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Chapitre 002

La villa paraissait plus vaste depuis qu’Ana s’y était installée. Comme si sa présence remplissait chaque recoin d’un parfum nouveau, d’une lumière plus douce. Elle ne parlait presque pas, mais Hugo la voyait, partout. Il la voyait marcher pieds nus sur le marbre glacé, s’asseoir près de la baie vitrée avec un livre sur les genoux, se pencher pour ramasser une feuille tombée du jasmin.

Il prétendait travailler. Il s’enfermait dans son bureau, envoyait des courriels sans importance, faisait mine de téléphoner. Mais son esprit retournait toujours vers elle.

Le matin, il entendait sa voix dans la cuisine quand elle saluait les domestiques. Elle avait un rire timide, plus jeune que tout ce qu’il avait entendu depuis des années. Chaque fois qu’elle riait, il sentait une pointe brûlante de culpabilité.

Il se souvenait d’Aitana. Elle aussi avait eu ce rire. Avant.

— Monsieur Carvalho ?

Il sursauta. Ana se tenait dans l’embrasure de la porte, vêtue d’une longue robe bleu pâle. Ses cheveux blonds retombaient en vagues légères sur ses épaules. Elle se tordait les mains, un peu nerveuse.

— Pardon de vous déranger. Aitana m’a dit de venir vous voir si… si je me sentais inquiète.

Il se leva, le cœur battant trop fort.

— Qu’y a-t-il ? Vous allez bien ?

Elle baissa les yeux.

— Je… C’est sans doute idiot. Mais j’ai eu des vertiges, ce matin. Et des nausées.

— C’est normal, Ana. Vous êtes… enceinte.

Elle hocha la tête.

— Je sais. Mais je ne veux pas faire quelque chose de mal… mettre le bébé en danger.

Il s’approcha d’elle, assez près pour sentir l’odeur de son parfum. Il aurait voulu poser la main sur son bras, sur sa joue. Il s’en abstint.

— Vous ne faites rien de mal. Vous êtes déjà… parfaite.

Elle leva les yeux vers lui. Ses cils tremblaient.

— Merci. C’est juste… un peu effrayant.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, de jour comme de nuit… vous n’avez qu’à m’appeler.

Elle sourit, timidement.

— C’est gentil. Je… je vais essayer de me reposer.

Elle disparut dans le couloir, laissant derrière elle un silence vibrant. Hugo ferma les yeux. Il sentit le poids d’un désir qu’il n’avait pas le droit de ressentir. Et pourtant, il savait qu’il n’y aurait pas de retour en arrière.

Le lendemain, Aitana rentra d’un déplacement à Madrid. Elle déboula dans le salon, vêtue d’un tailleur ivoire, les cheveux impeccablement lissés, les ongles rouges comme une menace.

— Alors ? demanda-t-elle, sa voix tranchante. Tout va bien avec… elle ?

— Tout va bien, répondit-il en détournant le regard.

Elle déposa ses sacs sur le canapé, puis s’approcha de lui. Il sentit l’odeur entêtante de son parfum, presque agressive.

— Hugo. J’espère que tu n’oublies pas ce que nous faisons. C’est une transaction. Ni plus, ni moins.

Il serra la mâchoire.

— Oui. Une transaction.

— Ne l’idéalise pas. Ce n’est qu’un moyen.

Elle posa une main sur sa poitrine, un geste qui aurait pu être tendre. Mais son regard, lui, était froid.

— Je compte sur toi pour rester lucide.

Il ne répondit pas.

Les jours suivants, la routine s’installa. Ana prenait ses vitamines, Aitana partait et revenait, le médecin venait chaque semaine vérifier le développement de l’embryon. Tout était en ordre. Tout était normal.

Sauf lui.

Hugo se surprenait à attendre chaque matin le moment où Ana descendrait l’escalier. Il guettait la douceur de son sourire, la lueur de confiance qu’elle avait quand leurs regards se croisaient. C’était une drogue, insidieuse, silencieuse.

Un après-midi, il la trouva assise sur la terrasse, un plaid sur les genoux. Le ciel était lourd de nuages, l’air sentait la pluie.

— Vous devriez rentrer, dit-il doucement. Il va pleuvoir.

Elle tourna la tête, ses yeux clairs plus tristes qu’il ne les avait jamais vus.

— Je n’ai pas peur de la pluie.

Il s’avança, incapable de rester à distance.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Elle inspira longuement, puis releva le menton.

— Parfois, je me sens… seule. Même si tout le monde est gentil. Je me demande pourquoi j’ai accepté.

Il sentit son cœur se serrer.

— Vous savez pourquoi. Pour votre avenir. Pour votre famille.

Elle hocha la tête.

— Oui. Mais… parfois, j’aimerais…

Sa voix mourut. Elle baissa les yeux sur ses mains croisées.

— Ana. Qu’aimeriez-vous ?

Elle garda le silence si longtemps qu’il crut qu’elle ne répondrait pas. Puis elle murmura :

— J’aimerais qu’on me touche. Qu’on m’embrasse. Qu’on me rappelle que je suis une femme, pas qu’un ventre.

Le sang battit à ses tempes. Ses mains se crispèrent. Il la regarda, cherchant un signe qu’elle plaisantait. Mais ses joues rosirent, ses yeux restèrent graves.

— Pardon. Je… je n’aurais pas dû dire ça.

Elle se leva brusquement, mais il la retint par le poignet. Le contact les électrisa tous les deux.

— Ana…

Elle ferma les yeux, comme si son prénom dans sa bouche était déjà un aveu.

Il sentit ses dernières défenses se briser. Il approcha son visage du sien, respira son parfum, caressa la ligne de sa mâchoire.

— Vous n’êtes pas qu’un ventre. Pas pour moi.

Elle entrouvrit les lèvres, et le baisa. Le premier baiser fut hésitant, maladroit, plein de terreur. Puis il devint autre chose : une confession, une implosion. Il sentit son corps se presser contre le sien, et sut qu’il ne pourrait plus reculer.

Quand la pluie commença à tomber, ils restèrent là, sous le ciel gris, leurs bouches soudées. Il la porta dans ses bras, la serra contre lui comme s’il avait enfin trouvé sa vérité.

Ce soir-là, il rentra tard dans la chambre conjugale. Aitana dormait déjà, un masque de soie sur les yeux. Il la regarda sans rien éprouver qu’un vide froid. Puis il alla se doucher, lavant la pluie et les dernières traces d’innocence.

Sous l’eau brûlante, il sut qu’il venait de sceller leur destin.

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