Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

28

                                    

Mercredi 29 mars

                              

Je ne sais pas depuis combien de temps je me tiens dans ce petit local à fournitures, recroquevillée contre le mur au fond de cette minuscule pièce. Ma tête est enfouie entre mes mains et mes genoux sont remontés contre ma poitrine, comme lorsque j'étais enfant et que je voulais oublier les mots tranchants que mes parents m'infligeaient certains soirs. Sauf qu'aujourd'hui, je ne veux rien oublier. Les mots d'Ethan s'entrechoquent inlassablement dans mon cerveau pour créer un mélange confus de gêne, de doute et d'amour. Je me rappelle de chacun de ses mots, de leur son lorsqu'ils ont caressé mes oreilles et de leur goût lorsqu'ils se sont posés sur mes lèvres.

                              

« Tu es la personne la plus importante à mes yeux et je n'accepterai jamais que tu te fasses du mal »

                              

« Je ne m'excuserai jamais de vouloir te protéger »

                              

« Je suis incapable de vivre une vie où je ne respirerais pas le même oxygène que le tien »

                              

« Reviens-moi vite parce que je crève sans toi »

                              

Pendant tous ces jours passés loin de lui, j'étais si en colère contre Ethan ! Mais au fond de moi, je sais que cette colère cachait surtout une peur intolérable. Celle de l'avoir perdu. Son silence me laissait penser qu'il avait déjà tourné la page alors que ses yeux lorsque je l'ai retrouvé dans cet ascenseur me prouvaient tout le contraire. A travers ses prunelles enivrantes, j'ai été sidérée de découvrir autant de peine et d'inquiétude. Moi qui redoutais d'avoir à affronter le plus grand chagrin d'amour de tous les temps, je dois bien reconnaître que j'ai eu tort. 

                              

Et soudain, tout s'enchaine à la vitesse de la lumière dans mon esprit. Mon cœur s'insurge contre mon cerveau puis prend les manettes de mon corps et ne me laisse plus rien contrôler. Je m'autorise à fermer les yeux et à savourer le visage d'Ethan qui se dessine sous mes paupières. Les tremblements que je maitrisais jusqu'à maintenant explosent enfin et surtout, surtout, mon cœur défonce littéralement ma poitrine. 

                              

Je sais maintenant que je veux être ivre de lui. Je veux me shooter à sa peau, à son odeur et à son goût. Je veux que nos corps recommencent à composer cette symphonie à la fois unique et réconfortante qu'eux seuls savent créer. Je veux que mon monde se réduise à nouveau à ses mots, tantôt crus et chauds, tantôt doux et soyeux. Je veux nous retrouver parce qu'il n'est pas le seul à me manquer. Celle que je suis quand je suis avec lui me manque. Et surtout ceux que nous sommes quand nous ne formons plus qu'un me manquent.   

                              

En cet instant, je viens de comprendre une chose essentielle. Je n'ai pas besoin d'être en conflit pour m'affirmer. Ce n'est pas parce que j'accepte le point de vue de quelqu'un qui n'est pas d'accord avec moi que je m'écrase à nouveau et que je le laisse contrôler ma vie. Quand Ethan m'a prise au dépourvue avec ses inquiétudes, j'ai paniqué. J'ai non seulement eu peur de ne pas être à la hauteur de ses attentes mais j'ai également cru qu'en le laissant me confier ses craintes, je me trahissais. J'ai été bête, mon dieu que j'ai été bête. Maintenant que j'ai pu plonger dans ses beaux yeux, j'ai compris. 

                              

Nous ne serons pas toujours d'accord sur tout mais Ethan ne fera pas semblant. Pas avec moi, j'en suis certaine dorénavant. Je dois simplement apprendre à affirmer mes idées sans lui les jeter à la figure. J'inspire profondément, comme si mon corps retrouvait enfin toute sa vitalité et je profite de cette sensation de plénitude qui m'a tant manqué. Rien n'est fini, tout ne fait que commencer.    

                              

Mais tout à coup, une autre de ses paroles me heurte de plein fouet, me faisant pratiquement tanguer sur mes jambes flageolantes. 

                              

« Si tu acceptes de m'accorder un peu de temps pour arranger les choses de mon côté »

                                          

              

                    

J'étais tellement soulagée qu'Ethan n'ait pas abandonné notre couple aussi singulier soit-il que j'en ai presque oublié le cœur du problème. Si lui m'a reproché mon comportement soi-disant autodestructeur, j'ai enfin formulé à voix haute l'angoisse qui me tiraille les entrailles depuis de trop nombreuses semaines. Sa femme. Le fait qu'il vive en couple avec une autre. Cette épée de Damoclès qui me menace constamment, ne me laissant aucun répit. Il n'est pas vraiment mien alors que moi, je suis totalement sienne depuis qu'il m'a envoutée tel un dangereux gourou. 

Un nœud d'angoisse jaillit dans mes veines quand je réalise que nous en sommes toujours au même point. Depuis maintenant deux mois, rien n'a changé. Absolument rien. Ethan n'a rien fait pour quitter sa femme et moi, je me suis contentée de ce qu'il daignait m'offrir sans oser exprimer cette crainte qui me soumet désormais constamment. Mais la semaine dernière, j'ai craqué et même si j'ai été des plus maladroites, je lui ai enfin dit que cette situation ne pouvait plus durer. Je ferme les yeux pour rassembler mes idées et immédiatement, les mots d'Ethan résonnent en boucle dans mon esprit. Il veut que je lui accorde du temps. Pendant ces deux derniers mois, il aurait pu quitter sa femme mais il ne l'a pas fait. A aucun moment, il ne nous a choisis au profit de la vie confortable qu'il mène quotidiennement. Alors que mes insécurités et mes peurs commencent à prendre une ampleur inquiétante, enfermant mon esprit dans un brouillard où Ethan et moi n'avons aucun avenir, une lueur venue de je-ne-sais-où décide de me rappeler que c'est la première fois que je lui fais part de mon ras-le-bol. Peut-être a-t-il naïvement imaginé que sa situation conjugale ne m'atteignait pas alors qu'en réalité, elle consume à petit feu ma confiance en moi et en nous. Maintenant qu'il a pris conscience des conséquences que sa vie a sur la mienne, je sais pertinemment qu'il ne laissera pas pourrir cette situation. Il me l'a dit et je l'ai même lu dans ses yeux. S'il y a bien une chose dont je suis sûre avec Ethan, c'est qu'il ne supporte pas de me voir souffrir.

La réalité s'impose maintenant d'elle-même dans mon esprit. Je dois lui laisser une chance d'arranger la situation. Il m'a demandé de lui laisser un peu de temps et c'est ce que je vais faire. Mon cœur me dicte de suivre cette voie et je sais que je n'ai pas le droit de le trahir. 

Même si mes pensées sont un véritable champ de bataille, je parviens finalement à prendre ma décision. J'inspire maladroitement pour me donner du courage et je jurerais sentir le parfum d'Ethan virevolter autour de moi. C'est sans doute impossible puisqu'il n'est pas là mais je ferme brièvement les yeux pour me délecter de cette odeur masculine et suave à la fois qui a imprégné chacune de mes cellules. C'est exactement ça, son parfum a pris possession de mon corps et suinte désormais à travers mes pores, m'enveloppant ainsi dans notre bulle et me menant à l'unique constatation irrationnelle mais pourtant tellement réelle : même lorsque je suis seule, il est avec moi. 

Je me lève brusquement, bien décidée à reprendre ma vie en main. Je quitte ce petit local aussi discrètement que possible et lorsque je rejoins le second étage, je réalise que j'y ai passé bien plus de temps que ce que j'aurais pensé. Mes collègues ont déjà terminé leur journée et un apparent silence flotte autour de moi. Mes pas me guident en direction du bureau d'Ethan mais plus je m'en approche, plus le silence se brise pour laisser place à des éclats de voix assourdis par les cloisons qui m'entourent. Je suis obligée de tourner les talons, mon homme n'étant apparemment pas seul ce soir. Je regagne alors mon bureau pour rassembler mes affaires mais je ne parviens pas à me résoudre à laisser Ethan dans l'ignorance. Au moment où j'atteins le rez-de-chaussée, j'appuie sur le bouton « envoyer » alors que mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. 

Moi : « Oui. Oui. Mille fois oui ! »    

Je prends le volant sans attendre de réponse, je sais qu'il ne pourra pas m'écrire tout de suite et après avoir roulé tranquillement, je me gare devant mon appartement. Comme d'habitude lorsque je rentre chez moi, je me mets tout de suite à l'aise en enfilant des vêtements confortables. Je noue mes boucles brunes en un chignon totalement décoiffé qui laisse dépasser quelques mèches rebelles et je m'affale dans mon canapé, fatiguée par ces derniers évènements. Deux heures plus tard, je n'ai toujours aucune nouvelle d'Ethan. Mon ventre se tord d'angoisse mais je me résous à lui laisser un peu d'espace. Peut-être est-il occupé ce soir ? 

            

              

                    

Alors que je tourne comme un lion en cage dans mon salon et que même la musique ne parvient pas à me calmer, la sonnette de ma porte d'entrée retentit. Je sursaute, les battements de mon cœur s'accélérant immédiatement à la vitesse de la lumière. Je n'ai pas besoin d'ouvrir la porte pour savoir qu'il se tient de l'autre côté. Je me rue dans le couloir et lui saute au cou sans perdre une seule seconde. J'ai à peine le temps de voir le soulagement remplacer la surprise sur le beau visage de mon homme que je ferme les yeux, mes lèvres étant déjà plaquées contre les siennes. Immédiatement, je plonge mes mains dans ses cheveux pour ne pas qu'il se dérobe de mon attaque. Mon cœur explose dans ma poitrine quand Ethan grogne contre ma bouche avant d'approfondir notre baiser et de me ramener encore plus contre lui. J'ai l'impression qu'on vient enfin de me délester d'un poids et que toutes mes angoisses s'envolent loin dans le ciel, nous laissant maintenant tout l'espace de nous retrouver. 

Sans plus attendre, je décore ses lèvres de mes baisers puis je m'attaque à son nez, ses joues, son front, son cou, sa barbe fournie. Sa bouche se fend en un timide sourire mais il ne m'en fallait pas plus pour que je sois rassurée. 

-Excuse-moi Ethan. 

Je murmure en boucle cette toute petite phrase entre chacun de mes baisers. Rapidement, les mains de mon homme m'immobilisent et se plantent sur mes joues, m'obligeant ainsi à plonger dans son regard noisette. Contrairement à tout à l'heure dans l'ascenseur, je distingue clairement un éclat doré flotter dans ses iris. Je crois ne l'avoir jamais vu avant et ce dernier me désarçonne totalement. Je détaille avidement son visage aux traits détendus et au regard brillant et je comprends. Mon cœur devient aussi léger qu'un ballon de baudruche et si ses prunelles n'étaient pas fermement reliées à mon organe vital, il s'envolerait rejoindre les étoiles. Ethan a eu peur de me perdre. Il est profondément soulagé de me retrouver. Mais surtout, ses yeux me disent tout ce que je rêve d'entendre. 

J'agrippe sa main et le tire derrière moi pour le faire entrer dans mon appartement. A ses pieds, il récupère un sac en papier marron qu'il a apporté avec lui et m'emboite le pas. Il le dépose sur ma table et je dois me faire violence pour réfréner ma curiosité. Je le regarde se diriger en direction de ma chambre et l'entends tourner un petit moment avant qu'il ne m'appelle. 

-Candice ? T'as rangé où mes affaires ? 

Je pique un fard quand je réalise qu'il cherche son bas de jogging gris que j'ai rageusement fourré en boule au fond du placard de ma salle de bain pour ne pas être tentée de dormir avec ou de le jeter par la fenêtre tellement j'étais en colère contre lui. Je m'empresse de lui le sortir mais le regard qu'il me lance en observant mon petit manège m'informe que je ne vais pas m'en tirer aussi facilement. 

-On arrête les conneries maintenant ? 

Sa voix est aussi grave que sa poigne sur mon bras est ferme. Son regard me transperce entièrement, me prouvant silencieusement que je ne suis pas la seule à avoir passé une semaine horrible. Je m'approche alors au plus près de son corps tendu et dépose un tendre baiser sur ses lèvres délicieuses. Il ne nous en faut pas plus pour sceller cette promesse silencieuse. 

Je m'assois sur mon lit, remonte les genoux contre ma poitrine et le regarde se déshabiller avant d'enfiler son jogging. Comme toujours, il reste torse-nu et mes yeux se perdent instantanément sur son torse magnifiquement sculpté et sur sa peau légèrement bronzée. Je sors de ma contemplation quand je l'entends se racler la gorge avec une moue moqueuse. Oups ! 

-J'adore quand tu es comme ça, me susurre-t-il. 

-Comment, comme ça ?    

-Habillée en toute décontraction et les cheveux un peu n'importe comment.

            

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.