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-Je... je dois chercher un... un petit boulot.
Pathétique. Je suis lamentablement pathétique. J'ordonne à ma main de reprendre son indépendance mais je crois que mon bon sens a déserté ma raison. C'est bien ma veine, tiens !
-Ah ouais ? Tu cherches dans quoi ? m'interroge-t-il de sa voix rauque.
-J'en sais rien encore. Et ce soir, je sors !
Je n'ai absolument aucune idée de ce qui me prend de dire ça mais cette idée m'apparaît immédiatement être parfaite. Je sais d'avance que Julie validera mon programme avec un grand sourire machiavélique.
-Ok...
-J'ai envie de m'amuser, de profiter et de ne plus penser à rien.
-Ok...
Toutes les craintes qui s'infiltrent dans son esprit tourmentent maintenant ses certitudes et son corps se tend lentement sous mes doigts.
-Je préfère ne pas en savoir plus Candice. Mais sache que je te fais confiance. Je nous fais confiance.
Pour la énième fois aujourd'hui, il me laisse sans voix. Il dépose un léger baiser sur ma tempe avant de disparaître dans la foule londonienne qui donne vie aux rues de mon quartier. Et moi, je reste abasourdie encore quelques instants par la scène qui vient d'envoyer aux oubliettes tous les mantras que je me suis inlassablement répétés pendant des mois.
***
-Hééé Julie, viens prendre une photo avec moi !
Je suis obligée de crier pour couvrir le bruit de la musique qui résonne dans ce club branché de la capitale. Ma colocataire s'avance en se dandinant au rythme du tout nouveau hit de David Guetta avant d'enrouler son bras autour de mes épaules. Nous levons notre verre devant l'objectif et affichons notre plus beau sourire. Je m'empresse d'envoyer ce cliché à Gabriel et Aurore qui ne cessent de me taquiner avec des images de leur super soirée.
Pendant que je suis en train de pianoter un petit message à leur attention, je remarque Julie du coin de l'œil qui s'accoude à la petite table que nous avons réussi à conquérir. Je range mon téléphone dans ma petite pochette et je me poste à ses côtés pour trinquer. Une seconde plus tard, je vois une fille brune s'approcher de nous en nous regardant avec insistance et je mets un moment avant de réaliser qu'elle fait partie du groupe d'amis de ma coloc. Ou du moins c'est ce que je croyais.
-Ohh putain, voilà la relou ! grommelle Julie à côté de moi.
-C'est qui ?
-Une des copines de Liz, ma pote. Elle sort de temps en temps avec nous mais je ne peux pas la blairer.
Je pouffe derrière mon verre.
-Pourquoi ?
-Ah parce que maintenant il faut une raison pour ne pas aimer les gens ? Je ne l'aime pas, c'est tout !
Je m'esclaffe sans retenue tout en me déhanchant en suivant le tempo de cette musique assourdissante quand la fameuse copine nous interpelle.
-Ça va les filles ?
-Pfff elle me saoule déjà, marmonne Julie de manière à ce que je sois la seule à pouvoir l'entendre.
-Oui et toi ? dis-je en envoyant un petit coup de coude à ma coloc.
-Pas trop... mon mec m'a quittée.
A peine a-t-elle terminé sa phrase que ses joues se parent de larmes de crocodile. Je me sens rapidement désemparée face à cette fille que je ne connais absolument pas.
-Oh la la et voilà maintenant qu'elle pleurniche... Ça arrangerait tout le monde si elle pouvait se noyer dans ses larmes la prochaine fois qu'elle chiale ! lance Julie d'une voix forte.
-Pardon ?
-Je disais, ce qu'il t'arrive, ce n'est pas génial.
Je manque de recracher l'alcool que je venais de porter à ma bouche tellement l'aplomb de mon amie me sidère !
-Ouais, je sais. Et après quatre mois de relation, il s'est contenté de m'envoyer un texto.
-Tu m'étonnes, il en avait marre de voir ta face...
-Quoi ?
-Je disais, ce n'est vraiment pas très classe !
-Ah ça non ! Et maintenant, il ne répond même plus quand je l'appelle.
-Ça, c'est parce qu'il a envie de dégueuler quand il voit ta photo s'afficher !
-Hein ?
-Je disais, c'est peut-être qu'il est trop accablé pour te parler ?
Ne pouvant plus me contenir, j'explose de rire en agrippant le bras de ma copine pour la tirer sur la piste de danse.
-Tu es infernale Julie !
-Avoue que c'est hilarant de se foutre de sa gueule !
-T'es pas sympa, elle avait l'air vraiment mal.
-Elle est toujours mal. Un jour c'est ses parents qui la saoulent, le lendemain c'est son mec, demain ce sera son chien. Elle cherche constamment se faire plaindre.
Je tourne la tête en direction de cette fille pour remarquer qu'elle a déjà jeté son dévolu sur une autre copine de Julie qui semble la regarder avec désolation.
-Tu vois, elle est en train de faire son numéro à Abby. Te prends pas la tête pour elle Candice, elle passe son temps à faire pleurer dans les chaumières.
Je hoche la tête en portant à nouveau mon verre à mes lèvres mais il est vide. Julie me fait un petit signe de connivence et nous trottinons jusqu'au bar. En attendant que le barman nous remarque, ma colocataire se tourne vers moi pour me demander :
-Au fait, t'en es où avec ton bel étalon ?
Mon ventre se noue quand mes pensées s'envolent à nouveau vers Ethan.
-Il est passé me voir tout à l'heure, il m'a longuement présenté ses excuses et il m'a dit qu'il voulait qu'on reparte à zéro.
-Petite cachotière ! Et t'en penses quoi ?
-Je ne sais pas quoi te dire. Je suis perdue...
-Tu ne me demandes pas mon avis mais je vais te le donner quand même. Tu as la chance d'avoir le mec le plus canon de la terre qui est venu ramper à tes pieds pour te demander pardon et te faire la plus belle déclaration d'amour qui soit. J'étais là Candice, j'ai entendu tout ce qu'il t'a dit jeudi et je ne comprends pas comment tu arrives à rester de marbre ! Il a fait des conneries ok, mais là tu t'entêtes à le repousser alors que tu crèves d'amour pour lui. Franchement, sur ce coup je ne te comprends pas.
-J'ai peur Julie. J'ai tellement peur qu'il me fasse à nouveau souffrir. Je n'ai plus confiance en lui. Quand il est en face de moi, je pourrais tout oublier en un battement de cil mais il suffit que je me laisse aller pour que tout ce qu'il m'a fait me revienne en mémoire.
-Je ne te dis pas de te jeter dans ses bras si tu ne t'en sens pas encore capable. Mais tu pourrais peut-être essayer de passer du temps avec lui et voir si les sentiments que tu ressens sont plus forts que ta rancœur. Ne laisse pas tes peurs te bouffer la vie Candice, tu es en train de te faire toi-même du mal.
Les mots de Julie s'impriment un à un à côté de ceux qui flottent déjà dans mon esprit alors que je n'ai encore jamais osé les formuler à voix haute. Le barman arrive et nous commandons nos cocktails avant de regagner la piste de danse. Les amies de ma colocataire s'entassent autour de nous et les heures s'éparpillent avec légèreté. Nous nous déhanchons, nous rions, nous sourions, nous crions, nous buvons, nous vivons. Je me sens bien. Je me sens libre. Je me sens enfin moi-même. Seul mon cœur accidenté boitille encore mais je me promets de tout faire pour le remettre à flot.
