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Pour toute réponse, je lui dépose un chaste baiser dans le cou. Ethan me serre à nouveau plus fort dans ses bras et continue ses confidences d'une petite voix.
-Elle était plutôt jolie et j'ai tout de suite compris que je lui avais tapé dans l'œil. Elle était avec des copines, elles avaient toutes les trois une allure de bourge un peu coincée. Il m'a suffi de deux ou trois regards et de quelques belles paroles pour la faire flancher. Très rapidement, elle m'a expliqué n'être là que pour quelques mois et devoir ensuite retourner en France. On a commencé à avoir ce qu'on peut appeler une relation. Elle était dingue de moi et moi, j'oubliais. Et... et... ce que je vais te dire me dégoûte mais... je... moi je lorgnais sur son porte-monnaie. J'étais tellement épuisé par cette vie de merde que j'étais prêt à tout pour en sortir. Et quelques mois plus tard, j'ai fait un pacte avec le diable.
La voix d'Ethan est faible et vacillante, je sens ses mains trembler et son cœur tambouriner si fort contre le mien que ma poitrine ne demande qu'à s'ouvrir pour l'accueillir et le réparer. Je redoute absolument toutes les issues possibles à cette conversation.
-Quand elle m'a proposé de la suivre en France pour reprendre mes études et faire sa vie avec elle, j'ai hésité. Je n'avais pas envie, pas du tout envie même mais... j'ai pensé à mon père... elle m'a parlé de sa fortune familiale, de tout ce que je pourrais payer avec son argent et... au début j'ai refusé et puis... le soir même, mon père m'a annoncé que... que notre pauvre maison toute pourrie allait être saisie par les huissiers. C'était maintenant officiel, on était des pauvres, des sans-abris, des moins que rien. Moi, je m'en foutais de cette maison, je la détestais mais mon père... où est-ce qu'il allait habiter maintenant ? J'ai réfléchi toute la nuit et au petit matin, j'ai rejoint cette fille et j'ai accepté sa proposition à condition qu'on sauve la maison de mon père.
Ethan laisse un long silence s'installer quand je le sens refouler quelques larmes. Sa respiration se fait plus rapide et plus pesante mais il reste fort et termine de me raconter son histoire. Je suis toujours dans ses bras, accrochée à lui et ma main droite se perd maintenant doucement dans ses cheveux pour l'aider à continuer.
-On a traversé la manche, j'ai rencontré sa famille et au bout de quelques temps, ils m'ont proposé un deal. Je devais épouser leur fille, me lancer dans les affaires et en contrepartie, ils sauvaient ma maison. J'ai bien senti qu'ils ne m'appréciaient pas beaucoup et que ma... qu'elle avait longuement bataillé pour qu'ils m'acceptent. Elle était tellement amoureuse de moi que ses parents n'ont rien pu lui refuser. Et moi, je me dégoutais tellement que je ne pouvais plus me regarder dans une glace. Alors j'ai fait ce qu'on attendait de moi, j'ai obtenu mon diplôme universitaire, je me suis lancé dans les affaires et j'ai épousé une femme que je n'aimais pas à 23 ans. Mon père a pu garder sa maison et moi... j'ai laissé passer les années.
Mon cœur se serre quand je comprends que le sacrifice d'Ethan l'a enfermé dans une vie qu'il hait profondément. Il a sans doute fait des mauvais choix mais comment lui en vouloir ? Ma gorge n'a jamais été aussi nouée quand je sens les mains d'Ethan m'enserrer de plus en plus désespérément. Je n'ose pas briser le silence qui nous entoure de peur de le freiner dans ses confidences. Mais quand je comprends qu'il a tout simplement peur que je le juge, j'approche mes lèvres de son oreille et lui chuchote tendrement :
-Tu as simplement fait ce que tu pensais être juste pour ton père. Tu t'es sacrifié pour lui...
-Toutes ces années, je m'en foutais tu sais. Mon père avait gardé sa maison, il continuait ses conneries de jeu, d'alcool et de merdes mais je n'avais plus à en faire les frais. Moi, de mon côté, je rencontrais de temps en temps des nanas et je passais un moment avec elle.
Je tressaille à l'entente de ces mots mais je ne dis rien.
-Ma...femme... fermait les yeux et moi, je me contentais de tout ça. Mais les années ont passé et j'ai progressivement compris que j'avais troqué une vie de merde pour une vie qui ne me ressemble pas. Je jouais un rôle, je faisais ce qu'on attendait de moi et je perdais mes plus belles années. Et puis...
Ethan recule sa tête pour retrouver mon regard. Ses prunelles sont abattues et rougies et elles cherchent désespérément à s'accrocher aux miennes. Elles m'appellent à l'aide, me demandent silencieusement de le comprendre et de l'accepter tel qu'il est. Mon cœur ne vibre plus que contre le sien et j'ai véritablement l'impression de découvrir pour la première fois l'homme qui me tient dans ses bras.
-Et puis, t'es arrivée. Et j'ai rien compris à ce qui me tombait dessus. Alors ouais, j'ai joué au connard parce que j'avais trop peur pour toi, pour moi, pour... nous. Et putain Candice, tu n'imagines pas à quel point je m'en veux. Je suis désolé, Candice, vraiment désolé mais... il n'y a que près de toi que je me sens vraiment moi. Et je ne comprends même pas pourquoi mais c'est ainsi. Je ne veux pas que tu partes. Reste avec moi !
Ces aveux me font subitement peur. Il s'est mis à nu, m'a donné tout ce que je lui ai demandé et il attend maintenant de moi que je reste auprès de lui. J'en ai terriblement envie mais... il y a toujours un mais. Sa femme... il ne la quittera pas, il est coincé et ne semble pas décidé à vouloir s'en défaire. Même si mon cœur ne bat plus que pour lui, je ne suis pas sûre de pouvoir supporter cette situation.
-Ethan... je ne sais pas quoi te dire. Tu me demandes de rester avec toi mais quel rôle devrais-je jouer ? Celui de ta maitresse ? Je n'y arriverai pas.
Il repose son front contre le mien tout en pressant fortement ses yeux quand il libère un long souffle.
-Ne cherche pas à mettre des mots sur tout. Laisse-toi seulement aller. Je vois bien que tu as autant envie de moi que moi j'ai envie de toi. Et je ne parle pas que de ton corps. Je veux tout de toi. Je veux tes joies, tes envies, tes désirs, tes peines, tes colères, tes déceptions, tes sourires et tes espoirs. Je veux que tu me dises pourquoi tu as tellement changé en un mois. Je veux comprendre le mal qui te ronge et te l'arracher à mains nues.
Mon corps, mon cœur et mon âme tressaillent à l'entente de ces mots. Mais je ne m'autorise pas à me laisser aller. Alors, comme à mon habitude, je tente de faire bonne figure. Et de le berner.
-Je n'ai aucun mal qui me ronge. Je suis juste fatiguée... de toute ça. Rien de plus.
-Arrête ! Je ne veux pas de la fausse Candice que tu sers à tout le monde. Moi je te veux entièrement, sans aucune concession. Je veux que tu ne joues aucun rôle avec moi. Je veux que tu sois toi-même.
-Je ne sais même plus qui je suis, Ethan, je lui murmure faiblement.
-Je vois bien que tu es perdues en ce moment... mais s'il te plaît, écoute-moi.
Ethan passe son pouce sous mon menton pour me forcer à le regarder et je ne peux plus quitter ses pupilles marron si hypnotisantes qui tentent de me dire bien plus qu'il ne pourra jamais prononcer. Son regard intense me vrille sur place et je ne peux plus bouger. Je suis pendue à ses lèvres et j'attends fébrilement de connaitre mon sort. Parce qu'à cet instant précis, Ethan tient mon cœur entre ses mains et c'est à lui de décider s'il veut le choyer ou le broyer.
-Je veux reconquérir la femme forte qui a fait tomber toutes mes barrières, une à une, grâce à sa douceur. Je veux retrouver ton caractère trempé, tes petits mots bien sentis quand je dépasse les bornes et ton regard envoutant dès que je m'approche de toi. Je veux que tes lèvres s'écartent légèrement quand ta respiration s'accélère, que tu mordilles ta lèvre inférieure quand tu es gênée et que tu agrippes ma main lors du décollage à chaque fois que nous prendrons l'avion pour contrer ta peur. Je veux que tu te blottisses dans mes bras à chaque fois qu'un orage éclatera, je veux que tu plonges dans mon regard et que plus rien autour ne compte. Je veux qu'il n'y ait plus que nous, à nouveau.
Il marque une courte pause et plonge sa main dans mes cheveux. Il me caresse avec tellement de douceur que je voudrais sentir cette sensation jusqu'à la fin de mes jours. Mon cœur n'a jamais battu aussi fort tandis qu'une dangereuse vague d'espoir commence à s'infiltrer dans mes veines. J'ai peur de mal comprendre, je tremble et je n'ose pas espérer le cœur léger.
-Tu ne sais plus qui tu es ? Moi je vais te le dire. La vraie Candice mâchouille la pointe de son stylo et entortille ses boucles pendant des heures lorsqu'elle est concentrée. Elle ne lâche jamais le morceau jusqu'à atteindre ses objectifs. Sa persévérance et sa détermination lui permettent d'avancer mais elle n'écrase jamais personne. Elle est bien trop gentille et douce pour ne serait-ce que blesser quelqu'un. Elle est comme un volcan en sommeil, elle est prête à exploser à chaque instant et putain, je rêve de ce moment, parce que cela voudra dire que tu assumes enfin qui tu es et que tu es prête à le montrer au monde entier.
Ses lèvres se posent chastement sur les miennes pour les effleurer sensuellement l'espace d'une seconde et je reste hébétée, complètement immobile.
-Mais il faut aussi que tu saches que je suis un putain d'égoïste et que ce moment me fait peur. Parce que pour l'instant, je suis le seul à avoir découvert ta vraie nature. Il n'y a qu'avec moi que tu oses parler sans filtre comme tu le fais. Il n'y a qu'avec moi que tu exprimes tes vraies envies, même les plus banales. Putain, je veux être le seul avec qui tu t'empiffres de hamburgers et de frites. Je voudrais que jamais personne ne découvre tes yeux brillants de bonheur et tes lèvres luisantes de gras quand tu as fini de te goinfrer. Tout simplement parce que j'ai trop peur de tous ces loups qui te tourneraient autour s'ils découvraient la femme sauvage qui sommeille en toi.... Oui c'est celle que tu es : une femme douce, gentille, déterminée et sauvage qui ne demande qu'à croquer la vie à pleines dents et à faire des folies. Et putain, j'ai beaucoup trop envie de la garder pour moi cette femme-là mais tu mérites bien mieux. Tu mérites un homme qui te traite comme une reine, pas un homme qui te cache. Mais tu veux que je te dises ? Je suis incapable de te laisser partir. J'ai essayé, oh que oui putain, j'ai essayé de toutes mes forces mais c'est impossible. J'en suis incapable. J'ai envie... non, j'ai besoin de toi à mes côtés. Et tant pis si tu mérites bien mieux... tant pis. Je suis un gros connard, c'est surement vrai, mais si tu veux de moi je te promets qu'à mes yeux il n'y aura plus que toi. Exclusivement toi. C'est déjà le cas de toute façon. Je serai là pour te voir déployer tes ailes et laisser éclore ton vrai toi mais s'il te plait, putain, s'il te plait ne t'envoles pas. Pas sans moi.
A bout de souffle, Ethan pose délicatement son front contre le mien et ferme les yeux. Ses mains sont toujours plongées dans mes cheveux et elles me gardent précieusement tout contre lui. Contre ma poitrine, je sens les pulsations affolées de son cœur qui vient de se livrer comme jamais. Il m'a donné son histoire et ses blessures mais pas seulement. Pour la première fois, Ethan m'a confié son cœur et m'a demandé de le garder précieusement. Je suis tellement chamboulée que je ne sais même plus pourquoi mes doigts agrippent si fort son pull. Je m'accroche à lui comme si ma vie en dépendait, et peut-être que c'est réellement le cas finalement. Peut-être que si j'ai été si mal ces dernières semaines, c'est parce que je m'étais détournée d'Ethan. Et peut-être qu'aujourd'hui, c'est à moi de nous laisser une chance. Peut-être que nos différences ne rendront notre histoire que plus belle et que tous ces obstacles ne feront que renforcer notre lien.
Mon corps tout entier chancèle toujours, la peur de ce qui va suivre comprime toujours ma poitrine, mon organe vital est prêt à exploser d'angoisse et je suffoque presque. Ethan me demande de lui appartenir... L'espoir se fraye un chemin dans mon âme. A travers la brume qui obscurcit mon esprit, je perçois un fin rayon de lumière qui chasse petit à petit mes doutes. Rien n'est vraiment résolu, tout ne fait que commencer et pourtant... Mes yeux ne peuvent se détourner de l'homme qui n'attend que ma réponse. J'ai besoin de lire en lui que ce que je m'apprête à faire n'est pas la plus grosse erreur de toute ma vie. Doucement, je libère son pull et relâche mon étreinte. Contre moi, je sens le corps d'Ethan s'affaisser quand un pli de douleur se dessine sur son front. Je positionne mes mains tremblotantes de part et d'autre de son visage et le force à redresser sa tête. Comprenant mon geste, il ouvre immédiatement les yeux et son regard suppliant vient se loger dans mes prunelles.
Plus aucune barrière ne m'empêche de l'explorer, alors je plonge. Je laisse mes iris vagabonder à travers son âme solitaire et meurtrie et je parcours tour à tour ses blessures, ses regrets et ses espoirs. Il ne me cache rien. Au moment où je m'approche de ses promesses, l'évidence me frappe de plein fouet. Je comprends tout. J'ai devant moi un homme dur et doux à la fois, blessé mais déterminé et aussi exceptionnel qu'unique.
Alors même si sa situation est compliquée, même si je m'étais jurée de ne jamais accepter ce genre de chose, je comprends qu'il a autant besoin de moi que moi j'ai besoin de lui. Une apaisante vague de chaleur s'empare maintenant de chaque parcelle de mon corps et je la laisse faire. Depuis plusieurs semaines, nous nous tenons tous deux au bord d'un précipice qui nous terrorise. Aujourd'hui, il est temps de respirer un bon coup et de sauter.
Ensemble.
Main dans la main.
De mon pouce, je caresse sa peau parsemée d'une délicieuse fine barbe et sans jamais quitter ses yeux, je lui chuchote :
-Laisse-moi seulement faire les choses bien cette fois...
Un froid glacial s'abat violemment sur moi au moment où mes mains quittent la chaleur de sa peau. A contrecœur, je décolle mon corps de celui d'Ethan et je ne m'attarde pas. Je tourne les talons et ne lui jette pas un seul regard, sans quoi je serais incapable de continuer mon chemin. Mes jambes réussissent à me porter jusqu'à ma voiture et je me laisse engloutir par la nuit noire.
A fur et à mesure des kilomètres, une effrayante boule d'angoisse se loge dans mon ventre et j'espère de tout mon cœur qu'Ethan comprendra. Je ne peux pas rester près de lui plus longtemps, il faut absolument que je fasse ce qui est juste, même si cela impliquera sans aucun doute des larmes et beaucoup de déception. Quand j'arrive à destination, je coupe le moteur de mon auto et respire un grand coup. Je ne traine pas de peur qu'en réfléchissant trop, je finisse par me dégonfler et je pars assumer mes choix.
Il n'y a encore que quelques semaines, je n'aurais jamais été capable de me battre autant pour mes désirs. Mais dernièrement, beaucoup de choses ont changé et je n'ai plus envie de me cacher derrière les souhaits des autres. Je sors de l'ombre et même si la lumière est aveuglante et terrifiante, ce soir j'ai envie de vivre MA vie.
Quand Gabriel m'ouvre la porte, son sourire disparaît aussitôt que son regard rencontre le mien. Il comprend tout de suite que quelque chose ne va pas et s'empresse d'attraper ma main pour me faire entrer. De son bras gauche, il m'enveloppe contre son torse et plaque ses lèvres sur mon front tout en pressant douloureusement ses yeux.
-Gabriel... je lui murmure doucement.
Il ne me répond pas et reste ainsi un long moment, à humer mon parfum pendant que ses doigts s'accrochent de plus en plus fort à mon bras.
-Gabriel... il faut que je te parle...
Quand je me redresse, je me fais violence pour le regarder souffrir sous mes yeux. Ses paupières sont toujours closes et ses sourcils toujours froncés. Son corps se raidit progressivement et sa douleur me met à terre. Je vais lui faire du mal alors qu'il ne le mérite absolument pas.
-Alors c'est maintenant ? C'est aujourd'hui ? ... Si tu savais le nombre de fois où j'ai espéré que ce moment n'arrive jamais...
J'ai presque l'impression qu'il se parle tout seul tant il s'est renfermé sur lui-même à l'instant où mes yeux lui ont tout avoué avant même que mes lèvres ne s'écartent. Mon cœur saigne pour lui mais je ne peux plus reculer. Je nous ai menti assez longtemps, je n'ai plus le droit de continuer.
