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32

                    

-Dis-le. Aie au moins la décence d'être honnête avec moi. 

Je sens sa prise se resserrer sur mes épaules comme s'il avait peur que je lui échappe et son regard devient tout à coup fuyant. Mon cœur se désintègre doucement, tout doucement mais sûrement. 

-J'étais coincé hier. Je suis désolé Candice. Mais je te promets que j'ai essayé de te rappeler dès que j'ai pu. 

J'opine silencieuse. Que pourrais-je bien répondre à l'homme qui m'explique que je passe encore et toujours au second plan ? Ce matin, je n'ai plus envie de me battre. Ma bataille matinale m'a ôté toutes mes forces et je ne me sens même pas le courage de dire à Ethan à quel point son attitude me fait mal. Je me dégage alors doucement de sa prise et me dirige vers le couloir. Avant de sortir de son bureau, je me retourne une dernière fois pour le contempler. Il se tient à l'endroit même où je l'ai laissé, une lueur d'abattement dansant déjà dans ses beaux yeux fatigués. Sa résignation fait écho à la mienne et je détourne vite le regard avant qu'elles ne me convainquent que ce que je croyais être la meilleure décision de toute ma vie n'est en réalité qu'un mirage aussi superficiel qu'éphémère. 

Mes pas lourds résonnent maintenant dans le couloir que je croyais vide jusqu'à ce que je me rapproche de mon bureau et que je repère Mme Saint-Martin dans la petite salle de la photocopieuse, visiblement en train de se confier à son interlocuteur au téléphone. 

-Oui, ne t'inquiète pas maman, on y réfléchit sérieusement. On était avec papa hier soir, on en a beaucoup discuté tu sais. Ne t'en fais pas, tu auras bientôt un petit-fils ou une petite-fille, fais moi confiance. 

Gênée d'espionner la conversation privée de ma supérieure, je m'engouffre dans mon bureau et laisse le silence fait taire ma culpabilité. Comme toujours lorsque je dois affronter des peines de cœur, je laisse le travail abrutir mon cerveau jusqu'à ce que je ne pense plus à rien d'autre qu'aux dossiers, aux clients et aux rapports que je dois préparer. Marina passe la tête dans l'embrasure de ma porte en fin de matinée pour me proposer de manger un bout avec elle mais quand elle décèle la peine qui me submerge, elle s'installe rapidement en face de moi. 

-Qu'est-ce qu'il se passe Candice ? 

Je suis épuisée par tous les efforts que mon cœur doit faire rester à flot. 

-Je n'ai pas eu une matinée de tout repos.

-Tu veux m'en parler ? me demande-t-elle en arborant un doux sourire. 

Je réfléchis quelques secondes à sa proposition mais je décide rapidement que mon fardeau commence à être un peu trop lourd pour mes épaules frêles. C'est ainsi que je commence à lui raconter ma dispute avec Cassiopée. Je ne lui parle pas d'Ethan, je lui avoue cependant entretenir une relation avec un homme marié. Quand j'évoque mon couple, je vois la surprise percuter son visage mais elle se reprend vite et m'encourage même à continuer mon récit. Je lui raconte tous les mots qui m'ont fait mal, toutes les sensations déchirantes que j'ai ressenties et la douleur qui s'est infiltrée sous la peau de mon sein gauche depuis hier. Quand j'ai terminé, je ne sais pas si je me sens mieux mais je sais au moins que je viens de me délester d'un poids atroce. 

-Je peux te poser une question ? m'interroge Marina. 

-Bien sûr. 

-Ta Cassiopée là, c'est elle qui est mariée avec ton mec ? 

-Quoi ??! Non ! 

-Alors qu'est ce que ça peut bien lui faire que tu sortes avec un homme marié ? Elle n'a aucun droit de t'imposer ses grands principes ! Il faut qu'elle ouvre les yeux ! 

            

              

                    

Les mots de ma collègue me font un bien fou, j'ai enfin l'impression d'être comprise et entendue. Malgré tout, je comprends que Cassiopée ne cautionne pas mes choix compte tenu de son passé familiale mais je lui en veux de ne pas avoir su faire la part des choses et d'avoir détruit une amitié de plus de dix ans. Voyant certainement que j'ai beaucoup de mal à remonter la pente, Marina continue de me soutenir et ses mots font petit à petit leur chemin à travers la brume qui noircit mon moral. 

-Et... ça fait longtemps que tu es avec cet homme ? 

Marina me pose cette question tout en douceur et je comprends tout de suite qu'elle a très envie d'en savoir plus. Pour la toute première fois depuis que je suis en couple avec Ethan, je m'autorise à me confier à une amie. Le sentiment de légèreté qui apparaît soudainement me prouve à lui seul que j'en avais vraiment besoin. 

-Deux mois à peu près. 

-Tu savais qu'il était marié quand vous vous êtes connus ? 

-Pas au début. Quand je l'ai découvert, j'ai tout arrêté mais... je n'ai pas réussi à rester loin de lui très longtemps. Notre relation est... spéciale. Même si je sais que tout nous sépare, il m'est vital. 

Le visage de Marina se fend d'un franc sourire, comme si elle comprenait ce que je ne dis qu'à demi-mot. Se sentant sans doute en confiance, elle me pose ensuite un tas de question sur le côté secret de notre relation qui l'intrigue apparemment beaucoup. 

-Je ne t'aurais jamais cru comme ça Candice ! En fait, tu caches bien ton jeu avec ton... comment s'appelle-t-il d'ailleurs ? 

Je frémis à l'entente de sa question. Suis-je prête à lui confier ce détail de la plus haute importance ? Sans réellement réfléchir à ce que je suis en train de faire, je lui dévoile le prénom de celui qui fait battre un peu trop intensément mon cœur. Je ne sais absolument pas pourquoi je prends un tel risque, peut-être qu'au fond de moi je veux que tous ces secrets explosent enfin au grand jour et me libèrent. 

Quand nous quittons mon bureau, nous croisons Ethan qui rode dans les couloirs. Quand il me voit, son visage inquiet s'adoucit légèrement juste avant qu'il ne remarque que Marina m'accompagne. Le poids des secrets nous éloigne encore une fois et encore une fois, il reste là où il est, seulement à quelques mètres de moi mais la distance qui nous sépare me paraît aujourd'hui irrévocable. Pour ne pas éveiller les soupçons, mon homme ne dit rien et reprend sa marche, se dirigeant tout droit vers son bureau. J'ai mal de voir que rien ne change. 

Ma journée de travail se termine et je remercie chaleureusement Marina de m'avoir écoutée et épaulée aujourd'hui. Avant de partir, je décide de rendre visite à Ethan. J'ai réellement besoin de retrouver la chaleur de ses bras pour me rassurer sur ce que l'avenir nous réserve. Plus les jours passent, plus j'ai l'impression que nos vies respectives créent un gouffre si profond entre nous que nous ne parviendrons bientôt plus à le combler. Je suis cependant soulagée de le retrouver enfin seul quand je pénètre dans son bureau. Je me dirige vers lui pour me fondre dans ses bras quand la porte derrière moi s'ouvre sur Mme Saint Martin, les bras chargés d'une multitude de dossiers. Je reste figée, à seulement quelques mètres de mon homme, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. 

-Excusez-moi je dérange ? Ethan, tu n'as pas oublié qu'on devait se voir pour faire un point ? 

Je vois les yeux de mon homme passer frénétiquement de ma responsable à moi, une lueur d'affolement grandissant à la vitesse de la lumière dans ses beaux yeux. Tout à coup, il renfile son masque professionnel et se penche au dessus de son bureau pour rassembler quelques papiers tout en déclarant : 

-Installe-toi, Mlle Dumin allait partir. 

Même si je sais qu'il agit de la sorte pour nous protéger et que c'est mieux ainsi, je ne peux m'empêcher d'abandonner mon cœur brisé en mille morceaux à ses pieds. Le rejet de Cassiopée associé aux secrets qui m'éloignent chaque seconde un peu plus d'Ethan font naitre une profonde douleur en moi. Cependant, je refuse qu'il voie à quel point je suis faible quand il s'agit de lui alors que lui n'a aucun souci à m'ignorer royalement. Je m'éclipse rapidement et quand j'arrive sur le parking, je dois rassembler toutes mes forces pour ne pas laisser ma peine prendre possession de mes yeux humides. Alors que je croyais avoir déjà commencé à toucher le fond, mon téléphone sonne et je décroche quand je vois le nom de ma tante s'afficher. 

-Oui Olivia ? 

-Coucou ma belle, tout va bien ? Tes parents m'ont demandé de t'appeler parce qu'apparemment, ils n'arrivent pas à te joindre. 

Je grommelle une excuse pitoyable pour éviter d'avoir à lui expliquer le fiasco qu'à été la visite de mon père et nos relations depuis. 

-Que veulent-ils ? 

-Ils voulaient te rappeler que l'anniversaire de mariage de Papi et Mamie a lieu samedi. On compte sur toi, j'espère que tu seras là. 

-Euh... non, je... j'ai déjà... un truc... euh... 

Je parle si vite que j'en bafouille mais je veux à tout prix éviter cette journée horrible qui se profile à l'horizon. 

-Candice, tu ne peux pas nous faire faux bond. C'est prévu depuis des mois et tes grands-parents seraient vraiment tristes si tu ne venais pas. 

Je pense à mes grands-parents, les parents de mon père, que j'ai toujours beaucoup aimés mais que je ne côtoie que rarement puisqu'ils habitent loin de chez moi. Leur visage ridé et chaleureux se dessine sous mes paupières et je faiblis. Ils ne sont plus tout jeunes et je sais que je m'en voudrais si je ratais une des dernières occasions de leur faire plaisir. Alors même si je sais que la journée de samedi va se transformer en un véritable calvaire et que j'ignore si j'ai la force suffisante pour faire face à mes parents, je m'entends répondre sur un ton résigné : 

-Très bien, je serai là.

            

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