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Je compose le numéro de Bastien qui me répond aussitôt. A cette heure-ci, il doit déjà avoir retrouvé la quiétude de son appartement.
-Hey ! Pile à l'heure pour l'apéro, me lance -t-il alors que j'entends distinctement le bruit d'une bouteille qu'on débouchonne en arrière plan.
-Je te dérange ? Tu n'es pas seul ?
-Vanessa est avec moi ce soir mais elle part prendre sa douche et enfiler des vêtements plus confortables. On a un peu de temps devant nous. Tout va bien ?
-Oui, je crois. Je suis dans le bus, je reviens de chez Holly.
Bastien est au courant de l'avancée de mes séances. Il a presque explosé de joie au téléphone quand je lui annonce avoir accepté la proposition d'Holly.
-T'as bien travaillé ? me taquine-t-il gentiment.
-Très bien ! Tu aurais été fier de moi, j'ai réussi une dictée de quatre mots sans me tromper une seule fois.
Mon ami siffle d'admiration à l'autre bout de la ligne. Je ris, le coeur plus léger qu'à l'aller.
-Sérieux, chapeau mec !
-Oui, je... honnêtement ? Je suis content. C'est peut-être rien pour les autres mais pour moi c'est énorme.
-Ce n'est pas rien. Tu as bien raison d'être fier de toi. Si tu l'avais pas été, je me serais fait un malin plaisir de te botter les fesses ! Bon, et sinon, tu te sens à l'aise avec Holly ? Ça se passe bien avec elle ?
-Bien mieux depuis qu'on depuis qu'on ne se retrouve plus en public pour travailler. Aujourd'hui, j'étais plus concentré et j'ai réussi à me laisser guider par ce qu'elle me disait.
-C'est top, franchement je suis vraiment content pour toi.
-Merci. De toute façon, tu me connais, ça ne pourrait pas fonctionner avec quelqu'un avec qui je ne me sens pas à l'aise. Aujourd'hui, j'ai même remarqué que je bégayais moins !
Mon enthousiasme doit clairement voyager jusqu'en France puisque Bastien enchaine les encouragements et les félicitations. C'est si agréable pour une fois de ne pas nager dans la mélancolie du quotidien.
-Elle est comment cette Holly ? reprend-t-il rapidement.
-Comment ça, comment ?
Je pose ma tempe contre la vitre froide et humide du bus. La côte Atlantique est particulièrement agitée sous le ciel ardoise.
-Son caractère, son physique, je sais pas, parle moi d'elle !
-Oh... et bien, commencé-je sans trop savoir quoi dire. Elle est gentille. Vraiment gentille.
Mon regard se perd dans les vagues agités en bas des falaises tandis que je continue.
-Elle est patiente et je n'ai jamais l'impression qu'elle me juge. Elle est douce et plutôt réservée. Elle n'est pas du genre à attirer l'attention. Oh et elle est gourmande aussi ! Si tu la voyais dévorer mes pâtisseries !
-Et physiquement ?
-Elle est jolie. Elle a un très beau sourire. Elle est blonde, avec des yeux d'un bleu profond. Elle n'est pas mince mais ça lui va très bien. Elle a des formes tu vois ?
-Elle te plait ?
-Q-quoi ? C'est quoi cette question ?
Mon regard s'échappe autour de moi, vérifiant compulsivement que personne n'écoute ce que Bastien est en train de dire, comme s'il s'agissait là d'une demande honteuse, déplacée.
-C'est une question normale Louis, détends-toi. Il n'y aurait rien de mal si elle te plaisait, tu sais. Tu ne t'es jamais mis en couple depuis l'arrivée de Mila, tu as tout à fait le droit de l'envisager si tu trouves quelqu'un qui te correspond.
-Mais je... c'est que... je n'y ai jamais réfléchi, à vrai dire. Holly est très jolie et je me sens bien quand je la côtoie. Pour le reste, je n'en sais rien. Ce n'est pas le sujet. Je veux juste accepter son aide et ne pas trop l'embêter. Bon et sinon, comment va Vanessa ?
Mon changement de sujet absolument pas subtil ne passe pas inaperçu mais Bastien a la gentillesse de ne pas m'asticoter. Durant le quart d'heure suivant, il me parle de sa petite-amie à qui il a proposé d'emménager avec lui, de son travail qu'il adore même s'il aimerait déjà viser une promotion, de ses parents qui le tannent pour qu'il vienne les voir plus souvent.
Lorsque je rentre à la maison, je me précipite dans la chambre de Mila pour trouver ma fille sous les draps, les yeux lourds de sommeil. Je dépose un baiser sur son front, je caresse ses cheveux et je lui souhaite bonne nuit. Je referme la porte avec une drôle de sensation qui grouille dans mon ventre. Une pointe de culpabilité à l'idée de laisser tomber ma fille plusieurs soirs par semaine mélangée à une étrange excitation. Celle de d'avancer enfin, même si ce n'est qu'un minuscule pas.
