14
-Mais pourquoi tu ne veux pas qu'on le découvre ? m'interroge-telle avec toute sa naïveté.
-Parce que... j'ai honte. Les adultes sont censés savoir lire et écrire. C'est la base de tout. C'est ce qu'on apprend en premier à l'école. Et moi, je ne sais même pas faire ça. Et puis, je t'ai déjà expliqué que mes camarades n'étaient pas très gentils avec moi quand j'étais petit. Ils se moquaient beaucoup de moi parce que je n'arrivais pas à lire des textes simples. Ça me faisait beaucoup de peine.
Mila repose sa joue contre mon torse. Nous restons silencieux un long moment, elle pour absorber ce que je viens de lui avouer et moi pour retrouver mon calme. Et sans que je ne m'y attende, sa petite tête se redresse, avec ses yeux pétillants de malice et son sourire empli de fierté.
-J'ai une idée papa ! Tu devrais demander à Mademoiselle Holly de t'aider ! Elle est super forte, tu sais, pour nous apprendre à lire.
Je laisse échapper un rire devant l'ironie de la situation.
-Je ne sais pas trop...
-Tu me dis toujours que quand j'ai un problème, je ne dois pas me morfondre mais plutôt chercher une solution. Et je crois bien que Mademoiselle Holly peut être ta solution à toi papa.
Mes lèvres se posent sur son front en un doux baiser. Ma magnifique petite fille n'en a probablement pas conscience mais chaque jour qui passe, elle fait trembler mon petit monde.
Notre instant confession a profondément soulagé Mila. Je retrouve ma lilliputienne souriante et débordante d'énergie. Je suis heureux de voir que mes révélations n'ont rien changé à notre relation. Notre journée de dimanche se termine aussi bien que toutes celles auparavant. De retour dans mon grand lit vide, mon cerveau, lui, continuer de carburer à fond. Je repense aux mots de Bastien, à ceux de ma fille, à ceux d'Holly. Ils tournent en boucle, me forcent à me remettre en question. J'étais convaincu que je n'accepterai pas son aide mais ce soir, je ne sais plus.
Ne pas avoir pu venir en aide à ma fille a été l'obstacle de trop. Qu'aurais-je fait si Bastien n'avait pas répondu ? Aurais-je obligé ma fille à se présenter en classe sans avoir pu faire ses devoirs ? Cette pensée m'est insoutenable.
Lundi matin, quand j'accompagne Mila à l'école, je reste plus longtemps que d'habitude dans le couloir, une petite boite métallique dans la main. Je me terre dans mon coin et je laisse les parents déposer leurs enfants et partir au travail. Quand le corridor a retrouvé le calme et que les élèves sont en train de s'installer à leur bureau, je souffle un bon coup et je lève les yeux.
Postée à l'entrée de sa classe, Holly m'observe tranquillement, arborant son doux sourire habituel. Elle ne bouge pas mais elle ne me lâche pas du regard. Alors pour trouver le courage de m'avancer vers elle, je m'accroche à ses encouragements silencieux et je pense à ma fille.
Je fais un pas un avant. Puis un autre. Et ce sont sans aucun doute les pas les plus importants de ma vie.
Je me présente devant elle, lui offre un rictus qui ne reflète que mon stress mais je ne me débine pas.
-B-bonjour Holly, commencé-je d'une voix si peu assurée que j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou.
-Bonjour Louis.
-Je... j'ai r-repensé à v-votre p-proposition et je... j-je l'accepte. Enfin, si elle t-tient t-toujours.
-Bien sûr. J'en suis très heureuse.
-M-mais je... euh, je ne v-voudrais pas monopoliser v-votre temps l-libre et vous empêcher de p-passer des moments en ff-amille.
-Ne vous inquiétez pas, je vis seule, en me répond-t-elle en se voulant rassurante. Je serai ravie de vous aider.
-D-d'accord.
Un poids immense se décroche de mes épaules quand je prononce ce mot. Malgré ma honte et ma peur, j'entrevois une lumière au bout du tunnel. Et ça fait du bien.
Je laisse mon regard trainer sur le sol en masquant mon sourire. Je m'apprête à tourner les talons mais je me ravise au dernier moment.
-Oh, j-j'allais oublier. T-tenez, c'est p-pour vous.
Je lui tends la petite boite en métal garnie de quelques-uns des sablés pistache-noisette que j'ai réalisé vendredi, au gré de mes confessions. Son sourire trahit aussitôt toute sa gourmandise quand elle l'ouvre.
-Merci mais... comment vais-je faire maintenant pour attendre la fin de la journée en sachant que j'ai ces merveilles juste à côté de moi ?
Je ris pour masquer mon embarras. Les compliments, je ne sais jamais quoi en faire. Mais je commence doucement à m'y habituer, à ma façon.
