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12

                                            

                                                  

-Mais pourquoi est-ce que je ne peux pas en apporter à Abbi ? soupire Mila en sortant deux gaufres du gaufrier. 

                              

-Je te l'ai déjà dit, elle est partie deux jours rendre visite à une amie à Dublin. 

                              

-J'aime pas quand elle n'est pas là. 

                              

-Tu la vois presque tout le temps, tu peux quand même la laisser respirer deux jours, ris-je en frottant ses cheveux. 

                              

Mila fait la moue mais n'insiste pas. Elle dispose nos gaufres sur une grande assiette et me rejoint au salon, où j'ai déjà apporté deux bols de fruits coupés, une boite métallique contenant les sablées pistache-noisette que j'ai préparés vendredi et deux tasses fumantes. Nous engloutissons notre petit-déjeuner devant la télévision, comme à notre habitude le dimanche matin. L'émission de cuisine préférée de Mila nous donne l'eau à la bouche, même si c'est une rediffusion que nous avons déjà vue. Un homme et une femme s'affrontent en final d'un concours de pâtisserie où un jury leur a demandé de leur préparer un gâteau à la fois réconfortant et extravagant. 

                              

-Tu devrais t'inscrire au concours papa, je suis sûre que tu gagnerais ! 

                              

-Ne dis pas des bêtises ma chérie, je ne suis pas aussi doué qu'eux. 

                              

Tout en buvant une gorgée de thé, je réfléchis tout de même à ce que j'aurais concocté si j'avais été à leur place. J'aurais utilisé du chocolat, pas de doute là-dessus. Le chocolat c'est réconfortant mais c'est aussi très technique. Je me suis cassé les dents plus d'une fois sur une sculpture en chocolat. J'aurais peut-être réfléchi à intégrer des légumes ou des aliments salés pour le côté extravagant. Je sais que la betterave, par exemple, se marie très bien avec le chocolat. 

                              

-Tu serais beaucoup plus fort qu'eux papa ! Tes sablés sont trop bons. En plus, c'est même pas une recette que tu as copiée, c'est toi qui l'a inventée. Et toi, tu connais toutes les pâtisseries françaises, tu sais bien que le jury adore ça. 

                              

Mes pensées se tournent immédiatement vers le livre de cuisine que m'a offert Holly. Quand je me suis terré dans mon appartement jeudi soir, je l'ai immédiatement caché dans ma chambre, dans un des tiroirs de mon armoire. Je ne voulais surtout pas prendre le risque que Mila tombe dessus et se mette en tête de le déchiffrer. Elle m'aurait demandé de l'aide et j'aurais été incapable d'assurer mon rôle de père. 

                              

La discussion que j'ai eue vendredi soir avec Holly tourne en boucle dans ma tête. Sa proposition surtout. C'était très serviable de sa part mais franchement, comment aurais-je pu accepter ? Cette simple idée me donne tout bonnement l'impression de perdre ma dignité. De me reléguer au statut de pauvre garçon illettré, ce qui est plutôt vrai mais je refuse de l'admettre publiquement. Et puis, je ne la connais pas. Je ne pense pas qu'elle ait un mauvais fond mais je me méfie toujours. Pourquoi voudrait-elle m'aider, sans rien attendre en retour ? Ce n'est pas normal, il y a forcément un truc qui m'échappe. J'ai grandi en apprenant très tôt que les autres ne me voulaient pas forcément du bien. Devenir transparent et les tenir à distance étaient les seuls moyens de les empêcher de m'atteindre. Il n'y a aucune raison pour que ça change aujourd'hui. 

                              

La petite joue de Mila s'installe confortablement contre ma poitrine. Mon bras passé autour de ses épaules resserre son étreinte et nous restons ainsi une heure, à commenter silencieusement tous les faits et gestes des candidats. Cette parenthèse enchantée me fait un bien fou. 

                              

En début d'après-midi, ma fille s'installe dans sa chambre pour faire ses devoirs. J'en profite pour essayer d'appeler Bastien sur Skype, même si je sais que le dimanche n'est pas le jour où il est le plus facilement joignable. Entre les festins chez ses parents et les lendemains de soirée, il n'appuie pas souvent sur le bouton « décrocher ». 

                                          

              

                    

Et pourtant, aujourd'hui j'ai de la chance. Sa tête apparait au bout de la quatrième sonnerie. Il me salue avec des yeux endormis et une coupe de cheveux trahissant un réveil tardif.

-Je ne pensais pas que tu allais me répondre ! 

-Tu as de la chance, je me suis levé il y a un quart d'heure. 

Je regarde l'heure qu'affiche mon vieil ordinateur. 14h34. 

-Tu t'es couché tard? 

-Tôt plutôt, rit-il en passant une main dans ses cheveux pour essayer de les recoiffer. Avec mes potes de la Fac de droit, on est sortis boire un verre et on a fini en boite. Je me suis couché à six heures du matin. 

-Vanessa n'est pas là ? 

-Non, elle avait une soirée avec ses copines. Elle passera sûrement ce soir. Bon et toi, quoi de neuf ? 

Je baisse machinalement les yeux pour ne pas lui montrer tout ce qui me pèse. 

-Oh, rien de spécial tu sais, Mila... 

-Je vous arrête tout de suite Monsieur Perret. Vous me cachez quelque chose et vous avez intérêt à tout me dire sinon je me verrais dans l'obligation d'intenter une procédure contre vous, débite-t-il de sa voix la plus professionnelle qui soit. 

Depuis qu'il a été embauché dans un cabinet d'avocats comme assistant juridique, il ne rate jamais une occasion de me montrer l'étendue de ses talents. Je rigole nerveusement, ne sachant pas trop quoi lui répondre. J'hésite à lui servir un mensonge mais je ravise rapidement. Après tout, c'est moi qui l'ai appelé, c'est moi qui voulais lui parler. Alors je me force à reprendre la parole, même si les mots ne sortent pas forcément tous dans le bon ordre. 

-Je... j'ai eu un petit souci avec la maîtresse de Mila, avoué-je embarrassé. 

Mon ami se redresse aussitôt, la mine grave. 

-Sa maîtresse ? Mila a des problèmes à l'école ? 

-Non, non tout va bien pour elle. Elle se débrouille même super bien ! Non, c'est... c'est moi. 

-Désolé mais je ne comprends rien mon pote, il va falloir que tu sois plus précis. 

Je soupire en essayant d'organiser mes pensées. 

-Voila, Holly...

-C'est la maîtresse ? 

-Oui. Holly est tombée en panne il y a deux semaines et je lui ai changé ses bougies d'allumage. Jeudi, elle est venue au pub et pour me remercier de l'avoir dépannée, elle m'a offert un livre. 

-Un livre... 

-Oui un livre. Un gros livre sur la pâtisserie, dans lequel un grand chef français dévoile ses secrets. Sauf que ses secrets resteront un mystère pour moi, lancé-je amer. 

-Merde. Et elle a compris ? 

-Bien sûr. J'étais tellement choqué, je n'ai pas réussi à masquer ma gêne. 

-Et elle t'a dit quoi ? 

-Sur le coup, rien parce que je me suis enfui. 

Les yeux de mon ami s'arrondissent de surprise mais il me laisse continuer. 

-Mais vendredi, elle est repassée. Elle voulait s'excuser de m'avoir mis mal à l'aise. Elle a été très... très gentille. Je m'attendais à des questions indiscrètes et à de la pitié dans ses yeux mais je n'ai rien eu de tout ça. 

-C'est plutôt bien alors...? s'enquiert-il sans vraiment comprendre où je veux en venir. 

-Je crois. Je ne sais pas trop. Tu vois, je ne voulais pas qu'elle l'apprenne alors même si elle a été sympa, je ne suis pas du tout à l'aise. Au fond d'elle, elle doit me prendre pour un raté. Je veux dire, elle passe ses journées entourées d'enfants de six ans et du haut de mes vingt-quatre ans, je ne suis pas plus doué qu'eux ! 

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