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Je ne veux surtout pas le brusquer, c'est pourquoi je le laisse évoluer à son rythme. Quand il se décide enfin à quitter mes bras, il fait quelques pas puis s'assoit sur le lit grinçant. Il pose ses coudes sur ses genoux et se prend la tête entre les mains. Je m'installe à côté de lui et autorise enfin mes doigts à parcourir ses douces mèches brunes toutes ébouriffées. Je l'entends soupirer à nouveau et son corps se laisse aller contre le mien.
-Je suis là pour toi Ethan, je lui chuchote au creux de l'oreille.
Nous restons ainsi un long moment jusqu'à ce qu'il retrouve la force de se lever et de vider machinalement la pièce. Tel un robot, il entasse le peu d'affaires qui trainaient encore ici dans de vieux cartons et les porte au rez-de-chaussée. Son manège silencieux dure longtemps et je n'ose pas l'interrompre, je me contente donc de l'observer. Il se protège derrière une armure en fer forgée qui l'empêche d'extérioriser ses émotions et surtout de faire réellement face à la situation. Je sais qu'il est encore un peu tôt pour le brusquer, je le laisse donc gérer cette situation comme il le peut.
Il est maintenant tard, la journée a été longue et éprouvante et mon ventre vide se tortille dans tous les sens. Cependant, je n'arrive pas à me décider à ouvrir les placards pour trouver de quoi grignoter, je sais pertinemment que la moindre bouchée que je pourrais avaler me ferait plus de mal que de bien. Je n'ai qu'une envie, que cette journée se termine et que nous puissions nous endormir paisiblement. J'entends des pas dans l'escalier puis l'eau couler dans la douche. Au bout de quelques minutes, un bruit tonitruant me fait sursauter. Je distingue des cris puis des bruits de verre cassé suivi d'un vacarme sans fin. Je me précipite dans l'escalier et monte les marches quatre à quatre. Le cœur tambourinant dans la poitrine, j'atteins précipitamment la salle de bain et le spectacle qui se joue devant mes yeux me fige instantanément.
Le vieux meuble en bois à ma droite est totalement fracassé, les étagères ont été renversées par terre, le miroir en face de moi est brisé et le sol est un véritable champ de bataille mêlant morceaux de verre, bouts de bois déchiquetés et bouteilles en plastiques éparpillées un peu partout. Je cherche frénétiquement Ethan du regard et je sens mon cœur peser extrêmement lourd dans ma poitrine quand je le repère totalement habillé, recroquevillé au sol sous le jet de la douche. Je ne réfléchis pas, je fonce. Il ne me voit pas arriver et lâche un nouveau hurlement de rage. Son poing s'abat violemment contre le carrelage qui lui fait face et de nombreuses gouttes de sang coulent autour de lui. Ses lèvres ne cessent de libérer des cris et son visage rougi est ravagé par les larmes. Le volcan est entré en irruption et les dégâts s'annoncent déjà lourds de conséquence.
-Ethan ! Ethan regarde-moi !
-Qu... qu'est-ce que... tu fais là ? Tu... tu n'as pas le droit d'être ici avec moi et de t'enfuir au petit matin. Je ne sais absolument pas comment gérer tout ce merdier mais... mais... ce que je sais, c'est que ça me fait un peu moins mal quand t'es avec moi. Alors... soit tu pars tout de suite, soit tu ne me lâches plus. Jamais.
Je l'étreins immédiatement et je m'accroche à lui comme si ma vie en dépendait.
-Jamais, je souffle contre ses lèvres.
Je prends son visage entre mes mains et lorsque son regard se plante dans le mien, sa douleur me tord les entrailles. Ses mains ensanglantées plongent dans mes cheveux et il s'agrippe à moi comme à une bouée de sauvetage.
-Putain Candice, j'y arriverai jamais... jamais... c'est trop dur !
De violents sanglots ternissent sa voix et je m'empresse de blottir sa tête contre ma poitrine et de le bercer. Nous sommes toujours sous le jet d'eau, nos vêtements ont fusionné avec notre peau mais plus rien n'a d'importance. Seul Ethan compte. Je veux qu'il comprenne que sa douleur est justifiée, que sa souffrance est légitime et qu'il doit apprendre à les gérer pour pouvoir se relever.
-La vie t'a mis à l'épreuve en t'affligeant une douleur incommensurable mais tu es fort Ethan. Tu as le droit de craquer, d'être en colère, d'être submergé par la peine mais n'oublie jamais que tu n'es pas seul. Je suis là, je ne te lâcherai pas.
Il me serre encore plus fort contre lui et ses sanglots redoublent d'intensité.
-A quoi ça a servi tout ça ? Cette maladie de merde, cette souffrance, cette agonie... on s'est juste déchirés un peu plus, je l'ai regardé mourir et toutes nos galères n'auront servi à rien. On a... c'était horrible !
Ses paroles sont hachées et rythmées par les sanglots hystériques qui s'emparent de lui mais il continue de se livrer.
-J'ai cru que... que notre histoire merdique aurait un sens un jour... qu'un beau matin, je pourrais venir le... le sauver de ses addictions et nous offrir une... une belle vie à tous les deux. Si j'ai... si j'ai tenu toutes ces années, c'est... c'est parce que j'imaginais qu'après avoir traversé tant d'épreuves, on... je sais pas, peut-être que le destin nous aurait récompensé et nous aurait... laissé un peu tranquille. Mais... c'était juste des conneries ! Des conneries ! On a galéré, je me suis sacrifié comme un con et pour quoi ? Pour voir mon père mourir à cause de ses conneries de poudre, de cigarette et d'alcool ! Et moi alors ? Il reste quoi de moi ?
-Tu as fait tout ce que tu as pu pour ton père et... c'est affreux mais il ne pouvait pas être sauvé. Ne cherche pas des explications là où il n'y en a pas. Malgré l'enfance... compliquée que tu as vécue, tu es devenu un homme fort, qui se soucie de ceux qu'il aime et qui est prêt à se sacrifier pour qu'ils soient heureux. Tu peux être fier de toi. Alors maintenant, il faut que tu t'accordes un peu de temps pour encaisser cette épreuve.
Ses yeux larmoyants s'agrippent désespérément aux miens et je ne flanche pas. L'eau qui ruisselle sur nos deux corps est maintenant froide mais nous ne nous en soucions pas. Nous restons accrochés l'un à l'autre et mes mains se baladent dans ses cheveux trempés.
-Ca rime à rien tout ça Candice, à rien. C'était pas ça le plan... On devait... tu vois, je voulais trouver un moyen de me libérer de cette merde dans laquelle je me suis embourbé et ensuite, je serais parti rejoindre mon père. Je voulais l'emmener loin, peut-être sur une île... il a toujours rêvé de voir la mer. On aurait quitté notre vie pourrie, on aurait fait la paix et on... Mais c'est fini maintenant.
-C'est fini pour lui Ethan, je sais que c'est horrible à admettre mais pour toi, ce n'est pas fini. Ta vie ne s'est pas arrêtée. Tu dois apprendre à avoir des projets pour toi, à vivre enfin comme tu en as envie et non en fonction de ton père. C'est cruel, ignoble même, j'en conviens. Mais ne gâche pas ta vie parce que ton père a gâché la sienne.
-« Je te déteste »... c'est les derniers mots que je lui ai dit. Je... les médecins m'ont appelé pour me dire que son état s'était dégradé et qu'il ne lui restait plus longtemps alors j'ai sauté dans un avion le soir-même. Quelques jours avant, je... j'ai vu ce connard t'embrasser et... tu m'as fait comprendre que j'avais tout foutu en l'air. Je... je croyais que je t'avais perdu et... dans l'avion... j'arrêtais pas de ressasser tout ce qui s'est passé. Je me disais que s'il avait assuré en tant que père, je n'aurais pas eu à foutre en l'air ma vie et j'aurais été libre quand je t'aurais rencontré. Je... je ne pouvais pas m'enlever de la tête que c'était de sa faute si je t'avais perdu. Et... je suis arrivé à son chevet... il était inconscient, il ressemblait déjà à un fantôme. Et je lui en voulais, putain ! Quand il a réussi à ouvrir les yeux, c'est la seule chose que j'ai pu lui dire. « Je te déteste ». Et puis... il... il a fermé les yeux et j'ai dormi sur la chaise à côté de lui.
De douloureux spasmes se sont maintenant emparés de son corps mais je le laisse extérioriser ses tourments. Je me contente de l'enlacer, de le bercer et de couvrir son beau visage de légers baisers.
-Le lendemain... ces connards de médecin m'ont dit que la crise était passée. Tu parles ! Je suis rentré et le soir même, alors que tu m'avais laissé seul, j'ai... j'ai reçu un appel. C'était fini, il... il était mort. Les médecins m'ont dit qu'il n'avait jamais rouvert les yeux après mon départ. C'est... c'est moi qui l'ait tué. Avec mes mots.
J'ai tellement mal au cœur quand Ethan termine sa tirade ! La culpabilité qui le ronge le détruira à petit feu s'il s'obstine à penser ces mots. La voix tremblante d'émotion pour l'homme brisé que je tiens dans mes bras, je laisse parler mon cœur tout en espérant que nous parviendrons à surmonter cette épreuve.
-Moi, je vois les choses différemment Ethan. Si tu n'avais pas sacrifié ta vie pour ton père, tu ne serais jamais venu en France et nous ne nous serions jamais rencontrés. Ou bien, peut-être que si finalement, peut-être que nos chemins étaient faits pour s'entremêler et qu'un jour où l'autre, mon regard se serait posé sur toi et que mon cœur aurait commencé à réellement battre. Et peu importe que cela ait lieu à Paris, à Londres ou à l'autre bout du monde. Moi je m'en fiche de ce qui s'est passé avant. Je ne veux pas savoir pourquoi mon corps ne prend vie qu'auprès de toi, je veux juste que tu restes avec moi. Alors arrête d'en vouloir à ton père, tu ne pourras pas revenir en arrière. En revanche, aujourd'hui, on peut écrire notre propre histoire. C'est ça le plus important, non ?
Pour toute réponse, Ethan agrippe encore plus fermement mes cheveux et pose son front contre le mien en fermant les yeux. Ses lèvres au goût salé frôlent les miennes quand il me susurre :
-C'est toi Candice, personne d'autre que toi.
Une nuée de papillons s'envole dans mon bas-ventre et mon cœur se met à battre plus intensément. En cet instant, je sais que même si le chemin sera parsemé d'embuches, chaque seconde que je passe auprès d'Ethan vaut le coup d'être vécue.
-J'ai l'impression d'être coincé dans un gouffre sombre et de continuellement tomber plus bas, plus fort. J'étais petit, putain, je ne méritais pas tous ces coups. Moi, je voulais avoir un beau métier pour nous offrir une belle vie mais il a fallu qu'il gâche tout. Pourquoi s'est-il rempli le nez de poudre et l'estomac d'alcool ce soir là ? Pourquoi est-il parti au casino avec toutes nos économies ? Pourquoi m'a-t-il privé de mon avenir ? Je me noie Candice quand je repense à tout ça, je n'arrive pas à respirer sans avoir envie de tout casser. Et puis, il suffit que mon regard se pose sur toi, sur ton visage d'ange et sur tes lèvres gourmandes pour que toute cette merde soit un peu moins douloureuse. T'es ma lumière quand tout devient trop sombre.
Mon cœur explose en un millier d'étoiles qui virevoltent autour de nous. Je ne rêve de rien d'autre en cet instant que de rendre la vie de l'homme qui fait battre mon cœur plus douce. Tendrement, je lui murmure à l'oreille de continuer à me parler. Nous restons ainsi un très long moment jusqu'à ce que je tremble si fort de froid qu'il se détache de moi et me laisse m'enrouler dans une serviette de bain.
Après avoir complètement craqué dans mes bras, Ethan me rejoint dans sa chambre de petit garçon. Il ne porte qu'un boxer noir et je profite sans retenue de son corps de rêve. Soudain, mes yeux se posent sur le flanc de son torse et un éclair foudroyant se propage à la vitesse de la lumière dans mes veines pour atteindre directement mon entrejambe. Je suis obligée de serrer les cuisses quand mes prunelles détaillent avidement l'intriguant tatouage qui orne sa peau, partant du bas de son pectoral gauche pour atteindre délicieusement le haut de sa hanche. J'ai envie que mes doigts parcourent l'encre noire imprégnée directement dans sa peau douce et l'enchevêtrement de symboles que je vois m'hypnotise littéralement. Je n'ai rien vu de plus beau que ces dessins maoris qui me fixent fièrement. Chaque jour, je découvre un peu plus Ethan et le sentiment qui m'envahit est terrifiant. Car chaque nouvelle découverte m'assujettit inlassablement toujours plus à lui.
A regret, je quitte son torse et mes yeux retrouvent les siens. Même si son visage est meurtri par la fatigue et l'abattement, il semble cependant s'être délesté d'un poids. Sa carapace a explosé en mille morceaux il ne reste qu'un homme vulnérable et blessé par la vie. Je suis emmitouflée sous des couvertures en laine mais j'ai froid loin de lui. Heureusement, il se dépêche de soulever les draps et de se blottir contre moi. Nous passons la nuit dans les bras l'un de l'autre, nos mains se baladent sur la peau de l'autre et nos jambes sont fermement entremêlées. Quand sa respiration s'adoucit et que ses lèvres laissent échapper d'adorables petits sons, je peux enfin m'endormir sereinement.
Le lendemain matin, je suis réveillée très tôt. J'ai très peu dormi mais je ne suis jamais sentie aussi bien que ce matin, à profiter de la chaleur du corps de l'homme qui hante mes pensées tout contre le mien. Je n'ose pas bouger, de peur de le priver de quelques heures de repos salvateurs. Je continue donc de le serrer contre ma poitrine et mon esprit se met à revivre ces dernières heures. Une idée commence à germer dans ma tête et même si je sais qu'Ethan sera réfractaire à mon plan, je dois le convaincre. Il en a besoin.
Les heures passent et mes doigts se perdent sur le corps d'Ethan. Sa tête nichée sur mon ventre commence à papillonner avant de venir se loger dans mon cou. Ses lèvres charnues déposent une trainée de baisers humides pendant que sa main chaude se glisse sous mon t-shirt. Ma peau se recouvre instantanément de frissons quand ses doigts se baladent possessivement sur mon ventre, frôlant ci et là le renflement de ma poitrine. Je dois me retenir de toutes mes forces pour ne pas lui sauter dessus et lui faire sauvagement l'amour. Ce n'est pas notre moment, nous méritons mieux qu'un lendemain d'enterrement. Je me contente alors de pivoter de son côté et de passer ma jambe gauche sur sa hanche pour rapprocher encore plus nos corps, comme si cela était encore possible. Immédiatement, sa bouche quitte mon cou pour remonter langoureusement retrouver la mienne. Quand nos lèvres se scellent, je retrouve enfin mon Ethan.
Sa langue glisse charnellement contre la mienne et une vague d'excitation prend forme dans mon ventre. Les mains d'Ethan parcourent lentement mon corps et cette étreinte n'est qu'une douce torture. Je tremble de désir de la tête aux pieds. Mon homme penche légèrement la tête pour approfondir notre baiser et sa langue caresse maintenant furtivement ma lèvre inférieure au moment où son pouce effleure innocemment la pointe durcie de mes seins. Je ne peux alors plus retenir un petit gémissement qui atterrit immédiatement dans sa bouche. Ethan grogne et sa main agrippe la mienne pour venir la poser sur son torse. Il ouvre les yeux et me scrute intensément, comme s'il essayait désespérément de me dire quelque chose. Sous ma paume, je sens les battements affolés de son cœur s'écraser contre ma peau et je comprends. Je n'ai plus peur, je me sens juste légère pour la première fois de vie.
Ma bouche quitte ses lèvres et Ethan fronce immédiatement les sourcils mais je ne lui laisse pas le temps de réagir, je m'empresse de lui susurrer ce que j'ai sur le cœur tout en laissant ma langue cajoler son oreille et son cou.
-Moi aussi Ethan...
Ces trois petits mots font exploser toutes les barrières qu'il s'imposait. Fiévreusement, il m'allonge contre le vieux matelas et appuie son corps au dessus du mien. Sa main droite remonte mon t-shirt pour dévoiler ma poitrine nue tandis que sa main gauche se met à caresser sensuellement la peau douce de mes jambes. Son regard ardent ne me quitte à aucun moment lorsque ses lèvres s'écrasent avidement sur ma peau. Elles parcourent mon ventre puis ma poitrine avant de retrouver mon cou sans me laisser le moindre répit. Mon corps se cambre sous ses baisers et ma bouche libère à nouveau de petits gémissements de pur plaisir pendant que mes mains se perdent dans ses mèches brunes.
-Tu... es... délicieuse Candice...
Ses paroles déclenchent un véritable incendie entre mes jambes et je ne sais pas où je trouve la force de repousser doucement Ethan. Son visage retrouve le mien et nos regards se comprennent instantanément. Malgré nos résolutions communes, mon homme ne peut s'empêcher de dévorer une dernière fois ma bouche tout en ondulant ses hanches contre les miennes. Sentir sa virilité dans toute sa splendeur contre mon corps m'électrise violemment.
