26

-Je suis désolée Gabriel mais je n'y arrive plus... Tu comptes énormément à mes yeux mais... je ne ressens pas ce que je devrais ressentir à tes côtés. J'ai essayé, je te promets que j'ai essayé mais... 

-Stop ! Arrête, s'il te plait. Je ne veux pas entendre ces mots, c'est trop dur. Trop dur... 

Sa voix se brise et quelques sanglots essayent de se frayer un chemin à travers sa gorge. Mes yeux s'humidifient et je m'en veux. L'homme le plus aimant de la terre est train de souffrir à cause de moi. Il m'a tout donné, il m'a sauvé, recueilli puis a soigné mon âme et je n'ai jamais réussi à lui offrir tout ce qu'il méritait en retour. 

-Tu es une personne extraordinaire, tu m'as apporté bien plus que quiconque ne l'a jamais fait de toute ma vie et je tiens énormément à toi... mais... je... 

-Chuuut... s'il te plait Candice, arrête... 

Au fur et à mesure qu'il susurre à mon oreille pour me supplier d'épargner son cœur, le mien se fissure lentement. Gabriel resserre à nouveau son étreinte et je le laisse faire. Je peux au moins lui offrir ce dernier moment. Je le sens lutter pour maitriser sa respiration saccadée et je ne peux m'empêcher de passer mes bras dans son dos. 

-J'espère... j'espère vraiment qu'il saura te rendre heureux... qu'il saura te dire à quel point tu es exceptionnelle... qu'il saura te donner tout l'amour que tu mérites... 

Je me raidis instantanément et mes mains lâchent son dos. De qui parle-t-il ? Non... je ne veux pas...

-Ne dis pas des bêtises Gabriel... Il n'y a personne. Je suis seulement venue ce soir pour être honnête avec toi. Je n'ai pas le droit de te mentir et je ne veux plus faire semblant. Tu as une place particulière dans mon cœur mais mes sentiments ne sont pas les mêmes que les tiens. Tu es un ami exceptionnel à mes yeux et... 

Soudain, Gabriel me repousse et ses yeux rougis percutent les miens. 

-Mais arrête Candice ! Ne dis pas ça... Tu sais très bien que tu es tout sauf une amie à mes yeux. On ne se connaît pas depuis longtemps, c'est vrai... je ne sais pas pourquoi ni comment mais je... je suis tombé violemment et désespérément amoureux de toi. Et tous les jours, j'ai essayé de te donner tout mon amour mais ce n'était jamais suffisant. Tu n'étais jamais vraiment avec moi. Quand je te regardais, je ne voyais que ton absence. Mais j'ai persévéré, j'ai voulu que tu saches que tu es l'étoile qui brille le plus à mes yeux mais je n'ai jamais été suffisant pour toi. Alors t'entendre dire que je suis ton ami alors je rêve d'être celui pour qui ton cœur bat, ça me déchire, tu comprends ? 

Quelques larmes roulent silencieusement le long de mes joues et je me contente de hocher la tête. Je ne peux rien lui dire qui ne le fera pas plus souffrir. Les mots qu'il rêve d'entendre sont réservés à un autre homme. Malgré tout, savoir que je suis celle qui brise le cœur de l'homme le plus gentil, doux et prévenant de cette planète me fait énormément de mal. Je n'ai jamais voulu tout cela. 

J'ai égoïstement eu besoin de me sentir aimée afin qu'il répare toutes mes failles. J'ai fermé les yeux, j'ai ignoré les mises en garde de mon cœur et j'ai voulu me forcer à tomber amoureuse de lui. Mais s'il y a une chose que je ne pourrai jamais contrôler dans ma vie, c'est bien mon cœur. Ethan l'a réveillé, l'a enflammé et l'a rendu fougueux. Je ne peux plus le garder sagement au chaud, je suis maintenant condamnée à suivre ses envies. Il a désespérément décidé d'appartenir à un homme taciturne et tourmenté et je ne veux plus lutter. Pour la première fois de ma vie, je vais prendre un risque et je vais me donner corps et âme à un homme qui pourrait autant me choyer que me détruire. 

Je reste encore un moment auprès de Gabriel à essayer de me faire pardonner puis je réalise qu'aucun des mots que je peux prononcer ne pourra l'aider. Il a besoin de temps pour faire le deuil de son amour pour moi. Et rester près de lui ne pourra que lui faire encore plus de mal. Le cœur complètement tiraillé entre mes envies les plus profondes et l'affection que je porte à cet homme au cœur brisé, je prends la décision de refermer doucement la porte de Gabriel et lui promets que je serai toujours là pour lui. 

-Je t'aime Candice... pardonne-moi de n'avoir pas su t'aimer comme tu l'aurais voulu... pardonne-moi de n'être encore et toujours que le second choix... 

Ces mots me figent instantanément. Je suis debout, devant la porte close de son appartement et je n'aurais jamais cru pouvoir autant me détester de ne pas être tombée amoureuse. J'ai tout gâché, je me sens minable... j'aurais tellement voulu que les choses soient différentes ! J'aimerais dire à Gabriel que j'aurais voulu, tellement voulu tomber amoureuse de lui, que notre histoire soit belle et simple et qu'aucun de nous ne souffre. Mais le destin en a décidé autrement. C'est ainsi que, pleine de dégoût pour moi-même, je laisse derrière moi un homme merveilleux avec le cœur brisé et je me dirige vers ma voiture. 

Quand je mets en route le moteur, je laisse mes larmes déferler sur mon visage. Elles sont pleines de déception et de culpabilité. Moi, je voulais juste... essayer. Essayer de toutes mes forces d'être heureuse à ses côtés mais je me suis totalement fourvoyée. Pendant que je taisais mes envies les plus profondes et que je m'obligeais à éprouver des sentiments pour lui, Gabriel tombait amoureux de moi et j'ai fermé les yeux. J'aurais du tout arrêter beaucoup plus tôt mais j'ai été égoïste et je l'ai laissé me réparer. Maintenant que je n'ai plus besoin de lui, je le laisse tomber et pars sans me retourner. Je me dégoûte. Je suis un être immonde. 

Ma voiture avale les kilomètres alors que je tente difficilement de ravaler ma culpabilité. Je jette un coup d'œil à l'horloge numérique qui m'informe que je suis partie de la soierie depuis presque une heure et demie. Plus j'accélère, plus mon esprit est embrouillé. Je ne sais plus si je dois rejoindre Ethan ou retourner consoler Gabriel. Je ne sais pas si j'arriverai à me pardonner mon attitude envers lui et j'ai peur que le seul homme qui fasse réellement battre mon cœur ne comprenne pas que je me sois détournée de lui ce soir. J'ai beaucoup trop de doutes et d'interrogations qui tourbillonnent autour de moi et je n'arrive plus à me sortir la tête de l'eau. 

Je m'arrête sur le bas-côté quelques instants et me prends la tête entre les mains. Bon sang, mais qu'est-ce-que j'ai fait ? Comment ai-je pu en arriver là ? Je ferme les yeux quelques secondes et l'évidence me frappe. Sous mes paupières se dessine le visage libéré d'Ethan au moment où j'ai plongé dans son regard. Il était sincère, je le sais, je le sens au plus profond de mon âme. Mon cœur ne battait que pour lui, je ne respirais que son odeur et il était tout ce que je pouvais voir. Ethan est mon tout et malgré les amers dommages collatéraux qu'une histoire entre nous va engendrer, je sais maintenant où est ma place. 

Je redémarre frénétiquement et roule aussi vite que je le peux. Chaque kilomètre qui me rapproche un peu plus de mon homme me conforte dans mon choix. C'est lui et personne d'autre. Depuis le premier jour, il n'y a que lui. La route me paraît interminable et j'ai froid loin de ses bras. J'ai besoin de sentir son cœur frapper contre ma poitrine pour me sentir entièrement moi. Alors j'accélère, encore. Je ne pense qu'à lui, je ne distingue même plus la route, je ne vois que lui. Et je roule toujours plus vite. Mes lèvres me brulent, j'ai viscéralement besoin de lui dire que je veux lui appartenir et mon pied appuie encore plus fort sur l'accélérateur. 

Quand j'arrive à la soierie, je sors en courant de ma voiture et me dirige vers le bâtiment. Toutes les lumières sont éteintes et je suis seule dans la nuit noire. La porte d'entrée est verrouillée et le choc me foudroie sur place. Ethan est parti et je ne peux pas le rejoindre. Je ne sais même pas où il habite et de toute façon, je ne pourrai jamais y mettre les pieds. Je laisse ma tête tomber contre le métal glacé de la vitre qui me fait face et une immense vague de déception s'empare de moi. Cette soirée n'aurait jamais du finir de cette manière. J'aurais du retrouver Ethan, lui dire qu'il est tout ce que je veux et accepter de rester auprès de lui aussi longtemps qu'il voudra de moi. 

Tout mon être n'est plus qu'amertume. Le mois que je viens de passer n'est qu'un immense gâchis. J'ai l'impression que le karma fait exprès de me séparer d'Ethan... Mais ce que tu ne sais pas, foutu karma, c'est que j'en ai assez de subir. C'est fini ! Je ne me laisserai plus faire et je me battrai !

Le regard plein de détermination, je me retourne et commence à rejoindre ma voiture, le cœur plus lourd que jamais. Cependant, une intuition inexplicable me pousse à tourner la tête à droite et à me diriger sur le côté du bâtiment, là où Ethan gare sa berline quand il veut être à l'abri des regards. Je marche dans le noir, seulement guidée par mon cœur qui n'attend que lui. Quand une vague de chaleur s'empare de moi et que mes mains commencent à trembler, je comprends que j'ai vu juste. Il est là, je le sens. J'accélère alors mes pas et au moment où j'aperçois sa voiture, mon cœur manque de s'envoler. Sans réfléchir plus longtemps, j'ouvre la portière côté passager et m'engouffre pour rejoindre mon paradis. 

Quand mes yeux se posent sur l'homme qui se tient à mes côtés, je réalise immédiatement que mon paradis a des allures d'enfer ce soir. Ethan se tient droit, complètement immobile et son regard voilé se perd loin devant lui. Les traits de son si beau visage sont complètement déformés par la douleur et la souffrance qui le persécutent. Son corps est raide, dur, presque sans vie. Ses maux me submergent et j'ai mal pour lui. Je ne supporte pas de savoir Ethan dans cet état, surtout par ma faute. Alors, immédiatement, je tends ma main pour poser mes doigts sur sa joue mais il ne me laisse pas faire. Il lève brusquement son bras et repousse violemment mes doigts. 

-Dégage ! me crache-t-il froidement, le regard toujours rivé droit devant lui. 

Sa voix est trainante et pâteuse et je ne remarque qu'à cet instant la bouteille à moitié vide de vodka qu'il tient fermement entre ses doigts. L'odeur âcre de l'alcool flotte entre nous et elle ternit toute la lumière que je voulais lui apporter. Je me décale vers la gauche pour me rapprocher doucement de lui et mes pieds cognent une autre bouteille vide ainsi qu'une petite fiole, vide elle aussi. 

Connaissant les mots blessants qu'Ethan peut lancer lorsqu'il est mal, je sais pertinemment qu'il faut que je l'approche en douceur. Mais il ne semble pas vraiment d'accord pour me laisser faire. 

-Qu'est-ce que tu fous encore là, toi ? T'as rien à d'autre foutre ? 

Il a certes du mal à prononcer chaque syllabe correctement mais chacun de ses mots me percute en plein cœur. Je sais que je l'ai blessé mais il doit savoir que c'est juste un malentendu.

-Ethan, laisse-moi juste t'expliquer. J'ai... 

-Putain, mais t'es bornée ou quoi ? Tu comprends rien, je ne veux pas de toi ici ! Pars ! Dégage ! Putain, dégage ! hurle-t-il tout en me poussant violemment contre ma portière. 

Je sens des larmes couler le long de mes joues et mon cœur blessé me fait plus mal à chaque seconde qui passe. Ses mots sont acides et ses mains tranchantes. 

-T'es partie, putain ! Et lui aussi, il est parti... Vous partez tous, toujours... quoique je fasse, vous partez... 

Ethan laisse la bouteille de vodka retomber entre ses jambes et se prend brusquement la tête entre les mains. Il frotte violemment son visage puis se met à hurler tout en tirant frénétiquement ses cheveux. Je suis totalement perdue, je ne comprends pas ce qu'il me dit et je ne sais pas ce que je dois faire. Le cœur tambourinant à vive allure, j'approche doucement ma main et la pose dans son dos. Immédiatement, Ethan se crispe et gigote sous mes doigts. 

-Ethan, je suis là. Je ne vais nulle part, c'est fini. Je reste avec toi maintenant. Je ne partirai plus, je te le promets. 

Brusquement, il se redresse et plante ses yeux injectés de sang et d'alcool dans les miens. Sa main tâtonne un instant puis trouve le liquide transparent qu'elle cherchait désespérément et le porte à sa bouche. J'essaie de l'en empêcher mais il esquive rageusement mon geste et avale de longues goulées. Quand il s'essuie les lèvres du revers de la main, son regard se brise avant de me répondre. 

-Lui aussi avait dit ça. Il avait dit que ça passerait et qu'il resterait avec moi mais il a menti. Il est parti... pour toujours. Et c'est de ma faute. Il a arrêté de respirer quand je lui ai dit « je te déteste ». Et ces mots dégueulasses sont maintenant gravés en lui pour l'éternité...