
Résumé
La lumière du matin traversait les immenses baies vitrées de la chambre, s’étalant sur le parquet comme un voile d’or pâle. Raissa ne la regardait plus depuis longtemps. Le ciel était bleu, l’air semblait pur, et tout, dans cette propriété, exhalait la perfection. Mais ce luxe l’écoeurait, comme un parfum trop capiteux. Elle s’éveillait chaque jour avec un poids dans la poitrine, un sentiment d’exil que rien ne dissipait. Elle repoussa le drap de soie ivoire et posa ses pieds nus sur le tapis épais, si moelleux qu’elle avait parfois l’impression de marcher sur un mensonge. Autour d’elle, tout n’était qu’apparence : la coiffeuse en marqueterie, les rideaux brodés, le lit gigantesque où elle dormait seule depuis des semaines. Peut-être des mois. Elle avait cessé de compter les absences de Joven. Raissa se leva et traversa la chambre, les pans de sa chemise de nuit effleurant ses cuisses. Les murs couleur crème étaient ornés de toiles anciennes qu’elle n’avait pas choisies. Elle ne s’y intéressait plus. Ces tableaux, comme les bijoux qu’il lui offrait après chaque humiliation, étaient des trophées d’un mari qui ne l’aimait pas vraiment. Ou qui croyait que posséder signifiait aimer.
Chapitre 001
La lumière du matin traversait les immenses baies vitrées de la chambre, s’étalant sur le parquet comme un voile d’or pâle. Raissa ne la regardait plus depuis longtemps. Le ciel était bleu, l’air semblait pur, et tout, dans cette propriété, exhalait la perfection. Mais ce luxe l’écoeurait, comme un parfum trop capiteux. Elle s’éveillait chaque jour avec un poids dans la poitrine, un sentiment d’exil que rien ne dissipait.
Elle repoussa le drap de soie ivoire et posa ses pieds nus sur le tapis épais, si moelleux qu’elle avait parfois l’impression de marcher sur un mensonge. Autour d’elle, tout n’était qu’apparence : la coiffeuse en marqueterie, les rideaux brodés, le lit gigantesque où elle dormait seule depuis des semaines. Peut-être des mois. Elle avait cessé de compter les absences de Joven.
Raissa se leva et traversa la chambre, les pans de sa chemise de nuit effleurant ses cuisses. Les murs couleur crème étaient ornés de toiles anciennes qu’elle n’avait pas choisies. Elle ne s’y intéressait plus. Ces tableaux, comme les bijoux qu’il lui offrait après chaque humiliation, étaient des trophées d’un mari qui ne l’aimait pas vraiment. Ou qui croyait que posséder signifiait aimer.
Le dressing s’ouvrit devant elle, démesuré, froid, plus grand que certaines chambres où elle avait vécu avant de devenir la femme de Joven. Elle fit glisser ses doigts le long des robes suspendues, effleurant les étoffes précieuses. Il y avait tant de beauté ici qu’on aurait pu croire qu’elle vivait un rêve. Mais c’était une prison, une prison tapissée de soie et de diamants.
Elle choisit une robe longue, d’un gris perle presque transparent, qu’elle aimait malgré elle. La fluidité du tissu caressa sa peau comme une excuse silencieuse. Elle la passa lentement, puis se regarda dans le miroir, le cœur serré. Son reflet la surprit toujours. Ses pommettes saillantes, son teint clair qu’elle peinait à conserver malgré le manque d’air, ses cheveux châtains qu’elle attachait pour ne pas voir leur désordre. Ses yeux gris semblaient plus ternes qu’avant, comme si la lumière s’était retirée d’eux.
Elle baissa le regard sur son cou, où reposait le collier que Joven avait glissé là après la dernière scène. La dernière gifle. Une rivière de diamants, éclatante. Et pourtant elle n’y voyait qu’une chaîne, un rappel de sa soumission. Il avait murmuré qu’il regrettait, qu’il la couvrirait de bijoux pour se faire pardonner. Puis il était reparti en voyage d’affaires, la laissant seule avec ses excuses et sa peur.
Elle inspira longuement. Son estomac se contractait, révolté contre ce quotidien. Elle se sentait comme une bête dressée, privée de tout contact extérieur. Elle n’avait pas le droit de téléphoner sans surveillance. Pas le droit de recevoir la moindre visite. Pas le droit de franchir le portail du domaine. Tout était fait pour la préserver, disait Joven. Préserver quoi, elle l’ignorait. Peut-être seulement l’illusion qu’il contrôlait sa vie.
Un bruit léger attira son attention. Trois coups, à peine audibles, frappèrent à la porte. C’était Iris, une femme de chambre silencieuse, qui entra sans la regarder. Elle déposa le plateau du petit déjeuner sur le guéridon, s’inclina et ressortit sans un mot. Raissa attendit que le pas s’éloigne avant d’oser bouger.
Elle s’approcha du plateau. Le café fumait, les croissants embaumaient la pièce. Elle n’y toucha pas. Tout avait le goût amer de l’habitude. Le goût de la résignation. Elle s’éloigna et alla jusqu’à la grande fenêtre. Là, elle posa la main sur la vitre glacée et observa le jardin. Les cyprès parfaitement alignés, les parterres impeccables, la pelouse sans une seule herbe folle. Tout était contenu, discipliné, interdit au désordre.
Elle remarqua un détail nouveau, une silhouette immobile près du portail. Un homme grand, large d’épaules, vêtu de noir. Il portait des lunettes de soleil, mais elle sut qu’il la regardait. Depuis quelques jours, elle percevait cette présence. Des pas discrets, une ombre derrière un rideau, un reflet dans une vitre. Elle avait compris qu’il s’agissait du garde du corps que Joven avait engagé. Pour sa sécurité, disait-il. Mais en son for intérieur, elle savait que c’était un geôlier de plus.
Elle s’efforça de soutenir son regard, bien qu’elle ne distingue pas ses yeux. Il ne bougea pas. Ne se détourna pas. Et soudain, elle éprouva une gêne étrange. Comme si cet inconnu, qu’elle n’avait jamais approché, la voyait mieux que tous ceux qui l’entouraient. Mieux que Joven. Comme si sa solitude avait enfin trouvé un témoin.
Elle frissonna et recula d’un pas. Son téléphone vibra sur la console, un son strident dans le silence de la chambre. Elle sursauta. Elle savait déjà qui écrivait avant même de lire l’écran.
“Je serai de retour dans trois jours. Ne fais pas d’histoires.”
Sa main trembla légèrement. Elle relut le message plusieurs fois, comme pour y trouver un mot d’affection. Il n’y en avait pas. Trois jours. Trois jours d’enfermement, de surveillance, de silence. Elle inspira, serra le téléphone contre sa poitrine et ferma les paupières.
Elle se sentait à la lisière de quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore. Une fatigue plus grande que la peur. Un vide plus vaste que sa colère. Et, quelque part dans ce vide, la certitude qu’elle n’était pas née pour être une possession, pas née pour rester derrière ces murs.
Elle rouvrit les yeux et regarda encore le jardin. L’homme était toujours là, planté comme une sentinelle. Il ne bougeait pas. Elle se demanda quel genre de regard se cachait derrière ces verres noirs. S’il jugeait, s’il plaignait, ou s’il attendait.
Raissa ignora qu’au même instant, Marcel, le garde du corps, pensait à elle comme à un oiseau trop fragile pour survivre en captivité. Il ignorait qu’il deviendrait bientôt celui qui briserait la cage, même si c’était pour mieux la refermer.
Elle ne le savait pas encore, mais c’était le commencement.