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Ses mots me font aussi peur qu'ils me comblent. Je suis totalement confuse et j'ai besoin d'air neutre pour retrouver mes esprits. Je me dégage de sa prise et m'éloigne. Mais loin de lui, tout est plus fade. Rien ne brille vraiment, rien ne crépite en moi, rien ne réchauffe mon corps. Cependant, j'ai besoin de cette distance pour parvenir à garder la tête froide.
Je m'apprête à m'offusquer de ses paroles lorsqu'il fonce sur moi tel un prédateur et capture durement mes lèvres. Mon corps me trahit à l'instant même où il fusionne avec celui d'Ethan. Je fonds comme une guimauve au dessus d'un feu de camp et seuls les bras de mon homme me maintiennent encore à flot. Ses bras musclés m'encerclent, ses baisers redonnent vie à mon corps et son souffle chaud sur mon visage me fait tout oublier.
-J'ai envie de te prendre sur mon bureau et de te faire crier si fort que tout le monde saura que tu es à moi.
Ma raison quitte définitivement mon esprit au moment où j'entrouvre encore plus les lèvres pour libérer de discrets gémissements de plaisir. La main d'Ethan s'est infiltrée sous ma robe et elle remonte maintenant le long de mes bas. Quand ses doigts s'accrochent bestialement à leur dentelle, Ethan grogne durement contre mes lèvres.
-Putain Candice, tu me rends fou ! Tu n'as pas le droit de te pavaner avec cette mini robe qui te fait un corps de déesse... Tu n'as pas le droit d'afficher ton putain de décolleté sous mes yeux ici...
Je me cambre quand sa bouche quitte la mienne pour venir taquiner le haut de ma poitrine et mes mains plongent dans ses cheveux.
-Et toi tu n'as pas le droit de partir au petit matin sans me prévenir... et tu n'as pas le droit de me parler comme tu l'as fait !
Ethan redresse immédiatement la tête et je distingue très clairement une vague de culpabilité flotter dans ses beaux yeux. Sa main ralentit sa course folle et viens agripper ma hanche par dessous le tissu de ma robe. Son front se pose doucement contre le mien et ses doigts jouent innocemment avec la bordure en dentelle de mon sous-vêtement.
-Je... je ne voulais pas partir comme un voleur. C'est juste que... je... il fallait que je passe chez moi récupérer des affaires. Mais crois-moi, si je m'écoutais, je serais en toi.
-J'ai cru... j'ai eu peur en me réveillant. Je ne voulais pas croire que tu puisses tout abandonner comme ça.
-Mais arrête de dire des conneries putain ! Comment voudrais-tu que j'abandonne ?
Ma gorge est toujours nouée et l'émotion tiraille mes entrailles. Dès qu'Ethan est près de moi, je suis à nue, totalement vulnérable et à fleur de peau. Pour moi qui aie passé ma vie à jouer un rôle, tout cela est nouveau et déstabilisant.
-Alors arrête de m'insulter. Tu me fais mal Ethan, tes mots me font si mal quand tu agis comme tout à l'heure. J'ai... j'ai juste l'impression que tu ne me connais pas et que tu te sers de moi. Alors que moi... moi... je n'arrive pas à faire semblant avec toi.
Je vois le visage d'Ethan se laisser envahir par la tristesse et ses épaules s'affaissent. Ses lèvres se scellent alors si délicatement aux miennes que j'ai l'impression d'être le diamant le plus précieux de la terre dans ses bras.
-Bordel, j'ai encore agi comme un con. Je ne le fais pas exprès mais quand je te vois avec un autre... putain, mon cerveau disjoncte.
Je n'ai pas le temps d'intégrer ce qu'il vient de me dire que quelqu'un toque. Par reflexe, nous nous éloignons l'un de l'autre et je replace ma robe ainsi que mes cheveux. Quand nous sommes tous les deux prêts à affronter le monde extérieur, Ethan ouvre la porte. J'aperçois Mme Saint-Martin qui me dévisage l'espace d'une seconde.
-Je peux te déranger un moment Ethan ?
Je m'empresse de baragouiner une phrase ridicule pour sortir de ce bureau bien trop dangereux pour mon self-control et je rejoins Marina. La journée passe à une vitesse folle. Une impressionnante pile de dossiers m'attend et je ne relève pratiquement pas le nez de mes papiers. Je ne croise pas Ethan et quand arrive la fin de la journée, je ne sais pas si je dois passer lui dire au revoir ou pas. J'ai rendez-vous avec Cassiopée donc nous ne passerons pas la soirée ensemble. Je suis contente de voir ma meilleure amie mais si je suis tout à fait honnête, j'avoue que chaque seconde passée sans Ethan est une véritable torture. Je me dirige vers son bureau mais sa porte close et le bruit qui s'en échappe m'informent qu'il est occupé. La mort dans l'âme, je rebrousse chemin et me contenterai seulement d'un petit texto.
Je n'ai pas le temps de repasser chez moi avant de rejoindre Cassiopée, j'arrive donc devant le centre commercial où nous nous sommes données rendez-vous pile à l'heure. Je sors de mon véhicule et je la repère immédiatement, assise sur un banc devant la façade vitrée de cet antre de la dépense. Plus j'avance en sa direction, plus je vois que quelque chose ne va pas. Elle tape nerveusement du pied tout en agitant ses clés de voiture dans tous les sens. Son visage est fermé et ses sourcils froncés. La connaissant, elle fait tout son possible pour maitrise la tempête qui gronde en elle.
-Coucou Cass !
Mon amie pose les yeux sur moi et me détaille sans retenue. Son visage arbore rapidement une mine plus détendue, voire même émerveillée. Ses beaux yeux pétillent d'une malice que je ne connais que trop bien et mon cœur se réchauffe instantanément quand je retrouve enfin celle que je connais depuis l'adolescence.
-Wahouuuuuuuuu Cancan, comme tu es belle !
Elle se lève et m'étreint dans la seconde. Son câlin est plus marqué que d'habitude et cela me conforte dans l'idée que quelque chose cloche. Je m'écarte légèrement et plante mes yeux dans ses prunelles qui m'ont tant manqué.
-Que se passe-t-il Cass ?
Immédiatement, elle se raidit et s'éloigne légèrement de moi. Je ne bronche pas et mon regard déterminé lui indique que je ne bougerai pas tant qu'elle ne m'aura pas expliqué ce qui la contrarie autant. Nous avons toujours fonctionné de cette manière, nous ne nous cachons pas derrière de faux sourires et nous nous avouons tout ce que nous avons sur le cœur. Enfin... jusqu'à peu.
Elle soupire théâtralement, empoigne ma main et m'embarque dans son sillon. Nous quittons le froid de cette fin de journée hivernale pour nous abriter à l'intérieur du centre commercial. Tout en se dirigeant vers les boutiques qui l'intéressent, elle commence à se confier.
-Mon père m'a appelée.
Ouille. Son père, celui qui a abandonné sa femme et sa fille pour refaire sa vie avec sa maitresse... c'est le sujet le plus sensible pour ma meilleure amie. Je lui offre mon regard le plus compatissant et mon amie sert ma main imperceptiblement plus fort. Même si les choses ont changé dernièrement entre nous, je ne cesserai jamais d'aimer cette fille comme la sœur que je n'ai jamais eue.
-Il... il veut que je vienne passer un weekend chez lui. Pour renouer. Non mais il se fout de la gueule de qui ? Il s'est barré comme un lâche quand j'avais quinze ans, il a choisi de détruire notre famille et de nous laisser toutes seules et maintenant que monsieur a des relents de paternité, il faudrait que je me coltine un weekend entier avec sa pouffiasse ?
Je tire sur son bras pour la stopper dans sa course et je pose mes doigts sur ses épaules. Cassiopée est un volcan prêt à entrer en éruption à n'importe quel moment lorsqu'il s'agit de son père. Avec le temps, j'ai appris à gérer ce genre de crise.
-Cass, écoute-moi. Ton père... il essaie depuis un moment maintenant de renouer avec toi. Tu as toujours refusé ses invitations et je te comprends, l'idée de passer un moment chez lui à découvrir sa nouvelle vie que tu ne partages pas ne t'emballe pas. Mais quoique tu en dises, il reste ton père. Peut-être un père maladroit, qui a fait des choix discutables dans sa vie mais il n'en reste pas moins celui qui te payait un diabolo citron tous les dimanches matins au bar.
Quand je remarque que son regard irrité se pare d'une vague de nostalgie, je sais que j'ai touché un point sensible.
-Tu as le droit de ne pas accepter sa nouvelle vie mais... peut-être... que... vous pourriez passer un moment rien que vous deux ? Je ne sais pas ce que tu en penses mais... vous retrouver tous les deux au restaurant pour partager un petit repas pourrait peut-être t'aider à faire le point sur ce que tu ressens.
Cassiopée soupire et ses yeux maintenant humides s'évadent de mon emprise. Elle fait quelques pas en arrière et je peux aisément voir le débat intérieur qui la tiraille. Quand elle entrouvre la bouche, je réalise que quelles que soient les apparences qu'elle offre aux autres, elle sera toujours cette adolescente révoltée par la vie qu'elle était lorsque je l'ai connue.
-Je ne sais pas Candice... ouais... peut-être. C'est... ouais, c'est pas mal comme idée. Mais hors de question que je m'arrête boire un verre chez lui. Je ne veux plus jamais croiser sa grogniasse. Non mais tu te rends compte quand même ? Quel genre de femme fait ça ? Quel genre de femme accepte délibérément de détruire un couple ? Putain mais elle n'avait aucun droit de débarquer dans nos vies !
Je reste figée par sa remarque. Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais jamais fait le rapprochement entre ma situation et celle de sa belle-mère. Je comprends alors violemment que je ne pourrais pas ouvrir mon cœur à ma meilleure amie. J'ai trop peur de ses mots qui pourraient me détruire en une demi-seconde à peine. Je ravale alors difficilement mon amertume et lui souris faussement.
-Envoie-lui un message pour lui proposer de diner avec toi, ça lui fera plaisir.
Cass hoche distraitement la tête et nous conduit vers sa boutique préférée. Nous passons deux heures à fouiller tous les portants de ce centre commercial avant de dénicher une magnifique robe longue et fuselée qui ne peut aller qu'à mon amie. Ses jambes interminables et sa taille de guêpe sont délicatement mises en valeur par le tissu soyeux qu'elle effleure avec envie du bout des doigts. Quand elle passe en caisse pour régler son achat, elle se retourne vers moi et me demande sans ménagement :
-Et toi ? Quand comptes-tu me raconter ce qui te tracasse ?
Je retiens un petit hoquet de surprise et mon cœur s'emballe immédiatement. Mon humeur s'est ternie à la minute où j'ai compris que mon histoire d'amour devra rester un secret pour tout le monde, y compris pour elle. Ce rejet inconscient m'a isolée et je ne pense qu'à Ethan depuis les cent vingt dernières minutes. Il me manque viscéralement. Il me manque comme on pourrait manquer d'oxygène et intérieurement, je suffoque.
-Tout va bien avec Gabriel ?
Sa remarque me sort de mes pensées et j'écarquille d'immenses yeux quand je réalise que la personne que je considérais comme ma confidente n'a absolument aucune idée du tsunami qui a déferlé sur ma vie il y a de cela six jours. Je prends une profonde inspiration et m'apprête à offrir la fausse Candice à la seule personne qui ne m'obligeait pas à le faire auparavant.
-Justement... non. On s'est séparés. Je... je n'arrivais pas à m'investir auprès de lui et je voyais bien qu'il était déjà très accroché à moi.
-Non mais tu comptais me le dire quand au juste ? s'énerve mon amie.
-J'ai... j'ai été débordée ces derniers jours, j'ai du régler une affaire très importante. Et cela n'a pas été facile pour moi non plus. J'ai...
-Mais c'est pour ça qu'il était si bizarre quand je l'ai appelé vendredi !
-Mais de quoi parles-tu ?
-Maxime m'a demandée de l'appeler pour une histoire de famille sans intérêt et il a à peine pris le temps de me répondre. Il était distant, il paraissait fatigué. Quand je lui ai demandé s'il allait bien, il m'a simplement répondu qu'il venait d'accepter un chantier important dans une école à côté de chez lui. Je n'ai pas vraiment compris grand chose d'autre et il a raccroché quand la maitresse est arrivée pour le guider vers les installations électriques. Mais je t'assure qu'il n'était pas bien. Je le connais assez pour le remarquer.
Les aveux de Cassiopée me serrent le cœur. Je sais que j'ai fait beaucoup de mal à Gabriel, je m'en veux énormément mais je sais également qu'il ne pourra guérir que loin de moi. Je ravale alors difficilement ma culpabilité et je reste un moment le regard fixé sur mes escarpins, à éviter celui de mon amie.
-Je trouve que c'est nul que vous soyez séparés. Il était l'homme parfait pour toi Candice, je ne comprends pas que tu ne l'aies pas vu. Enfin bon... on en a discuté suffisamment de fois pour que tu saches déjà tout ce que j'en pense.
Son regard désapprobateur s'abat sur moi et je me fais toute petite.
-Je... je n'y... je n'y arrivais pas Cass..., je parviens difficilement à bafouiller.
-Tant que tu ne t'embourbes pas dans une histoire à la con...
Je fuis son regard une seconde et replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Quand mon poignet s'approche de mon visage, j'hume l'odeur du parfum d'Ethan qui s'est infiltré dans ma peau plus tôt ce matin et mon cœur retrouve son rythme si particulier, celui qui me fait me sentir vivante comme je ne l'ai jamais été auparavant, celui qui me connecte instantanément à celui de mon homme, celui qui ne peut être provoqué que par une seule et unique personne sur cette terre.
Une dose de courage se déploie dans mes veines et je retrouve le regard de mon amie. Avec confiance, je laisse mon cœur lui répondre.
-Ne t'en fais pas, je vais très bien.
Au même moment, je sens mon téléphone vibrer dans mon sac à main et mon cœur s'emballe encore un peu plus quand je vois le nom d'Ethan s'afficher sur l'icône « Messages »
Ethan : Je sors à peine du bureau. Dis moi que tu es chez toi et je fonce jusqu'à ton appartement.
Au moment où je m'apprête à annoncer à Cassiopée que je vais bientôt rentrer chez moi, elle m'attrape le bras et m'emporte en direction d'une autre boutique.
-Maintenant, on s'attaque aux chaussures ! Je te fais confiance ma Cancan, tu vas me trouver la paire idéale pour mon weekend en amoureux !
Malgré le besoin viscéral presque vital que je ressens de voir Ethan au plus vite, je n'ai pas le cœur de laisser tomber mon amie. Je lui réponds par un petit sourire et la laisse me guider. C'est exactement à ce moment que je comprends que j'ai perdu ma meilleure amie. Je ne pourrai jamais me confier à elle et elle restera cette fille qui fait semblant de se soucier de moi pour mieux me modeler selon ses attentes. La constatation est amère, presque cruelle et pour la énième fois de ma vie, je sens rejetée. Seulement, aujourd'hui, contrairement à toutes les autres fois, je ne me sens pas seule. C'est la dernière fois que quelqu'un nous tient éloignés l'un de l'autre Ethan, je te le promets.
