affaires.

« Je disais à ta sœur qu’elle devait être bien au-dessus si elle est comme toi. »

« Oui, elle est super bien. Elle sait bien… »

Je me levais du banc et la tirais par le bras.

« Maman va s’inquiéter. »

Elle dit précipitamment au revoir à Khalil.

On prit le premier car qu’on vit même si on devait rester debout. On arrivait à la maison 10mn plus tard. Maman n’était pas encore là et papa était partie au sport donc on dû prendre la clé chez le voisin.

Kadi fit le diner de bonne humeur et rangea même la chambre sans protester. On ne prenait pas de bonnes. Comme ce n’était que nous quatre, on faisait des tours, Kad et moi, pour cuisiner et nettoyer. Ça me fatiguait beaucoup mais papa aimait tellement qu’on cuisine que je m’y étais faite. Quand papa et maman arrivèrent, on s’éclipsa. Kadi surtout. Je savais qu’elle voulait parler de son Ali. On se blottit dans mon petit lit sous la couette.

« Il faut je vous présente avec Ali. »

« Pourquoi ? »

« Parce que je l’aime. »

« Pourquoi ? »

« Pourquoi je l’aime ? »

« Non, pourquoi c’est une raison pour que tu nous présente ? »

« Parce qu’on se mariera un jour. Et il faudra que vous vous entendiez bien pour que tu viennes vivre chez nous. »

« Vous n’avez même pas le bac. Tu as 18 ans Kad, tu devrais te calmer. »

« Et toi tu as 16ans, tu ne comprends rien. »

Elle s’allongea sur le dos et fixa Beyonce.

« Il me rend tellement heureuse. Je ne sais pas comment t’expliquer… Comme… Comme quand tu dis que papa te rend heureuse. »

« Tu ne peux pas comparer ce… Ali à papa. »

Elle soupira et on ne tarda pas à s’endormir.

***

Les épreuves arrivèrent rapidement. Kadi stressait tellement que je stressais pour elle. Elle n’en faisait pas autant pour ses propres examens. C’était un peu insultant. Et maman venait se garer à la pause devant mon centre pour me demander comment ça s’était passé. Elle le fit durant les trois jours.

Je les suppliais à genou de me laisser aller à ma délibération avec Alima et Maty. Evidemment c’était hors de question pour khadija.

Je décrochais l’examen. Ainsi qu’Alima et Maty. J’étais super heureuse et soulagée. En rentrant je dus consoler khadija sur le fait de n’être pas première du centre ou deuxième, ou même dans les dix premiers. Je voulais juste qu’elle soit aussi contente pour moi mais elle se mit à me demander mon choix finalement pour la seconde. On arrivait donc à la maison fâchée.

Maman était contente, un peu déçue que je n’ai pas été excellente mais elle était contente. Papa lui fit une véritable célébration. On irait diner à un grand restau le lendemain. J’étais aux anges. Khadija finit par se dérider.

Je passais des vacances parfaites. Papa et maman me gâtèrent autant qu’ils le purent. Je me sentais profondément heureuse, de ce que je savais du bonheur. On n’était pas très riches, je n’avais pas de grandes espérances. Mais surtout je ne ressentais aucun manque à combler parce que j’avais mes parents et Kad avec moi. Ma meilleure récompense c’était les moments passés en famille, un restau quelques fois ou les balades les soirs tous les quatre où papa et maman se disputaient pour se rabibocher dans les cinq minutes. Et Kadi qui recensait tous les beaux mecs qu’on rencontrait. Et les fous rires. Et les sermons quand on était en plein délire. C’était si banal. Mais que c’était assez. Dieu que c’était assez.

Les vacances prirent vite fin. J’avais décidé d’aller en S. J’avais décidé pour Kadi je dirais. Et pour moi. Tout ce qui me permettrait d’être un peu plus comme elle je le ferais. Et vraiment, elle avait besoin que je le fasse.

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.