chapitre 04
Je me posais souvent la question : comment ma mère était-elle devenue ainsi ?
Cette femme froide, méchante, et de surcroît droguée…
Comment avait-elle pu accepter d’épouser un homme aussi alcoolique, aussi violent que mon géniteur ?
« Il n'y a pas de juste, pas même un seul. » – Romains 3:10
Je me disais que si je comprenais la cause de son malheur, peut-être que je pourrais l’aider à guérir.
Et si elle allait mieux, alors moi aussi j’irais mieux.
Peut-être qu’elle réussirait enfin à m’aimer… à m’éduquer…
Mais surtout, à m’AIMER. Parce que c’est tout ce dont j’avais besoin.
J’avais seulement cinq ans. Cinq petites années. Et ce que je désirais plus que tout, c’était sentir l’amour de mes parents.
C’était une évidence. Un besoin vital.
Ce jour-là, après les coups de mon père et les insultes de ma mère,
je suis allée chercher la trousse de secours pour soigner mes blessures.
Oui, je savais exactement où elle se trouvait.
C’était normal. Après tout, cela faisait déjà un an que je vivais tout cela.
Ma mère m’avait elle-même montré où elle rangeait tout.
Je pris aussi la boîte de maquillage.
Pas pour me faire belle.
Mais pour cacher les bleus… pour masquer les traces…
Parce qu’il était hors de question que je me rende à l’école dans cet état.
Sinon, les agents de protection de l’enfance viendraient m’arracher à eux…
« La langue peut apporter de grands bienfaits, mais elle peut aussi causer de grands dommages. » – Jacques 3:5
Pas du tout…
Moi, je voulais rester avec mes parents. Parce que malgré tout, JE LES AIMAIS.
Le matin, avant de partir à l’école, je me maquillais pour cacher mes bleus…
Puis je sortais, seule, pour m’y rendre.
Qui allait m’accompagner ?
Ma mère était déjà ivre de drogue dès l’aube.
Et mon père, lui, s’enfonçait dans l’alcool. Pour lui, la nuit était le matin et le matin, la nuit.
Il avait inversé le monde, et chez nous, *tout était sans dessus dessous*.
« Un enfant est un héritage de l'Éternel ; le fruit des entrailles est une récompense. »– Psaume 127:3
J’étais différente de mes camarades.
Je ne croyais pas aux contes de fées, ni aux princesses Disney.
Je ne regardais même pas la télé.
Je n’avais pas de jouets. Pas d’amis.
À l’école, les autres enfants avaient peur de moi.
Ils disaient qu’on entendait toujours des bruits étranges chez nous.
Et ce n’était pas faux.
C’étaient les bruits des coups, des cris, des insultes…
Ce que les murs en béton tentaient de contenir, mais laissaient filtrer comme des grognements vers l’extérieur.
MA VIE était un enfer.
Mes nuits se résumaient à des pleurs… jusqu’à ce que je n’aie plus de larmes.
Et là seulement, je finissais par m’endormir.
Pourtant, j’étais une fille très intelligente.
À l’école, ma maîtresse me félicitait toujours pour mes résultats.
Et certains camarades me jalousaient en secret…
Mais je ne leur prêtais pas attention.
Je les trouvais plutôt méchants.
Eux, ils avaient une bonne vie…
Alors si en plus Dieu leur donnait l’intelligence, ce serait franchement une *injustice monumentale*, non ?
« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l'abondance. »– Matthieu 25:29
Il fallait bien que j’aie au moins une chose en plus qu’eux, comme une maigre consolation à ma situation désastreuse.
Ce jour-là, en rentrant à la maison, je n’ai trouvé ni ma mère, ni mon père.
Et surtout, rien à manger
J’avais affreusement faim. Depuis le matin, je n’avais rien avalé.
Je suis allée à la cuisine boire un peu d’eau, pensant que ça calmerait ma faim.
Mais au contraire, ça l’a empirée.
Mon ventre gargouillait, j’en pouvais plus.
J’avais l’impression que j’allais mourir de faim.
Alors, n’ayant rien d’autre à faire, je me suis résignée à aller dormir…
Parce que parfois, c’est la seule solution quand on souffre trop.
Comme ça, je pensais oublier un peu ma faim.
Je suis donc allée me coucher l’estomac vide.
Je ne sais plus à quelle heure ma mère est rentrée, mais c’était très tard.
Complètement défoncée.
Elle m’a trouvée endormie sur le canapé. Elle m’a réveillée, m’a regardée un instant, puis m’a demandé si j’avais mangé.
J’ai répondu que non.
Elle a sorti 2 $ de sa poche et m’a dit d’aller m’acheter quelque chose à manger.
Il était déjà 22h30...
Mais elle s’en fichait complètement.
Alors j’ai pris l’argent, et je suis sortie dans la nuit, la peur au ventre.
Il faisait sombre, et la rue était pleine de gens bizarres.
Certains me regardaient de manière inquiétante.
Quelques mètres plus loin, un groupe de jeunes hommes s’est approché.
L’un d’eux m’a lancé :
— Hé, petite ! Qu’est-ce que tu fais seule à cette heure-là ? T’as fugué de chez toi ?
— Non, grand frère, j’ai juste faim… Je vais m’acheter un truc à manger, j’ai murmuré, tremblante.
Ils se sont regardés entre eux, puis l’un d’eux m’a demandé :
— T’as combien sur toi ?
— 2 $ grand frère, répondis-je timidement.
Ils éclatèrent de rire.
— Mais petite, qu’est-ce que tu comptes acheter avec ça ? lança l’un d’eux en se moquant gentiment.
J’ai baissé les yeux et murmuré que c’était tout ce que j’avais.
Puis, l’un d’eux a tendu la main :
— Donne-moi ton argent.
« La richesse de l'homme est sa force, mais la bonté du cœur est un trésor inestimable. »– Proverbes 11:4
Je me suis mise à pleurer…
C’étaient mes 2 $, ma seule chance de calmer un peu ma faim.
Mais en me voyant pleurer, ils se sont remis à rire, puis l’un d’eux a dit :
— Allons, on ne va pas te voler. Il est tard, et aucun kiosque n’acceptera de vendre à une petite fille à cette heure. Laisse-nous t’aider.
J’ai hésité… puis, naïvement, je leur ai fait confiance et je leur ai tendu mes 2 $.
L’un d’eux est parti, et quelques minutes plus tard, il est revenu avec une grande quantité de nourriture.
J’en croyais pas mes yeux. J’étais bouleversée.
— C’est vraiment mes 2 $ qui ont payé tout ça ?, ai-je demandé, émerveillée.
Ils ont éclaté de rire à nouveau, mais cette fois, à gorge déployée.
Je ne comprenais pas ce qu’il y avait de si drôle. Je me demandais ce que j’avais pu dire pour les faire autant rire.
L’un d’eux me répondit :
— Ce n'est pas toi, petite. C'est juste que tu as l'air d'avoir passé des jours sans manger. On a rajouté un peu d'argent pour que tu aies assez de nourriture.
Et c’était vrai… Je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j’avais mangé aussi copieusement.
Avec mes parents, mon repas se résumait souvent — quand ils n’oubliaient pas — à un pain sec et un demi-verre de lait… ou d’eau. J’étais si maigre que mon corps parlait pour moi.
Celui qui avait apporté la nourriture me tendit le sachet. Je n’ai même pas attendu d’arriver à la maison. J’ai commencé à tout dévorer, comme une affamée.
En me voyant manger ainsi, ils se mirent tous à rire.
— Eh doucement ! Tu vas t’étouffer !, lança l’un d’eux.
Mais je ne les écoutais pas. J’avais trop faim.
Quelques instants plus tard, la nourriture me passa de travers, et je me mis à tousser violemment.
Au début, ils se moquèrent gentiment :
— On t’avait prévenue !
Puis, en me voyant pleurer, l’un d’eux me tendit un soda :
— Tiens, bois ça, ça va passer.
Une fois rassasiée, je les remerciai sincèrement. Je leur dis qu’il se faisait tard et que je devais rentrer.
Avant de partir, l’un d’eux me glissa un billet de 5 $ dans la main :
— Reviens nous voir de temps en temps, petite. Tu es drôle… tu nous fais du bien.
Je leur promis de revenir chaque fois que j’en aurais la possibilité.
Il était déjà minuit passé de trente minutes. Je savais que j’allais me faire insulter… ou pire, battre. Et, comme je le redoutais, c’est exactement ce qui arriva.
À peine avais-je franchi le seuil de la maison que mon père m’interpella sèchement :
— Où étais-tu, Tatiana ? Hein ? Réponds-moi !
Je gardais le silence. J’étais tétanisée de peur.
— Alors quoi ? Tu commences déjà à te prostituer à ton jeune âge ? Comme ta mère ? Tu suis ses pas, sale idiote !
« La colère d'un homme n'accomplit pas la justice de Dieu. »– Jacques 1:20
Je voulus parler, expliquer, mais je n’eus même pas le temps d’ouvrir la bouche. Sa gifle me coupa la parole en plein élan. Mon visage explosa sous la douleur. Je me suis mise à crier et sangloter comme une enfant. J’en étais une, après tout…
Entre deux larmes, je le suppliais de m’écouter, de me laisser m’expliquer. Mais il me lança froidement :
— Je t’ai déjà laissé ta chance. Tu l’as gaspillée.
Ce soir-là, il me frappa avec une grosse ceinture. Mon corps portait les marques : des bleus, des plaies, des douleurs que personne ne voyait.
Ma mère ? Elle ne me regardait même pas. Silencieuse, absente, brisée.
« L'angoisse dans le cœur de l'homme le déprime, mais une bonne parole le réjouit. » – Proverbes 12:25
Mon père, fou de colère, s’en prit ensuite à elle :
— C’est ta faute tout ça ! Tu n’es qu’une bonne à rien, une analphabète inutile !
Puis, comme si de rien n’était, il ajouta :
— Maquille-toi. Tu as cinq minutes. Si tu traînes, tu verras ce que je vais te faire.
Elle se lava, dissimula ses bleus sous un peu de poudre, et quitta la maison. Sans même me jeter un regard.
Et moi… je suis restée là. Étendue sur le sol. Le corps couvert d’ecchymoses. Inconsciente. Seule.
Je ne sais même pas à quelle heure je me suis réveillée.
À suivre
