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17

                    

Elle était dangereuse et elle ne le savait même pas. Elle déambulait comme si elle ne voyait pas qu'elle me rendait fou et je voulais la détester encore plus, comme ado idiot prendrait pour cible une gentille fille qui n'a rien demandé. Alors j'ai fait ce que je sais faire de mieux : j'ai fait le connard. Pas le gentil connard, plutôt le gros connard qui prononçait tous les mots qui allaient à coup sûr lui faire mal. Il fallait qu'elle parte loin de moi et de mon satané cœur qui s'emballait à chaque fois que je respirais son parfum. Mais elle résistait. Putain, elle s'accrochait et ne lâchait pas. Et puis, il y a eu ce jour là dans l'ascenseur. Je voulais l'intimider, la rendre folle pour lui faire peur et qu'elle finisse par s'en aller mais j'ai perdu les pédales. Comme un débutant, j'ai laissé sa peau douce et son souffle chaud me marquer au fer blanc. Elle avait cette robe qui me rendait dingue et mon cerveau a carrément pété un câble. Mes doigts se sont promenés sur elle, mes yeux la baisait presque tellement ils avaient envie de découvrir ce qu'elle cachait sous ce bout de tissu machiavélique et c'est à cet instant précis que j'ai compris que j'étais foutu. Parce qu'elle s'était déjà fait une place sous ma peau mais que j'étais trop con pour le comprendre. Mais quand enfin j'ai pu goûter à ses lèvres qui me faisaient bander tous les soirs, le jeu a pris fin. 

J'étais mort de trouille c'est vrai, mais je ne voulais pas laisser partir cette fille. Elle s'accrochait à son job, elle luttait pour ne pas me céder mais elle aussi, elle était son propre ennemi. Malgré elle, elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir attirée par moi. Malgré moi, je ne pouvais pas résister à ces yeux aussi innocents que brûlants qui m'ont mis à genoux à chaque fois qu'elle s'abandonnait à moi. Malgré nous, on s'est aimés. Sûrement mal, probablement trop fort, peut-être même au mauvais moment mais on s'est aimés dans notre bulle. Nous n'étions réellement nous-même que lorsque que nous étions ensemble. Et maintenant qu'elle est partie, je ne respire plus vraiment correctement. 

J'ai passé toute ma vie à m'embourber dans des histoires glauques et à me débattre contre cette colère qui a empoisonné mes pensées. Mon père a sacrifié ma jeunesse à cause de ses addictions et j'ai fini par bousiller mes plus belles années pour sauver quelqu'un qui n'avait finalement pas envie de l'être. J'ai ensuite laissé une femme détruire mes rêves et mes illusions. Mais merde, c'est fini tout ça ! Je n'en ai plus rien à foutre de cette vie dorée mais si solitaire, la seule chose qui compte maintenant c'est que je récupère Candice et que je répare les dégâts que j'ai causés. J'aime cette fille comme un dingue et même si ça me terrifie, j'ai besoin de la retrouver. Elle pourra ensuite faire ce qu'elle veut de moi, je lui appartiens déjà entièrement de toute façon. 

Je quitte ce banc minable sur lequel je me suis échoué et je mets à errer. Les mois qui ont suivi ce jour maudit ne sont plus qu'un brouillard épais indissoluble. Je suis peut-être maso mais je veux m'en souvenir pour ne pas oublier ce que je nous ai fait subir. 

Je n'ai pas voulu retourner chez moi chercher des affaires, j'aurais eu l'impression de trahir Candice si je remettais un pied là-bas. J'ai fait un saut à la banque pour retirer tout l'argent que j'avais sur mon compte et je m'en suis servi pour louer une chambre miteuse dans un hôtel pourri pas loin de chez elle. Je me disais que si elle revenait, j'avais peut-être une chance de la croiser. J'ai passé des jours à l'attendre en bas de son immeuble ou devant la salle de danse mais elle ne s'est jamais pointée. J'ai détesté cette putain de sensation, comme si elle n'avait jamais vécu cette vie-là. J'ai harcelé Marina pour savoir si elle avait des nouvelles d'elle, je suis même devenu fou un matin. Je l'attendais pour la énième fois sur le parking de la soierie pour lui poser inlassablement la même question : 

-Où est Candice ? 

Comme toujours, elle m'a répondu qu'elle n'en savait rien. Je ne sais pas pourquoi j'ai pété les plombs à ce moment-là, peut-être que c'était simplement la fois de trop. Je n'en pouvais plus d'entendre cette réponse, que mes minces espoirs soient encore catapultés dans une autre dimension et que je reste là, plus seul que jamais, à aimer une femme à qui il était peut-être arrivé quelque chose de grave. Alors j'ai empoigné le col de son manteau et je l'ai poussée contre le mur. Elle a lâché un cri de terreur qui m'a ramené les pieds sur terre et je me suis enfui, complètement affolé par celui que je commençais à devenir. 

            

              

                    

Les jours passaient, les semaines passaient, les mois passaient et tous les matins je me levais en espérant au moins apprendre qu'elle allait bien. Quelques fois, la colère laissait place à l'inquiétude. Je m'imaginais qu'il lui était arrivé le pire et que je devrais désormais avancer seul, sans la pièce centrale du puzzle déglingué qu'est ma vie. Mais cette pensée me rendait tellement malade que je préférais en revenir à ma bonne vieille colère. Celle qui me faisait croire que je détestais Candice pour ce qu'elle m'infligeait alors que je crevais d'amour pour elle. J'essayais de me persuader que je haïssais sa crinière de lionne quand on faisait l'amour et ses douces caresses qui glissaient sur ma peau sèche. Je ne voulais pas me souvenir que son corps, bien que frêle et plus petit que le mien, était parfaitement taillé pour moi. Qu'elle était la moitié qui me complétait et me rendait meilleur. Qu'à travers son regard, j'ai vu pour la première fois une femme m'aimer pour ce que je suis réellement et que j'ai su à cet instant précis que je ferai tout pour la garder auprès de moi. En réalité, tout ce que je voulais vainement oublier quand je m'endormais, c'est que j'avais échoué et que je l'avais brisée.

Un matin, j'ai décidé qu'il ne me restait plus qu'une seule solution. Il fallait être désespéré pour la tenter mais ça tombait bien, c'était exactement ce que j'étais. Il faisait sombre, comme si le ciel présageait lui aussi que cette journée allait virer à l'orage. Alors j'ai sauté dans un bus un peu trop climatisé et j'ai tenté d'ignorer mon reflet dans la vitre. Mon visage était plus fatigué qu'il ne l'avait jamais été mais surtout, mon regard était celui d'un homme qui n'a plus rien à perdre. Froid, vide, dur. Je n'arrêtais pas de passer machinalement ma main dans ma barbe en me rappelant à quel point Candice l'aimait. J'ai voulu la raser tellement de fois mais à chaque fois que j'ai tenu cette saloperie de rasoir dans la main, j'ai eu l'impression de la trahir un peu plus encore. Le bus a ralenti et je suis sorti. J'ai marché quelques minutes avant de trouver la maison que je cherchais en venant ici. J'avais fait des recherches pendant plusieurs jours pour parvenir à dégoter cette adresse et au moment où mes pieds ont foulé le perron, j'ai compris que j'étais tombé bien bas.

La porte s'est rapidement ouverte et une haine virulente a pris feu dans mes veines quand mon regard a percuté celui du père de Candice. Je revoyais ses mains brutaliser ma femme et sa bouche la détruire intentionnellement. J'ai serré les poings à m'en briser les os, j'ai inspiré longuement puis j'ai marmonné entre mes dents : 

-Je cherche Candice. Est-ce que vous savez où elle est ? 

Un sourire mesquin est apparu sur le visage ignoble de cet homme froid. 

-Ah c'est drôle ça ! Je savais bien qu'elle se fourvoyait dans cette relation mais je n'aurais jamais pensé qu'elle ait le courage de vous quitter. 

-Fermez-là bordel ! Est-ce que vous savez où elle est, oui ou non ? 

-Pourquoi le saurais-je ? Nous n'avons plus aucune nouvelle depuis que... 

-Depuis que vous l'avez brisée. Ouais je sais. Putain... 

Je me suis mis à tourner comme un lion en cage sur ce seuil qui me révulsait tant. 

-Vous n'avez aucune idée de là où elle aurait pu aller ?

-Pourquoi est-ce que je vous le dirais ? Si elle a choisi de couper les ponts avec vous, elle n'a sûrement aucune envie que je vous dévoile ses petits secrets. 

-Putain de merde ! Est-ce que vous vous rendez compte que votre fille unique a disparu depuis plus de quatre mois ? Peut-être qu'il lui est arrivé quelque chose de grave, peut-être même que... 

Ma voix s'est éteinte sans que je n'aie pu finir ma phrase. Un long silence s'est abattu sur nous avant que le retraité ne baisse les yeux. Il m'a semblé déceler une petite lueur d'humanité dans sa voix quand il a enfin répondu : 

            

              

                    

-Elle doit sûrement être chez sa copine Cassiopée. C'est là qu'elle s'est toujours réfugiée. 

Sur le chemin du retour, cette dernière phrase ne cessait de tourner dans mon esprit. Je savais pertinemment que la relation entre Cassiopée et Candice n'était pas au beau fixe mais je n'avais plus rien à perdre. J'ai donc continué ma route pour attendre cette fille que je n'ai jamais aimée devant chez elle. Déjà que je ne suis pas patient, mais je peux vous garantir que le fait de poireauter comme un con sous le déluge et sans parapluie pour attendre une fille que je ne peux pas blairer ne m'a pas mis de bonne humeur. Quand elle s'est pointée, elle a eu un fugace moment de stupeur qu'elle a tenté de cacher tant bien que mal. 

-Qu'est ce que tu fous là ? 

Ok. Le ton est donné. 

-Est-ce que Candice est chez toi ? Est-ce que tu sais où elle est ? 

-Elle n'est pas là et je ne sais pas où elle est. Maintenant, dégage. 

Elle est passée devant moi, me bousculant au passage comme une gamine mais je lui ai rapidement agrippé le bras. D'un air de défi, elle a laissé ses yeux trainer sur l'endroit où ma main serrait sa peau et je l'ai tout de suite relâchée. 

-Je sais que tu mens. Tu ne serais pas aussi sereine si, comme moi, tu n'avais aucune nouvelle d'elle depuis quatre mois. 

-Reste loin d'elle, c'est le meilleur cadeau que tu peux lui offrir. 

Et sur ces mots tranchants, elle est rentrée chez elle en me claquant la porte au nez. Maintenant que j'avais enfin trouvé la personne qui connaissait la réponse à la question qui hantait chaque seconde que je subissais, je ne comptais pas abandonner. J'ai donc littéralement campé devant chez elle. Elle m'a menacé d'appeler les flics mais je n'en avais rien à foutre. Ce petit manège a duré trois jours. Puis elle a effectivement appelé les flics et ils m'ont fait déguerpir. Mais je n'ai pas baissé les bras pour autant. Je l'ai suivie jusqu'à son boulot, je l'attendais tous les matins et tous les soirs près de sa voiture et je lui posais inlassablement la même question. Au début, elle m'ignorait mais je savais qu'elle finirait par exploser. Même si cette idée me révulse, elle et moi sommes faits du même bois.

-Putain mais tu ne veux pas juste nous laisser tranquille ? Tu ne crois que tu as fait assez de mal à Candice comme ça ? Elle essaie de se reconstruire, elle n'a pas besoin que tu viennes l'achever ! 

J'étais prêt à riposter mais elle m'a rendu muet avec ses accusations. 

-Ecoute, je ne comprends pas très bien pourquoi tu insistes autant mais il faut que tu saches que Candice se relève à peine. Elle ne peut pas replonger. Oublie-là. 

-Je... je peux pas. C'est pas possible Cassiopée, je ne peux pas l'oublier. Putain mais je vais devenir dingue ! Ca fait quatre mois que je la cherche partout, tout le temps. Je n'ai plus de vie mais je m'en tape. J'ai besoin de voir qu'elle va bien et qu'elle entende que... que... que je l'aime, merde. J'ai n'ai même pas pris le temps de le lui dire et maintenant qu'elle est partie, elle doit penser des choses atroces et je ne peux pas la laisser comme ça. Il faut qu'elle sache que j'ai tout quitté pour elle. Je ne suis plus rien sans elle, je... je l'aime c'est tout. C'est con, c'est tellement banal mais je l'aime plus que ma propre vie. Il faut que je lui dise que tout ce qu'on a partagé était vrai, même si elle décide de me jeter ensuite comme une merde parce que c'est tout ce que je mérite. Cassiopée, regarde-moi dans les yeux et dis-moi qu'elle a tourné la page. Qu'elle ne pense plus à moi, à nous et qu'elle vit très bien notre rupture. Si c'est le cas, alors je la laisserai tranquille. Mais si elle souffre autant que moi, tu n'as pas le droit de nous laisser crever loin l'un de l'autre. 

Cassiopée me regardait comme si j'étais un extraterrestre tout droit sorti de son vaisseau spatial. C'est sans doute à cause de ces conneries de larmes qui me brûlaient les joues ou de mon cœur déchiqueté que je venais de lui balancer aux pieds. J'ai vu un millier d'émotions passer dans son regard avant qu'elle ne soupire longuement. 

-Si je te dis où elle est, promets-moi que tu t'effaceras si c'est ce qu'il y a de mieux pour elle. 

-Je te le jure. Je ne pourrai plus jamais supporter de lui faire du mal, même si pour cela je dois renoncer à la femme de ma vie. 

Et c'est ainsi que je me retrouve devant cette porte, dans cet immeuble typiquement londonien, à trembler de toute mon âme parce que dans quelques secondes, je vais enfin retrouver ma lumière. Je sais pertinemment avant de l'avoir revue que je ferai tout pour que nous soyons à nouveau nous. Elle ne va sans doute pas vouloir m'écouter ni même accepter de me voir et je suis prêt à le comprendre. Mais cette femme mérite que je me batte pour nous. En partant, elle a emporté la moitié du soleil qui éclairait faiblement ma vie. J'ai maintenant besoin d'elle pour que nous puissions briller à nouveau. Putain, j'ai la trouille mais je l'aime ! Elle fait partie de moi. Rien ne pourra jamais changer cela.

            

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