Chapitre 4
Il devait se détacher d’elle, la déposer et oublier cette rencontre.
La voiture filait sous la pluie battante. Dawn s’allongea à l’arrière, cherchant un peu de calme. L’atmosphère s’était apaisée, presque silencieuse, jusqu’à ce qu’une lueur blanche se reflète dans le rétroviseur. Une voiture suivait de près. Puis une deuxième surgit, se plaçant à leur hauteur.
— Il y a deux voitures autour de nous, murmura Dawn. Peut-être qu’elles veulent juste passer ?
Daryn resta muet, la mâchoire crispée. Son visage se vida de toute couleur. Il savait. Ces voitures n’étaient pas anodines.
Les humains le traquaient depuis des années. Sa régénération fulgurante, son sang, son ADN faisaient de lui un sujet de convoitise. Et les Néotides d’Azura — ces mutants sous les ordres de son ennemi juré — le cherchaient sans relâche. La blessure
qu’il portait venait d’eux. Quatre d’entre eux, cette fois, l’avaient pris pour cible. Il les avait tués, mais la plaie avait résisté à ses soins.
Il tourna brusquement la tête vers Dawn. — Quoi qu’il arrive, tu restes enfermée dans la voiture. Compris ?
— Quoi ? Pourquoi ?
— Pas le temps d’expliquer.
La voiture dérapa soudain : Daryn venait de percuter le véhicule qui roulait à leur gauche. Dawn poussa un cri quand leur corps bascula d’un côté.
— Arrête ! s’écria-t-elle. Laisse-nous descendre !
Mais l’autre voiture partit en vrille et quitta la route.
— Viens ici et prends le volant ! ordonna-t-il.
— Quoi ? Non ! Je ne sais pas conduire ce truc !
— Ouvre ta ceinture, vite.
Sans comprendre, elle obéit. En un éclair, il la saisit et la fit glisser sur ses genoux. Cole, sur le siège arrière, les fixait, stupéfait.
— Tiens le volant, lui souffla Daryn en guidant ses mains.
Le contact la traversa comme une décharge. Lui-même eut un sursaut, le visage fermé. Il appuya sur un bouton du tableau de bord ; le mode de pilotage automatique s’enclencha.
— Ne touche à rien. Et quoi qu’il arrive, tu ne sors pas de cette voiture, c’est clair ?
Dawn hocha la tête, figée.
L’instant d’après, Daryn ouvrit la portière, sauta dehors, et la referma derrière lui avec une vitesse presque inhumaine.
La pluie redoubla. À travers la vitre, Dawn aperçut les phares de la voiture ennemie revenir sur le côté. Un bruit sourd retentit, puis un autre, plus proche. Une silhouette se projeta contre le capot avant que le véhicule ne fasse un bond brutal.
Un choc sec les secoua : quelque chose venait de heurter violemment l’arrière du SUV. Cole hurla, projeté contre le siège avant malgré sa ceinture, le visage en sang.
Et Dawn, tétanisée, comprit qu’ils venaient d’entrer dans la guerre de Daryn — une guerre dont elle ne savait rien.
« Cole ! » hurla Dawn en serrant le volant. « Ne bouge surtout pas ! » Elle appuya brutalement sur l’accélérateur. « Ne bouge pas ? Tu plaisantes ! Quelque chose vient de heurter la voiture ! À cette allure, on va finir encastrés dans un arbre ! » cria Cole, agrippé à son siège.
Dawn ignora sa panique et poursuivit sa course folle, les mains crispées sur le volant. Le moteur rugissait dans la nuit, avalant la route sans relâche. Elle jeta un coup d’œil au rétroviseur : rien. Pas une lumière, pas une silhouette derrière eux. Seulement la route vide et le bruit du vent. Elle continua jusqu’à sentir son cœur ralentir, jusqu’à croire qu’ils étaient hors de danger. Alors, apercevant un panneau indiquant un petit village à venir, elle prit la sortie.
Le silence revint peu à peu dans l’habitacle. Dawn n’arrivait pas à croire que cet inconnu avait osé la laisser seule, piégée dans sa propre voiture. Elle ignorait qui il était, mais quelque chose dans son regard l’avait glacée. Était-il membre d’un gang ? Un tueur ? Peu importait : elle devait disparaître avant qu’il ne les retrouve.
Elle coupa le moteur et tourna la tête vers son frère. — On descend, dit-elle d’un ton sec. — Quoi ? Pourquoi ? bredouilla Cole, nerveux. — Parce qu’on doit effacer nos traces. Allez, sors.
Elle détacha sa ceinture, ouvrit la portière et l’aida à faire de même. L’air frais de la nuit lui fouetta le visage. Elle frissonna, jeta un dernier regard à la voiture, puis saisit la petite valise posée sur le siège arrière. Sans un mot, ils s’enfoncèrent dans l’obscurité.
La pluie s’était arrêtée. Leurs pas résonnaient faiblement sur l’asphalte humide. Autour d’eux, des champs de maïs s’étendaient à perte de vue, sombres et immobiles. Le vent s’engouffrait dans les épis et faisait voler les cheveux de Dawn. Elle sentait la chaleur grimper dans son corps, cette fièvre étrange qu’elle redoutait tant. Bientôt, sa vision se troublerait, elle le savait. Elle prit deux comprimés d’Advil d’une main tremblante et les avala à sec.
— Je suis fatigué, Dawn, murmura Cole d’une voix cassée.
Il pleurait doucement, sans oser faire de bruit. Il voulait être fort, mais il n’était qu’un enfant. Les mots de leur père résonnaient encore dans sa tête : Protège ta sœur, coûte que coûte. C’était la dernière chose qu’il lui avait dite avant de mourir. Cole se souvenait de la chambre d’hôpital, du corps immobile de leur père, du cri qu’il avait poussé, recroquevillé à côté de Dawn inconsciente. Elle était tout ce qu’il lui restait.
Dawn sentit son cœur se serrer. Il fallait trouver un abri avant que Cole ne s’effondre. Ils marchèrent encore une demi-heure dans la nuit avant qu’une lueur ne perce l’obscurité.
— Regarde, là-bas, dit-elle en pointant du doigt.
Cole leva les yeux, et tous deux accélérèrent le pas. Quelques minutes plus tard, ils atteignirent une rangée de petites maisons. L’espoir les fit presque courir. Dawn s’arrêta devant la première porte et frappa.
Des pas traînants se firent entendre à l’intérieur, puis la porte s’ouvrit lentement, dans un grincement. Un homme d’âge mûr, mal rasé et vêtu d’un vieux pull, leur apparut. Il tenait un fusil pointé vers eux.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il d’une voix grave.
Les deux enfants restèrent figés. Dawn prit une inspiration et répondit calmement : — S’il vous plaît, monsieur… Nous nous sommes perdus. Nous n’avons nulle part où aller. Pourriez-vous nous laisser dormir ici, juste pour la nuit ? Je peux payer.
L’homme hésita, puis baissa lentement son arme.
Quand Dawn ouvrit les yeux le lendemain, une lumière douce filtrait à travers la fenêtre à croisillons. Le soleil dessinait sur le plancher en acajou des carrés de clarté. Elle resta un instant immobile, le regard perdu dans ces taches lumineuses, avant de tourner la tête vers Cole, profondément endormi à ses côtés. Un mince sourire effleura ses lèvres.
Il était dix heures passées. Elle devait partir. Quitter le pays, emmener Cole loin d’ici. Loin d’Helena.
Helena, la maîtresse de son père. Vingt-neuf ans, belle, rusée, et dangereuse. Dawn en était persuadée : c’était elle qui tirait les ficelles de tout ce chaos. Peut-être même celle qui avait tué leur père. Mais elle n’avait aucune preuve. Et, pire encore, personne ne la croyait.
Sa grand-mère, la sœur de son père, et même son oncle semblaient fascinés par Helena. Ils la traitaient comme une invitée d’honneur, bien plus qu’ils ne l’avaient jamais fait avec Clare, la mère de Dawn. Tout avait commencé quand Clare était tombée malade. C’est à ce moment-là qu’Helena avait pris sa place dans la maison, doucement, comme un serpent qui s’installe dans la chaleur d’un foyer.