002-Le Prix de la Perfection
L'appartement de Cassya surplombait la baie de Naples. Des murs de verre, un sol de marbre ivoire, un balcon suspendu dans le vide. À l’intérieur, rien d’encombrant : quelques meubles signés, un lit immense, un coffre-fort invisible, et ce silence parfait qu’elle exigeait partout où elle vivait. Même le vent semblait devoir chuchoter ici.
Elle était nue, allongée sur un immense fauteuil en cuir blanc, un verre de vin rouge dans la main droite, un peignoir de soie à peine posé sur son épaule gauche. Sa jambe oscillait lentement, paresseusement, comme si son corps n’avait que faire du monde qui l’attendait.
Sur l’écran de son téléphone, trois appels manqués. Deux d’un prince du Qatar, le troisième d’un sénateur italien. Elle les ignora.
Mais le quatrième appel, lui, retint son attention.
Giuseppe Morello.
Cassya haussa un sourcil. Voilà un homme qu’elle n’avait pas entendu depuis six mois. Un collectionneur. D’art. De femmes. D’objets rares. Et elle faisait partie de ses plus grandes frustrations.
Elle décrocha.
— Enfin, dit-il d’une voix chaude et grave. Je croyais que tu étais morte, Cassya.
— Je suis pire que ça, murmura-t-elle. Je suis inaccessible.
Il rit. Il aimait ce jeu.
— Tu sais pourquoi je t’appelle.
— Tu veux m’offrir quelque chose.
— Je veux t’acheter, plutôt.
Cassya se redressa légèrement.
— Je n’ai pas de prix.
— Je te propose cinq millions d’euros pour un an d’exclusivité. Une villa à Positano. Une voiture au choix. Et une bague en diamant noir de 10 carats. Tu cesses toutes tes activités. Tu n’es qu’à moi.
Cassya laissa un silence s’installer. Puis elle se leva, laissant son peignoir glisser jusqu’au sol.
— Giuseppe… tu sais ce que je vaux.
— Justement. C’est pour ça que je mets tout sur la table. Tu veux plus ?
— Ce que je veux, dit-elle en s’approchant de la baie vitrée, c’est que tu comprennes une chose : ce n’est pas ton argent qui m’intéresse. C’est ton humilité. Ta perte de contrôle. Ton agonie à mes pieds.
— Je peux t’offrir tout ça, murmura-t-il.
— Alors commence par raccrocher. Et supprime mon numéro.
Elle raccrocha.
---
Une heure plus tard, dans sa salle de bain éclairée à la lueur de bougies, elle s’étira dans la vapeur. Le bain était rempli d’huiles rares, d’orchidées blanches. Elle ferma les yeux. Visualisa la scène.
Un homme à genoux. Un autre qui supplie. Un troisième qui hurle. Tous pour elle.
Mais quelque chose l’agaçait. Une idée insistante. Une sensation qu’elle avait atteint un plafond. Le luxe n’était plus un frisson. Les diamants n’étaient que des cailloux taillés. Les jets privés, des taxis un peu plus hauts.
Elle voulait autre chose.
Une scène. Une légende. Un événement.
C’est là qu’elle se souvint du message reçu la veille.
> “Accepterez-vous de vous vendre au plus offrant ?”
Elle en avait ri, au départ. Elle, se vendre ? Quelle idée ridicule.
Mais… et si c’était elle qui organisait la vente ? Si elle dictait les termes ? Si elle obligeait tous ces hommes à se battre entre eux, à miser plus, encore plus, à perdre leur fortune, leur honneur, leur âme… juste pour une nuit avec elle ?
Et si elle était l’enchère ? Pas un lot. Une légende.
---
Le lendemain matin, à 9h précises, elle était déjà dans son salon, vêtue d’un tailleur blanc cassé et de talons nude. Elle tapotait sur son iPad, relisant la liste de ses anciens clients influents. Des noms qui faisaient trembler des gouvernements.
Elle créa un groupe privé sous pseudonyme : "The Velvet Auction".
Y ajouta cinquante contacts. Pas un de plus. Tous triés sur le volet.
Elle programma un message crypté :
> « Chers Messieurs,
La beauté n’a de valeur que dans la rareté.
Ce que vous avez désiré sans jamais obtenir sera bientôt mis aux enchères. Une nuit. Un contrat. Un seul vainqueur.
Préparez vos portefeuilles, vos tripes, et vos égos.
Le sang coulera peut-être. Mais le plaisir en vaudra la cicatrice.
Invitation dans trois jours. Lieu secret. Tenue exigée : pouvoir. »
Elle envoya le message.
Puis éteignit l’écran, croisa les jambes, et sourit.
La partie pouvait commencer.
---
L’après-midi, elle reçut un appel inattendu.
— C’est moi.
Une voix grave, calme. Différente. Peu familière.
— Qui ?
— Tu ne me connais pas encore, Cassya. Mais tu m’as déjà vu.
Elle plissa les yeux.
— Si tu n’es pas plus précis, je raccroche.
— Tu étais au gala de Saint-Germain il y a trois semaines. Tu portais une robe verte émeraude. Tu as croisé mon regard, mais tu ne t’en souviens pas. C’est normal. Tu regardes rarement ceux qui ne te désirent pas.
Un frisson discret passa le long de sa colonne vertébrale.
— Et toi, tu ne me désires pas ?
— Je te désire, Cassya. Mais pas comme les autres. Moi, je veux que tu m’appartiennes sans contrat, sans mise, sans calcul. Je veux que tu m’échappes, et que ça me tue.
Elle se mordilla la lèvre, amusée. Intriguée.
— Ton nom ?
— Lazaro.
Puis il raccrocha.
---
Cassya resta là, l’oreille encore chaude de sa voix.
Ce n’était pas un nom qu’elle avait entendu souvent. Lazaro Del Vego. Le prodige silencieux. Fondateur d’un fonds d’investissement qui avait renversé les puissants. Jeune. Richissime. Inaccessible. Elle l’avait déjà repéré, oui. Mais il ne s’était jamais présenté. Jusqu’à maintenant.
Un homme qu’elle n’avait pas conquis. Un homme qui ne rampait pas.
Intéressant.
---
La nuit tombée, elle s’allongea nue sur sa terrasse, observant la mer. Elle se sentait toute-puissante. Chaque étoile, chaque vague, chaque battement de cœur du monde semblait battre pour elle.
Mais au fond, dans un repli secret de son âme, quelque chose s’agita. Un battement inconnu. Un éclat fragile.
Pas de peur.
Mais… une envie de chute.
---
Elle se releva. Retourna dans sa chambre. Ouvrit son coffre-fort.
Sortit son carnet.
Et écrivit :
> Nuit : refusée à Giuseppe — proposition : 5M€ + villa + bague
Motif : trop prévisible. Pas de défi. Aucun vertige.
Réflexion : Il est temps de faire du sexe un empire. Une guerre. Une religion.
Objectif : Les enchères commencent bientôt.
