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19

              

                    

Sur ces paroles, elle me décoche un clin d'œil et s'empresse de disparaître derrière les portes vitrées du bâtiment qui me fait face. Je baisse les yeux sur la feuille qu'elle m'a fourrée dans les mains quand un sourire nait sur mes lèvres. Ne me demandez pas pourquoi mais je sais déjà que j'adore cette fille. Je me remets en route pour regagner l'appartement afin d'aller chercher mon ordinateur et me lancer dès maintenant dans ma recherche d'emploi. N'ayant pas envie de rester enfermée, je prends l'appareil sous le bras et dévale les escaliers en sens inverse, déjà pressée d'aller prendre en main mon avenir. Quand j'atteins le trottoir qui borde mon nouvel immeuble, je suis sereine et déterminée. Mais tout part en fumée au moment où mon regard se pose de l'autre côté de la rue. 

Ethan se tient droit, les mains dans les poches de son jeans, le visage imperturbable. Il me fixe de ses grands yeux noisette qui me font frissonner de la tête aux pieds. Je me fige, totalement déroutée de le voir à nouveau s'immiscer dans ma vie londonienne alors que je fais tout pour le tenir à l'écart de mes pensées. Un mélange déconcertant d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres m'assaille tandis que je le vois s'avancer vers moi. Lorsqu'il remarque que je ne bouge pas, ses lèvres charnues s'étirent en un minuscule sourire. 

-S...salut. 

Il passe nerveusement la main dans ses cheveux en dansant d'un pied sur l'autre. Si je n'étais pas aveuglée par ses mensonges passés, je trouverais sûrement cela attendrissant. 

-Qu'est-ce que tu fais là Ethan ? 

-Je me disais que peut-être tu... tu accepterais qu'on se pose dans un café pour discuter. 

Sa voix est mal assurée et ses yeux suppliants. Mon cœur s'excite déjà beaucoup trop dans ma cage thoracique et je ne comprends pas vraiment de quoi j'ai le plus peur. 

-Je...

-S'il te plait Candice. Ce qu'on a vécu était bien trop important pour qu'on laisse les choses comme ça.

Il lève la main pour la poser sur mon avant-bras mais avant qu'elle n'atteigne sa destination, j'ai déjà reculé d'un pas. Non pas qu'il me dégoûte, bien au contraire. Je ne veux simplement pas me rappeler toutes ces sensations que lui seul sait enflammer. 

-Ok mais pas longtemps. 

Même si j'ai parfaitement conscience que passer du temps avec lui ne m'aide absolument pas à tirer un trait définitif sur notre histoire, je crois que nous méritons tous les deux de nous expliquer calmement. Nous marchons quelques instants avant d'atteindre le petit pub que j'ai maintenant l'habitude de fréquenter. Quand je pénètre dans l'établissement, le trentenaire taciturne qui gère les lieux m'adresse un petit sourire en hochant la tête avant de figer son geste en apercevant Ethan dans mon dos. Il détourne alors le regard et continue d'essuyer les quelques verres qui sont posés devant lui, le visage fermé. 

Je choisis délibérément de ne pas m'asseoir à la table que j'occupe habituellement dans le coin de la pièce. Je n'ai pas envie de partager mes nouvelles habitudes avec Ethan. Mes mains tremblent comme des folles quand je tire une chaise et que je m'installe en face de lui. Nos genoux se frôlent mais c'est déjà beaucoup trop. Je me décale pour ne pas avoir à supporter le déchirement que cela provoque en moi. C'est à ce moment que le gérant s'approche de nous pour prendre notre commande sans décrocher le moindre mot. Ethan attend que j'énonce ce que j'ai envie de boire mais je n'arrive pas à lâcher le barman des yeux. Je ne saurais dire ce qui me trouble autant aujourd'hui mais ses prunelles paraissent bien plus abattues que d'habitude. Après quelques secondes de silence, mon ex-compagnon se racle bruyamment la gorge, ce qui me fait légèrement sursauter. Le visage d'Ethan s'est rembruni et il est maintenant impossible de lire à travers l'orage qui s'est formé dans ses iris assombris. 

            

              

                    

-Un thé noir s'il vous plait. 

-Une bière, grommelle-t-il. 

Le barman s'éloigne rapidement, nous laissant seuls et totalement mal à l'aise. Nous n'avons jamais connu ce genre de moment simple, à prendre le temps de se parler tranquillement dans un lieu public. Nous n'avons connu que des moments passionnés dans un lieu confiné qui était le gardien de nos secrets les plus sincères. C'est sûrement pour cette raison que j'ai la sensation que ce que nous sommes en train de faire ne nous ressemble absolument pas. 

-Tu voulais me parler ?   

Je tente de briser la glace qui s'est cristallisée entre nous et à ma grande surprise, Ethan ne me laisse pas me dépêtrer toute seule. Il relève la tête pour retrouver mon regard et semble se nourrir de ce qu'il y trouve puisqu'il finit par laisser sa main se promener sur son visage fatigué. Malgré moi, je ne peux pas empêcher mes yeux de contempler sa peau rugueuse ainsi que les petits plis qui ornent ses doigts ; ces mêmes petits plis que j'avais l'habitude de caresser lorsque je sentais qu'il m'échappait. 

-Je voudrais te demander pardon Candice. Je sais que j'ai enchaîné les mauvaises décisions et que je t'ai fait souffrir et ça me déglingue. J'ai abimé ce qui avait le plus de valeur à mes yeux et putain, je le regrette amèrement. Si je pouvais revenir en arrière, je ferais tout complètement différemment. Tu es précieuse Candice et je t'ai fait du mal. Je m'en voudrais toute ma vie mais je crois que la seule chose que je peux faire aujourd'hui, c'est de m'excuser, encore et encore. Et te dire que je t'aime, encore et encore.   

Ma poitrine se serre tellement que je peine à dompter mes respirations. Un nœud gigantesque s'est formé dans ma gorge et il m'empêche de lui répondre. Pourtant, il est en train de me donner ce que j'attendais depuis des mois. 

-Quand tu m'as choisi, j'ai été un putain d'égoïste. J'étais heureux de t'avoir avec moi mais il y avait toujours cette culpabilité qui me bouffait de l'intérieur. Je savais que j'étais en train de merder mais j'ai fait l'autruche. Plus les semaines passaient, plus je savais que j'étais foutu. Parce que j'étais fou amoureux de toi et que je savais que je ne te méritais pas. Tu me demandais de nous sauver de cette impasse et je... sur le coup, je pensais que je faisais ce qu'il fallait en préparant ma sortie avec mes avocats mais en réalité, j'ai été lâche. J'avais une énorme trouille de me retrouver à nouveau à la rue mais il a fallu que je te perde pour que je réalise que rien n'est plus important que la femme de ma vie. Je m'en fous des thunes, de la bagnole et de la baraque. Si je ne t'ai plus, je n'ai plus rien. 

Le regard sincère d'Ethan n'a jamais quitté le mien depuis qu'il a pris la parole. Il m'a ouvert son cœur sans heurt ni cri. Il s'est simplement assis devant cette petite table bancale et m'a déballé tout ce qui pesait trop lourd dans sa poitrine. Mes doigts caressent machinalement le bois sombre légèrement collant tandis que ses paroles s'infiltrent doucement en moi. Je ferme les yeux quelques secondes, totalement décontenancée par tout ce qu'il vient de me dévoiler. Il me semble qu'il vient de nous lancer dans une chute vertigineuse des plus terrifiantes mais même si ça me fait un bien fou d'entendre toutes ces excuses, je ne suis pas prête à le laisser décider de mon sort à nouveau. Alors je préfère déclencher mon parachute et m'envoler haut dans le ciel tandis que je le regarde tomber, tomber, tomber. 

-Ethan, je... je ne peux pas oublier ce que tu as fait. Tu... 

-Je ne te demande pas d'oublier mais d'essayer de comprendre et peut-être de me pardonner un jour. 

-J'ai eu un accident. 

Mon cœur bat si fort dans mes tempes que je ne saisis pas vraiment pourquoi je lui avoue cela aussi abruptement. 

            

              

                    

-Quoi ? Comment ça ? s'écrie-t-il en tentant d'agripper ma main qui se soustrait à son approche instinctive. 

-Le jour où j'ai quitté la soierie. Je voulais... partir pour tout oublier alors j'ai pris ma voiture et j'ai roulé. J'avais trop mal Ethan, je ne pouvais pas supporter ta trahison. Et j'ai tellement pleuré que je n'ai pas vu ce camion se déporter à ma droite. Je suis restée une semaine à l'hôpital, j'ai subi plusieurs opérations, notamment une un peu périlleuse de la hanche et je suis restée trois mois sans pouvoir marcher. 

Un silence de plomb alourdit l'atmosphère, nous enfermant dans un étau étouffant qui nous colle désormais à la peau. 

-Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout cela. Probablement parce que je ne veux plus te mentir. Je veux que tu saches que personne ne m'a jamais autant fait de mal que toi. Et tu sais pourquoi ? Parce que je n'ai jamais aimé quelqu'un aussi fort que toi. Mais je crois que ça ne suffit plus. Je veux juste me reconstruire Ethan. 

Soudain, sa main fonce sur la mienne comme un fauve impitoyable sur sa proie, m'empêchant instantanément de me dérober. La sensation de sa paume contre la mienne me fait tressaillir. De peur. De douceur. De rancœur. De chaleur. Je ne sais plus vraiment. 

-J'ai merdé Candice. Mais je ne ferai plus les mêmes erreurs. Je sais que tu ne me fais plus confiance mais je vais te prouver qu'on peut y arriver de nouveau, ensemble. Je vais t'attendre, peu importe le temps que ça prendra. Et je ne te mentirai plus jamais. Alors, il faut que tu me pardonnes d'avance pour tout ce qui va sortir de ma bouche parce que toi et moi, on sait tous les deux que je vais encore dire des conneries mais tant pis. Désormais, je vais me battre pour ce qui compte réellement pour moi.

Son pouce caresse tendrement le dos de ma main qu'il tient aussi précieusement qu'un écrin. Je me rappelle de tout le désir, la passion, l'amour et la complicité qui nous liait. Et sans crier gare, mon cœur s'emballe. Il ne sait plus s'il s'agite comme un forcené parce qu'il a mal ou qu'il fond, parce qu'il le veut ou qu'il me prévient du danger, parce qu'il suffoque ou qu'il retrouve enfin son oxygène. 

-Arrête Ethan. Je... je ne sais pas si...

-Je te demande seulement de me laisser t'approcher de temps en temps. Rien de plus. 

Je soupire sans savoir quoi dire. Je suis tellement tiraillée entre l'amour intarissable que je ressens pour lui depuis bien trop longtemps et cette rancœur que je traine depuis cinq mois que je ne parviens pas à raisonner correctement. Les doigts d'Ethan s'accrochent toujours plus intensément aux miens tandis que les secondes s'égrainent dans un silence éloquent. Mais je ne peux pas baisser ma garde aussi facilement. Alors brusquement, je retire ma main et je la laisse s'échouer sur ma cuisse. Je me fiche d'avoir froid loin de sa peau. Ou peut-être que je fais semblant de m'en ficher mais c'est mieux ainsi. 

-Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? me demande-t-il après un long silence, d'une voix éraillée par la déception. 

-Comment ça ? 

-Tu comptes t'installer ici ou ce n'est que temporaire ? 

-Je crois que j'ai envie de rester un moment dans cette ville, je m'y sens bien. Une chose est sûre, je ne retournerai pas à Paris. 

Il me semble distinguerun éclair de soulagement dans son regard vulnérable mais je ne m'y attarde pas. Ses beaux yeux ont toujours été bien trop dangereux face à mes résolutions. 

-T'es tellement belle Candice. Ici t'es différente, comme si t'étais plus libre et ça te rend encore plus... putain tu me fais perdre la tête ! 

Mon cœur rate un battement. Ou deux. Mes joues, quant à elles, virent au cramoisi en l'espace d'une microseconde. Je déteste l'effet qu'il a encore sur moi. 

            

              

                    

-Ne joue pas à ça Ethan ou je m'en vais sur le champ. 

Il pose ses deux coudes sur la table avant d'avancer son buste pour réduire la distance qui nous sépare. A travers les quelques millimètres qui désunissent nos visages, je ne sens plus que son souffle indécent se mêler au mien.

-Je ne joue pas Candice. Je t'ai promis d'être honnête et ça commence maintenant. T'es superbe et tu me rends fou. Même si tu as cette douleur qui danse encore parfois dans tes beaux yeux verts, moi je ne vois que la liberté et la détermination qui t'habitent. J'ai l'impression que tu m'échappes toujours un peu plus mais putain, je ne pourrai jamais te reprocher d'être enfin toi-même. 

Le monde s'estompe autour de nous, comme si nous étions les pièces centrales d'un tableau qui n'a besoin d'aucun arrière-plan. Il est le maestro et moi le modèle qui peine à se laisser amadouer.

-T'es à la fois mon plus beau rêve et mon pire cauchemar. Je pourrais mourir de soulagement maintenant que je t'ai retrouvée mais merde, c'est sacrément difficile de garder mes mains sous la table. J'ai envie de te toucher Candice, tout le temps, partout. J'ai besoin de retrouver ce qui faisait de nous ce couple passionné, ce désir crépitant dans mes veines et cet amour dingue qui me faisait atteindre le septième ciel rien qu'en te regardant. 

Le feu qui prend vie dans mon ventre ne présage rien de bon. Alors je me lève d'un bond et je m'éloigne de la table, brisant ainsi la bulle sucrée dans laquelle il m'avait emprisonnée. Je me dirige d'un pas sûr vers la sortie quand je sens mon cœur galoper dans ma poitrine comme un rituel immuable en sa présence. 

-Attend Candice, excuse-moi je suis allé trop loin. 

Il attrape mon bras gauche et me force à me retourner avec la plus grande douceur. Derrière lui, je vois le barman nous observer du coin de l'œil, les sourcils froncés. 

-Tu crois qu'il te suffit de quelques belles paroles pour me faire tomber de nouveau ? Tu penses que je ne ressens rien quand tu me dis tout ça ? Chacun de tes mots me fait autant de mal que de bien. Je n'ai jamais cessé de t'aimer Ethan alors tu peux user de tous tes pièges à fille, je suis déjà foutue. Sauf qu'aujourd'hui, je n'ai plus confiance en toi et j'ai même peur de ce que tu pourrais encore faire de moi. 

La douceur qui s'accroche lentement à chacun de ses traits me désarçonne instantanément. Je n'ai pas l'habitude que cet homme me laisse lire en lui comme dans un livre ouvert, pourtant c'est ce qu'il fait depuis qu'il est revenu. Il m'a laissée voir qu'il était malheureux, brisé, désespéré, amoureux et plein d'espoir. Aujourd'hui, il me montre qu'il me comprend et me respecte. Sa main lâche délicatement mon bras pour rejoindre lentement la mienne qui tremble sous ses doigts apaisants. Innocemment, il laisse son sur sillage une armée de frissons qui adoucit déjà quelques-unes de ses erreurs. 

-Laisse-nous le temps de nous retrouver Candice.

Sans me laisser le temps de réagir, Ethan tire doucement ma main pour nous entrainer en dehors du pub. Les rayons du soleil brillent franchement au-dessus de nos têtes malgré la brume qui obscurcit toujours un peu mes pensées.        

-Je vais te laisser maintenant. A moins que tu préfères que je reste un peu avec toi ? 

Totalement empotée, je ne parviens pas à me détacher de son regard aimant qui me contemple sans retenue. Il me semble que mon cœur bat toujours trop vite et que je ne devrais pas ressentir tous ces papillons qui virevoltent dans mon estomac mais je ne maitrise plus rien. Remarquant que je ne quitte pas ses yeux noisette, Ethan laisse de nouveau son pouce se promener sur le dos de ma main pendant qu'un petit sourire nait sur ses lèvres pour prendre vie dans ses prunelles maintenant étincelantes. 

            

              

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