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-Je... je ne sais pas trop. Je n'ai pas vraiment passé un bon moment avec mon amie hier et quand je suis rentrée, je me suis retrouvée toute seule...
-Pourquoi ne m'as-tu pas appelé ?
-Il était tard et...
-C'est quoi cette excuse de merde ? Ne me dis pas que j'ai passé une soirée horrible enfermé dans cette putain de baraque à attendre ton appel pour rien !
Je ne m'attendais pas à sa réaction. Je pensais qu'il était bien chez lui, à vrai dire je crois même que je m'imaginais qu'il ne pensait pas à moi mais la réalité c'est que je l...
-Tu m'as manqué, bordel ! Tu es partie pour la soirée mais tu étais dans toutes mes putain de pensées !
Je l'enlace aussi fort que je le peux. Sa détresse fait écho à la mienne et je réalise qu'il est le seul à pouvoir réellement me comprendre. Lui seul partage ce besoin viscéral, cette connexion fulgurante qui nous assujettit l'un à l'autre.
-Je suis désolée, j'aurais dû t'appeler. J'aurais aimé t'avoir avec moi hier soir.
Je relève les yeux et son visage illisible me scrute intensément. Il cherche la moindre trace de mensonge ou de non-dit mais au bout de quelques secondes, il se détend, remarquant certainement que j'ai parlé avec mon cœur.
-Apprends à me faire confiance, georgous. Je ne veux pas passer des heures entières à angoisser pour toi. Je veux tout de toi, les bons comme les mauvais moments. Et je suis désolé si je t'ai blessée hier, j'ai joué au con mais je te promets que je ferai tout pour ne pas recommencer.
Mon corps se réchauffe progressivement grâce à ces mots que je n'avais encore jamais entendus. Je pose doucement mes lèvres contre les siennes et je me blottis encore plus tendrement contre son torse. Ses mains plongent dans mes cheveux et je me sens enfin mieux. Quand du bruit se fait entendre dans le couloir, Ethan grogne de frustration et nous nous décollons à contrecœur.
Alors que je lui tourne le dos pour regagner mon bureau, Ethan en profite pour m'assigner une petite tape sur les fesses. Je pivote en protestant et le regarde quitter la pièce en ricanant, le cœur plus léger. Je m'assois enfin et me prends la tête entre les mains. Une profonde fatigue s'est emparée de moi depuis plusieurs jours et je n'arrive pas à m'en défaire. Je tente de reprendre rapidement des forces mais mon corps n'a pas l'air d'être de cet avis. Un petit bruit contre ma porte me fait sursauter et je lève la tête pour découvrir Marina avec une lueur d'inquiétude dans les yeux.
-Candice ? Tu vas bien ?
Elle entre à pas de loup dans ma petite pièce et referme la porte derrière elle.
-Oui, oui, je suis juste un peu fatiguée. Tout va bien.
Ma collègue s'arrête juste devant mon bureau et ne perd pas une minute pour me continuer.
-Si tu as besoin de quoique ce soit, je suis là.
-Merci Marina, je lui réponds en souriant sincèrement.
-D'ailleurs, je voulais te demander si tu accepterais de jeter un œil avec moi sur le nouveau dossier que nous a confié Mme Saint-Martin. Je trouve qu'on est plutôt efficaces quand on travaille ensemble.
C'est ainsi que je passe la matinée avec Marina, à me concentrer sur un nouveau challenge et à penser à autre chose qu'à mes problèmes personnels. Quand mon téléphone vibre vers midi trente, je réalise que les trois dernières heures ont filé à toute allure.
Ethan : Rejoins moi au petit parc derrière la grande route.
Mon cœur sursaute et un immense sourire se dessine malgré moi sur mes lèvres. Marina m'observe avec des yeux rieurs et quand elle ouvre la bouche, je suis surprise par sa remarque :
-Je suis contente de te voir sourire Candice. Ces derniers temps tu semblais plutôt renfermée...J'avais mal au cœur pour toi mais j'espère sincèrement que la personne qui a fait renaitre ton beau sourire prendra soin de toi.
Je ne peux pas m'empêcher de ressentir une sincère gratitude pour celle qui ne me connaît que depuis trois mois mais qui me traite comme mon amie devrait le faire.
-Pour l'instant, oui. Et... ça fait du bien !
-Alors file le rejoindre !
Je ne me fais pas prier plus longtemps et j'attrape rapidement mon manteau et mon sac-à-main. Au moment où j'atteins l'embrasure de la porte, je me retourne et lance d'une petite voix :
-Merci Marina.
Elle n'aura jamais aucune idée de la portée qu'à ce « merci » aujourd'hui mais son regard bienveillant me rend un peu plus légère encore. Je cours presque pendant quinze minutes pour atteindre le parc où Ethan m'a donné rendez-vous. Le ciel est gris, il ne fait pas très chaud et tous les gens que je croise portent du noir. Mais à mes yeux, je ne vois que le sourire éblouissant de l'homme aux mèches brunes ébouriffées par le vent qui faisait les cents pas près du lac. Il me regarde l'approcher puis tire ma main pour me prendre immédiatement dans ses bras. Son corps musclé m'emporte aussitôt loin de mes tourments.
Avant même qu'il ne puisse réagir, je passe mes mains dans sa nuque et je plaque mes lèvres contre les siennes. Nous restons un moment ainsi, enveloppés dans les bras l'un de l'autre, à nous nourrir de nos sourires et de nos soupirs. Près de nous, des promeneurs passent de temps à autres mais nous ne les voyons pas. Le monde qui nous entoure n'a plus le moindre intérêt. Nous nous suffisons à nous-même.
Au bout de quelques minutes, nous reprenons nos esprits et Ethan me guide délicatement vers un banc où quelques-unes de ses affaires sont posées. Je m'assois à ses côtés et il me tend immédiatement un gobelet chaud ainsi qu'un sandwich. Je grimace malgré moi en sentant l'odeur de la nourriture chatouiller désagréablement mes narines et je l'éloigne instinctivement.
-Bois Candice. Je t'ai pris une soupe de légumes. Bon, honnêtement ça a franchement l'air dégueulasse mais c'est le truc le plus léger que j'ai trouvé. Et ça te réchauffera un peu, tu as déjà les lèvres bleues.
-Tu aurais au moins pu me donner rendez-vous dans un endroit chauffé ! je lui lance sur un ton espiègle.
-On est tranquille ici, ceux du bureau ne viennent que lorsqu'il commence à faire chaud. Allez, mange un peu s'il te plait.
Je vois son regard me demander silencieusement de faire un effort et je prends sur moi pour le rassurer. Quand je porte le gobelet à ma bouche, je réprime un haut le cœur. Je ne peux pas dire que cette soupe soit mauvaise, au contraire elle est même parfaitement assaisonnée et elle me réchauffe. Mais sans savoir pourquoi, elle me dégoûte. Je n'ai pas envie de tout ce poids dans mon corps.
-S'il faut que je vérifie moi-même que tu prends soin de toi tous les midis, alors j'en ferai une affaire personnelle ! me dit-il en m'offrant un clin d'œil.
Je me retiens de lui dire que je n'ai aucune envie de prendre soin de mon corps et que c'est la seule chose sur laquelle j'exerce un contrôle absolu, je ne veux pas qu'on me le reprenne. Je me contente de lui sourire. Alors qu'Ethan croque vigoureusement dans son sandwich tout en s'empiffrant de chips, il se met à se confier tout en observant fixement le lac.
-Quand j'étais tout petit, mon père inventait des jeux le soir. Il me préparait une chasse au trésor, un cache-cache ou même des énigmes et j'adorais ça. Quand j'en sortais victorieux, j'avais toujours le droit à la même récompense : un pique-nique improvisé sur le vieux canapé troué du salon. Il me préparait un maigre sandwich et j'avais toujours droit à des chips. C'était la tradition, il me disait que la vie est plus drôle si chaque journée est une aventure.
Je ne peux décrocher mon regard de son visage emporté par la nostalgie.
-Je n'ai compris qu'à l'adolescence qu'il faisait tout ce cinéma parce qu'on avait rien d'autre à bouffer et qu'il ne voulait pas que nos soirées soient tristes. Aujourd'hui, je ne peux plus manger un sandwich sans chips.
Je pose ma main sur sa joue et ses yeux perdus dans ses souvenirs retrouvent enfin les miens. Je suis surprise d'y lire un mélange de mélancolie, de tristesse et douleur. La colère l'a finalement quitté et je sais maintenant qu'Ethan pourra enfin commencer à apprendre à vivre pour lui.
-Tu... tu ne m'as jamais parlé de ta mère, je lui demande prudemment.
Il ne l'a jamais évoquée, pas une seule fois. Elle n'était pas présente aux obsèques de son mari et j'ai discrètement scruté le caveau dans lequel le défunt a été enterré. Aucun nom féminin n'était inscrit sur l'épitaphe, à part une certaine Jane décédée en 1976 mais elle ne peut pas être celle qui a mis au monde l'homme en face de moi. J'en déduis donc qu'elle n'est pas morte. Où peut-être repose-t-elle ailleurs ? Une multitude de questions se frayent un chemin dans ma tête et au moment où j'entrouvre la bouche pour les énoncer clairement, je les ravale immédiatement en remarquant la douleur qui obscurcit les traits d'Ethan.
Je sens son corps se raidir sous mes doigts et son visage se renfrogner instantanément. Mon ventre se contracte douloureusement lorsque je comprends que mon homme ne m'a pas encore dévoilé tous ses secrets.
-Elle ne mérite pas qu'on prenne ne serait-ce qu'une minute pour parler d'elle, me répond-t-il sur un ton sec qui n'accepte aucune objection.
Un silence gênant s'installe entre nous et je refuse que nous retombions dans nos mauvaises habitudes. Je me penche pour lui déposer un doux baiser sur sa barbe rêche et je le vois fermer brièvement les yeux.
-Raconte-moi quelque chose sur toi.
Je réfléchis un instant à sa demande et réalise subitement qu'il ne connait même pas ma passion.
-Je fais de la danse depuis toujours. Petite, j'ai dû essayer tous les styles et depuis, je n'ai jamais raccroché mes chaussons. Ce moment est vital pour moi. Je m'évade, j'extériorise et j'oublie. Dès que j'ai un coup de mou, je m'enferme dans une salle de danse.
Son regard presque subjugué me fait sourire. Il se nourrit de mes confidences comme si je lui offrais un cadeau précieux et je réalise qu'il a profondément envie de me découvrir, sans carapace ni mensonge. Il est la première personne à aimer ce qu'il voit réellement en moi et j'en tremble presque d'émotion.
Nous passons l'heure suivante à enchainer les histoires. Je lui raconte mes souvenirs avec ma tante, lorsque nous partions arpenter la nature toutes les deux pendant des heures. Il me parle de ses frasques d'adolescent rebelle déchainé par les hormones. Je grimace en entendant les coups foireux dans lesquels il s'est fourré étant plus jeune avec ses copains et il sourit tendrement quand je liste les livres qui ont bercé mon enfance.
Nous nous levons et rejoignons ensemble le bureau. Je laisse dernière moi la moitié de ma soupe ainsi que mon sandwich que j'ai abandonnés discrètement. Quand nous approchons du bâtiment qui nous attend, Ethan attrape ma main et me plaque contre son torse. Sa paume glacée cajole doucement ma joue rougie par le froid.
-J'ai un rendez-vous ce soir. Je ne peux vraiment pas l'annuler.
Un éclair de déception me traverse des pieds à la tête en l'espace d'une demi-seconde. Non seulement je n'ai aucune envie de passer la soirée seule, mais j'ai surtout beaucoup trop envie de la passer dans ses bras. Cependant, je peux aisément lire sur son visage tiraillé que cette nouvelle lui déplait autant qu'à moi.
