chapitre 6
L'enseignant arriva, celui de biologie. J'étais calme en salle ce jour. L'enseignant ne me posait aucune question, il ne me regardait même pas. Par peur d'abréger sa carrière, il m'ignorait. Le cours arriva à son terme. Après une pause de quinze minutes, l'enseignant de mathématique entra. En seconde scientifique, on faisait mathématique quatre jours sur cinq.
Ce jour, il ne commença pas par réclamer ses exercices de maison comme d'habitude. Il arriva et vint se tenir devant moi. Il était le seul à m'adresser la parole ce jour. Ses intimes l'appelaient couramment Prof Alain.
Prof Alain : il s'est passé quelque chose ici hier. Tu aurais frappé une de tes camarades de classe parce qu'elle t'a dit quelques-unes de tes vérités. N'est-ce pas ?
Alida : je l'ai à peine touché monsieur.
Prof Alain : est-ce que tu sais que cette fille que tu as à peine touché est dans un état critique à l'hôpital ? Elle souffre de violents maux de tête qui risquent la tuer. Tu sais ça ?
Je fus prise de peur. En une journée, j'avais amené deux personnes à l'hôpital.
Alida : je ne savais pas qu'elle était faible comme ça. Je...
Prof Alain : tu sais, jeune fille, je prie souvent pour toi.
Toute la classe leva la tête vers lui, avec étonnement. J'étais encore plus étonnée que les autres.
Prof Alain : je demande à Dieu de laver ton cœur. À ton jeune âge, tu fais preuve d'une cruauté qui sera ta perdition. Tu accuseras ton entourage de ton malheur, tu rendras Dieu responsable de ton échec alors que tu en es la seule coupable.
Alida : vous me jugez sans me connaître
Prof Alain : je ne te juge pas, je dis ce qui est. J'espère que tu vas vite changer. Si tu continues dans cette lancée, tu auras beaucoup de péchés à te faire pardonner par le ciel.
Je fus enragée. Il parlait de moi sans même connaître ce qui arrivait à ma vie. Je voulais tout lui raconter pour qu'il ne pensât plus du mal de moi. Pendant tout le cours, je le regardais, je refusais le jugement qu'il portait en mon égard.
Après le cours, il avait pour habitude de rester en salle remplir le cahier de présence pour enseignants. Les élèves allaient en pause à cet instant. Je m'approchai de lui. Sans lever la tête, il le sût.
Prof Alain : tu veux quoi Alida ? Tu n'as pas compris quelque chose au tableau ?
Alida : je veux que vous compreniez que ce n'est pas de ma faute si je suis comme ça. Ma vie n'est pas aussi rose que vous le pensez. Vous ne savez pas ce que je fais pendant mes nuits, ce que je vis loin du regard du monde.
Prof Alain : peu importe ce que tu vis, même si tu dors sur les larves du volcan, tu n'as pas le droit de traiter les autres comme tu le fait. Tu penses connaître la vie de qui ici ? Personne ne connait personne.
Je regardai autour de moi. Il n'y avait personne. Je déboutonnai ma chemise. Il s'écria,
Prof Alain : mais qu'est-ce que tu fais ? Tu es folle ?
Je lui montrai les traces sur mon corps. Depuis mon ventre jusqu'à mon dos. Il enleva ses lunettes.
Alida : ça, c'est rien. Ce qu'il y'a entre les jambes est bien pire. Pendant que vous dormez la nuit, je me fais violer par toutes les qualités d'hommes qui existent. C'est le résumé de ma vie.
Prof Alain : qui t'a fait ça ?
Alida : si je vous le dis, je vous mettrai en danger. Je me mettrai en danger. Je voulais juste que vous cessiez de me juger sans savoir. Je vie une vie de misère derrière tout le luxe que vous voyez.
Prof Alain : mon Dieu ! Qui peut bien faire ça à une enfant ? Mon Dieu mais tu as quel âge ?
Alida : dix-huit ans.
Prof Alain : on va trouver une solution. Ce soir après les cours, on parlera. D'accord ?
Alida : après les cours le chauffeur a pour ordre de nous faire rentrer sans perdre une miette de seconde. Le garde du corps sillonne devant le portail et dès qu'on sonne, il vient nous chercher.
Prof Alain : on y va donc maintenant. On va parler dans la salle des professeurs.
Alida : tous les enseignants ici sont des amis de mère. Même la police est avec elle. Les journalistes sont aussi ses amis. On ne peut rien faire.
Prof Alain : il y'a le portail des enseignants qui n'est pas surveillée car les élèves n'ont même pas accès à cette partie du bâtiment. Je vais le laisser ouvert en partant. Donc comme je pars là, suit moi. On se retrouve à la plage avant la fin de la pause. Même si tu me mets en danger, ça ne fait rien. Ce que j'ai vu sur toi, c'est une abomination.
Au terme de ses dire, il classa ses affaires et sortit. Sans prendre les miennes, je me mis à le suivre d'assez loin pour n'éveiller aucun soupçon. De loin, je le vis ouvrir une grille au bout du couloir en sens apposé aux escaliers. Il laissa la porte ouverte. M'assurant de n'être vu par personne, je courus jusqu'à cette sortie. Il y avait des escaliers pour descendre. Je suivis la route et je tombai sur un autre portail, dans une autre cour. Je n'y étais jamais arrivé. Il avait également laissé le portail ouvert. Je sortis et me retrouvai sur la grande route. De loin, une moto klaxonna. C'était lui. Je courus et sautai sur la moto. On alla jusqu'à la plage, assez loin de Ma'a Jacqueline. On prit place sur une grosse pierre noire au bord de l'eau. Je ressentais le besoin ardent de lui raconter tout ce que je vivais.
Prof Alain : vas-y, Alida. Dis-moi ce qui arrive à ta vie. N'ai pas peur de moi, s'il te plaît. Je ne sais pas comment je vais faire mais je vais t'aider. Sois sans crainte.
Dans les moindres détails, je lui racontai tout ce que j'avais déjà traversé. Je lui montrai le vrai visage de cette maison que toute la ville ventait. Il en fut stupéfait, c'était incroyable.
Prof Alain : je me doutais que cette œuvre caritative cachait des choses mais j'étais loin d'imaginer que ces choses étaient autant horribles. Mon Dieu mais cette femme c'est le démon.
Alida : vous comprenez pourquoi je suis comme je suis. Ce n'est pas de ma faute.
Prof Alain : excuse-moi mais cela ne justifie pas ton comportement envers les autres. Aïcha et Belinda Vivent la même chose que toi ?
Alida : on est dans le même bateau
Prof Alain : elles ne se comportent pas comme toi. Tu te caches derrière ton malheur pour faire du mal aux autres. Tu accuses le monde à cause d'une personne. Tu as encore la vie devant toi, change s'il te plaît.
Mon enseignant de mathématique avait tellement compati à ma douleur qu'il en était devenu tout triste. Il savait comme moi qu'il n'y avait pas un moyen facile de détruire le réseau de mère. Aussi, il savait sa vie en danger s'il intentait quelque chose sans réfléchir. Assis sur cette pierre, pensif, il ne cessait de regarder mon visage. Je me sentais rougir. Je lisais un âge bien avancé sur son visage mais je n'étais guère dérangé par cela.
Alida : pourquoi vous me regarder comme ça ? Est-ce que c'est de ma faute si j'ai autant de marques sur moi ?
Prof Alain : je suis juste dépassé par ce que tu viens de me raconter. Je n'aurai jamais pu imaginer qui tu sois dans une situation pareille. C'est très étonnant. Je suis très désolé.
Alida : bon, c'est bien beau d'être désolé mais est que vous allez m’aider ? Je veux me sortir de cette prison avant d'y mourir. Cette femme va finir par tous nous tuer si nous continuons à y rester. Je dois quitter cet endroit au plus tôt.
Prof Alain : ce n'est pas aussi facile que ça. On doit s'armer de patience si on veut que vous puissiez sortir de là un jour. On doit tout faire en cachette. Tout cela va bien évidemment dépendre de toi. Si tu n'es pas rusée rien ne va marcher.
Alida : je vais faire tout ce que vous allez me demander de faire. On commence par quoi ?
Prof Alain : pour le moment il ne faut rien faire. Il faut juste rester tranquille et attendre. De mon côté je vais voir ce que je peux faire.
Alida : si je comprends bien, vous me dites de ne rien faire. De continuer à vivre ça. Vous voulez m'aider comment alors ? Je vous ai alors raconté tout ça pourquoi ? Vous ne me servez donc à rien.
Prof Alain : jeune fille, j'ai une femme et des enfants, je suis un chef de famille qui n'a pas droit à l'erreur. C'est une mission suicide dans laquelle je me lance. Il faut que tu comprennes que nous devons tout faire doucement.
Il était marié, c'était comme un coup de poignard dans ma poitrine. Je ne comprenais pas pourquoi ça me dérangeait autant. Il avait pourtant l'âge d'être mon père. Je rougis de colère. La patience était très loin d'être l'une de mes Vertus.
Alida : vous dites tous la même chose. Patience, patience et encore patience. Je n'en peux plus de ce mot. Je suis en train de mourir de l'intérieur, je ne veux plus attendre. Allez vivre votre belle vie avec vos enfants, moi je vais me débrouiller toute seule. J'espère qu'un jour votre fille sera dans la même situation, vous allez comprendre ce que j'endure.
Mes paroles l'avaient laissé sans voix. Je l'avais laissé là. Je marchais en direction de chez Ma'a Jacqueline. De loin, je pouvais la voir en train de faire sa lessive. J'avais couru vers elle, la joie dans le cœur. Elle avait été aussi émue que moi en me voyant. Dans ses bras, j'avais plongé.
Alida : tu m'as trop manqué Ma'a.
Ma'a Jacqueline : tu as encore fui l'école pour venir ici ? L'autre jour votre mère m'a appelé pour me dire qu'elle va me faire quelque chose si je continuais à te laisser venir ici. Il faut retourner en salle ma chérie.
Alida : elle ne va rien te faire. Elle t'aime trop. Je pense que tu es même la seule personne qu'elle aime.
Ma'a Jacqueline : on voit bien que tu ne la maîtrise pas encore. Il faut partir ma chérie. Je t'emballe du poisson et tu pars avec. Tu ne peux pas rester ici.
Alida : je ne veux pas y retourner. Je suis sûr que si tu dis à mère de me laisser rester ici, elle va accepter. Même si je dois nettoyer la plage pour survivre, je vais le faire, ça ne me dérange pas. Je ne veux plus rester avec elle.
Ma'a Jacqueline : peu importe ce que tu vis là-bas, tu dois seulement supporter. Tu veux que je fasse comment ? Ma petite case ne me suffit même pas. En tout cas hein ma fille, part d'abord. Les problèmes, je n'en veux plus.
Alida : donc tu me chasses comme ça ? Toi aussi tu préfères me voir souffrir ? Pourquoi tout le monde est méchant avec moi comme ça ? En tout cas je vais me débrouiller toute seule. Je vais m'en sortir sans l'aide de personne. C'est une histoire de quoi même ? Parce que je suis sans aucune défense. Vous êtes vraiment mauvais.
Ma'a Jacqueline : ma fille tu parles comme ça à qui ? Tu sais très bien que n'importe qui ne s'attaque pas à ta mère là. Tu veux que je meurs seulement ? Chacun fait ce qu'il peut faire à son niveau. Ma fille est comme elle et c'est mieux pour moi que je la laisse dans son enfer. Je n'en peux plus.
Alida : ta fille ? Qui est ta fille ? Mère est ta fille ?
Elle ne répondit plus. Elle alla dans sa cabane et revint avec du poisson dans un papier. Elle me le tendit.
Alida : ce n'est pas du poisson dont j'ai besoin. J'ai besoin de partir de cette maison. Tout porte à croire que tu connais ce qui s'y passe mais tu ne fais rien pour que ça cesse. Quand je vais faire couler mère, toi aussi, tu vas y passer. Rendez-vous ce soir.
