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La respiration totalement erratique, je me force à relever la tête et à tenter de retrouver mes esprits. Si elle n'a même pas daigné essayer de me comprendre, elle ne mérite pas mes larmes. Je ne vais pas mentir, la blessure qu'elle a initiée aujourd'hui ne se refermera jamais vraiment. Je me sens trahie, abandonnée et injustement salie. Mais je ne regrette aucun des choix que j'ai fait ces derniers mois concernant Ethan, c'est une certitude et s'il faut que je perde mon amie d'enfance pour me trouver moi-même, alors qu'il en soit ainsi. Je n'ai ni la force ni l'envie de me priver de mon oxygène.
Sans réfléchir davantage, j'attrape mon téléphone et compose le numéro de mon homme. Les sonneries s'envolent dans le silence de mon auto et disparaissent dans la nuit noire, me laissant encore et toujours plus seule. Je relance l'appel une dizaine de fois mais le résultat est toujours le même. Seul le répondeur d'Ethan me répond. Je jette mon téléphone sur le siège passager et reprends la route. Plus j'approche de mon appartement, plus une angoisse sourde et perfide s'infiltre sous ma peau. J'ai besoin d'entendre la voix de mon homme pour être rassurée. J'essaie de l'appeler encore un nombre incalculable de fois mais rien n'y fait, il ne répond pas. Mes jambes me portent difficilement jusqu'à ma chambre et je m'effondre sur mon lit, laissant au passage échapper quelques petits sanglots. Je n'aurais jamais pensé que perdre sa meilleure amie était si douloureux. Notre amitié était écrite pour être éternelle, indéfectible et surtout, pour être capable d'affronter toutes les tempêtes que la vie nous réserve. Mais comment cela a t-il pu disparaitre en si peu de temps ?
Je veux bien reconnaître que j'ai changé ces derniers mois mais je ne pense pas m'être trahie. Au contraire, j'ai ce sentiment profondément ancré en moi que je me suis enfin libérée de mes chaines et que j'ai découvert la véritable Candice. Alors pourquoi est-ce que Cassiopée n'est pas capable de l'accepter et de s'en réjouir ? Elle a toujours été celle qui menait notre duo, celle qui traçait les grandes lignes de notre avenir et grâce à elle, j'ai réussi à affronter chaque obstacle. Le chagrin que je ressens au plus profond de mon âme est abyssal. L'incompréhension qui l'accompagne l'est tout autant.
Je me roule en boule sous mes draps, profondément abattue. Ethan ne répond toujours pas à son téléphone. Je ne doute pas qu'il est sans doute occupé mais le fait de ne pas partager réellement son quotidien et de vivre dans l'ombre me laisse tristement penser que je viens de gâcher une amitié de plus de dix ans pour un homme qui ne m'offrira peut-être jamais ce que j'attends de lui. C'est le cœur plus en berne que jamais que le sommeil me rattrape.
Le lendemain matin, je suis réveillée extrêmement tôt. Le poids qui plombe mon cœur et mon corps me remémore amèrement mes souvenirs de la veille. J'ai profondément mal. Je ne saurais exprimer cela autrement que par cette phrase. J'ai profondément mal. J'allume mon téléphone et découvre avec surprise une multitude de messages inquiets de la part d'Ethan. Je tapote rapidement un petit texte pour le rassurer et me rallonge sur le dos, les yeux fixant machinalement le plafond blanc de ma chambre. Rapidement, la colère vient prêter main forte à la peine qui orne désormais mon âme. Cassiopée n'avait pas le droit de me traiter de la sorte. Elle a été profondément injuste. De quel droit se permet-elle de juger mes choix ? Ce matin, je réalise que pour la première fois, je me bats pour que ma liberté et mon amour soient acceptés. Peu importe si au bout du chemin il s'avère qu'Ethan et moi n'étions pas censés passer notre vie ensemble, je serai toujours fière d'avoir su laisser parler mon cœur au lieu de me faire écraser comme j'en avais l'habitude. Le prix à payer est en revanche plutôt rude.
Enhardie par une détermination sans faille, je me retrouve à l'aube au pied de l'immeuble de Maxime et Cassiopée. Je ne réfléchis pas à l'heure très matinale lorsque je tambourine contre leur porte et quand Max m'ouvre avec de tous petits yeux, je n'ai même pas envie de m'excuser.
-C... Candice ? Tout va bien ? marmonne-t-il d'une toute petite voix cassée.
-Non. J'ai besoin de parler à Cass.
Et sans lui laisser le temps de rétorquer, je me faufile dans leur appartement et fonce jusqu'à leur chambre. Quand j'ouvre la porte, je trouve mon ancienne amie debout en pyjama, le visage endormi et l'allure frêle.
-C'est quoi ce bordel ? demande-t-elle en se frottant les yeux.
-T'avais pas le droit Cass, t'as tout gâché.
Les mots commencent à sortir en un flot ininterrompu de reproches amères et de déception. Je ne parviens plus à m'arrêter. Il faut que je lui dise tout, c'est un besoin presque vital.
-T'avais pas le droit de me juger, de m'imposer tes choix et de ne pas me laisser respirer. Depuis qu'on est ado, on fait tout ensemble mais sur ce coup, tu m'as laissée tomber. Avant même que je n'ai le temps d'y réfléchir, tu avais décidé que je devais me mettre en couple avec Gabriel juste parce que tu estimes qu'il est fait pour moi. Tu n'en as rien eu à faire que mon cœur me hurle le contraire. Tu es censée m'aimer inconditionnellement mais si je ne vais plus dans ton sens, ça ne va plus. J'aurais aimé te parler d'Ethan, j'en aurais vraiment eu besoin mais le peu de fois où je l'ai fait, tu m'as balancé ton jugement catégorique à la figure sans me laisser une seule chance de te contredire.
Je crois voir le visage de Cassiopée grimacer à l'entente de mes mots mais je ne m'arrête pas. A ma grande surprise, notre confrontation se passe sans cri, l'écoeurement étant bien trop présent entre nous pour avoir encore envie de se battre.
-Gabriel est un homme exceptionnel mais je n'ai pas réussi à tomber amoureuse de lui. J'ai essayé, je lui ai fait du mal et je m'en veux. Mais je n'ai pas pu contrôler mes sentiments. Et même si ça ne te plait pas, je suis tombée amoureuse d'Ethan. Alors, oui il est marié, oui notre relation n'est pas conventionnelle et oui ce n'est pas facile tous les jours. Mais je l'aime comme je n'ai jamais aimé personne. Rien que ça, ça devrait te suffire. Et tu as oublié une chose essentielle : je ne suis pas comme ta belle-mère et je n'ai pas détruit une famille. La vie n'est pas une succession d'épisodes blancs ou noirs. Apprend la nuance. Regarde autour de toi et prend conscience que les arbres peuvent être moins verts qu'on ne le pense, que le ciel est parfois moins éclatant que le bleu que tu aimes et que l'amour est un mélange explosif de teintes inattendues.
Le regard de mon adversaire se voile mais elle ne baisse pas la tête. Fière comme je la connais, elle ne reconnaitra pas ses tords mais tant pis, je continue même si l'adrénaline fait bouillir si fort le sang qui coule dans mes veines que je ne sais pas comment je trouve la force de reprendre la parole.
-J'ai dû affronter un tas d'épreuve sans toi mais tu veux que je te dise ? Je préfère être seule qu'emprisonnée dans ton amitié à la façade parfaite. Je n'oublierai jamais ce que tu m'as dit hier. Je ne tire pas un trait sur nous mais il est évident que rien ne pourra être comme avant.
Je pars sans jeter un dernier coup d'œil à Maxime ni à Cassiopée. Seul le bruit de nos respirations saccadées brise le silence pesant qui a envahi leur appartement. Arrivée dans le salon, une dernière flamme de courage jaillit dans mes veines.
-Et ne t'avise plus jamais de me traiter de salope ou de trainée !
Je quitte leur foyer malgré les appels de Maxime dans mon dos qui me somme de rester et je dévale les escaliers. Au moment où j'atteins ma voiture, il me rattrape et agrippe doucement mon bras.
-Candice, attends ! Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? Je... je comprends rien !
-Demande à ta fiancée. Moi, j'ai plus envie de...
-Elle t'a vraiment traitée de salope ? me coupe-t-il, totalement abasourdi.
Je me contente de hocher la tête, la rancœur et la colère étant encore bien trop présente pour que je puisse totalement contrôler mes mots.
-Tu... tu sais qu'elle ne le pense pas vraiment, hein ?
-Justement, non. Trop de choses ont changé ces derniers temps pour que j'en sois sûre.
J'ouvre la portière de ma voiture et m'engouffre dans l'habitacle. Démuni, Maxime me regarde faire. Après quelques secondes de flottement, il finit par briser le silence.
-S'il te plait Candice, promets-moi que si tu as besoin de quoique ce soit, tu m'appelleras.
Ne sachant pas comment lui répondre sans lui mentir, je me contente de tourner la tête et de démarrer le moteur. Je roule sans but précis pendant un très long moment avant que je me décide à rejoindre la soierie. Quand je me gare sur le parking, je prends quelques instants pour calmer les tremblements de mes membres et essayer de penser à autre chose qu'à mon amie totalement silencieuse qui n'a à aucun moment essayé d'arranger la situation. Malgré tous les sentiments acerbes que cette confrontation a fait éclore, je suis forcée de constater que je me sens finalement en accord avec moi-même.
Je m'arme de tout mon courage pour atteindre mon bureau mais je n'ai pas le temps de m'installer que je remarque un post-it jaune posé négligemment sur le clavier de mon ordinateur.
Je t'attends
Je souris bêtement quand je dévale le couloir pour rejoindre Ethan. Il ouvre la porte alors que je n'ai même pas encore eu le temps de toquer contre le bois et agrippe mon coude pour me faire rapidement rentrer. Il jette un dernier coup d'œil suspicieux derrière mon dos avant de refermer la porte et de se planter devant moi.
-Bordel Candice, qu'est-ce qu'il s'est passé hier ?
Sa voix grave tremble d'inquiétude.
-Je... j'ai...
-C'est quoi cette tête ? Tu n'as pas l'air bien.
-Je me suis engueulée avec ma meilleure amie. Je crois que... je ne la reverrai plus.
J'essaie tant bien que mal d'afficher un visage neutre mais une chose essentielle m'échappe : mon homme a toujours su lire entre mes lignes. Il m'enlace brusquement et plaque ma tête contre son torse. Je souris doucement, rassurée par ses gestes qui n'ont rien de doux mais qui m'enveloppent toujours dans un champ de coton.
-Raconte moi, me chuchote-t-il au creux de l'oreille.
J'inspire un grand coup et je me lance dans un monologue douloureux. J'explique rapidement la situation à Ethan qui commence à bouillir intérieurement. Je sais très bien qu'il ne supporte pas le fait que Cassiopée veuille nous éloigner et me dicter ma conduite mais je ne souhaite pas lui épargner les détails dérangeants de notre rupture. Je ne veux plus lui mentir.
-Non mais quelle connasse ! Elle ne peut pas se mêler de ses affaires, non ?
Je hausse les épaules, dépitée par toute cette histoire qui me dépasse.
-Putain, excuse-moi pour hier. Je...
-Pourquoi n'as-tu pas répondu à mes appels ? J'ai du t'appeler au moins vingt fois !
-Je sais. J'ai vu. Mais...
Sa voix devient si faible que les mots qu'il ne veut pas prononcer meurent dans sa gorge. Je redresse la tête pour le regarder droit dans les yeux, un sournois sentiment de jalousie et de trahison se diffusant maintenant dans mon corps tout entier.
